Cass. crim., 25 janvier 2012, n° 10-85.476
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Bayet
Avocat général :
M. Finielz
Avocats :
SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 20 mai 2010, qui a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, ayant autorisé l'administration de la concurrence à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 455, 458 du Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale, violation par fausse application du principe de proportionnalité posé par l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé les ordonnances du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Meaux en date des 6 avril et 20 novembre 2008 en ce qu'elles autorisent le ministère de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi à procéder aux visites et saisies prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce dans les locaux de la société X SAS ;
"aux motifs que la société X SAS exerce une activité de négoce et de distribution de produits de métaux non ferreux, principalement l'aluminium, le cuivre et alliage de cuivre et les fils et barres en laiton à destination de l'industrie du décolletage ; qu'à l'appui de son recours, ladite société soutient que le juge des libertés et de la détention a délivré, en violation de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une autorisation générale et indéterminée en ce qu'elle ne délimite pas le marché concerné par les mesures de visites et de saisies autorisées, parmi ses diverses activités ; que la DGCCRF indique que le champ de son enquête concernait le secteur de la production et ou la commercialisation de semi-produits en cuivre ou en alliage de cuivre et soutient que l'ordonnance critiquée, s'en tenant aux présomptions résultant de l'analyse des documents produits en annexe à la requête, a parfaitement limité à ce secteur le périmètre des investigations autorisées ; que, comme l'indique elle-même la DGCCRF, le champ des investigations ne doit pas avoir un caractère général et le juge doit préciser le secteur sur lequel portent les recherches qu'il autorise ; que l'ordonnance critiquée autorise les agents de la DGCCRF "à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par le point 2 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81-1 du Traité de Rome, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée" après avoir retenu que les "entreprises actives dans le secteur des semi-produits en cuivre et ou en alliage de cuivre, s'entendent sur le prix de ces produits et, s'agissant notamment des tubes en cuivre sanitaires et ou des barres et fils en laiton pour le matriçage et le décolletage, s'entendent, d'une part, pour adopter les prix du barème KME France pour les tubes de cuivre sanitaires, et les prix du barème KME Brass pour les barres et fils de laiton pour le matriçage et le décolletage, et d'autre part, pour suivre l'indice tubes cuivre bâtiment déterminé et diffusé par KME France et ou la base métal laiton décolletage et matriçage déterminée et diffusée par KME Brass, pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° du Code de commerce et l'article 81-1 du traité instituant la Communauté européenne" ; qu'en autorisant, de façon générale, la recherche de "la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par le point 2 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81-1 du Traité de Rome, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée", sans préciser le secteur d'activité des sociétés visées et les produits sur lesquels les recherches pouvaient porter, alors qu'il retenait des présomptions circonscrites à certains produits et à certains agissements déterminés, le juge des libertés et de la détention n'a pas respecté le principe de proportionnalité posé par l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ni les prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que ni les agents chargés de procéder aux recherches ni les personnes visées par celles-ci n'ont à se livrer à une analyse des pièces produites au juge des libertés et de la détention et à l'interprétation des motifs de son ordonnance pour déterminer quel peut être le périmètre des investigations qu'il autorise dans le dispositif de sa décision ; que les ordonnances déférées doivent donc être annulées en ce qu'elles autorisent le ministère de l'économie de l'industrie et de l'emploi à procéder à des visites et des saisies dans les locaux de l'appelante ;
"1°) alors que c'est l'enquête demandée par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, qui définit l'objet et le champ des investigations dont l'autorisation est sollicitée ; qu'après avoir visé la demande d'enquête du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, en date du 19 septembre 2008, relative aux pratiques susceptibles d'être relevées dans le secteur de la production et ou commercialisation des semi-produits en cuivre et en alliage de cuivre, l'ordonnance entreprise qui a autorisé la visite et saisie de documents, en vue de rechercher la preuve de pratiques, telles qu'elles sont décrites et analysées dans son ordonnance qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par le point 2 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81-1 du Traité de Rome, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée, n'a pas délivré une autorisation générale et indéterminée, et a respecté les prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, l'ordonnance attaquée a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"2°) alors que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'exige pas que le juge qui délivre une autorisation de visite et saisie en vue de la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles sur la base d'une demande d'enquête de la Commission européenne, du ministre chargé de l'Economie ou du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, précise le secteur d'activité des sociétés visées et les produits sur lesquels les recherches peuvent porter, quand bien même il aurait retenu des présomptions circonscrites à certains produits et à certains agissements déterminés ; qu'il suffit qu'il décrive et analyse dans son ordonnance des pratiques susceptibles d'être relevées dans le secteur défini par la demande d'enquête et entrant dans le champ des pratiques prohibées par tel ou tel point de l'article L. 420-1 du Code de commerce et ou de l'article 81-1 du Traité de Rome ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, l'ordonnance attaquée a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce";
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles L. 420-1 et L. 450-4 du Code de commerce ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour annuler les ordonnances précitées du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée retient qu'en autorisant, de façon générale, sur la base de présomptions circonscrites à certains produits et agissements déterminés, la recherche de la preuve de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, sans préciser le secteur d'activité de la société concernée et les produits sur lesquels les recherches pouvaient porter, n'a pas respecté le principe de proportionnalité posé par l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ni les prescriptions de l'article L. 450-4 du Code précité ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans égard aux énonciations des ordonnances entreprises, autorisant des visites et saisies de documents en vue de la recherche de la preuve de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 précité, dans le secteur tel que décrit et analysé par le premier juge, d'où il résulte que l'autorisation délivrée n'est ni générale, ni indéterminée, le juge n'a pas justifié sa décision ; D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs : Casse et annule l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 20 mai 2010 ; Et pour qu'il soit, à nouveau, jugé conformément à la loi ; Renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Paris, autrement composée.