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Décisions

ADLC, 17 février 2012, n° 12-D-07

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques relevées dans le secteur des emballages en bois (1)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Monique Rouzaud-Mouton, rapporteure, l'intervention de Mme Carole Champalaune, rapporteure générale adjointe, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mmes Pierrette Pinot, Laurence Idot, Reine-Claude Mader-Saussaye, membres.

ADLC n° 12-D-07

17 février 2012

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre enregistrée le 13 juin 2007 sous le numéro 07-0048 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil, devenu l'Autorité de la concurrence, de pratiques relevées dans le secteur de la fabrication et la commercialisation des emballages légers en bois ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires 10-DSA-223 du 29 octobre 2010 (Ets Houée), 10-DSA-224 du 29 octobre 2010 (Emballages Samson) et 10-DSA-225 du 29 octobre 2010 (Norman Dinan Limited) ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 17 janvier 2012 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre du 13 juin 2007, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des emballages légers en bois. Selon la saisine, l'enquête révèlerait, en premier lieu, une entente horizontale entre coopératives agricoles consistant à fixer des prix communs pour l'approvisionnement en emballages légers en bois et à maximiser le montant de subventions communautaires, en deuxième lieu, une entente horizontale des fabricants d'emballages légers en bois visant à coordonner leurs comportements sur les prix facturés à l'égard des coopératives et en troisième et dernier lieu, une entente verticale entre les coopératives agricoles et les fabricants d'emballages légers en bois consistant, au cours de réunions annuelles, à établir un tarif artificiel unique.

2. Les investigations ont concerné six fabricants d'emballages en bois léger de la région Bretagne, quatre organisations de producteurs (OP), ainsi que leurs organisations professionnelles. Les pratiques observées portent sur les années 2005 et 2006.

3. Le 8 janvier 2009, le ministre de l'Economie a transmis au Conseil de la concurrence dans le cadre de la saisine mentionnée ci-dessus, un nouvel indice de pratiques anticoncurrentielles dans le même secteur, mettant en cause des fabricants d'emballages en bois léger du Maine et Loire.

B. SECTEUR ET ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ

4. L'activité du conditionnement des fruits et légumes n'est pas encadrée par une réglementation spécifique. Toutefois, certaines dispositions légales peuvent influer sur le choix du matériau d'emballage. Il en est ainsi notamment de la réglementation relative aux aides communautaires, gérées par les organismes professionnels des OP, dans le cadre de l'organisation commune de marché (OCM) Fruits et légumes, qui encourage l'utilisation de l'emballage en bois ou en carton. Le secteur concerne trois types d'emballages en a) bois léger, b) carton et c) plastique.

a) Emballages en bois léger pour fruits et légumes

5. Le bois léger sert principalement au conditionnement des fruits et légumes. Les caractéristiques de ces emballages sont définies dans un cahier des charges du Cerafel, organisme professionnel des OP bretonnes.

6. La fabrication des emballages en bois léger à destination des OP se caractérise par :

- la proximité géographique des divers fabricants, à moins de 100 kilomètres des régions productrices de fruits et légumes ;

- le même type de contraintes de commercialisation des produits connexes, l'existence des mêmes fournisseurs, une grande communauté de clients ;

- la nécessité d'un outil de production assez lourd : l'acquisition d'une "ligne de fabrication" (de 0,5 à 1 M€) génère jusqu'à 5 millions d'emballages par an (soit un peu moins de 5 M€ de chiffre d'affaires) ;

- une forte pression concurrentielle des fournisseurs d'emballage en carton et en plastique ;

- des résultats financiers fragiles, dans un secteur globalement en régression, estimé à 156 M€ en 2008 au niveau national.

b) Emballages en carton pour les fruits et légumes

7. L'emballage en carton, produit industriellement, est par définition pliable avant utilisation et facilement stockable. Il peut également bénéficier des aides communautaires ci-dessus évoquées. Le marché de l'emballage en carton pour fruits et légumes et produits frais est estimé à 588 M€ en 2007 au niveau national.

c) Emballages en plastique pour fruits et légumes

8. Les remarques relatives au coût du transport de l'emballage en carton sont également valables s'agissant de l'emballage en plastique, lequel en revanche ne bénéficie pas de subvention communautaire dans le cadre de l'OCM fruits et légumes.

9. Les OP n'achètent pas les emballages en plastique : leurs fournisseurs ne sont pas des fabricants d'emballages en plastique, mais des prestataires intermédiaires qui leur louent les plateaux, réutilisables après lavage.

10. L'évaluation du coût moyen de ce type d'emballage par les OP est donc plus complexe, puisque la location dépend du temps exact d'utilisation du produit. Les OP ont une apparente réticence au plastique pour des raisons sanitaires. Elles se soumettent néanmoins aux préférences de leur clientèle, de sorte que pour certaines d'entre elles la part du plastique progresse.

d) Conclusions sur le secteur de l'emballage des fruits et légumes

11. Lorsqu'il s'approvisionne sur les marchés au cadran, l'acheteur des OP, le plus souvent le négociant-expéditeur, achète un légume "nu", les divers emballages étant distinctement tarifés pour la saison : par exemple, dans le cas de l'artichaut, l'emballage le plus cher est en carton, puis en bois, ou enfin en plastique, étant souligné que ces prix d'achat sont très proches et oscillent entre plus ou moins 1 €. Ces constatations demeurent en outre relatives, les emballages en plastique faisant l'objet d'une facturation supplémentaire distincte pour les frais de consigne. Le marché national de l'emballage des fruits et légumes peut être estimé à 1 576 M€, et celui de l'emballage léger en bois à 156 M€, le reste relevant de l'emballage en carton ou en plastique. Toutefois, dans le présent dossier et pour le bassin breton, la part du bois, même en baisse sensible depuis 2007, avoisine encore <30-60 %> des achats d'emballages des OP.

e) Le secteur connexe de la commercialisation des fruits et légumes

12. Au niveau national, le négoce des fruits et légumes représentait 15,8 milliards € en 2007. Dans la région examinée (bassin breton et Manche), il serait de l'ordre de 580 M€. Les quatre OP concernées par le présent dossier consacrent en moyenne 10 % de leur chiffre d'affaires aux achats d'emballages (tout matériau), et vendent moins de 5 % de leur production sans emballage (l'acheteur au cadran en faisant son affaire).

2. LES ACTEURS DU SECTEUR

a) L'offre : les fabricants d'emballages de fruits et légumes

Les fabricants d'emballages en bois (cagettes)

13. Les fabricants de cagettes sont une quarantaine sur le territoire français. Certains fabricants sont aussi producteurs et fournisseurs de bois, d'autres peuvent se regrouper pour mutualiser la commercialisation de leurs produits connexes. Les fabricants d'emballages en bois léger visées par la saisine étaient au nombre de six, dont seuls quatre opèrent encore aujourd'hui sur le marché :

14. Ces sociétés sont Norman Limited (Audition : cotes 2246 à 2250), dont le chiffre d'affaires est de <0-10 M€>, et qui compte 70 salariés, les établissements Houee (Audition : cotes 2297 à 2301), dont le chiffre d'affaires est de <0-10 M€ , et qui emploie 85 salariés, les établissements Samson (Audition : cotes 2303 à 2308), dont le chiffre d'affaires est de <5-20 M€>, et Rault et Cie (Audition : cotes 2478 à 2483), dont le chiffre d'affaires est de <5-20 M€>, et qui compte 106 salariés.

15. Il existe deux autres entreprises dans la Manche, qui ont une clientèle différente. Selon les éléments du dossier, pour la zone Ouest de la France, les quatre fabricants du présent dossier n'ont pas d'autres concurrents directs en région Bretagne, les plus proches se situant ensuite en Pays de Loire.

Les fabricants d'emballages en carton

16. Les dix premiers acteurs du secteur du carton ondulé en France (Cotes 331 (Xerfi), et 3577 à 3586) totalisent un chiffre d'affaires de 13 222 M€, les trois premiers opérateurs étant DS Smith Kaysersberg, Smurfit Kappa et SCA Packaging.

17. En 2008/2009, les OP visées par la saisine s'approvisionnent à hauteur de 10 890 K€ en emballages en carton (cote 3632 Sica, cote 3650 TSM, cotes 3372, 3644 UCPT), soit environ le tiers de leurs achats d'emballages.

18. Ces fournisseurs d'emballages en carton sont parfois établis à proximité de leurs OP clientes, comme SCA Packaging à Saint Pol de Léon (29) et à Josselin (56), ou comme Smurfit Kappa, à la Mézières (35).

Les fabricants d'emballages en plastique

19. En 2008/2009, les OP visées louent des emballages en plastique pour 5 700 K€ (et la seule Sica pour 5 240 K€) soit 17 % de leurs achats d'emballages, aux opérateurs de la logistique des caisses en plastique mentionnés ci-après.

20. Les dix premiers fabricants d'emballages en plastique en France sont Isobox, Knauf, Linpac Allibert, Ono Packaging Schoeller Arca Systems, Storopack et Werit qui totalisent un chiffre d'affaires de 323 M€ en 2008.

21. Les opérateurs de la logistique des caisses plastique (qui se fournissent eux-mêmes chez les fabricants mentionnés ci-dessus), louent le matériel d'emballage aux OP : il s'agit de Chep-France (leader), Europool, Ifco Systems France (Schoeller), S.A.P., et Française de Plastique qui totalisent un chiffre d'affaires en 2008 d'environ 316 M€. Enfin, si certains fournisseurs d'emballages en plastique des OP locataires peuvent être implantés à proximité de leur clientèle (cas de S.A.P fournisseur de Sica pour 300 K€/an, soit un niveau très résiduel), les autres sont plus éloignés (cas d'Europpol Systems, avec une implantation en Pays de Loire, et le centre de lavage des caisses aux Pays-Bas).

b) La demande : les principaux acheteurs d'emballages de fruits et légumes

22. Le commerce de gros des fruits et légumes en France représente un chiffre d'affaires de 15 757 M€, réalisé par 2 923 entreprises qui comptent au total 39 457 personnes. Les premiers opérateurs français sur le marché de gros des fruits et légumes sont Pomona (40 % du marché), CGC (10 %), Scofel (10 %) et Sica Saint Pol de Léon (5 %) - l'UCPT arrivant en quinzième place (2,4 %).

Les organisations de producteurs (OP) visées par l'enquête administrative

23. Les acheteurs d'emballages pour fruits et légumes visés par la saisine sont des organisations ou des associations d'organisations de producteurs de fruits et légumes (OP ou AOP). Leurs organismes professionnels sont le Cerafel et le Copfel. Le Cerafel est un syndicat professionnel regroupant sept OP bretonnes dont quatre concernées par le présent dossier. Il représente environ 3 000 producteurs et 720 000 tonnes de fruits et légumes. Le Copfel est un comité d'OP de production bretonnes. Il compte six adhérents, dont les quatre OP du présent dossier. Il gère l'aide communautaire, sous l'égide de France Agrimer. L'aide communautaire au Coopfel a été de 11,6 M€ en 2006 - dont 2 M€ pour les plateaux en bois ou en carton.

24. Trois OP (TSM, Sica et UCPT) commercialisent conjointement leur production de fruits et légumes via un système d'enchères dégressives et synchronisées, sur trois marchés dits "au cadran" interconnectés entre eux (marchés de Saint-Pol-de-Léon, Saint-Malo et Paimpol), en grande partie sous la même marque "Prince de Bretagne". La quatrième OP (La Bretonne) vend directement via sa filiale de négoce, sans passer par les cadrans. TSM, Sica, UCPT et La Bretonne totalisent un chiffre d'affaires de plus de 380 M€.

La coopérative Terres de Saint-Malo (ci-après TSM) (cotes 2541 et suivantes) :

25. TSM est une OP qui compte actuellement une centaine d'adhérents (contre 165 à l'époque des faits) et qui commercialise 95 % de ses fruits et légumes sous la marque "Prince de Bretagne", avec une production de l'ordre de 50 000 tonnes. Sur un chiffre d'affaires moyen de 20 M€ (23,9 M€ en décembre 2009), 15 M€ proviennent de la revente des fruits et légumes. TSM gère le marché au cadran de Saint-Malo.

L'OP Sica Kérisnel (ci-après Sica) (Cotes 410 et suivantes, cotes 2487 et suivantes) :

26. La Sica, quatrième négociant français de fruits et légumes (après POMONA, CGC et SCOFEL) compte 1 500 adhérents, emploie 150 à 160 salariés, avec un chiffre d'affaires de 247 M€ en 2005 (contre 239 M€ en 2007 et 2008). Elle commercialise 300 000 tonnes de fruits et légumes essentiellement sous la marque "Prince de Bretagne". La Sica gère le marché au cadran de Saint-Pol-de-Léon. Pour ses achats d'emballages, la Sica se fournit d'une façon assez également répartie en 2009 entre carton, bois et plastique, auprès d'une douzaine de fournisseurs divers. Elle avait déclaré en 2006 utiliser à plus de 75% l'emballage en bois léger pour conditionner ses légumes, cette proportion étant passée à 46 % en 2009.

Union des coopératives Paimpol Tréguier (ci-après UCPT) (cotes 2500 et suivantes) :

27. L'UCPT regroupe quatre coopératives représentant 600 producteurs, emploie 32 salariés (35 en 2006), avec un chiffre d'affaires 2007 de 119 M€ (117 M€ en 2008). Cette OP commercialise environ 180 000 tonnes de fruits et légumes par an, essentiellement sous la marque "Prince de Bretagne", et gère le marché au cadran de Paimpol. L'UCPT a privilégié l'emballage en bois qui représente 52 % de ses achats en 2008, les emballages en carton en représentant 43 % et les caisses en plastique moins de 4 %.

La Bretonne (cotes n° 438 et suivantes) :

28. Cette OP regroupe 45 producteurs. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 4,2 M€ en 2005. 60 % de ses emballages sont des cagettes en bois, fournis par les établissements Rault ou Samson.

Nouvelle organisation des OP

29. Les OP concernées ont modifié leur organisation pour se regrouper, courant 2007, à l'exception de La Bretonne, au sein d'une Union de coopératives à capital variable, l'Arcal, ("Association Régionale des Cadrans Légumes"), entité juridique gérant désormais les trois cadrans.

Synthèse des relations entre les OP et les fabricants de cagettes

30. La part des OP dans le chiffre d'affaires des fabricants de cagettes en 2008 ou 2009 est de <20-60%>(Rault), <30-70%> (Houee), <30-70%> (Samson) et <10-50%> (Norman Dinan). Les fabricants de cagettes totalisent un chiffre d'affaires de plus de 30 M€ dont <10-20M€> effectué avec les OP.

31. En 2008/2009, les achats des OP se composaient à hauteur de 52 % d'emballages en bois, 32 % d'emballages en carton et 17 % d'emballages en plastique, pour un total d'achats d'emballages de 33,6 M€ (tous matériaux).

32. Les quatre OP achetaient en 2006 plus de 70 % des cagettes en bois produites en région Bretagne. En 2009, le bois ne représente plus que 46 % ou 43 % des emballages pour certaines OP (Sica et UCPT).

Les autres OP non visées dans l'enquête administrative

33. Il existe localement d'autres OP de fruits et légumes, acheteurs d'emballages, qui représentent un chiffre d'affaires total de l'ordre de 201 M€.

La place des OP visées dans la saisine sur leur marché principal local

34. Les chiffres d'affaires ci-dessus (OP régionales, visées ou non par la saisine) permettent de situer la part des OP concernées sur leur marché local de première commercialisation de fruits et légumes : en termes de chiffre d'affaires, la Sica en représente près de 42 %, suivie de l'UCPT (20 %) et de Saveol (12 %). Si l'on agrège les trois OP des cadrans, qui se sont désormais regroupées au sein de l'Arcal, elles représentent 380 M€ de chiffre d'affaires soit près de 66 % du total.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

35. Le rapport administratif d'enquête évoque des pratiques de 2006 portant sur la facturation des emballages en bois et des pratiques de 2005 concernant le libellé de la facturation.

1. LES PRATIQUES PORTANT SUR LES PRIX DES CAGETTES

36. Le rapport administratif d'enquête évoque les faits suivants :

- une réunion du 20.06.2006 regroupant emballeurs et OP sous l'égide du Cerafel, dont la matérialité est établie ;

- la similitude des prix de base adoptés par les fabricants à l'issue de cette réunion constatée à partir de l'examen des factures concernant l'essentiel des productions (emballages de choux-fleurs, artichauts et salades) avec toutefois des différences sur les remises de pré-saison et sur les taux d'escompte ;

- la faible évolution dans le temps du prix de base de la cagette "standard" (c'est-à-dire celle de 60 x 40 cm, pour chou-fleur) :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

- la fourniture par la Sica d'un tableau en date du 9 juin 2006 reçu du Copfel, comportant le tarif des emballages en bois léger pour 2006/2007 ; ce tableau de tarif annuel annoté par le dirigeant de la Sica constituerait selon le rapport administratif un élément établissant "les prix tarif sur lesquels les emballeurs et les OP s'étaient mis d'accord" (cote 416).

37. Hormis la Bretonne qui conteste participer à des réunions avec les fabricants de cagettes, les trois OP des cadrans (UCPT, TSM, Sica) considèrent qu'il est essentiel de disposer d'un même prix pour les emballages d'un même type, afin d'assurer la cohérence du fonctionnement et la préservation de la sincérité des marchés au cadran (où le légume est vendu "nu"), de sorte que le prix de l'emballage soit neutre à ce stade de la vente. Le Cerafel organise des réunions professionnelles et abrite la rencontre annuelle entre les coopératives et les emballeurs, dont l'objet est de faire le bilan de la saison passée, d'estimer la saison à venir et de convenir du prix des emballages. Le Copfel évoque la nécessité d'une fixation préalable des prix d'achat, pour permettre ensuite le fonctionnement des aides communautaires.

38. Les fabricants n'ont pas contesté l'existence d'une réunion annuelle, en particulier celle de 2006, avec les OP.

2. LES PRATIQUES PORTANT SUR LE LIBELLÉ DE LA FACTURATION

39. La saisine du ministre dénonce également des pratiques constatées dans le mode de rédaction des factures des cagettiers, à la demande des OP, pour y faire figurer des mentions permettant aux OP de bénéficier du financement d'aides communautaires.

40. Les OP ne contestent pas s'être réunies le 18 octobre 2005 puis le 23 novembre 2005, sous l'égide du Copfel, en vue de la préparation du plan opérationnel 2006 organisant le calendrier des aides communautaires. A l'issue de ces rencontres, les OP ont demandé aux cagettiers de modifier le libellé de leurs factures à compter du 1er Janvier 2006, et d'y faire mention d'un "surcoût pour apposition de la marque Prince de Bretagne" (8 centimes par cagette), leur permettant de disposer d'un justificatif de dépense auprès du Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA).

II. Discussion

41. L'article L. 464-6 du Code de commerce dispose que "lorsqu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, l'Autorité de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure. Cette décision est motivée".

42. Les deux premiers alinéas de l'article L. 462-8 du Code de commerce prévoient que "l'Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir de l'auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l'article L. 462-7, ou si elle estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence. Elle peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".

A. SUR LA COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ

43. L'Autorité est compétente pour connaître des pratiques visées par la saisine au regard des articles L. 420-1, L. 420-2, ou L. 420-5 du Code de commerce. Toutefois, il faut relever d'emblée que les pratiques relatives au mode de rédaction des factures des fabricants de cagettes, à la demande des OP et aux fins éventuelles d'obtention de subventions communautaires, ne constituent pas en tant que telles des pratiques dont l'examen relève de l'application des règles de concurrence.

B. SUR LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT

44. L'enquête administrative a considéré que le produit à retenir pour définir le marché pertinent s'entendait des cagettes en bois. Toutefois, il apparaît que plateaux ou caisses en carton ou en plastique sont substituables aux cagettes en bois, à des prix très voisins. Le marché de produit pertinent, qui n'a, de jurisprudence constante, pas à être délimité avec précision lorsque sont en cause des pratiques d'entente comme en l'espèce, pourrait être par conséquent celui des emballages, tous matériaux confondus, de fruits et légumes, au stade de leur première commercialisation à destination des négociants.

45. Selon l'Autorité de la concurrence (2), le marché géographique se détermine à partir des caractéristiques de la demande. Dans le présent dossier, le coût du transport de l'emballage influence directement la demande. Les OP, sauf autres exigences de leur clientèle, privilégient la proximité immédiate du fournisseur, qui va réagir directement en fonction des conditions météorologiques. Ces deux éléments militent pour une dimension régionale de l'approvisionnement d'emballages. Enfin certains fournisseurs des quatre OP visées dans la saisine fournissent également d'autres OP de fruits et légumes de la Manche. Dans ces conditions, le marché géographique pertinent est celui de la région Bretagne (départements 29, 22, 56 et 35) et du département de la Manche (50).

46. Diverses évaluations permettent de fixer la valeur de ce marché des emballages pour fruits et légumes en Bretagne et Manche à environ 60 M€.

47. Les fabricants bretons vendent <15-30> M€ de cagettes, soit 40 % sur ce marché (avec respectivement Samson <10-20 %>, Houee <1-10 %>, Rault <10-20 %>, Norman Dinan <1-10 %>).

48. Les quatre OP visées dans la saisine assurent 33,6 M€ des achats d'emballages (56 % du marché), à hauteur respectivement de 32 % (Sica), 18,8 % (UCPT), 4,74 % (TSM) et 0,8 % (La Bretonne).

C. SUR LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES PRATIQUES

1. SUR UNE ÉVENTUELLE ENTENTE HORIZONTALE ENTRE LES OP, DESTINÉE À FIXER DES PRIX COMMUNS D'ACHAT DES EMBALLAGES EN BOIS

49. La réunion du 20 juin 2006, tenue sous l'égide du Cerafel, à laquelle participaient trois OP (UCPT, TSM, Sica) n'est matériellement pas contestée.

50. Il convient de relever qu'en l'espèce, si, à l'époque des faits, les OP en cause n'avaient pas encore formalisé un accord d'achat groupé via une structure juridique chargée d'effectuer les achats d'emballages (l'Arcal, créée en 2007), elles avaient déjà mis en œuvre des modalités de coopération pour grouper leur puissance d'achat d'emballages en bois.

51. Quoique le droit de l'Union ne s'applique pas à la présente affaire, les lignes directrices de la Commission européenne sur l'applicabilité de l'article 101 du TFUE aux accords de coopération horizontale du 6 janvier 2001 (eu égard à la date des faits) peuvent fournir un guide utile d'analyse.

52. Le paragraphe 2 de ces lignes directrices (2001-C 3-02) dispose que "une coopération horizontale peut créer des problèmes de concurrence. Tel est le cas, par exemple, lorsque les parties à un accord de coopération s'entendent pour fixer les prix ou la production ou se répartir les marchés, ou encore lorsque cette coopération permet aux parties de maintenir, de conquérir ou de renforcer un pouvoir de marché et produit ainsi des effets négatifs sur les prix, la production, l'innovation ou la diversité et la qualité des produits".

53. Le paragraphe 115 envisage le cas des accords d'achats et prévoit que "ce type d'achat peut être réalisé par l'entremise d'une société contrôlée conjointement ou d'une société dans laquelle un grand nombre d'entreprises détiennent une petite participation, sur la base d'un accord contractuel, ou encore au travers d'une forme de coopération plus souple".

54. Il ressort des faits examinés que l'accord entre les trois OP n'a pas été utilisé pour parvenir à des pratiques interdites, telles que la fixation des prix à l'aval, la limitation de la production ou la répartition des marchés.

55. En premier lieu, rien dans le dossier ne permet d'affirmer que la fixation du prix d'achat des cagettes ait poursuivi, de la part des OP, l'objectif de fixer un prix concerté des fruits et légumes à l'aval. Les cagettes ont, certes, été facturées à des prix uniformes mais sans marge, ce qui suffit à écarter l'hypothèse d'une entente à l'achat en vue de la fixation d'un prix non concurrentiel à l'aval.

56. Ensuite, la coopération entre les OP n'a pas eu non plus pour objectif de limiter la production d'emballages en bois, mais au contraire de disposer d'une diversité d'offreurs. Il convient de relever qu'il n'existe pas de lien établi entre les pratiques et la disparition de deux fabricants de cagettes, depuis l'époque des faits.

57. Enfin, aucun élément du dossier ne permet de considérer que l'accord entre les OP ait visé à une répartition de marché, dans la mesure où les cagettiers sont demeurés libres de contracter avec d'autres clients.

58. Il n'existe pas davantage d'éléments matériels établissant l'existence d'effets anticoncurrentiels potentiels consécutifs à l'accord des OP. On ne relève pas que les exigences de prix des OP auraient eu pour contrepartie une exclusivité de leurs achats auprès des fabricants de cagettes bretons. On ne peut pas non plus relever d'éléments matériels interdisant l'accès au marché des fabricants d'emballages tout matériau (cartons, plastiques). Depuis 2007, les emballages bois ont d'ailleurs régressé, passant de 70 % à 52 % des achats d'emballages des OP. S'agissant des prix de vente des cagettes, il semble que les négociations des OP ont plutôt conduit à modérer les évolutions, ce qui ne paraît pas illogique du fait de la puissance d'achat groupée des coopératives.

59. Les pratiques mises en œuvre par les OP ne relèvent pas de celles dont le Conseil de la concurrence avait observé, dans une décision n° 03-D-11 du 2l février 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par la centrale de référencement Opéra (3), qu'elles pouvaient être prohibées. Le Conseil avait relevé que : "le libre choix de l'acheteur est un des ressorts majeurs de la concurrence et le principal moyen par lequel le commerce stimule, chez les producteurs, la productivité, l'amélioration de la qualité des produits et des services ainsi que l'abaissement des prix", et que "le fait, pour les distributeurs qui ont créé la centrale Opéra, de faire savoir à l'ensemble des fournisseurs qu'ils entendent, en raison de l'accroissement de la puissance d'achat générée par cette création, renégocier les conditions d'achat consenties, ou conditionner la poursuite des relations commerciales déjà nouées à l'acceptation de conditions supplémentaires, sans contreparties réelles, par rapport à celles qui avaient déjà été convenues et acceptées, pourrait être visé par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, si ces demandes avaient pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché".

60. Dans ces conditions, les faits allégués par la saisine ne permettent pas de caractériser en eux-mêmes de pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. SUR UNE ÉVENTUELLE ENTENTE HORIZONTALE ENTRE FABRICANTS DE CAGETTES

61. L'analyse concurrentielle nécessite de s'interroger d'abord sur l'existence d'une concertation éventuelle antérieure à la phase de négociation, puis d'analyser ce qui s'est passé pendant la négociation avec les acheteurs.

62. Il convient de rappeler la décision n° 10-D-22 du 22 juillet 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires en Seine-Maritime à l'occasion de laquelle l'Autorité de la concurrence avait constaté, pour caractériser une entente, l'existence d'une réunion préalable à la remise des offres entre les entreprises.

63. Dans le cas d'espèce, le rapport administratif d'enquête ne met en évidence aucune réunion préalable des cagettiers seuls, antérieure à celle, commune aux fabricants et aux acheteurs, du 20 juin 2006.

64. Ensuite, selon le rapport administratif, la tenue de la réunion a donné lieu à des suspensions de séance, permettant aux OP et aux cagettiers de rediscuter les prix des emballages en bois. Cette méthode de négociation est voulue par les clients des fabricants de cagettes, pour négocier collectivement avec leurs fournisseurs et utiliser ainsi leur puissance d'achat vis-à-vis de leurs fournisseurs.

65. La façon dont ce type de négociation annuelle a pu se dérouler est illustrée par l'audition de la Sica (cotes 2 491 et suivantes), dont le directeur fait état d'une réunion de juin 2009 dans les termes suivants : "on présente d'abord la situation de la production concernée par les emballages en bois, le bilan de la saison passée, les incidents techniques qu'on a pu avoir, les volumes prévisibles à venir, sans toujours de visibilité au mois de juin (sur le mois de septembre pour le chou-fleur, ou en janvier suivant pour l'artichaut par exemple). Les fabricants exposent leurs attentes, que ce soit en termes de volume ou de prix. Enfin on examine les tendances tarifaires influant sur le prix de revient des plateaux. Il s'en dégage des tendances à la hausse ou à la baisse du prix précédent. Au final le prix est communiqué aux fournisseurs".

66. Il n'existe aucun élément matériel dans le dossier qui permette d'affirmer que les entreprises d'emballages en bois ont fixé en commun un prix, au-delà de l'acceptation de la méthode de négociation des OP.

67. Dans ces conditions, il n'existe pas, à l'appui de la saisine, d'éléments suffisamment probants pour caractériser une éventuelle pratique des fabricants d'emballages en bois entrant dans le champ d'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

3. SUR L'EXISTENCE D'UNE ÉVENTUELLE ENTENTE VERTICALE ENTRE OP ET FABRICANTS SUR LES PRIX D'ACHAT

68. Le droit de la concurrence ne sanctionne pas les pratiques qui relèvent de l'exercice normal d'une négociation entre vendeurs et acheteurs sur des prix d'achat.

69. Dans une affaire mettant en cause les pratiques de la société Rallye, concernant des négociations menées par celle-ci avec l'ensemble de ses fournisseurs, et s'agissant de caractériser l'existence d'une entente verticale, le Conseil de la concurrence avait décidé qu'il n'était pas établi que la société Rallye avait enfreint les dispositions légales, et la Cour de cassation avait retenu (4) que "l'accord allégué ne pouvait être qualifié d'action concertée ou d'entente (...) que s'il était établi que les parties y avaient librement consenti en vue de limiter l'accès au marché ou à la libre concurrence ; qu'ayant seulement constaté que cette pratique prise à l'initiative de la société Rallye, qui aurait été susceptible de recevoir d'autres qualifications juridiques au regard de l'ordonnance susvisée, avait été de nature à entraîner l'adhésion des fournisseurs ou de certains d'entre eux, et avait eu pour effet d'affecter leur autonomie de décision, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

70. Dans le cas d'espèce, il n'est pas établi que les cagettiers aient adhéré à la décision des OP en vue de limiter l'accès au marché ou la libre concurrence. Faute d'indices précis et concordants suffisants, les éléments du dossier ne permettent pas de caractériser une éventuelle entente verticale.

71. Conformément à l'arrêt précité de la Cour de cassation, il convient de vérifier que les pratiques ne sont pas susceptibles de recevoir une autre qualification juridique (5).

4. SUR L'EXISTENCE ÉVENTUELLE D'UN ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

72. L'abus de dépendance économique suppose la réunion de plusieurs critères cumulatifs : une proportion suffisante du chiffre d'affaires réalisée avec le partenaire dominant (ici le client), l'existence de solutions ou de débouchés alternatifs, une certaine contrainte du choix d'origine, et enfin l'importance et la notoriété de la marque (6).

73. S'agissant du premier critère, les OP représentent 70 à 30 % des ventes des fabricants selon les cas. Les fonds propres respectifs de la plupart de ces derniers ne pourraient raisonnablement pas résister longtemps à la perte de la clientèle des OP. Dans ces conditions, le premier critère peut donc être considéré comme rempli.

74. S'agissant du deuxième critère, les cagettes en bois peuvent être utilisées également dans l'ostréiculture, ou venir concurrencer l'emballage-carton des fraises ou des tomates commercialisées par d'autres OP en région Bretagne ou dans la Manche. Par conséquent, des solutions alternatives existent déjà et ce critère n'apparaît pas satisfait.

75. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres critères, les conditions permettant d'établir une situation de dépendance économique des fabricants de cagettes ne sont donc pas réunies et il n'apparaît pas nécessaire de procéder à la recherche de l'existence d'un abus.

5. L'INDICE DU MAINE ET LOIRE TRANSMIS PAR LA DGCCRF LE 8 JANVIER 2009

76. Les faits observés dans le Maine et Loire et transmis par la DGCCRF en 2009 aux services d'instruction n'entrent pas dans le champ de la saisine, car ils ne concernent ni le même secteur géographique ni les mêmes opérateurs et sont postérieurs à ceux visés par la saisine.

77. S'agissant des faits reprochés aux fabricants d'emballages en bois, et en l'absence d'éléments suffisamment probants de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, la saisine du ministre doit être rejetée en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

78. S'agissant des pratiques reprochées aux OP, matériellement établies mais qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce et de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure.

DÉCISION

Article 1 : La saisine du ministre enregistrée sous le numéro 07-0048 F est rejetée en tant qu'elle concerne les faits reprochés aux fabricants d'emballages en bois.

Article 2 : Il n'y a pas lieu, pour le surplus, de poursuivre la procédure.

Notes :

1 Version publique

2 Décision n° 09-D-14, du 25 mars 2009 relative à des pratiques commises dans le secteur dans le secteur de la fourniture de l'électricité, au § 49.

3 Cotes 2551 à 2570, Jurisprudence Centrale d'achats "Opéra" (décision de non-lieu).

4 Cass. com., 7 avril 1998, n° 96-13.735, Bull. civ. IV n° 127, affaire Rallye, dans une entente (non caractérisée) mettant en cause la centrale d'achats Rallye vis-à-vis de ses fournisseurs cotes 2 551 à 2 570.

5 In arrêt précité (Rallye)

6 Par exemple, CDC 09-D-21 § 87. Également décision n° 03-D-42 du 18 août 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles, voir aussi décision n° 09-D-40.