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Décisions

CA Limoges, ch. civ., 9 février 2012, n° 10-01700

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BMW France (Sté)

Défendeur :

Taurisson (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Jean

Conseillers :

Mme Baluze-Frachet, M. Soury

Avoués :

SCP Coudamy, SCP Chaubaud-Durand-Marquet

Avocats :

Mes Laigo, Bourgeon

T. com. Brive-La-Gaillarde, du 10 déc. 2…

10 décembre 2010

LA COUR

La société BMW distribue ses véhicules de marque BMW et Mini par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires ; c'est dans ce cadre que le 1er octobre 2003 a été régularisé entre la société BMW France et la société Taurisson un contrat conforme au règlement européen d'exemption applicable au secteur automobile 1400-2002.

Ce contrat, qui prenait effet au 1er octobre 2003, prévoyait que sa durée en était de cinq années et il y était mentionné que chaque partie devra, avec un préavis de six mois avant son terme, notifier à l'autre partie son intention de ne pas renouveler le contrat par lettre recommandée avec avis de réception.

La société Taurisson, dont le contrat n'a pas été renouvelé à son terme par la société BMW, a fait assigner celle-ci en dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce de Brive-La-Gaillarde sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5 ; elle soutenait à l'appui de sa demande qu'eu égard à l'ancienneté des relations contractuelles existant entre les parties, la société BMW n'avait pas respecté un délai de préavis suffisant.

Selon jugement du 10 décembre 2010, le tribunal, faisant partiellement droit à la demande de la société Taurisson, a notamment :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société BMW et retenu sa compétence,

- condamné la société BMW France à payer à la société Taurisson la somme de 875 589 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société BMW France au paiement de la somme de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société BMW France aux entiers dépens.

La société BMW France a interjeté appel de cette décision selon déclaration du 23 décembre 2010.

Les dernières écritures des parties, auxquelles la cour renvoie sur leurs moyens respectifs ont été déposées les 2 décembre 2011 par la société BMW France et 8 novembre 2011 par la société Taurisson.

La société BMW France conclut à la réformation de la décision, demandant à la cour de débouter la société Taurisson et de la condamner à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi suite à la violation de l'article L. 442-6 du Code de commerce ainsi que celle de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Taurisson invite la cour à réformer la décision déférée en ce qu'il a été estimé qu'elle avait bénéficié d'un préavis utile de 12 mois et à dire qu'elle n'a bénéficié d'aucun préavis utile ; elle sollicite en conséquence la condamnation de la société Taurisson à lui payer à titre de dommages et intérêts, en compensation des 36 mois de préavis complémentaire dont elle aurait dû bénéficier, la somme de 1 313 384 euro au titre de la rupture de la relation commerciale relative à la vente des véhicules neufs BMW et Mini ainsi que celle de 325 000 euro au titre de la baisse de son activité après-vente induite par la rupture de la relation commerciale ; elle conclut pour le surplus à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société BMW France à payer à la société Taurisson une indemnité supplémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale

Attendu qu'il convient au préalable d'observer d'une part que la compétence du Tribunal de commerce de Brive-La-Gaillarde n'est plus contestée devant la cour et, d'autre part, que l'action de la société Taurisson est fondée sur les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, dont le tribunal a rappelé la teneur, qui permet d'engager la responsabilité de l'auteur de la rupture au cas où il met fin brutalement sans préavis écrit à une relation commerciale établie, quelle que soit la durée du préavis contractuellement prévue et alors même que le contrat aurait été conclu, comme c'est le cas de l'espèce, pour une durée déterminée ;

Attendu que le préavis a pour objet de permettre à celui qui subit la rupture de la relation commerciale de réorganiser son activité et d'envisager toutes solutions en vue d'une reconversion ; que le point de départ du préavis, au sens de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, ne peut courir en conséquence que du jour où l'auteur de la rupture notifie à son partenaire commercial qu'il n'entend pas poursuivre les relations existant entre eux dans les conditions antérieures ;

Attendu en l'espèce que le tribunal a considéré que le courrier adressé par la société BMW France à la société Taurisson le 27 septembre 2007 ne laissait plus de doute sur la volonté de la société BMW de ne pas renouveler le contrat ; que la société BMW France considère quant à elle que sa volonté de ne pas renouveler le contrat était claire dès son précédent courrier du 31 mai 2007 tandis que la société Taurisson estime que ce n'est que le 15 septembre 2008 que la société BMW France lui a notifié de façon définitive qu'elle n'entendait pas poursuivre avec elle de relations commerciales relatives à la distribution des marques BMW et Mini au-delà du 30 septembre 2008, échéance du contrat à durée déterminée qui liait les parties ;

Attendu que la lecture de ces courriers révèle que tant dans son courrier du 31 mai 2007 que dans celui du 27 septembre 2007 la société Taurisson [sic], si elle a certes émis des réserves sur la poursuite des relations entre les parties, n'en a nullement exclu la possibilité ; que, par le courrier du 31 mai 2007, la société BMW France se limitait en effet à demander à la société Taurisson si elle entendait faire acte de candidature même si elle y indiquait que "eu égard aux conditions difficiles d'exécution du contrat de concession qui nous lie actuellement, nous ne vous cachons pas que nous nous réservons d'examiner toute autre candidature qui nous serait présentée en vue de la proposition d'un nouveau contrat de concession BMW au 1er octobre 2008 sur la zone de chalandise de votre contrat" ; que le courrier du 27 septembre 2007 n'exclut pas non plus la possibilité d'une poursuite des relations commerciales entre les parties puisqu'il se termine de la façon suivante :

"Cela ne saurait bien évidemment exclure l'examen de la candidature de votre société dans le cadre de la proposition du nouveau contrat de manière concomitante à toute autre candidature" ; que s'il est vrai que la société BMW y avait noté préalablement "aussi conformément à l'article 11-1 du contrat de concession automobile Mini nous vous informons que nous n'avons pas l'intention de vous proposer le renouvellement de ce contrat à son terme", la rédaction de ce courrier était pour le moins ambigüe et n'était pas en conséquence de nature à renseigner de façon claire et précise la société Taurisson sur les intentions de la société BMW à son égard, la décision de la société BMW y apparaissant réservée à l'examen des candidatures qui lui seraient proposées ;

Attendu, dans ces conditions, que la société Taurisson fait valoir à bon droit que ce n'est que par le courrier du 15 septembre 2008 qu'il lui a été notifié de façon définitive par la société BMW qu'elle n'entendait pas renouveler le contrat de son concessionnaire ; que, à cet égard, la société BMW ne saurait utilement soutenir que, en indiquant à son concessionnaire qu'elle examinerait sa candidature, elle s'est bornée à faire application des règles applicables en matière de distribution sélective qui, selon elle, font obligation à tout constructeur d'examiner l'ensemble des candidatures, en ce compris celle du concessionnaire en place ; qu'une telle obligation ne se conçoit en effet nullement si la volonté du distributeur de mettre fin aux relations commerciales existant avec son partenaire repose sur les griefs qu'elle lui impute liés notamment à une insuffisance de ses résultats et à l'absence de mise en place, malgré ses demandes, de plans d'action efficaces : qu'il serait aberrant en effet d'obliger le distributeur à examiner la candidature d'un concessionnaire dont elle sait d'ores et déjà que sa gestion ne répond pas à ses attentes ; que, dans un tel cas, il appartient nécessairement au distributeur de signifier à son concessionnaire de façon claire, ferme et définitive qu'il n'entend pas poursuivre la relation commerciale, toute autre attitude étant de nature à laisser penser à ce dernier que, nonobstant les difficultés invoquées à son encontre par le distributeur, il conserve une chance, serait-elle limitée, de voir les relations commerciales entre les parties se perpétrer par la signature d'un nouveau contrat de distribution après examen des candidatures concurrentes ;

Attendu que la société Taurisson établit par les pièces qu'elle verse aux débats l'existence d'une relation fort ancienne entre elle-même ou les personnes à qui elle s'est substituée et les importateurs successifs des véhicules BMW ; qu'il importe peu à cet égard que la société BMW n'ait été constituée qu'en 1972 dès lors qu'il est démontré que, bien avant cette date, le garage Taurisson passait des commandes, pour le compte de ses clients, de véhicules neufs BMW ; qu'il est établi d'ailleurs que, dès 1964, les Etablissements Taurisson, situés alors 23 av. des Alliés à Brive, faisaient partie du réseau de distribution pour la France des véhicules BMW; que, en tout état de cause, la société Taurisson verse aux débats un contrat de concession entre International Garage Max Taurisson et la société BMW à effet du 1er janvier 1977 ainsi que des contrats postérieurs qui établissent de façon certaine que la relation commerciale s'est poursuivie entre les parties au moins depuis cette date en sorte qu'elle existait depuis au moins trente années à la date de la rupture des relations commerciales, ce qui suffit à caractériser l'existence d'une relation fort ancienne et ininterrompue entre les deux partenaires commerciaux ;

Et attendu que compte tenu de l'ancienneté de la relation entre les deux sociétés et de l'état de dépendance de la société Taurisson à l'égard de son partenaire commercial, dont il n'est pas contesté que la vente des véhicules neufs de marques BMW et Mini représentait plus de 60 % de son chiffre d'affaires et plus de 50 % de sa marge brute, il convient de fixer à 24 mois le délai de préavis que le distributeur aurait dû respecter pour mettre fin à la relation commerciale qu'elle entretenait jusqu'alors avec la société Taurisson ;

Attendu à cet égard, en premier lieu, que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen de la société BMW lié au caractère intuitu personae du contrat qui, selon cette société, justifierait de ne faire remonter le début de la relation qu'à 2001, date à laquelle Jean-Max Taurisson est devenu dirigeant de la société ; que les premiers juges ont en effet exactement relevé que la notion de relations commerciales était une notion économique et non juridique en sorte que la durée de la relation écoulée doit être prise en compte depuis le début de la relation commerciale, quels qu'aient été les dirigeants successifs de l'entreprise à qui la rupture a été notifiée ; que cette analyse exclut nécessairement toute référence au caractère intuitu personae du contrat liant les parties, sauf à limiter, dans des conditions que le texte ne prévoit pas, l'application de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce qui, visant "une relation commerciale établie" ne contient aucune restriction à sa mise en œuvre ;

Attendu, en second lieu, que si l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce doit s'interpréter et être appliqué en considération du droit communautaire qui prévaut sur les droits nationaux, il ressort des propres écritures de la société BMW que le règlement européen - dont il est constant qu'il dispose que l'exemption s'applique lorsque l'accord est conclu pour une durée de cinq ans et que, dans ce cas, chaque partie doit s'engager à notifier à l'autre partie au moins six mois à l'avance son intention de ne pas renouveler le contrat - indique expressément au point 9 de son préambule que "de surcroît afin de renforcer l'indépendance des distributeurs et des réparateurs à l'égard de leurs fournisseurs, il convient de prévoir des périodes minimales de préavis en cas de renouvellement des accords à durée déterminée et pour la réalisation des accords à durée indéterminée" ; qu'il s'ensuit que la législation nationale qui impose ou permet d'exiger un délai de préavis supérieur à celui prévu par la législation européenne n'est pas contraire à cette législation en sorte que rien ne permet d'en exclure l'application ;

Attendu, sur la réparation, de première part, qu'il est constant que la société Taurisson n'a bénéficié d'aucun délai de préavis utile puisque la décision de la société BMW de mettre fin aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Taurisson n'a été notifiée à celle-ci que le 15 septembre 2008, soit quinze jours avant l'expiration du contrat ; que, sur les bases retenues par le tribunal, lesquelles ne sont pas sérieusement contestées par la société BMW, il sera alloué à la société Taurisson à titre de dommages et intérêts, sur le fondement des dispositions de l'article L. 422-6-I-5° du Code de commerce, la somme de 875 589 euro correspondant, au cours du délai de préavis de 24 mois fixé par la cour, à sa perte de marge brute réalisée sur les véhicules BMW et Mini par référence aux trois derniers exercices de cette société ;

Attendu, de seconde part, que la perte de la vente des véhicules neufs induit nécessairement une diminution des recettes au titre de l'activité après-vente ; qu'il convient de réparer ce dommage par l'allocation, à titre de dommages et intérêts supplémentaires, d'une somme qu'il convient de fixer au regard des éléments versés aux débats, notamment la perte de marge brute sur cette activité par comparaison avec celle de l'année 2007, à la somme de 215 000 euro ; que la société Taurisson, qui ne bénéficiait certes pas, comme le soutient la société BMW, d'un droit à l'obtention d'un nouveau contrat, est fondée néanmoins à obtenir réparation de tout préjudice lié aux conditions fautives de la rupture par le distributeur, étant observé que la société BMW ne s'explique pas sur les raisons autres que la fin de la concession qui seraient de nature à justifier la baisse de marge de la société Taurisson dans le cadre de ses activités après-vente ;

Sur la demande reconventionnelle

Attendu que si la société BMW verse aux débats un courrier daté du 20 mai 2011 par lequel elle reproche à la société Taurisson de se prévaloir de la qualité "d'agent BMW et Mini" et de créer une confusion dans ses publicités où elle se présente de la façon suivante "BMW - Mini véhicules neufs et après-vente", force est de constater que ces griefs ne sont pas prouvés par la seule production de la lettre recommandée les contenant et la production d'une publicité non datée; qu'il ne peut en conséquence être fait droit à la demande en dommages et intérêts formée par la société BMW et fondée sur la violation des règles de la concurrence, la cour observant que l'article L. 442-6-I 6° visé par la société BMW dans ses écritures prévoit le cas d'une participation directe ou indirecte à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence alors que la société Taurisson n'est plus, comme il ressort du présent litige dont c'est l'objet, distributeur de la société BMW ;

Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que la société BMW, qui succombe, ne peut qu'être déboutée des demandes qu'elle présente de ce chef ; qu'elle sera condamnée en revanche à payer à la société Taurisson la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR : Statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme, par substitution de motifs, le jugement en ce qu'il a condamné la société BMW à payer à la société Taurisson la somme de 875 589 euro à titre de dommages et intérêts, Le réformant pour le surplus et y ajoutant, Condamne la société BMW à payer à la société Taurisson, à titre de dommages et intérêts supplémentaires, la somme de 215 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société BMW à payer à la société Taurisson la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société BMW en tous les dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés, en ce qui concerne ces derniers, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.