CA Rennes, 3e ch. com., 31 janvier 2012, n° 09-07899
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
RACN (SA), David (ès qual.), Gautier (ès qual.), ABM (SARL)
Défendeur :
Claas France (SAS), Claas réseau agricole (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarède
Conseillers :
Mme André, M. Pedron
Avoués :
SCP Guillou Renaudin, SCP Gauthier Lhermitte, SCP Castres Colleu Perot le Couls Bouvet
Avocats :
Mes Boutin, Gauclère, SCP Vogel & Vogel
La SAS Claas France importe et distribue en France des matériels agricoles, notamment des tracteurs de la marque Claas et anciennement Renault agriculture. Elle bénéficie d'un réseau de concessionnaires, dont certains sont des distributeurs exclusifs et d'autres des distributeurs sélectifs.
La SA Rayonnement agricole des Côtes d'Armor (RACN) à Lamballe a, pendant de nombreuses années, été titulaire d'un contrat de distribution sélective du réseau Claas sur le secteur géographique des Côtes d'Armor, les relations entre les parties étant définies par des contrats annuels successifs dont le dernier est arrivé à expiration le 30 septembre 2006.
La SA RACN fait partie, avec la SARL Agriculture du Menez Bré (AMB) domiciliée à Pedernec, du groupe BLG Développement.
Se plaignant d'une réduction de ses encours afférents aux ventes de tracteurs, la société RACN a, par lettre du 27 décembre 2006, notifié son intention de mettre un terme amiable aux relations contractuelles avec la SAS Claas France. Les parties ont alors convenu de fixer la rupture de leurs relations contractuelles au 30 avril 2007.
Le 1er mai 2007, la société RACN a adressé à sa cliente un courrier dont les termes ont déplu à la société Claas France laquelle, se plaignant de concurrence déloyale, a assigné, le 23 juillet 2007, la société RACN devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc aux fins de:
- la voir condamner sous astreinte à adresser à la clientèle un courrier rectificatif et à modifier son site web de telle sorte que n'y apparaissent plus ni les produits, ni les logos Claas et/ou Renault (agriculture);
- la voir condamner à régler une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts et de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Invoquant à leur tour des actes de concurrence déloyale, les sociétés RACN et AMB ont, les 26 et 27 mai 2008, assigné en intervention la SAS Claas Réseau agricole, concessionnaire exclusif de la SAS Claas France, laquelle a ouvert un établissement secondaire à Plestan le 1er octobre 2002, puis un second établissement à Begard au mois de septembre 2008, embauchant à cette occasion, plusieurs de leurs anciens salariés.
Les deux procédures ont été jointes.
Le 13 octobre 2008, les sociétés RACN et AMB ont été placées en redressement judiciaire. Maître Gautier, administrateur, et Maître David, mandataire, sont intervenus à la procédure. Le redressement judiciaire des deux sociétés a été converti, le 12 février 2010, en liquidation judiciaire, Maître David étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Le 12 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a :
- condamné la société RACN, sous astreinte définitive de 1 000 euro par jour de retard 48 heures après signification du jugement, à adresser à la clientèle un courrier rectificatif dans les termes évoqués dans le courrier recommandé Claas du 23 mai 2007 et à en justifier ;
- condamné la société RACN à régler à la société Claas France la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
- condamné la société Claas France à verser à la société RACN la somme de 7 176 euro en réparation du préjudice lié à la facturation injustifiée de frais de stockage, avec intérêts aux taux légal à compter du 30 avril 2007
- condamné la société Claas France à verser à la société RACN la somme de 58 601 euro en réparation du préjudice commercial lié aux conditions de vente des huit tracteurs énoncés page 2 du courrier recommandé de Maître Boutin du 29 juin 2007
- débouté la société RACN de sa demande de condamnation de la société Claas France à verser à la société RACN la somme de 5 8902,32 euro au titre de la facturation de frais et coûts de contrats maxi care ;
- débouté la société RACN de sa demande de condamnation de la société Claas France à verser à la société RACN la somme de 13 490 euro au titre de la facturation de frais et coûts de contrats maxi care ;
- débouté la société RACN de sa demande de condamnation de la société Claas France à verser à la société RACN la somme de 11 182 euro au titre de la remise de fin d'année 2006;
- débouté les sociétés RACN et AMB de leur demande d'indemnisation du préjudice commercial lié à la rupture des relations contractuelles ;
- condamné la société Claas France à rembourser à la société RACN les coûts de cinq procès-verbaux de constat établis par la SCP Rio Corlay Clergeot démontrant la persistance du référencement de RACN-AMB dans la liste des concessionnaires de la marque Claas ;
- condamné la société RACN à régler à la société Claas France une somme dc 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société AMB à régler à la société Claas France une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté les demandes des sociétés RACN et AMB à l'encontre de la société Claas Réseau agricole ;
- condamné la société Claas France à régler à la société RACN la somme de 10 000 euro, en réparation de ses actes de concurrence déloyale, sur justification de l'envoi par la société RACN de la lettre rectificative ;
- condamné les sociétés RACN et AMB à régler à la société Claas Réseau agricole une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes.
Les sociétés RACN et AMIS ont relevé appel de cette décision. Elles forment les demandes suivantes:
"Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Saint-Brieuc du 12 octobre 2009 en ce qu'il a:
- dit ne pouvoir interdire à la société RACN de proposer sur son site la vente de produits d'occasion de marque Claas ou Renault ;
- condamné la société Claas France SAS à verser à la société RACN la somme de 7 176 euro en réparation du préjudice lié à la facturation injustifiée par Claas de frais de stockage avec intérêts au taux légal depuis le 30 avril 2007 jusqu'au parfait paiement ;
- condamné la société Claas France SAS à verser à la société RACN la somme de 58 601 euro en réparation du préjudice commercial lié aux conditions de vente des 8 tracteurs énoncés page 2 du courrier recommande de Maître Boutin du 29 juin 2007 ;
- condamné la société Claas France SAS à rembourser à la société RACN les coûts des 5 procès-verbaux de constat établis par la SCP Rio Corlay Clergeot et démontrant la persistance anormalement longue du référencement RACN AMB dans la liste des concessionnaires de la marque Claas ;
- constaté que la société Claas France SAS s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en maintenant sur son site un référencement des établissements RACN et AMB en qualité de concessionnaire de la marque Claas ;
Dire et juger que les condamnations ci-dessus prononcées sont prononcées au bénéfice de Maître David, es-qualité de mandataire judiciaire liquidateur des sociétés RACN et AMB en exécution du jugement prononcé par le tribunal de Commerce de Saint-Brieuc le 12 février 2010.
Pour le surplus,
Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 12 octobre 2009.
Reconventionnellement à l'encontre de la société Claas France, Vu l'article 1134 et suivants du Code civil,
Condamner la société Claas France SAS à verser à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société RACN la somme de 58 902,38 euros avec intérêt à compter du 31 décembre 2006, en réparation du préjudice lié à la facturation injustifiée par Claas France de frais et coûts de contrats Maxi Care;
Condamner la société Claas FRANCE SAS à verser à Maître David. ès qualité de liquidateur de la société RACN la somme de 13 490 euro avec intérêts à compter du 30 avril 2007 en réparation du préjudice lié à la facturation injustifiée par Claas France de frais et coûts de contrats Maxi Care;
Vu l'arrêt de la Chambre commerciale du 6 février 2007 (Jurisdata 2007 037247), vu l'article 1382 du Code civil
Subsidiairement, vu l'article 1147
Dire que la rupture des relations contractuelles est imputable à Claas France ;
Condamner la société Claas France SAS à verser à Maître David ès qualité de liquidateur de la société RACN la somme de 11 382 euro en réparation du préjudice lié au non-versement de la remise de fin d'année 2006;
Vu l'article 1382 du Code civil subsidiairement vu l'article 1147 du Code civil
Condamner la société Claas France SAS à verser à Maître David ès qualité de liquidateur de la société RACN la somme de 2 500 000 euro en réparation du préjudice commercial subi par la société RACN du fait de la rupture abusive, et brutale dans ses modalités, du contrat liant les parties ;
Condamner la société Claas France SAS à verser à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société AMB la somme de 1 000 000 euro en réparation du préjudice commercial subi par la société RACM du fait de la rupture abusive, et brutale dans ses modalités, du contrat non écrit liant les parties ;
Condamner la société Claas France SAS aux entiers dépens.
Condamner la société Claas France SAS à verser à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société RACN la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile :
Reconventionnellement, à l'encontre des sociétés Claas France SAS et Claas Réseau agricole solidairement,
Condamner solidairement ces deux sociétés à verser à Maître David la somme de 4 407,68 euro en remboursement des frais de mailing ;
Vu l'article 331 du Code de procédure civile, dire et juger que les assignations en intervention délivrées les 26 et 27mai 2008 constituent la même instance que l'instance principale.
Vu l'article 1382 du Code civil.
Constater que les sociétés Claas France SAS et Claas Réseau agricole se sont livrées à des actes de concurrence déloyale envers la société RACN et la société AMB ;
Condamner in solidum la société Claas France SAS et la société Claas réseau agricole à verser:
- à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société RACN une somme de 4 000 000 euro en réparation du préjudice subi par RACN du fait des actes de concurrence déloyale;
- à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société AMB une somme de 1 500 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par AMB du fait de la concurrence déloyale;
- à Maître David, ès qualité de liquidateur des sociétés AMB et RACN la somme de 350 938,96 euro relative aux frais de remplacement du personnel débauché;
Condamner in solidum la société Claas France SAS et la société Claas Réseau agricole à verser et à Maître David, ès qualité de liquidateur des sociétés RACN et AMB la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile".
La société Claas France conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne les condamnations prononcées à son encontre. Elle demande une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à chacune des sociétés RACN et AMB.
La société Claas Réseau agricole conclut à la confirmation de la décision entreprise et au rejet de l'intégralité des demandes présentées à son encontre et réclame, reconventionnellement la condamnation de Maître David au paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les appelantes le 4 novembre 2011, pour la société Claas France le 7 octobre 2011 et pour la société Claas RA le 3 novembre 2011.
Exposé des motifs
Sur la demande d'indemnisation de la rupture des relations commerciales établies
Les pièces produites ne démontrent pas l'existence de relations contractuelles entre la société Claas France et la société AMB. En effet, ni commandes de matériel émanant de la SARL AMB, ni factures à elle adressées par la société Claas France ne sont versées aux débats. Les seules pièces produites au soutien de l'allégation de relations contractuelles unissant ces deux personnes morales se rapportent à deux encarts publicitaires et une lettre-circulaire adressée à la clientèle. Les premiers se bornent à associer en une dénomination unique les sociétés RACN et AMB, seule la domiciliation du concessionnaire RACN étant cependant précisée. La lettre-circulaire adressée le 2 mai 2007 par la société Claas Francs à sa clientèle a pour seul but, quant à elle, de lever toute ambiguïté sur la situation de la société AMB par rapport à l'importateur.
Ces documents s'expliquent par la pratique de Monsieur Le Gal qui se présentait dans ses documents publicitaires, comme le "PDG RACN-AMB", entretenant ainsi la confusion entre ces deux sociétés distinctes qu'il associait en une entité unique alors que seule la première avait la forme d'une société anonyme dirigée par un PDG.
Il se déduit de ces pièces et du contrat annuel de distribution (annexe 6) que le fournisseur connaissait la société AMB en tant que société dépendante de son concessionnaire, la société RACN, et en tant que site de livraison des machines commandées par ce dernier.
En revanche, la preuve de relations d'affaires entre ces deux personnes juridiques n'est pas rapportée, de sorte que les demandes de la société AMB en ce qu'elles portent sur la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies ne peuvent qu'être rejetées.
La société RACN était liée à la société Claas France par un contrat de distribution sélective renouvelable tous les ans. Elle a refusé de signer le contrat qui lui a été soumis au mois de septembre 2006 pour l'exercice 2006-2007 et a adressé, le 27 décembre 2006, une lettre recommandée dans laquelle elle concluait " je pense qu'il serait préférable de s'orienter réciproquement vers une cessation amiable de contrat". Il s'en déduit qu'elle a pris l'initiative de la rupture des relations commerciales entre les parties.
La société RACN soutient que cette décision lui a été imposée par la réduction des encours tracteurs qui ne lui permettait plus de vendre et de livrer des tracteurs dans des conditions économiquement acceptables. Cependant, elle ne conteste pas les explications du fournisseur selon lesquelles le calcul des encours était effectué selon une formule s'appliquant indistinctement à tous les concessionnaires, formule tenant compte notamment du chiffre d'affaires prévisionnel ainsi que des ratios capitaux propres/chiffre d'affaires et résultat/chiffre d'affaires. Elle ne soutient d'ailleurs pas avoir fait l'objet de conditions discriminatoires par rapport à celles consenties aux autres distributeurs qui ont, eux, poursuivi les relations commerciales avec le concédant.
Au demeurant, à la suite de ses protestations, celui-ci a, par lettre recommandée datée du 15 novembre 2006 annulant une précédente lettre recommandée du 13 novembre, accepté la reconduction du plafond d'encours de l'exercice précédent, soit pour les tracteurs, 420 000 euro. Certes, ce maintien était subordonné, conformément à la proposition préalable de la société RACN, à la fusion des trois sociétés du groupe pour en renforcer la solvabilité, notamment par une augmentation du ratio capitaux propres/chiffre d'affaires. Mais cette exigence correspondait aux stipulations de l'article 4.2 du contrat de concession, lequel imposait aux concessionnaires distributeurs sélectifs de disposer de capitaux propres représentant au moins 5 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes, alors que le ratio de la société RACN était inférieur à 4,5 %.
Le fait que cette insuffisance existait depuis longtemps au su du cocontractant et n'avait jusqu'alors pas entraîné de conséquence préjudiciable pour lui, ne le privait pas du droit d'exiger la mise en conformité, dès lors que le délai de régularisation fixé contractuellement à six mois était respecté.
Pour justifier sa décision de mettre un terme aux relations commerciales, la société RACN soutient également que le fournisseur aurait porté atteinte à son exclusivité en autorisant le concessionnaire Claas RA établi à Pontivy à démarcher les Côtes d'Armor. Mais, le contrat de distribution reconduit annuellement était parfaitement clair sur ce point, il précisait à l'article 3.2.1 "Le Concessionnaire distributeur sélectif ne bénéficie d'aucune exclusivité territoriale et n'est astreint à aucune exclusivité de marque".
La société RACN, à qui avait été proposée l'obtention du statut de concessionnaire exclusif à la condition de justifier du respect du standard défini à l'article 43, à savoir des capitaux propres représentant au moins 10 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes, est donc mal fondée à reprocher des atteintes à une exclusivité territoriale dont elle ne bénéficiait pas.
En conséquence, la société RACN ne démontre pas avoir subi une modification des conditions contractuelles assimilable à une rupture brutale ou abusive des relations commerciales établies. Elle ne peut donc prétendre à indemnisation de ce chef.
Sur les griefs réciproques d'actes de concurrence déloyale invoqués par les sociétés Claas France et RACN
La société RACN a adressé le 1er mai 2007 à sa clientèle une lettre-circulaire contenant les énonciations suivantes:
"La politique actuelle de Claas France est très différente de celle que poursuivait Renault il y a quelques années puisqu'elle pénalise en aval le concessionnaire de la marque et donc la clientèle.
Ceci nous conduit à un désaccord avec leurs dirigeants, entraînant le non-renouvellement de notre contrat... Totalement impliqués parce que passionnés par notre métier, nous pouvons vous assurer que notre équipe de mécaniciens et magasiniers, très bien formés à la marque Claas, restera toujours à votre disposition pour assurer le service après-vente, les dépannages et fournitures de pièces, sans aucun changement".
Le 23 mai 2007, la société Claas France a protesté contre cette présentation de la rupture des relations contractuelles, estimant qu'elle portait atteinte à sa réputation et constituait un acte de dénigrement. Elle reprochait également à son ancien concessionnaire d'avoir assuré rester "toujours" à la disposition de la clientèle et d'avoir employé la formule "sans changement pour vous" alors qu'il n'était plus habilité à exécuter les interventions effectuées sous garantie. Elle exigeait en conséquence l'envoi d'un courrier rectificatif et mettait en demeure le destinataire de supprimer toute mention des marques Claas et Renault de l'ensemble de ses communications.
Même si elle n'était pas satisfaite de la politique de son ancien fournisseur, la société RACN ne pouvait publiquement lui reprocher de porter atteinte aux intérêts de la clientèle potentielle. Ceci constitue un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale.
En revanche, rien n'interdisait à l'ancien concessionnaire d'assurer à sa clientèle qu'il resterait toujours à sa disposition pour assurer le service après-vente dès lors que ceci ne recouvre pas les seules interventions bénéficiant d'une garantie. Il n'appartient pas en effet au fabricant, ni au fournisseur de s'immiscer dans l'activité d'un professionnel indépendant et de lui interdire d'exercer ses compétences sur des produits de sa marque. Le manque de précision sur ce point n'était pas suffisant pour constituer un acte de concurrence déloyale alors que concomitamment, dès le 2 mai 2007, la société Claas France adressait à l'ensemble des acquéreurs de matériels de sa marque encore sous garantie une lettre-circulaire ainsi rédigée: "Puisque vous possédez un tracteur ou une machine de révolte de moins de 12 mois, ou un tracteur toujours couvert par le contrat Orange ou par le contrat Maxi Care, nous vous rappelons que vous devez vous adresser à un concessionnaire Claas pour toute intervention sous garantie.
A ce titre, les concessionnaires Claas habilités à faire les interventions durant la période de garantie ou de fin de validité de contrat Orange ou contrat Maxi Care les plus proches de votre exploitation ou de votre entreprise sont...".
Aucune confusion ne pouvait donc découler pour les bénéficiaires de garantie des communications respectives des parties.
La société Claas France a reproché en outre à son ancien concessionnaire, au mois de juillet 2007, de n'avoir pas mis assez vite son site Internet à jour. Pourtant, les pièces n° 7 et 8 produites à l'appui de ce grief n'apparaissent guère probantes, étant rappelé qu'il est toujours loisible aux vendeurs de matériels d'occasion d'indiquer la marque du matériel qu'ils proposent à la vente et de présenter sur leur site des photographies des dits matériels.
Paradoxalement, la société Claas France a fait diffuser, dans l'hebdomadaire "Le Paysan Breton" deux encarts publicitaires (édition du 4 au 11 mai 2007 et du 18 au 25 mai 2007) présentant toujours RACN-AMB comme concessionnaire Claas.
Plus encore, le 23 juillet 2007, un constat d'huissier a démontré que le site Internet du fournisseur dirigeait encore les consommateurs vers la société RACN et qualité de concessionnaire de la marque dans les secteurs géographique de Guingamp, Lamballe et Andel. Ceci était toujours le cas le 27 août 2007, ainsi que pendant tout le mois d'octobre suivant et jusqu'au 19 novembre 2007 au moins ainsi que le révèlent les contrats d'huissier produits par la société RACN.
Le risque de confusion dont se plaint la société Claas France procède dès lors de son propre fait et non d'un acte de concurrence déloyale imputable à son ancien concessionnaire.
Il s'ensuit que le seul acte de concurrence déloyale imputable à la société RACN concerne sa présentation de la rupture "comme préjudiciable à la clientèle". Cette mention de gravité toute relative et d'un impact limité sur la clientèle en cause, laquelle était apte à apprécier le contexte de cette affirmation et à en relativiser la portée, a été complètement réparée par l'envoi, par le mandataire, du courrier rectificatif. La demande complémentaire de dommages-intérêts, qui ne pouvait en tout état de cause donner lieu à condamnation à paiement eu égard à la procédure collective en cours, sera en conséquence rejetée.
En revanche, les frais afférents à l'envoi de la lettre rectificative devront rester à la charge de la liquidation de la société puisqu'il s'agit de frais découlant de la mesure de réparation de l'acte de dénigrement fautif.
En diffusant des publicités inexactes et en maintenant sur son site, pendant plusieurs mois, des informations erronées de nature à créer une confusion entre son réseau de distribution et la société RACN, la société Claas France a causé un trouble commercial à la société RACN justifiant l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro et le remboursement des frais de constat ayant été nécessaires pour l'amener à rectifier sa présentation fallacieuse.
Les premiers juges ont cru pouvoir prononcer une astreinte définitive pour imposer aux organes de la procédure collective, au risque de porter atteinte au principe d'égalité entre les créanciers dont la créance est née avant le jugement d'ouverture, la diffusion d'un courrier rectificatif dont les énonciations n'étaient pas clairement précisées et dont les destinataires étaient tout aussi mal définis. Or, aux termes de l'article 34 de la loi du 9 juillet 1991, une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Cette mesure n'était de surcroît pas adaptée aux circonstances de l'espèce et disproportionnée par rapport aux intérêts en litige, de sorte que la décision sur ce point sera infirmée.
Il est aussi reproché à la société Claas France d'avoir commis des actes de concurrence déloyale par débauchage massif de salariés employés par la SA RACN et la SARL AMB.
Mais, c'est à tort que ces deux sociétés prétendent déduire de l'existence d'intérêts communs entre la société Claas France et la société Claas RA, l'absence d'autonomie de l'une par rapport â l'autre et une responsabilité collective par rapport aux tiers. Cette position qui ne repose sur aucun fondement juridique ne peut qu'être rejetée.
En l'occurrence, la société Claas France n'a pas procédé à l'embauche d'anciens salariés de la société RACN ou de la société AMB. Il n'est pas non plus démontré qu'elle a commis des actes déloyaux tendant à faciliter leur embauche par un tiers. La demande présentée à ce titre à son encontre sera donc rejetée.
Sur les actes de concurrence déloyale reprochée à la société Claas RA
Les sociétés RACN et AMB, qui selon leur site Internet employaient le 27 aout 2007, 57 personnes (cf. constat d'huissier du 27 août 2007), reprochent à la société Claas RA d'avoir usé de manœuvres déloyales pour inciter dix des salariés de la société RACN et huit des salariés de la société AMB (auxquels elles ajoutent un apprenti dont le contrat était parvenu à son terme) à démissionner pour les embaucher immédiatement après leur démission.
Le premier des salariés visés, M. Le Fennec, s'est porté candidat, le 5 février 2007, au remplacement d'un poste de secrétaire commercial qu'il savait devenir prochainement vacant; et ce pour se rapprocher de sa région d'origine. Cette démission et l'embauche subséquente sont donc manifestement totalement étrangères à la rupture du contrat de concession et à ses suites.
Les dix-sept autres salariés ont démissionné pour rejoindre les deux établissements qui ont repris la distribution des tracteurs et matériels Claas sur les secteurs anciennement couverts par les sociétés RACN et AMB, lesquelles ont ainsi globalement perdu environ 30 % de leur effectif. Aucun élément ne permet cependant d'en déduire que ces départs ont entrainé la désorganisation des deux sociétés.
En outre, l'embauche par une entreprise de salariés démissionnaires d'une entreprise concurrente, même en nombre important, n'est pas en soi fautive, en l'absence d'actes positifs de débauchage destinés à détourner la clientèle ou à paralyser la concurrence.
Or, l'existence de telles manœuvres, dont la preuve incombe aux sociétés qui s'en prévalent, n'est pas établie en l'espèce. Il n'est en effet pas démontré que les salariés concernés ont été préalablement démarchés par la société Claas RA pour les inciter à démissionner. Les conditions de leur démission et de leur embauche consécutive par la société Claas RA ne révèlent pas, en elles-mêmes, l'existence de ses manœuvres, les lettres de candidature, individualisées, ne traduisant pas une concertation préalable entre eux ou avec leur futur employeur. Les bulletins de salaire produits ne démontrent pas davantage qu'il leur a été concédé des avantages hors de proportion avec leur qualification.
Ces salariés ont présenté leur démission de manière échelonnée sur plusieurs mois et ont logiquement postulé à un emploi équivalent auprès de la seule entreprise concurrente sur le plan local qui leur offrait des conditions de travail comparables à celles qu'ils connaissaient mais dont ils pouvaient douter de la pérennité.
L'embauche des salariés démissionnaires par la société Claas RA était justifiée par les besoins suscités par l'ouverture des deux nouveaux établissements et par les compétences que ces salariés avaient acquises s'agissant de l'entretien et de la réparation du matériel de la marque, il n'est donc pas non plus possible d'en déduire que cette société était animée par une volonté de nuire aux anciens employeurs en désorganisant leur activité.
Ainsi, contrairement à ce qui a été soutenu, M. Gantier, magasinier, a été embauché le 5 septembre 2008, soit concomitamment à l'ouverture de l'établissement de Begard. De même, les faits reprochés à M. Véron ne sont soutenus par aucun élément de preuve.
Or, le simple fait de tirer parti d'une opportunité avantageuse économiquement ne suffit pas à caractériser un acte de concurrence déloyale dès lors qu'aucun acte positif frauduleux n'a permis l'émergence de cette opportunité.
Le concessionnaire contractait, par l'effet du contrat de distribution, une obligation de formation de son personnel à ses frais. En l'absence de clause de non-concurrence insérée dans les contrats de travail, cette formation, dont il tirait profit pendant l'exécution du contrat, ne lui donnait pas le droit à de s'opposer à l'embauche ultérieure de ses anciens salariés par un concurrent ou ni de prétendre au remboursement par le nouvel employeur des frais ainsi exposés.
De même, le coût de remplacement de salariés fait partie des charges normales d'une entreprise et ne peut, en l'absence de faute imputable au nouvel employeur, être mis à la charge de celui-ci.
En conséquence, les demandes formées par les sociétés RACN et AMB à l'encontre de la société Claas RA seront rejetées.
Sur la demande en remboursement des frais de stockage
Le contrat autorisant la société Claas France à prélever des frais de stockage n'ayant pas été accepté par la société RACN, l'opposabilité à celle-ci de la stipulation contractuelle litigieuse n'est pas établie. En conséquence, la société Claas France ne justifie pas du bien-fondé de sa créance de ce chef. La décision du tribunal de commerce sera dès lors confirmée sur ce point.
Sur la demande en remboursement du coût des garanties Maxi Care
La société RACN justifie qu'il lui a été facturé le coût des garanties Maxi Care souscrites par ses clients. Mais elle ne soutient pas avoir offert ces garanties sans contrepartie aux dits clients, de sorte qu'il y a lieu d'en déduire que leur prix a été répercuté sur ceux-ci.
Le fournisseur reste tenu des obligations résultant de la garantie Maxi Care à l'égard de l'acheteur final de ses équipements. Celui-ci devra seulement s'adresser, pour leur mise en œuvre, conformément à l'usage, à un réparateur agréé par lui. La société RACN qui n'a pas assumé le coût définitif de cette garantie, n'ayant été qu'un intermédiaire pour sa perception, n'aura pas à prendre en charge les obligations qui en découlent. Sa demande de remboursement de ces garanties sera donc rejetée.
Sur la demande de versement d'un complément de prime de fin d'année 2006
La société RACN soutient, sans en justifier, que le fournisseur aurait délibérément reporté la livraison d'un tracteur pour réduire le montant des primes de fin d'année stipulées contractuellement en fonction du nombre de tracteurs vendus. Elle fait état d'une commande réalisée le 20 juin 2006 au profit de Monsieur le Pape, commande dont elle ne verse pas les pièces justificatives aux débats. Il n'est donc pas possible de vérifier les conditions prévues pour la livraison de ce matériel (suivant notamment qu'il se trouvait ou non en stock), de sorte que le délai d'exécution dc la commande, soit un peu plus de trois mois dont deux mois d'été, n'apparaît pas a priori anormal à l'examen des autres factures produites qui révèlent qui s'agit d'un délai moyen en rapport avec ceux habituellement constatés.
La société RACN n'apporte dès lors pas la preuve qui lui incombe d'un retard délibéré de son fournisseur dans la livraison d'un ou de plusieurs tracteurs pour réduire les avantages dont il pouvait se prévaloir.
La décision du tribunal de commerce sera donc également confirmée de ce chef.
Sur la demande de paiement d'une indemnité de 58 601 euro au titre de la vente de huit tracteurs
Des énonciations du jugement critiqué, il ressort que la somme réclamée correspond à la perte de marge brute pour huit tracteurs commandés par la société RACN entre le 31 mai 2006 et le 18 avril 2007 mais non livrés, il est fait référence aux tracteurs listés dans un courrier de Maître Boutin en date du 29 juin 2007.
Il ressort cependant des lettres adressées les 7 et 23 mars 2007 que quatre des commandes visées par le courrier de Maître Boutin ont été annulées le 23 mars, le matériel étant disponible et non réclamé. Il s'agit des commandes effectuées les 31 mai 2006 (2), 30 novembre 2006 et 7 décembre 2006.
L'annulation des quatre autres commandes n'était en revanche pas motivée par des arguments recevables, étant fait remarquer que les usages commerciaux, en dehors de circonstances exceptionnelles qui n'entament pas en l'espèce, ne permettent pas à un vendeur d'imposer le paiement intégral du prix avant la livraison de la marchandise. Le refus de livrer les tracteurs commandés pour ce motif était donc fautif et justifie le versement d'une indemnité de 30 000 euro en réparation du préjudice ainsi subi.
Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens
Eu égard aux circonstances de l'espèce et à la situation économique respective des parties, il n'y a pas lieu en l'espèce à application de l'article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
Par ailleurs, les sociétés RACN et AMB et la société Claas France succombant l'une et l'autre en grande partie dans leurs prétentions conserveront la charge des dépens qu'elles ont exposés.
En revanche, les dépens de la société Claas RA seront à la charge des sociétés RACN et AMB qui l'ont attraite à tort à la procédure.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 12 octobre 2009 par le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc en ce qu'il a: - condamné la société RACN à adresser à la clientèle un courrier rectificatif; - condamné la société Claas France à verser à la société RACN, représentée par Maître David, mandataire liquidateur, a somme de 7 176 euro avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2007; - débouté la société RACN de sa demande de paiement des sommes de 5 8902,38 euro, de 13 490 euro et de 1 1182 euros, - rejeté les demandes présentées par les sociétés RACN et AMB en indemnisation de la rupture des relations commerciales établies; - condamné la société Claas France à rembourser à le société RACN, représentée par Maître David, mandataire liquidateur, le coût des cinq procès-verbaux de constat établis par la SCP RIO Corlay Clergeot démontrant la persistance du référencement de RACN AMB dans la liste des concessionnaires de la marque Claas ; - rejeté les demandes des sociétés RACN et AMB et de Maître Gautier et Maître David à l'encontre de la société Claas Réseau agricole ; L'infirme en toutes ses autres dispositions y compris le prononcé d'une astreinte ; Statuant à nouveau, Condamne la société Claas France à verser à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société RACN, la somme de 5 000 euros au titre du trouble commercial causé par les informations inexactes diffusées sur son site Internet et dans ses publicités ; Condamne la société Claas France à verser à Maître David, ès qualité de liquidateur de la société RACN, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice causé par le refus de livraison de quatre tracteurs commandés avant l'expiration du contrat; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais de première instance et d'appel ; Déboute les parties de toutes aunes demandes contraires ou plus amples ; Condamne Maître David ès qualités de liquidateur des sociétés RACN et AMB aux dépens de première instance et d'appel exposés par la société Claas Réseau agricole lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Laisse à Maître David qualité de liquidateur des sociétés RACN et AMB et à la société Claas France la charge définitive des dépens qu'ils ont exposés tant dans le cadre de la procédure de première instance que d'appel.