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Décisions

Cass. com., 21 février 2012, n° 10-27.966

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Coudène Michel (SAS)

Défendeur :

Midi Tielles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, Me Bertrand

Bordeaux, 2e ch. civ., du 19 oct. 2010

19 octobre 2010

LA COUR : - Sur le rapport de Mme Mandel, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Coudène Michel, de Me Bertrand, avocat de la société Midi Tielles, l'avis de M. Carre-Pierrat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué , que la société Midi Tielles qui commercialise des plats cuisinés dans les grandes surfaces et notamment des tielles sétoises, reprochant à la société Coudène Michel (société Coudène) d'utiliser pour les mêmes produits un emballage identique à celui qu'elle avait conçu et d' apposer une étiquette également identique, l'a assignée pour concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur le moyen unique, pris en ses premières, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième branches : - Attendu que la société Coudène fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser les sommes de 132 780 euro et 30 000 euro à titre de dommages-intérêts à la société Midi Tielles pour parasitisme économique et concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 2°) que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce ; qu'en se bornant à constater que la société Midi Tielles avait développé et conçu des emballages répondant aux caractéristiques fonctionnelles des produits qu'elle commercialise, pour en déduire qu'elle était titulaire d'une " valeur économique protégeable " interdisant à la société Coudène commercialisant des produits similaires aux siens, de copier ses emballages non protégés par des droits de propriété intellectuelle, et de réaliser ainsi une économie, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil et la liberté du commerce et de l'industrie ; 2°) qu'interdiction est faite aux juges de dénaturer les pièces qui lui sont soumises ; que les photographies versées aux débats représentant les tielles commercialisées par la société Coudène, les tielles commercialisées par la société Midi Tielles et les tielles concurrentes côte à côte montraient que l'emballage des tielles commercialisées par la société Midi Tielles comportait un liseré bleu et jaune à vocation esthétique, qui ne figurait nullement sur l'emballage des tielles commercialisées par la société Coudène, et que chacun des emballages était revêtu d'une étiquette comportant des signes distinctifs des produits très différents; qu'en affirmant qu'il résulte de ces photographies que les emballages des tielles commercialisées par ces deux sociétés sont " rigoureusement identiques ", la cour d'appel a dénaturé les photographies versées aux débats en violation du principe susvisé ; 3°) qu''en affirmant péremptoirement que la présentation dans l'emballage litigieux était de nature à " alimenter la confusion dans l'esprit du consommateur " sans cependant expliquer en quoi la seule présentation de tartes salées dans un emballage thermoformé en plastique transparent, était susceptible de créer une confusion dans l'esprit des consommateurs sur les produits qu'ils contenaient, lorsqu'en outre les étiquettes les revêtant, bien que de taille similaire et placées au même endroit, comportaient des signes distinctifs très différents permettant d'identifier clairement les produits et l'identité de leurs producteurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 et 1383 du Code civil ; 4°) qu'en tout état de cause ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ni un acte de concurrence parasitaire, l'utilisation pour la commercialisation d'un plat cuisiné d'un emballage identique à celui utilisé par des concurrents pour la commercialisation de produits similaires lorsque les caractéristiques de cet emballage sont dictées par les contraintes techniques liées au produit lui-même ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que selon la société Midi Tielles elle-même, pour commercialiser ses tielles, elle a " conçu un emballage thermoformé avec une découpe spécifique alliant l'esthétique, le maintien en place d'un produit fragile (tartelette en pâte brisée aux fruits de mer) dont il fallait garantir l'intégrité et la bonne conservation dans le temps ", ce dont il s'évinçait que de l'aveu même de la partie adverse, la forme de l'emballage répondait essentiellement à des contraintes techniques dictées par la nature du produit ; que la cour d'appel a elle-même relevé que " les caractéristiques de l'emballage étaient " fonctionnelles " consistant en la " protection et conservation d'un produit fragile pour permettre sa distribution à une échelle industrielle " ; qu'en affirmant néanmoins que les caractéristiques de l'emballage litigieux ne résultaient pas de contraintes techniques, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations en violation de l'article 1382 et 1383 du Code civil ; 5°) que l'exposante faisait en outre valoir que l'emballage en plastique transparent thermoformé était banal, couramment utilisé pour la distribution industrielle de produits comportant les mêmes caractéristiques, ce dont elle justifiait en versant aux débats des photographies d'emballages de produits de même nature ; qu'elle ajoutait que le procédé même de conception de ces emballages (thermoformage) était lui-même banal et couramment utilisé dans le secteur de l'agro-alimentaire ; qu'en s'abstenant de rechercher comme elle y était invitée si le recours à un emballage thermoformé en plastique transparent pour présenter un produit cuisiné vendu au rayon traiteur n'était pas un procédé banal exclusif de toute concurrence déloyale ou parasitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; 6°) que les limites du litige sont fixées par les prétentions respectives des parties ; que la société Midi Tielles sollicitait à titre de dommages- intérêts, d'une part une somme de 132 780 euro correspondant à l'économie réalisée par la société Coudène, et d'autre part, une provision de 50 000 euro à valoir sur son préjudice résultant de la perte ou du manque à gagner en termes de chiffre d'affaires et de bénéfices qu'elle avait subi du fait des agissements de l'exposante, dont elle sollicitait l'évaluation par un expert ; que la cour d'appel, après lui avoir accordé la somme de 132 780 euro correspondant à l'économie réalisée par la société Coudène,et constaté que la société Midi Tielles ne fournissait aucun élément comptable révélant que les fautes de l'intimée avaient eu des répercussions néfastes sur son chiffre d'affaires et sur son bénéfice, pour la débouter de sa demande de provision et d'expertise, a néanmoins cru devoir lui accorder une somme de 30 000 euro " à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la société Coudène qui a délibérément choisi de développer son produit dans le sillage de la société appelante " ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté qu'il ressortait des éléments du dossier et notamment des photographies versées aux débats que les emballages des produits litigieux étaient rigoureusement identiques à ceux de la société Midi Tielles, tant en ce qui concerne les formes que les dimensions, l'arrêt relève que, si le recours à un emballage thermoformé s'explique par des contraintes techniques liées à la nature des produits, il n'en est pas de même pour la forme des emballages ; qu'il relève encore que l'ancien gérant de la société Midi Tielles, qui avait participé à la mise au point technique et à la conception de l'emballage des tielles, est entré au service d'une société intermédiaire à laquelle la société Coudène s'est adressée pour la fabrication de ses propres emballages ; qu'il constate enfin que la société Coudène appose sur ses emballages, au même endroit que la société Midi Tielles, une étiquette de mêmes dimensions ;que de ses constatations et appréciations, exemptes de dénaturation, la cour d'appel a pu déduire que la société Coudène avait commis des actes de concurrence déloyale en créant un risque de confusion dans l'esprit du consommateur et adopté un comportement parasitaire en tirant indûment profit des investissements réalisés par la société Midi Tielles pour développer un produit concurrent et a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, que, dès lors qu'il n'était pas reproché à la société Coudène d'avoir reproduit un procédé de thermoformage, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche visée à la cinquième branche ;

Attendu, enfin, que la société Midi Tielles ayant fait valoir que le comportement déloyal de la société Coudène lui avait causé un trouble commercial ne serait-ce que moral, c'est, sans dénaturer les termes du litige que la cour d'appel a condamné cette société au paiement d'une somme de 30 000 euro ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ces branches ;

Mais sur le moyen pris en sa sixième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Coudène au paiement de la somme de 132 780 euro, l'arrêt retient que cette somme correspond à l'économie réalisée par cette société pour le développement de son produit ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice subi du fait d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme ne s'identifie pas à l'économie réalisée par l'auteur de ces actes, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Coudène Michel à payer la somme de 162 780 euro à la société Midi Tielles, l'arrêt rendu le 19 octobre 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.