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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 16 février 2012, n° 2011-00951

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Philips France (SAS), Sony Europe Limited (Sté)

Défendeur :

Avantage (SARL), Pernot, Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

Mme Meslin, M. Vert

Avoué :

SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Esteben, Billard, Choffel

CA Paris n° 2011-00951

16 février 2012

Par leur saisine les deux sociétés requérantes fournisseurs de produits d'électronique grand public ou "produits bruns", demandent à la cour siégeant en qualité de cour de renvoi, de contrôler la légalité externe et interne d'une décision du Conseil de la concurrence (le Conseil) devenu Autorité de la concurrence (l'Autorité) du 5 décembre 2005, par laquelle elles ont été sanctionnées pour avoir, entre novembre 1997 et fin 1998, mis en œuvre dans ce secteur de produits, au mépris des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, des pratiques d'entente verticale de prix imposés.

Elles concluent subsidiairement à la réformation de cette décision du chef des sanctions prononcées, estimées excessives au regard de la gravité des pratiques incriminées et du dommage occasionné par celles-ci à l'économie.

Les antécédents procéduraux du litige

1. Procédure administrative

La société Avantage dont l'objet social est de vendre des produits d'électronique et qui exerce son commerce à Grenoble sous l'enseigne TVHA a le 28 mai 1998 saisi le Conseil de demandes de mesures conservatoires et sur le fond, du chef de pratiques d'ententes de prix minimum entre fournisseurs et distributeurs ainsi que du chef de pratiques d'éviction mises en œuvre par certains fournisseurs et grossistes : elle a précisé avoir constaté ces pratiques après avoir fait diffuser dans la presse le 11 novembre 1997, une publicité portant sur les produits Sony et Toshiba avec mention de prix inférieurs de 15 à 30 % aux prix publics conseillés par certains fournisseurs et pratiqués par d'autres distributeurs.

La société Avantage a par ailleurs versé au dossier à l'appui de cette saisine plusieurs enregistrements sonores de conversations qu'elle avait eues avec des représentants des différents fournisseurs réalisés à l'insu de ces derniers.

Lors de l'examen de la demande de mesures conservatoires, une quinzaine d'enseignes de la distribution sur les 35 visées par la saisine ont déposé des observations écrites et participé à la séance du Conseil : ces entreprises ont démenti toute entente sur les prix avec l'un ou l'autre des fournisseurs mis en cause.

Par décision n° 98-MC-08 du 8 septembre 1998, le Conseil a rejeté les mesures conservatoires sollicitées mais déclaré la saisine au fond recevable. Il a par ailleurs rejeté la demande des sociétés Philips et Sony tendant à obtenir que les enregistrements sonores en cause soient retirés du dossier.

Par arrêt du 4 décembre 1998, la Cour d'appel de Paris a rejeté l'appel-nullité formé contre cette décision.

Saisie sur pourvoi la Cour de cassation a, dans un arrêt du 27 mars 2001, rejeté ce dernier recours tout en soulignant que la Cour d'appel de Paris ne s'était pas, à ce moment de la procédure, prononcée sur la recevabilité des modes de preuve retenus par le Conseil.

Entre-temps, le 2 août 1999, le Conseil avait saisi la direction nationale des enquêtes de concurrence d'une demande d'enquête portant sur le secteur de l'électronique grand public.

Le rapport administratif d'enquête, une fois établi, a été transmis au Conseil le 23 juin 2003.

Le 17 décembre 2004 la rapporteure du Conseil a adressé aux entreprises la notification de griefs.

Le rapport définitif a été établi le 27 mai 2005.

2. La Décision attaquée et les recours successifs ultérieurs

Par décision n° 05-D-66 du 5 décembre 2005, ci-après la Décision, le Conseil a, par usage de la méthode du faisceau d'indices précis, graves et concordants, déclaré établi envers les seules sociétés Sony France, Philips France et Panasonic France le grief d'entente verticale sur les prix et dit n'y avoir lieu à poursuivre à l'encontre des sociétés Toshiba, Yamaha et Pioneer.

Les sanctions prononcées à l'article 3 sont les suivantes : - la société Philips France : 16 millions d'euro, - la société Sony France : 16 millions d'euro, - la société Panasonic : 2, 4 millions d'euro.

Ces trois sociétés ont déclaré appel de la Décision.

Par arrêt du 19 juin 2007, la Cour de Paris 1re Chambre - Section H a rejeté les recours des sociétés Philips France et Sony France et mis la société Panasonic France hors de cause au motif qu'il n'était pas établi que cette dernière société ait enfreint les dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

La cour a par la même décision, déclaré l'intervention de la société Avantage irrecevable pour avoir déposé sa déclaration d'intervention au-delà du délai d'un mois prévu par l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 devenu l'article R. 464-17 du Code de commerce.

Saisie sur pourvoi, la Cour de cassation (Chambre commerciale, financière et économique n° 664) a par arrêt du 3 juin 2008, cassé et annulé en toutes ses dispositions cet arrêt de la cour d'appel en jugeant, au visa de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus, constituait un procédé déloyal rendant irrecevable à titre de preuve, la production de cet enregistrement.

Par arrêt n° RG 2008-11907 du 29 avril 2009, la Cour d'appel de Paris 1re Chambre - Section H autrement composée, a de nouveau rejeté le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé par les entreprises sanctionnées sur les motifs suivants : "(...) qu'en l'absence de texte réglementant la production des preuves par les parties à l'occasion de procédures suivies devant lui sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que le Conseil, qui bénéficie d'une autonomie procédurale, tant à l'égard du droit judiciaire privé national qu'à l'égard du droit communautaire, a retenu, en se fondant sur sa mission de protection de l'ordre public économique, sur le caractère répressif des poursuites conduisant au prononcé de sanctions pécuniaires et sur l'efficacité qui en est attendue, que les enregistrements en cause, qui étaient produits par la partie saisissante et non par les enquêteurs ou le rapporteur, ne pouvaient être écartés, au seul motif qu'ils avaient été obtenus de façon prétendument déloyale, qu'il étaient recevables dès lors qu'ils avaient été soumis à la contradiction et qu'il lui appartenait seulement d'en apprécier la valeur probante." ;

Par arrêt n° 587 du 7 janvier 2011, rendu au triple visa des articles 9 du Code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a fait droit aux prétentions des sociétés sanctionnées : elle a de nouveau cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris puis renvoyé les parties devant cette juridiction autrement composée, afin que celle-ci statue sur l'affaire.

Le motif unique de cassation était énoncé comme suit : "Attendu que, sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ; que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ; (...) / Attendu que pour rejeter leur recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence qui a prononcé une sanction pécuniaire à leur encontre, l'arrêt retient que les dispositions du Code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d'une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d'un droit subjectif, ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives ; qu'il retient encore que, devant le Conseil de la concurrence, l'admissibilité d'un élément de preuve recueilli dans des conditions contestées doit s'apprécier au regard des fins poursuivies, de la situation particulière et des droits des parties auxquelles cet élément de preuve est opposé ; qu'il ajoute enfin que si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l'égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être écartés du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d'un principe énoncé abstraitement, mais seulement s'il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe de la contradiction et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ; / Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;"

3. La procédure sur renvoi

Vu les déclarations de saisine sur renvoi après cassation, formées par les sociétés Philips France (17 janvier 2011) et Sony France (24 janvier 2011) aux fins d'annulation et subsidiairement, de réformation ;

Vu la déclaration de saisine sur renvoi après cassation formée le 26 janvier 2011 sur le fondement de l'article 1032 du Code de procédure civile par la société Avantage par l'intermédiaire de son directeur, M. Joseph Pernot ;

Vu les conclusions d'intervention volontaire régulièrement déposées le même jour par ce dernier in personam au visa de l'article 554 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Vu l'ordonnance du délégué du premier président ordonnant la jonction des recours enregistrés sous les numéros de rôle général 2011-00951, 2011-01370 et 2011-01460, d'une part et prescrivant la poursuite de la procédure sous le numéro le plus ancien, d'autre part ;

Vu le mémoire régulièrement déposé le 18 mai 2011 à l'appui du recours, soutenu par celui déposé le 5 octobre suivant par la société à responsabilité limitée Avantage, enseigne TVHA, ci-après société Avantage ;

Vu le mémoire déposé le 18 mai 2011 soutenu par celui déposé le 5 octobre suivant par M. Joseph Pernot in personam ;

Vu le mémoire régulièrement déposé le 18 mai 2011 à l'appui du recours, soutenu par celui déposé le 5 octobre suivant par la société de droit anglais Sony Europe Limited se trouvant aux droits de la société anonyme Sony France à la suite d'une transmission universelle du patrimoine de cette société du 1er avril 2011 ;

Vu le mémoire régulièrement déposé le 18 mai 2011 à l'appui du recours, soutenu par celui déposé le 5 octobre suivant par la société Philips France ;

Vu les observations écrites du ministre déposées le 19 juillet 2011 et celles de l'Autorité déposées le 20 juillet 2011 ;

Vu les conclusions écrites du Ministère public mises à la disposition des parties.

Vu l'ensemble des pièces et documents du dossier.

Après avoir entendu à l'audience publique du 3 novembre 2011, en leurs plaidoiries et en leurs observations orales, les conseils des parties, le représentant de l'Autorité de la concurrence ainsi que le Ministère public, chaque partie ayant eu la possibilité de répliquer.

LA COUR

Considérant en liminaire que par courrier du 28 octobre 2011 adressé à la cour, M. Joseph Pernot a, ès qualités de directeur de la société Avantage, sollicité sa mise en cause d'office au visa de "l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987" devenu l'article R. 464-17 alinéa 2 du Code de commerce ;

Que sur interrogation de la cour, il a précisé à l'audience ne pas avoir adressé copie de cette demande aux parties régulièrement constituées dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que faute de respect du principe de la contradiction sa demande doit être déclarée irrecevable ; que quoi qu'il en soit, celle-ci tendait à l'exercice d'une simple faculté reconnue par le texte précité au premier président, à son délégué ou à la cour ; que cette faculté peut être exercée d'office ; qu'en l'espèce, la cour n'estime pas, à ce stade avancé du débat judiciaire, utile ou nécessaire d'en faire usage dès lors que M. Joseph Pernot, in personam ou ès qualités de directeur de la société Avantage, n'a formé aucun pourvoi contre les arrêts de la cour qui sont donc définitifs à son égard ainsi que précisé ci-après ;

1. Sur les moyens d'illégalité externe

1.1. En ce qui concerne la recevabilité de la saisine de la société Avantage et celle de l'intervention volontaire de M. Joseph Pernot in personam

Considérant que les sociétés requérantes, concluent à l'irrecevabilité de la saisine de la société Avantage et de l'intervention volontaire de M. Joseph Pernot in personam ;

Qu'elles précisent que celle-là est intervenue à deux reprises devant les formations précédemment saisies de la cour de céans qui chacune l'ont déclarée irrecevable ; qu'elles observent que selon les termes de l'arrêt du 19 juin 2007, cette société était quoi qu'il en soit intervenue sans respecter les conditions de délai fixées par l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 désormais codifié à l'article R. 464-17 du Code de commerce ;

Que la société Sony Europe Limited, ci-après désignée dans les motifs de cet arrêt Sony France, ajoute que la société Avantage n'a pas introduit de pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision d'irrecevabilité ; que cette décision est aujourd'hui définitive à son encontre ;

Que de son côté, la société Philips précise qu'en l'état où se trouvaient l'instance et les parties avant l'arrêt du 29 avril 2009, la société Avantage était manifestement irrecevable en son intervention volontaire en cause d'appel puisqu'elle n'avait initialement formé ni recours principal ni recours incident contre la décision du Conseil et qu'elle n'avait pas davantage souhaité se joindre à l'instance d'appel comme le lui permettait l'article R. 464-17 du Code de commerce ; que la voie de l'intervention volontaire en cause d'appel ne lui était quoi qu'il en soit pas ouverte puisqu'elle avait été partie à la procédure devant le Conseil ; qu'enfin, l'arrêt du 29 avril 2009 est définitif envers elle ;

Considérant que saisi par la société Avantage de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles, mises en œuvre par des fournisseurs et des distributeurs de produits d'électronique grand public, le Conseil a, par décision n° 05-D-66 du 5 décembre 2005, dit établi que plusieurs sociétés dont les sociétés Philips France et Sony France avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre, de novembre 1997 à fin 1998, une entente avec leurs distributeurs relative à l'application de prix conseillés analysés comme des prix imposés sur un certain nombre de produits d'électronique grand public ; qu'elle a prononcé à l'encontre de chacune, une sanction pécuniaire de 16 millions d'euro ; que l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2008 a été rendu entre les parties ayant formé un pourvoi ; que la société Avantage n'a formé aucun recours contre la décision de la cour d'appel de céans autrement composée du 19 juin 2007 de sorte que celui-ci est définitif à son encontre ; que la demande de la société Avantage, qui ne saurait intervenir volontairement puisqu'elle était partie à la Décision attaquée, doit pour cette unique raison être déclarée irrecevable ;

Considérant que M. Joseph Pernot entend soutenir les prétentions de cette société; que n'appartenant pas à la liste des personnes ou organismes énumérés par l'article L. 462-5 du Code de commerce, il n'est pas recevable à agir à titre principal ; que son intervention ne peut ainsi être qualifiée que comme étant accessoire au sens de l'article 330 du Code de procédure civile auquel les articles R. 464-10 et suivants du Code de commerce ne dérogent pas ; que l'intervention de la société Avantage étant irrecevable, celle accessoire de M. Joseph Pernot l'est nécessairement ;

1.2. Sur les incidences exactes de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 janvier 2011 quant aux poursuites exercées contre les sociétés requérantes

Considérant que la société Sony France relève que ce dernier arrêt a, au visa conjoint des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et du Code de procédure civile, consacré un principe de loyauté de la preuve comme étant l'une des conditions fondamentales de l'exercice des droits de la défense et du procès équitable devant le Conseil de la concurrence ; que, dès lors qu'il s'agit de préserver les conditions d'exercice de ce droit fondamental, les nullités issues de l'atteinte qui y aurait été portée peuvent être invoquées à tout moment de la procédure ; que le caractère déloyal des enregistrements téléphoniques déposés par la société Avantage à l'appui de sa saisine étant confirmé alors qu'ils sont au centre de l'instruction du dossier et de la motivation de la décision attaquée, cette décision doit être déclarée nulle à l'instar de l'ensemble de la procédure d'enquête et d'instruction qui en constitue le soubassement ; qu'eu égard à l'ampleur des pièces et actes de procédure qui sont ou doivent être retirés du dossier, il est aujourd'hui impossible à la cour de céans autrement composée, d'évoquer le fond de l'affaire ;

Qu'elle soutient encore qu'à l'exception de six distributeurs (les sociétés Serap, Connexion, Clust, Rue du Commerce, Marcopoly et Coopérative des Finances), les auditions réalisées par les enquêteurs puis par la rapporteure du Conseil ne concernent que des entreprises concernées par ces enregistrements ; que du fait de cette première orientation donnée à l'enquête, les investigations menées ont exclu 80 à 90 % du secteur concerné et ce, alors même que 35 distributeurs de produits électroniques grand public étaient intervenus à la procédure introduite devant le Conseil lors de l'examen par celui-ci de la demande de mesures conservatoires requises par la société Avantage et qu'une quinzaine de ces distributeurs avaient participé à la séance d'examen de cette affaire pour expliquer qu'ils bénéficiaient d'une entière liberté tarifaire ;

Qu'elle observe que seule la production des enregistrements incriminés a, six ans après la saisine du Conseil, provoqué sa mise en cause de sorte qu'elle n'a jamais été entendue par les services de la DGCCRF ; que l'omniprésence de citations issues des dits enregistrements à tous les stades de la procédure (enquête administrative, notification de griefs, rapport définitif) permet d'affirmer que l'instruction suivie contre elle, largement influencée par la teneur des enregistrements déloyaux, est irrémédiablement et pleinement viciée au point de justifier l'annulation de la décision déférée et celle de l'ensemble de la procédure d'enquête et d'instruction suivie devant le Conseil, peu important de ce point de vue que la Cour de cassation n'ait pas rendu une décision de cassation sans renvoi ; qu'elle souligne que les actes de procédure induits par les irrégularités incriminées doivent eux-mêmes être considérés comme nuls et être subséquemment écartés des débats ; qu'elle conclut à la fin des poursuites engagées contre elle sur une saisine datant aujourd'hui de plus de 13 années ;

Qu'elle précise subsidiairement que les déclarations de la société Marcopoly ne sauraient lui être opposées dès lors qu'elles se rapportent à une période postérieure à celle des faits incriminés (2002) et que, à l'époque visée par l'incrimination (1997-1998), cette société ne faisait nullement partie de son réseau de distribution ;

Qu'elle indique encore que les déclarations des cinq distributeurs non concernés par les enregistrements téléphoniques déclarés illicites ne contiennent strictement aucun indice permettant d'étayer l'existence d'une entente verticale sur les prix entre elle et chacun d'entre eux ; qu'à l'inverse, il ressort de plusieurs de ces déclarations que leurs auteurs ont pratiqué une politique de bas prix sans avoir jamais rencontré de difficultés avec elle ; que la référence faite aux enregistrements déloyaux dès la demande d'enquête administrative a totalement biaisé le déroulement de cette dernière et celui de l'instruction par les services du Conseil ; que l'irrecevabilité de ces enregistrements et celle des actes d'instruction subséquents doivent nécessairement conduire à leur entière expurgation du dossier ;

Considérant que la société Philips expose pour sa part que dès lors que la cour de céans autrement composée s'est, dans l'arrêt frappé de cassation, appropriée les motifs de la décision attaquée, celle-ci ne peut être qu'annulée ;

Qu'elle ajoute que les enregistrements déloyaux ont nécessairement affecté la procédure dans son ensemble au point que l'atteinte portée aux droits de la défense est irrémédiable et que la cour de céans ne peut que mettre définitivement fin aux poursuites ; que le Conseil a nécessairement été convaincu de la réalité d'une entente illicite sur la base d'un faisceau d'indices reposant majoritairement sur ces enregistrements lesquels par surcroît, fondent l'essentiel de la saisine du Conseil ; que la note d'orientation jointe à la demande d'enquête est en effet à l'évidence centrée sur ces enregistrements ;

Qu'elle conclut au nécessaire retrait des actes d'investigation subséquents, en ce compris les auditions réalisées par les services de la DGCCRF puisque par hypothèse, ces actes ne présentent pas de degré suffisant d'autonomie par rapport à cette irrégularité originelle ; que ces actes irréguliers doivent être estimés inefficients, leur seule mise à l'écart ne suffisant pas à garantir la totale impartialité de la cour ; que le Conseil, comme la cour de céans dans ses deux arrêts du 19 juin 2007 et du 29 avril 2009, s'est fondé de manière déterminante sur les enregistrements et les pièces s'y référant ou en découlant directement ou indirectement et que partant, le risque est grand que la formation de jugement appelée aujourd'hui à se prononcer ne puisse s'extraire complètement du contexte formé par ces éléments ;

Vu l'article 9 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;

Considérant que, sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité (ci-avant le Conseil) ; que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ;

Considérant qu'il s'infère de ces bases fondamentales que le principe de loyauté, vecteur d'intégration du droit essentiel de toute partie à un procès équitable, s'applique en tout domaine ; que le respect de cette exigence passe par le rejet impératif de toute preuve douteuse, qui ne soit donc ni neutre ni impartiale ; que ce même respect interdit de tirer des éléments de preuve ou des renseignements contre les parties poursuivies, à partir de documents entachés d'irrégularités ; qu'aucune atteinte ne devant être portée à l'autorité de la justice et au respect qui lui est dû, celle-ci ne saurait être rendue sur le fondement d'une preuve illicite ; qu'in concreto, le juge ne peut forger sa conviction à l'aide d'éléments directement ou indirectement tirés d'un acte affecté d'irrégularités d'une gravité telle que le caractère suspect qui s'en induit a entraîné sa nullité ;

Considérant en l'espèce que si la Décision doit de manière certaine être annulée en ses parties faisant directement ou indirectement référence aux enregistrements téléphoniques illicites, la cour de céans doit, pour répondre exactement et pleinement à la question qui lui est posée, déterminer si subsistent, dans la cause remise dans l'état où elle se trouvait avant l'arrêt de cassation du 7 janvier 2011, des éléments de preuve répondant à cette exigence de loyauté établissant la réalité des infractions d'entente verticale illicite sur des prix imposés, constatées et sanctionnées dans la Décision déférée ;

Considérant en premier lieu qu'il ressort de la décision n° 98-MC-08 du 8 septembre 1998 relative à la saisine de la société Avantage et à la demande de mesures conservatoires, que cette saisine et demande étaient assorties, outre des enregistrements critiqués, d'une "trentaine de catalogues publiés au cours du printemps 1998 par les distributeurs de produits d'électronique grand public appartenant à différents réseaux de distribution", de '"tableaux" élaborés par la société requérante permettant de constater "qu'il exist[ait] une identité de prix pour de nombreuses références entre les prix proposés au public par les distributeurs concernés" et encore, de "tarifs du grossiste SNER (...) sollicité pour [un approvisionnement] en produits de marque Philips Electronics", précision étant faite "que ces tarifs comport[ai]ent, non le prix auquel le détaillant peut racheter ces produits auprès du grossiste, mais le prix de vente au consommateur TTC" et que ces prix apparaissaient "pour plusieurs références", "identiques à ceux effectivement appliqués par les détaillants" ;

Qu'il en résulte que les indices produits lors de la saisine initiale laissant soupçonner l'existence possible d'une entente illicite sur les prix entre fournisseurs et distributeurs de produits d'électronique grand public ne relevaient pas seulement des enregistrements illicites mais aussi de preuves documentaires ; que c'est aussi pour cette raison que le Conseil, dans sa réponse à la demande de mesures conservatoires, a considéré qu'il ne pouvait être exclu que les difficultés auxquelles se heurtait la société Avantage en tant que revendeur pratiquant des prix inférieurs à ceux généralement observés dans le secteur de l'électronique grand public, puissent s'expliquer par la mise en œuvre de pratiques prohibées ;

Considérant que sur ces constatations et pour ces raisons, la saisine de la société Avantage conserve une efficience suffisante pour justifier le rejet du chef d'annulation la concernant ;

Considérant en deuxième lieu que la demande d'enquête sollicitée par le Conseil auprès des services de la DGCCRF dans le but d'être éclairé sur les pratiques dont il se trouve saisi, comportait en annexe une note d'orientation qui retenait que : "La singularité de cette affaire provient du fait que les conversations entre M. P. (...), responsable du magasin à l'enseigne TVHA et certains fournisseurs, ont fait l'objet d'un enregistrement par les soins de ce dernier. Les parties concernées ont contesté l'utilisation de tels enregistrements (...). Il est souhaitable pour l'efficacité de la procédure que l'enquête porte en priorité sur les entreprises et les personnes qui ont fait l'objet de tels enregistrements." mais aussi l'indication que "la mise en cause des fournisseurs de produits de l'électronique grand public [avait] fait l'objet de nombreux précédents soumis au Conseil dont plusieurs ont abouti à des décisions." ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments qu'au-delà de la production d'enregistrements téléphoniques déloyaux, le Conseil a pu, à partir d'autres éléments, se convaincre de la nécessité de procéder à des investigations complémentaires sur les points énumérés au second paragraphe de la note susvisée ; que si les procès-verbaux d'audition des personnes visées par les enregistrements déloyaux ne sauraient de quelle que manière que ce soit, être pris en considération dès lors qu'il ne peut être exclu que les questions posées aux personnes interrogées et les réponses faites aient pu, directement ou indirectement, être influencées par les propos enregistrés et ainsi pu conduire au recueil d'éléments de preuve ne pouvant de manière certaine être qualifiés de neutres, il restait loisible au Conseil de se référer aux déclarations des distributeurs non visées par ces enregistrements ;

Qu'il ne peut dans ces conditions être d'emblée décidé que le rapport administratif d'enquête établi à l'issue de ces investigations des services administratifs, doit être intégralement écarté des débats ;

Considérant qu'il en va de même de la notification de griefs et du rapport définitif ainsi que de la Décision, sous réserve d'écarter de ces actes tout élément susceptible de ne pas répondre, directement ou indirectement, à l'exigence naturelle et fondamentale de loyauté ; que de ce dernier point de vue, peu importe que les enquêteurs aient quant à eux agi en toute loyauté ou que les documents obtenus à partir des données issues de ces enregistrements déloyaux aient été directement remis par les entreprises poursuivies ; que toutes pièces et éléments du dossier établis, à partir et en conséquence des enregistrements litigieux, ne pourront en rien servir à établir les pratiques incriminées;

Considérant que seront ainsi subséquemment écartés des débats, sur demandes conjointes des sociétés Sony France et Philips France, les enregistrements déloyaux mais aussi, le procès-verbal de déclaration du 5 décembre 2002 de la société SNER et celui du 18 septembre 2002 concernant la société SCIE-CREL qui se référent directement et à plusieurs reprises à ces enregistrements illicites outre, les procès-verbaux d'audition de MM. Frédéric Marie (représentant la société Philips France) du 21 mars 2003, Pernot (représentant le société Avantage) du 6 mars 2002 et Gibert (représentant la société Satair) du 4 octobre 2002 ; que ces procès-verbaux ont tous été établis par les enquêteurs de la DGCCRF dans le but de clarifier les propos tenus lors des conversations enregistrées par la société plaignante ;

Que les passages du rapport administratif d'enquête centrés sur ces enregistrements (pp. 8-9, 11-12, 15, 83, 86, 88-89, 99-101, 104-105, 111-114, 122), ceux de la notification de griefs [paragraphes 25, 28 de ("toutefois" à "façon"), 32 à 34, 39 à 41, 46 à 53, 55, 57 à 63, 65, 66, 67 à 166, 168 à 198, 242, 243, 247 à 251, 260 à 267, 271 à 278) ainsi que ceux du rapport établis à partir des dits enregistrements et des pièces qui en découlent (tout particulièrement les paragraphes 44, 44, 95 à 98, 109, 111 à 112, 125, 129, 134, 136, 155 à 157, 165 à 167,177, 179 à 181, 184, 203, 207, 208, 210, 216, 244, 250, 253, 270, 271, 286 sauf pour ce qui concerne la société Marcopoly, 287, 297, 304 à 306, 324) que ce soit directement ou indirectement, seront aussi retirés de l'analyse de la qualification des faits allégués ;

Considérant cependant que compte tenu des circonstances de l'espèce et des modalités de saisine suivies par la société Avantage, il ne peut être ab initio affirmé que tout élément de preuve examiné par le Conseil lorsqu'il a qualifié les pratiques sanctionnées est irrémédiablement affecté d'un vice fondamental imposant à la cour l'annulation intégrale de la Décision ;

Considérant que les mêmes raisons conduisent à dénier toute atteinte irrémédiable aux droits de la défense due à la présence d'enregistrements clandestins déloyaux ;

Que sur l'ensemble de ces considérations et pour ces raisons, il ne sera pas définitivement mis fin aux poursuites exercées et la cour statuera au fond en l'état du dossier, expurgé des éléments viciés pour non-respect de l'exigence de loyauté dans l'administration de la preuve ;

1.3. En ce qui concerne la violation générale des droits de la défense

Considérant que la société Sony France observe que dès lors qu'il lui est reproché une infraction d'entente verticale généralisée sur des prix imposés, les distributeurs visés par la notification de griefs sans être précisément identifiés se sont trouvés empêchés de faire valoir leur position sur les relevés de prix pratiqués à partir des catalogues des distributeurs versés au dossier et ce, alors que nombre de ces distributeurs avaient déposé des observations écrites lors de l'examen des mesures conservatoires requises par la société Avantage ; que partant, une atteinte apparaît avoir été portée au droit de défense de ces derniers ;

Considérant cependant qu'il ressort abondamment de la jurisprudence tant nationale qu'européenne (ci-devant communautaire) que la preuve d'une entente verticale généralisée ne passe pas par celle de l'implication de chaque distributeur du réseau de distribution concerné dès lors que la preuve est rapportée qu'un nombre significatif de distributeurs a respecté le prix imposé par le fournisseur tête de réseau ; que ce grief d'annulation ne présente à l'évidence pas de caractère autonome par rapport au grief se rapportant à l'infraction constatée d'entente verticale généralisée de prix imposés ; qu'il y a de l'examiner dans le cadre du moyen tiré de la violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant que sur ces premières considérations, la cour doit vérifier pour chaque société, si un accord de volontés illicite a ou non, au vu des pièces du dossier, été prouvé sans erreur de droit par le Conseil ;

2. Sur les moyens d'illégalité interne

Considérant que la société Sony interroge de prime abord la cour sur le standard de preuve applicable en la matière ;

2.1. En ce qui concerne le standard de preuve applicable en matière d'entente verticale sur les prix

Considérant que la société Sony fait grief à la Décision d'avoir méconnu le standard de preuve requis en matière d'entente verticale généralisée sur les prix tel que celui-ci est entendu dans la jurisprudence nationale et européenne (ci-avant communautaire), aucun des distributeurs prétendument partie à l'entente n'étant identifié ;

Qu'elle explique que le Conseil n'administre pas à suffisance, la preuve directe de la participation et de l'acquiescement de chacun des distributeurs de son réseau de distribution ni même d'un nombre suffisamment représentatif d'entre eux ; qu'il s'est contenté de procéder par amalgame, en étendant à l'ensemble d'un réseau de distributeurs, les constatations ou déclarations afférentes à un opérateur donné (la société Avantage) ou à un nombre limité d'entre eux ; que l'identification individuelle des éléments de preuve ou des indices permettant d'accréditer l'existence d'une entente pour chaque distributeur concerné est pourtant essentielle puisqu'elle permet à la cour d'appel d'exercer son contrôle et le cas échéant, de corriger le périmètre de la pratique que le Conseil a pu qualifier d'anticoncurrentielle ;

Qu'elle reproche en définitive au Conseil de s'être contenté d'une preuve asymétrique et de s'être abstenu d'examiner la situation individuelle de ses distributeurs alors que la preuve par faisceau d'indices nécessite a minima, d'identifier les distributeurs pour lesquels les éléments de ce faisceau sont rapportés ;

Considérant cependant que c'est à bon droit que le Conseil a rappelé au paragraphe 254 de la Décision que la preuve d'une entente verticale sur les prix conclue entre un fabricant et un ou plusieurs distributeurs repose sur celle d'un accord de leurs volontés tendant à faire échec aux règles du marché ; que s'il est exact que ce concours de volontés doit être établi de part et d'autre en ce sens qu'il doit être constaté que les entreprises sanctionnées ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée, il a déjà été dit que la démonstration de l'existence d'une entente verticale entre un fournisseur et son réseau de distribution n'implique pas que chacun des distributeurs de ce dernier soit mis en cause et sanctionné ; qu'il suffit d'établir qu'un nombre suffisant ou significatif de distributeurs a respecté les prix imposés par le fournisseur pour établir la preuve de leur acquiescement à l'entente verticale sur les prix ;

Que le Conseil a donc pu, sans s'écarter du standard de preuve applicable, estimer au paragraphe 255 de la Décision que cette preuve résultait de la signature d'un contrat de coopération commerciale comprenant le respect de la politique commerciale (et partant, le respect des tarifs prétendument préconisés) ou de la politique de communication du fabricant par tous ses revendeurs ; qu'une autre question est de déterminer in concreto, si ce contrat permettait réellement d'établir l'acquiescement effectif des distributeurs du réseau concerné ;

Que ce premier moyen d'annulation sera donc écarté ;

2.2. En ce qui concerne la réalité du grief d'entente verticale généralisée sur les prix notifié à chaque société requérante

Considérant que chaque entreprise sanctionnée conteste l'infraction d'entente généralisée sur les prix qui lui est reprochée observant qu'une fois retirés les éléments de preuve déloyaux qui leur ont été opposés, le Conseil n'établit pas à suffisance de droit, la réalité de cette infraction ;

Considérant qu'après une analyse précise de la situation de chaque entreprise requérante, aucune ne sera en l'état sanctionnée pour entente sur les prix imposés du fait d'investigations aujourd'hui incomplètes ; qu'il est constant que l'orientation initiale donnée à l'enquête puis à l'instruction du dossier, sur la base des enregistrements clandestins déclarés illégaux, a conduit à ce que 80 à 90 % du secteur de la distribution des produits concernés n'ait fait l'objet d'aucune analyse approfondie ; que sur cette constatation et pour les raisons ci-après exposées, la Décision encourt l'annulation ;

Que la cour ne disposant ni des pouvoirs ni des moyens pour procéder à l'instruction d'une saisine dans les conditions prévues par les articles L. 463-2 et L. 463-4 du Code de commerce, il y aura lieu de renvoyer l'affaire à l'Autorité de la concurrence aux fins de poursuite de la procédure ;

2.2.1. Quant à la société Philips France

Considérant que cette société explique qu'en l'état du dossier expurgé des pièces et éléments illicites, ni l'évocation des prix de détail avec ses distributeurs ni la pertinence d'un système de surveillance de prix conseillés ni encore l'alignement et l'application effective de ces prix conseillés ne sont suffisamment établis par l'existence d'un faisceau d'indices précis, graves et concordants permettant d'asseoir à son encontre une conviction ferme d'infraction ;

Considérant qu'à ce stade, la cour constate que n'ont été transmis par l'Autorité à l'occasion de cette instance que, la notification de griefs et le rapport définitif établis par la rapporteure outre des annexes constituées de magazines, procès-verbaux d'audition et autres éléments documentaires (cotes 1 à 521), les observations formées en réponse à la notification de griefs par les sociétés Panasonic (21 mars 2005), Scie Crel et Yamaha (16 mars 2005) ainsi que Toshiba, Pioneer et Sony (17 mars 2005) et enfin, les mémoires en réponse au rapport définitif des sociétés TVHA (11 août 2005), Philips, Sony et Panasonic (2 septembre 2005), Scie Crel (12 août 2005), Toshiba (29 juillet 2005) et Pioneer France (4 août 2005) ;

Considérant que la société Philips France observe de prime abord que la preuve de l'évocation des prix de détail est pour la démonstration d'une infraction d'entente verticale sur les prix nécessairement décisive puisqu'il ne peut y avoir d'entente verticale sans invitation du fournisseur adressée à ses distributeurs ;

Qu'elle explique qu'au cas présent, la réalité de cet indice est d'autant plus capitale que la notification de griefs reposait à l'évidence sur une erreur factuelle majeure ; que cet acte lui a imputé à tort la diffusion de listes de prix de revente conseillés en confondant la diffusion d'un tarif de prix de vente à l'intention de ses propres clients revendeurs avec celle d'une liste de prix publics conseillés de revente au détail, jamais établie et a fortiori jamais diffusée par elle ; que cette circonstance a été explicitement reconnue par la rapporteure dans son rapport définitif puis par le Conseil lui-même au paragraphe 258 de sa Décision ("il n'existe effectivement aucun élément dans le dossier démontrant que Philips édite une liste de prix de revente TTC de ses produits") ;

Qu'elle précise encore que ni la société Avantage lors de sa saisine ni les distributeurs mis en cause à l'occasion de l'examen des mesures conservatoires sollicitées par cette société n'ont jamais fait allusion à la diffusion sous des formes diverses (imprimés, manuscrits sur les tarifs de base, oralement, par le biais de tarifs de grossistes, par télécopie, sur Internet via les sites web etc...), de listes de prix publics pouvant lui être imputées ; que la preuve d'une simple diffusion orale n'a pu être démontrée qu'en se fondant sur les éléments probatoires tirés des enregistrements déloyaux ou leur étant strictement liés tels, les déclarations de deux grossistes (les sociétés SCIE CREL et SNER) enregistrées par la société Avantage, celles recueillies en prolongement de ces enregistrements dans le cadre d'une audition par les services de la DGCCRF (annexes 7 et 8 - cotes 337 à 345 et 346 à 353) ou encore les affirmations du responsable régional de la société Philips (M. Frédéric Marie) ; qu'enfin, la comparaison du tarif "SNER" avec les listes de prix conseillés figurant au dossier ou encore avec les prix constatés sur le marché est un non-sens puisque le dossier ne comprend aucune liste de prix conseillés par la société Philips ;

Considérant que la preuve de l'évocation de prix comme celui de chacun des indices dont le constat est nécessaire pour la démonstration de l'entente peut être apportée par tout moyen ; que la circonstance que le dossier ne comporte pas de preuve matérielle directe que la société Philips aurait édité une liste de prix de revente de ses produits ne suffit donc pas à écarter a priori l'hypothèse d'une telle communication par d'autres procédés ;

Que la société Philips observe avec raison dans ses écritures que subsistent au dossier, après retrait des éléments de preuve déloyaux ci-avant rappelés (déclarations des grossistes et détaillants, notamment celles des grossistes des sociétés SCIE CREL et SNER reprises aux paragraphes 259 à 263 et 265 de la Décision), le seul tarif de base de la SNER datant de mai 1998 outre les catalogues des distributeurs produits par la société Avantage à l'appui de sa saisine ;

Que le dit tarif de base ne permet pas à lui seul, de soutenir qu'il correspond à un tarif que la société Philips conseillerait à ses distributeurs de pratiquer vis-à-vis du consommateur final, ce fournisseur établissant, par la production du relevé IFR d'avril 1998 (relevé accessible à tous les distributeurs, reprenant régulièrement les prix publics constatés auprès des grandes enseignes de détail généralistes ou spécialisées) que plus de 80 % des références de téléviseurs, magnétoscopes, lecteurs DVD et chaînes Hi-Fi de marque Philips y étant mentionnées, figuraient déjà dans les relevés d'IFR du mois précédent et ce, à des prix identiques ; qu'il ne peut ainsi être exclu, compte tenu de la fréquence des publications de ces relevés IFR, que ces publications soient, pour majeure partie ou à tout le moins pour une part significative, à l'origine de l'alignement des prix des produits concernés ayant été relevés ;

Que de simples relevés de prix opérés sur un marché où règne une certaine transparence du fait de la présence des relevés IFR et où d'expérience, règne une politique systématique ou quasi-systématique d'alignement tendant à tirer les prix d'un certain nombre de produits à la baisse, ne suffisent pas à établir la réalité d'une diffusion de prix conseillés, faute d'investigations spécifiques réalisées auprès des distributeurs appartenant aux grandes enseignes de distribution (Cora, Gitem, Darty et Casino) ; que ces derniers s'étaient manifestés lors de l'examen de la demande de mesures conservatoires ; qu'il est constant qu'ils n'ont pas été entendus ; que les déclarations des 6 distributeurs non concernés par les enregistrements déclarés illicites (certaines étant reprises aux paragraphes 164, 165 et 166 de la Décision) émanent pour partie d'entreprises qui n'étaient pas alors clientes de la société Philips (sociétés Clust, Rue du Commerce et Marcopoly) et s'approvisionnaient auprès de grossistes ; que partant, les déclarations de ces distributeurs ne revêtent pas de degré de fiabilité suffisant d'autant que d'autres éléments du dossier démontrent que l'absence de relations commerciales de la société Philips avec ces revendeurs ne proviendraient pas du fait qu'ils pratiquaient des prix en dessous du prix prétendument conseillé mais plus exactement, de l'absence de commande passée par ces distributeurs ou encore de leur absence de garanties financières estimées suffisantes ; qu'en définitive, les déclarations de ces distributeurs reprises aux points 164, 165 et 166 de la Décision, ne permettent pas de considérer de manière univoque que la société Philips diffuse des prix conseillés ;

Qu'il y a encore lieu de constater que le point 18 de la Décision reprenant les tableaux transmis par la société Avantage à l'appui de sa saisine, ne fait contrairement aux affirmations de la société requérante, à une exception près concernant les lecteurs DVD, mention d'aucun prix conseillé pour les produits de marque Philips ; que les énonciations de la Décision tirées de ces tableaux pour démontrer la réalité d'une évocation habituelle et générale de prix imputable à la société Philips sont dans ces conditions, radicalement inopérants ;

Que par ailleurs, les contrats de services présentés au paragraphe 169 de la Décision que la société Philips reconnaît signer avec ses distributeurs ne contiennent aucune disposition relative aux prix de détail ou au respect de la politique tarifaire de ce fournisseur ; qu'il ne saurait ainsi être soutenu avec certitude, en l'absence d'élément crédible et univoque exclusif de toute autre explication qui ne soit pas tirée des enregistrements clandestins déloyaux, que ces contrats permettaient à la société Philips de contrôler l'application des prétendus prix conseillés ;

Considérant qu'en définitive, il ne peut à partir de ces éléments fragmentaires et épars, non accompagnés d'investigations auprès des grandes enseignes de la distribution dont plusieurs s'étaient manifestées spontanément lors de l'examen de la demande de mesures conservatoires, être affirmé avec une pleine exactitude et à suffisance que des prix portant sur des produits non encore commercialisés ont, oralement ou non, été évoqués entre la société Philips et ses distributeurs et que par ailleurs, l'alignement des prix pratiqués par la plupart des distributeurs de ce fournisseur ne peut s'expliquer que par cette évocation ;

Qu'aucune réalité d'entente verticale sur des prix minimum ne peut être en l'état établie envers la société Philips au titre de la période comprise entre novembre 1997 et fin 1998 ; que la Décision déférée sera donc annulée et la poursuite de l'instruction par l'Autorité de la concurrence, décidée dans les termes du dispositif ci-après, notamment à partir des preuves documentaires ayant accompagné la saisine de la société Avantage comme à partir des précédents dont l'existence a été notée dès la décision du 8 septembre 1998 statuant sur la demande de mesures conservatoires ;

2.2.2. Quant à la société Sony

Considérant que ce fournisseur critique la Décision en expliquant que celle-ci ne démontre pas à suffisance, l'invitation faite à ses distributeurs de participer à une infraction sur les prix par la preuve de l'existence d'une diffusion générale de prix conseillés analysés comme des prix imposés ;

Qu'il explique que le Conseil s'est a fortiori trouvé dans l'incapacité de fournir la preuve directe de l'acquiescement de ses distributeurs, l'enquête administrative ayant notamment ignoré les grandes enseignes de distribution de produits d'électroniques grand public avec lesquelles elle réalise pourtant 80 % de ses ventes ; qu'il s'est abstenu de répondre aux observations d'une quinzaine de ces enseignes lorsque celles-ci ont soutenu à l'occasion de l'examen de la demande de mesures conservatoires qu'elles conservaient la pleine maîtrise de leur politique tarifaire ; qu'il n'a pas davantage tenu compte des déclarations de plusieurs distributeurs entendus au cours de l'enquête administrative alors que ces déclarations permettaient de contredire la thèse de l'infraction ; que le dossier tel qu'établi depuis l'examen de la demande de mesures conservatoires jusqu'à la fin de l'instruction, contient en réalité beaucoup plus de déclarations ou pièces émanant de distributeurs interdisant de retenir une qualification d'entente que le contraire ; qu'en conclusion, l'extrapolation des seuls éléments tirés de la relation entre elle et la société Avantage procède d'un amalgame incompatible avec la qualification des faits retenue contre lui ;

Considérant que la société Sony relève que les seuls indices neutres et objectifs de la Décision et du dossier pouvant servir à caractériser l'évocation de prix de détail entre elle et ses distributeurs se rapportent aux éléments tirés de sa relation avec la société Avantage, des déclarations de la société Marcopoly et de l'interprétation du catalogue de prix de la SNER ;

Considérant qu'il est exact que l'examen attentif de ces éléments ne permet nullement de démontrer, au-delà d'une communication réalisée dans la quinzaine de jours ayant suivi l'ouverture de son compte, la réalité d'une communication de prix effectuée par ce fournisseur à l'intention de la société Avantage alors que l'infraction retenue concerne une période comprise entre septembre 1997 et fin 1998 ;

Qu'il ressort par ailleurs du dossier qu'un autre distributeur, la société Marcopoly, non cliente de la société Sony à la période des faits, n'a pas nonobstant l'engagement pris devant les inspecteurs de la DGCCRF l'auditionnant (cote 489), communiqué un quelconque document faisant état de prix conseillés par ce fournisseur ;

Qu'en outre, les éléments sur lesquels le Conseil se fonde aux paragraphes 18 et 208 de la Décision pour, au-delà de pratiques ponctuelles qu'il a lui-même reconnues, soutenir l'existence d'une politique générale de diffusion de prix conseillés par la société Sony, sont inopérants ; que celle-ci démontre dans ses écritures, sans être contredite, que l'analyse attentive des données reprises aux tableaux reproduits par la Décision permet de conclure que les prix de vente conseillés au détail portés au catalogue de la société SNER sont, dans 37 % des cas, différents des prix de vente indiqués à la société Avantage lors de l'ouverture de son compte si bien qu'il ne peut en être déduit avec exactitude que les mêmes prix de détail ont été diffusés à ces deux distributeurs ;

Considérant que les énonciations de la Décision tirés d'un prétendu système de contrôle des prix à partir de la mise en œuvre du contrat de coopération marketing proposé par la société Sony France à ses distributeurs n'est pas, en ce qui concerne la réalité de ce premier indice, davantage éclairant ; qu'il peut ainsi être relevé au paragraphe 321 de la Décision que ce contrat, au demeurant postérieur aux faits examinés par le Conseil, "ne contient aucune stipulation relative au respect de la politique tarifaire de Sony ou à l'existence de prix imposé de nature à conduire à une politique d'imposition de marge" ;

Considérant que la société Sony France réfute toute possibilité de démonstration d'un système de contrôle des prix de détail nécessaire à la caractérisation d'une infraction d'entente générale sur les prix, par simple extrapolation des relations qu'elle a pu entretenir avec la société Avantage ;

Qu'il est exact que cette approche ne peut à elle seule, permettre de prouver les pratiques anticoncurrentielles incriminées ;

Considérant que faute d'éléments probants se rapportant à 80 % du réseau de distribution de la société Sony France, l'infraction d'entente verticale sur les prix imposés prétendument mise en œuvre par ce fournisseur ne peut être retenue à suffisance de fait et de droit ; qu'il n'est pas superflu de relever qu'aucun des autres distributeurs auditionnés (Serap, Rue du Commerce, Clust, Connexion, Coopérateur de Finances) ou ayant déposé des observations dans le cadre de la procédure d'examen des mesures conservatoires n'a signalé avoir rencontré la moindre difficulté avec ce fournisseur pour ce qui concerne sa politique de prix de vente au détail, nonobstant des pratiques de prix réduits au regard de celles pratiquées par la distribution traditionnelle ;

Considérant qu'au vu de ces constatations déterminantes aucune réalité d'entente verticale sur des prix minimum ne peut être en l'état établie envers la société Sony France ; que la Décision déférée sera donc annulée et la poursuite de l'instruction par l'Autorité de la concurrence, décidée dans les termes du dispositif ci-après, notamment à partir des preuves documentaires ayant accompagné la saisine de la société Avantage comme à partir des précédents dont l'existence a été notée dès la décision du 8 septembre 1998 statuant sur la demande de mesures conservatoires ;

Considérant que les seules dispositions applicables au cas d'espèce pour ce qui concerne le délai de prescription ont en effet leur siège dans l'article L. 462-7 du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 et non dans celles de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 (article 5 II de cette ordonnance) ;

Que ces dispositions applicables énoncent simplement : "Le conseil [Le Conseil] ne peut être saisi de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction." ;

Considérant encore que le présent arrêt constitue le titre qui ouvre droit à restitution des sommes versées en exécution de la décision annulée assorties des intérêts au taux légal à compter de cette décision ; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil au bénéfice de la société Philips France qui le demande ;

Considérant que les dépens de cette affaire seront mis à la charge de l'Autorité de la concurrence ;

Par ces motifs, LA COUR, Sur le recours de la société de droit anglais Sony Europe Limited et de la société Philips France, Déclare la demande de M. Joseph Pernot ès qualités de directeur de la société à responsabilité limitée Avantage irrecevable en sa demande de mise en œuvre des dispositions de l'article R. 464-17 du Code de commerce, Déclare la société à responsabilité limitée Avantage exerçant sous l'enseigne TVHA irrecevable en son recours, Déclare M. Joseph Pernot irrecevable en sa demande d'intervention volontaire à titre accessoire, Expurge du dossier et des débats, les enregistrements déloyaux figurant au dossier de l'Autorité de la concurrence ainsi que les procès-verbaux des sociétés SNER et SCIE-CREL des 5 décembre et 18 septembre 2002 outre les procès-verbaux de MM. Frédéric Marie du 21 mars 2003, Joseph Pernot du 6 mars 2003 et Gibert du 4 octobre 2002, les passages du rapport administratif d'enquête exclusivement centrés sur les enregistrements litigieux (pp. 8-9, 11-12, 15, 83, 86, 88-89, 99-101, 104-105, 111-114, 122), ceux de la notification de griefs [paragraphes 25,28 de ("toutefois" à "façon"), 32 à 34, 39 à 41, 46 à 53, 55, 57 à 63, 65, 66, 67 à 166, 168 à 198, 242, 243, 247 à 251, 260 à 267, 271 à 278) ainsi que ceux du rapport établis à partir des dits enregistrements et des pièces qui en découlent (tout particulièrement les paragraphes 44, 95 à 98, 109, 111 à 112, 125, 129, 134, 136, 155 à 157, 165 à 167, 177, 179 à 181, 184, 203, 207, 208, 210, 216, 244, 250, 253, 270, 271, 286 sauf pour ce qui concerne la société Marcopoly, 287, 297, 304 à 306, 324) et ceux de la Décision induits par ces enregistrements [paragraphes 24, 28 à 129, 132 à 139, 142 à 143, 145 à 149, 152 à 156, 157, 159, 160 à 162, 192 à 194, 195 à 222, 223 à 229, 249 (de "dans les conversations enregistrées" à "prix conseillés"), 259 à 263, 265, 293, 294, 298, 299, 307 (de "de même" à "fournisseurs") 327 ) et tout autre élément induit par ces énonciations et documents, Annule la décision n° 05-D-66 du Conseil de la concurrence aujourd'hui Autorité de la concurrence du 5 décembre 2005 tant en ce qui concerne la société de droit anglais Sony Europe Limited que la société Philips France, Renvoie l'examen de cette affaire à l'Autorité de la concurrence pour poursuite de l'instruction, Rappelle que le présent arrêt constitue le titre qui ouvre droit à restitution des sommes versées en exécution de la décision annulée assorties des intérêts au taux légal à compter de cet arrêt, Ordonne au bénéfice de la société Philips France, la capitalisation des intérêts dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil, Rejette toute autre demande, Dit que l'Autorité de la concurrence supportera le coût des dépens de cette affaire.