CA Douai, 2e ch. sect. 1, 25 janvier 2012, n° 11-03590
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Volvo Automobiles France (SAS)
Défendeur :
Europ'Automobile (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Parenty
Conseillers :
MM. Deleneuville, Brunel
Avoués :
SCP Thery-Laurent, SCP Carlier Regnier
Avocats :
Mes Gauclère, Guillin
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 19 janvier 2011 qui, saisi par la SARL Europ'Automobile d'une demande visant à voir condamner la société Volvo Automobiles France (la société VAF) à l'agréer à nouveau en tant que réparateur agréé et distributeur de pièces Volvo à compter du 8 octobre 2010, a, avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise et destinée à vérifier le bien-fondé des raisons invoquées pour la résiliation du contrat et à indiquer s'il existait un préjudice au détriment de l'une ou l'autre des parties ;
Vu l'ordonnance de référé du premier président de cette cour en date du 19 mai 2011 autorisant la société Volvo Automobiles France à relever immédiatement appel de ce jugement ;
Vu la déclaration d'appel de la société Volvo Automobiles France en date du 23 mai 2011 ;
Vu les dernières conclusions de la société Volvo Automobiles France en date du 31 octobre 2011 visant à la confirmation du jugement en ce qu'il avait décidé de désigner un expert sous réserve que la mission confiée à celui-ci se limite à la vérification de la matérialité des raisons invoquées pour la résiliation du contrat et le refus de nouvel agrément ; à titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a respecté la procédure de résiliation prévue par le contrat auquel, compte tenu de sa durée indéterminée, elle pouvait mettre fin sans justifier d'un motif particulier en respectant un délai de préavis de deux ans ; elle fait également valoir que les motifs avancés par elle pour justifier le refus d'agrément sont fondés et suffisamment graves et que la demande de nouvel agrément est faite de mauvaise foi ;
Vu les dernières conclusions de la société Europ'Automobile en date du 31 octobre 2011 demandant la réformation du jugement en faisant valoir que les motifs invoqués pour résilier le contrat de réparateur agréé n'étaient ni fondés ni suffisamment graves pour justifier la résiliation, qu'elle répondait aux critères sélectifs qualitatifs requis des réparateurs agréés et distributeurs de pièces Volvo et qu'il devait en conséquence être enjoint à la société Volvo Automobiles France de l'agréer à nouveau ;
SUR CE
Attendu que les circonstances de fait ont été complètement et exactement énoncées dans le jugement déféré auquel la cour entend en conséquence renvoyer à ce titre ; qu'il sera seulement rappelé que la société Volvo Automobiles France a notifié à la société Europ'Automobile par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 octobre 2008 la résiliation du contrat de réparateur agréé conclu entre les parties le 15 octobre 2003 ; qu'un délai de préavis de deux ans a été consenti à la société Europ'Automobile ; que cette résiliation a été contestée par lettre du 27 août 2010 à laquelle la société Volvo Automobiles France a répondu le 5 septembre 2010 ; que c'est dans ces conditions que la société Europ'Automobile, dûment autorisée à cette fin, a assigné la société Volvo Automobiles France devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins qu'il soit fait injonction à cette société de l'agréer en tant que réparateur ; qu'il sera également noté que le contrat de concession a fait l'objet d'une lettre de résiliation le même jour que le contrat de réparateur agréé ; que la résiliation du contrat de concession n'est toutefois pas visée par la demande de la société Europ'Automobile ;
Attendu qu'il résulte des dispositions des articles 232 et suivants du Code de procédure civile que la mission qui peut être donnée par le juge à un expert ou un technicien ne peut viser qu'à l'éclairer sur des éléments de fait et non pas de droit ; qu'en particulier, l'expert ne peut se voir investi d'une mission relative à l'appréciation d'une situation juridique ; qu'en l'espèce, le premier juge, après avoir constaté d'une part qu'il ne disposait pas d'éléments suffisants pour apprécier la validité des motifs de résiliation avancés par la société Volvo Automobiles France et, d'autre part, que les parties avaient négligé la possibilité prévue par l'article 18 du contrat de recourir à une expertise, a désigné lui-même un expert en lui donnant pour mission de vérifier le bien-fondé des raisons invoquées pour la résiliation du contrat de réparateur agréé et indiquer s'il existait un préjudice éventuellement créé pour l'une ou l'autre partie par la résiliation du contrat ; qu'une telle mission aboutit en réalité à déléguer à l'expert le pouvoir d'appréciation qui relève exclusivement de la juridiction saisie sauf pour celle-ci à désigner cet expert aux fins de l'éclairer sur les seules circonstances de fait qu'elle estimerait obscures ; que les stipulations contractuelles ne conféraient pas à l'expertise le caractère d'un préalable obligatoire; que le jugement sera donc réformé à ce titre ;
Sur la résiliation du contrat de réparateur agréé ;
Attendu que le contrat de réparateur agréé conclu entre les parties étant contrat à durée indéterminée ainsi que le précise l'article 16 § 1 de ce contrat ; que ce même paragraphe prévoit que chacune des parties pourra y mettre fin à tout moment par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis de deux ans ; que, au regard du principe de liberté contractuelle, de la même façon que nul n'est tenu de contracter, nul n'est tenu de se maintenir dans les liens d'un contrat à durée indéterminée qui, sous réserve du respect des conditions de forme et de délai qui peuvent être prévues au contrat, doivent pouvoir être rompus à tout moment sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un motif particulier sauf à ce qu'il soit démontré que l'exercice de la faculté de résiliation présente dans ses modalités ou dans ces motifs un caractère abusif ou discriminatoire ;
Qu'en l'espèce, l'économie du contrat de réparateur agréé conclu entre les parties est conforme à cette exigence puisque, en effet, le contrat ne subordonne la faculté de résiliation à aucun motif particulier, les paragraphes 2 à 5 de l'article 16, non applicables en l'espèce, ne prévoyant de tels motifs, en contrepartie d'une réduction voire d'une suppression du délai de préavis, que dans des hypothèses spécifiques telles que la réorganisation du réseau ou le manquement du cocontractant à certaines de ses obligations ;
Que, dans sa lettre de résiliation du 7 octobre 2008, la société Volvo Automobiles France s'est explicitement placée sous le régime de l'article 16 § 1 du contrat en indiquant à son cocontractant Europ'Automobile : "en application de l'article 16 du contrat de réparateur agréé qui vous lie à notre société, nous vous informons que nous avons pris la décision de résilier le contrat. Conformément à l'article précité, la rupture de nos relations contractuelles sera effective au terme d'un préavis de 24 mois...". ; que, si cette lettre précise que la décision de résiliation "résulte notamment" d'un certain nombre de griefs, l'indication de ces griefs résulte de l'obligation stipulée au paragraphe 6 de l'article 16 du contrat en vertu de laquelle : "la notification de la résiliation devra spécifier les raisons objectives et transparentes de la résiliation afin d'éviter que Volvo Automobiles France ne résilie le présent contrat à cause de pratiques qui ne peuvent faire l'objet de restrictions dans le cadre du règlement d'exemption (CEE) numéro 1400-2002." ; que le règlement d'exemption en vertu duquel cette stipulation a été insérée au contrat ne saurait être interprété comme subordonnant la résiliation d'un contrat à durée indéterminée à un motif particulier mais comme imposant la notification des raisons objectives de cette résiliation afin d'éviter que celle-ci ne vienne sanctionner des "pratiques qui ne peuvent faire l'objet de restrictions dans le cadre du présent règlement" à savoir ce qu'il est convenu d'appeler des pratiques pro- concurrentielles ;
Attendu que les motifs invoqués dans le courrier de résiliation du 7 octobre 2008 - participation insuffisante aux stages de formation et réunions organisées par Volvo Automobiles France - ne relèvent pas de telles pratiques ; que, comme il sera expliqué ci-dessous, la société Europ'Automobile n'établit pas que les raisons ainsi invoquées seraient matériellement inexactes et dissimuleraient en réalité un détournement du pouvoir de résiliation unilatérale du contrat ;
Attendu qu'il en résulte que la société Europ'Automobile n'est pas fondée à contester la résiliation du contrat de réparateur agréé ;
Sur le refus par Volvo Automobiles France d'agréer une nouvelle fois la société Europ'Automobile ;
Attendu que, eu égard au principe de liberté contractuelle en vertu duquel nul ne peut être contraint de contracter en particulier avec une personne dont le comportement antérieur serait de nature à altérer le rapport de confiance inhérent à toute relation contractuelle, le concédant peut légitimement refuser d'agréer à nouveau un réparateur qui, dans le cadre des relations contractuelles antérieures, aura, au-delà même du strict respect de ses obligations contractuelles et des "standards" imposés aux membres du réseau, manifesté un intérêt limité envers la marque du concédant ;
Qu'en l'espèce, si les griefs relevés dans la lettre de résiliation du 7 octobre 2008 relatifs à l'absence de participation aux opérations de formation technique organisée en 2006 en 2007 et en 2008 ne sont pas établis dans leurs détails, la société Europ'Automobile, tout en contestant la réalité, se limite à affirmer qu'un de ses collaborateurs avait assisté à trois stages en 2005, un stage "nouveautés" en 2006 et à deux stages en 2007 ; qu'il n'est ainsi pas réellement contesté par Europ'Automobile qu'elle n'a pas fait participer son personnel à l'ensemble des stages techniques organisés par Volvo Automobiles France, Europ'Automobile indiquant au contraire qu'elle avait fait participer ses salariés à "la plupart des formations" ; que, par ailleurs, elle ne conteste pas non plus ne pas avoir participé à la totalité des formations organisées au titre de l'après-vente, au moins pour l'année 2008 ; que le départ de l'une de ses salariées ne saurait à lui seul justifier cette carence ; que la société Europ'Automobile ne peut sérieusement soutenir que le défaut de participation à ces formations ne causerait aucun préjudice au réseau Volvo Automobiles France et à sa clientèle alors que l'objet de ces formations est de permettre aux salariés du réseau de maintenir et de perfectionner leurs connaissances en matière de gestion des garanties, de traitement des litiges avec la clientèle, de gestion des pièces de rechange etc. (...) ; que le défaut de participation aux conventions du réseau organisées à Stockholm et à Göteborg est reconnu par la société Europ'Automobile qui explique que ces conventions avaient pour objet essentiel le commerce et non pas l'après-vente ; que toutefois, un tel défaut de participation à deux conventions annuelles successives alors même que Europ'Automobile était à l'époque concessionnaire de la marque Volvo en même temps qu'elle en était réparateur agréé marque pour le moins certain désintérêt de sa part; qu'enfin, il est constant que le nouvel appareil de diagnostic Vida dont devaient être équipés les membres du réseau n'a été commandé qu'en décembre 2008 soit deux mois après la réception par la société Europ'Automobile de la lettre de résiliation attirant son attention sur ce point ;
Qu'outre l'ensemble de ces griefs, invoqués dans la lettre de résiliation du 7 octobre 2008, la société Volvo Automobiles France également fondée à faire valoir que le comportement de la société Europ'Automobile, postérieurement à cette lettre, n'était guère de nature à la convaincre de l'agréer à nouveau en tant que réparateur, la société n'ayant pas été représentée à la convention après-vente 2010, et les motifs invoqués concernant la dégradation des relations entre les deux partenaires, Europ'Automobile faisant grief au dirigeant de Volvo Automobiles France de lui avoir refusé un entretien ;
Attendu dans ces conditions que, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le point de savoir si la société Europ'Automobile comme elle le soutient "répond aux standards pour être nommée réparateur agréé de la marque Volvo", la demande de cette société, qui n'établit ni même n'allègue, que le défaut de nouvel agrément aurait un objectif discriminatoire incompatible avec les dispositions de l'article 101 du traité de l'Union européenne et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, visant à voir faire injonction à la société Volvo Automobiles France de l'agréer en tant que réparateur doit être écartée sans qu'il y ait lieu d'ordonner au préalable une mesure d'expertise ;
Attendu qu'il serait inéquitable que la société Volvo Automobiles France conserve à sa charge le montant des frais irrépétibles engagés pour les besoins de la présente instance ; que la société Europ'Automobile sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe, Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Rejette l'ensemble des demandes présentées par la société Europ'Automobile, Condamne la société Europ'Automobile à payer à la société Volvo automobile France somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Europ'Automobile aux dépens qui pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.