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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 15 février 2012, n° 10-07622

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Air Concept (SA), Selarl Duquesnoy et Associés (ès qual.)

Défendeur :

Colt France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

MM. Deleneuville, Brunel

Avoués :

SCP Deleforge, Franchi, SCP Congos, Vandendaele

Avocats :

Mes Druesne, Ceccaldi

T. com. Lille, du 18 juin 2009

18 juin 2009

Vu le jugement contradictoire du 18 juin 2009 du Tribunal de commerce de Lille qui, après avoir constaté l'existence d'une relation commerciale établie depuis vingt ans entre la SA Air Concept et la SARL Colt France, a jugé que la SARL Colt France aurait dû respecter un préavis de 18 mois, condamné cette dernière à payer à la SA Air Concept une somme de 102 670 euro en réparation de son préjudice économique, rejeté la demande de dédommagement de l'atteinte à l'image et l'indemnité pour violation de l'exclusivité réclamées par la SA Air Concept, imposé à cette dernière de ne plus utiliser la marque Colt France ainsi que la mention Concessionnaire Exclusif Colt sur ses documents commerciaux sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter du 8e jour après la signification du jugement, s'est réservé la liquidation de l'astreinte, a ordonné l'exécution provisoire et condamné la SARL Colt France à payer à la SA Air Concept la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 29 juillet 2009 par la SA Air Concept (dossier n° 09-5593) ;

Vu l'appel interjeté le 30 juillet 2009 par la SARL Colt France (dossier n° 09-5641) ;

Vu l'ordonnance de jonction du dossier n° 09-5641 avec le dossier n° 09-5593 du 4 février 2010 du magistrat chargé de la mise en état ;

Vu les conclusions déposées le 10 mars 2010 pour la SA Air Concept et pour la Selarl Duquesnoy et Associés, représentée par Me Sébastien Depreux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci depuis le 25 février 2010, intervenant volontaire ;

Vu les conclusions déposées le 30 avril 2010 pour la SARL Colt France ;

Vu l'ordonnance de clôture du 17 juin 2010 ;

Vu le retrait du rôle de l'affaire à la demande des avoués des parties ;

Vu la demande de remise au rôle en date du 27 octobre 2010 émanant de l'avoué de la SA Air Concept ;

Vu l'ordonnance de clôture du 8 septembre 2011 ;

Attendu que la société Air Concept et son liquidateur judiciaire ont interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris en ce que le tribunal, après avoir jugé que la rupture de la relation commerciale entretenue par les parties avait été brutale, n'a pas évalué exactement le préjudice qui en est découlé, condamnation de la société Colt France à payer 308 000 euro de dommages et intérêts pour préjudice économique, 20 000 euro pour atteinte à l'image de la société Air Concept, ainsi que 75 000 euro pour violation, pendant le préavis de six mois, de l'exclusivité contractuelle accordée à cette dernière, outre 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société Colt France sollicite le débouté, la condamnation de la société Air Concept à lui restituer la somme de 75 272,34 euro qu'elle lui a versée à raison de l'exécution provisoire ordonnée par les premiers juges, ainsi qu'à lui payer 30 680 euro TTC pour une facture du 29 octobre 2008 relevant de l'article L. 622-17 du Code de commerce, la confirmation du jugement déféré pour le surplus et la fixation au passif de la société Air Concept de la somme de 5 000 euro pour la couverture de ses frais irrépétibles ;

SUR CE :

Attendu que M. Charlier a, le 18 novembre 1987, conclu avec la société Colt International, un contrat de concession exclusive de vente dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais des appareils de chauffage, ventilation, climatisation de marque Colt, concession transférée par avenant du 14 octobre 1988 à la société Air Concept, créée par M. Charlier le 1er mars 1988 ; que le 2 mai 1994 la société Colt France ayant pris la suite de la société Colt International, a confié à la société Air Concept la représentation exclusive des produits Colt dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, étendue, par un avenant du 8 octobre 1999, à une partie des départements de l'Oise et de la Somme, puis par un dernier avenant du 29 juin 2001, au département de l'Aisne ;

Attendu que la société Air Concept a été déclarée en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing le 3 avril 2003 avant de bénéficier d'un plan de continuation avec apurement du passif en 10 ans ; que pour permettre à la société Air Concept de réaliser les objectifs prévus au plan, la société Colt France a consenti un abandon de créance de 50 %, la ramenant de 220 696,24 euro à 110 348,12 euro ;

Attendu que le contrat a été renouvelé d'année en année par tacite reconduction après le 1er janvier 2004 ; que par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 27 juin 2008, la société Colt France a notifié à la société Air Concept sa décision de résilier le contrat de distribution exclusive à compter du 1er janvier 2009 ; que les discussions entre les parties n'ayant pas abouti, la société Air Concept, par acte du 27 janvier 2009, a assigné la société Colt France devant le Tribunal de commerce de Lille en vue de la faire condamner à lui payer diverses indemnités ; que le tribunal a rendu le jugement entrepris ;

Attendu qu'en cours d'instance devant la cour, la société Air Concept a été déclarée en liquidation judiciaire le 25 février 2010, la Selarl Duquesnoy et Associés, représentée par Me Sébastien Depreux, étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire auquel la société Colt France a déclaré ses créances le 14 avril 2010 (créance postérieure au jugement d'ouverture : 72 272,34 euro au titre de la restitution des sommes acquittées en exécution du jugement attaqué, 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; créance chirographaire : 129 570,77 euro au titre du solde de sa créance telle qu'arrêtée par le plan ayant été résolu) ; qu'il convient de constater l'intervention volontaire de la Selarl Duquesnoy et Associés, représentée par Me Sébastien Depreux, à la présente instance ;

Sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie

Attendu que les parties s'accordent pour admettre qu'elles ont entretenu, au moins depuis le 2 mai 1994, date à laquelle la société Colt France, nouvellement constituée pour reprendre les activités de la société Colt International, a confié à la société Air Concept la représentation exclusive des produits Colt dans le Nord de la France, une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Attendu que la société Air Concept soutient que la perte de l'exclusivité dans la zone qui lui est concédée constitue une rupture brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; qu'elle ajoute que le courant d'affaires entre les parties a considérablement chuté, passant de 281 117,52 euro en 2008 à 33 811,83 euro en 2009, et que les conditions tarifaires d'une année sur l'autre n'étaient pas identiques ;

Attendu que la société Colt France répond qu'elle n'a pas rompu la relation contractuelle, qu'elle a simplement mis fin à l'exclusivité dont bénéficiait la société Air Concept dans la zone définie au contrat, son objectif étant de relancer les clients qui étaient délaissés par cette dernière ; que les conditions tarifaires qu'elle lui a consenties à compter du 1er janvier 2009 ont été identiques, à savoir " prix d'achat COLT/0,84/0,8859 ", que sa dernière commande est datée du 6 octobre 2009 ; que si le chiffre d'affaires de la société Air Concept a baissé de 49,55 % en 2009, celui de la société Colt France a également baissé de 53,35 %, la chute étant commune à tout le secteur du fait de la crise économique ;

Attendu qu'en vertu de l'article L. 442-6-I du Code de commerce, engage sa responsabilité et l'oblige à réparer le préjudice qui en découle, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, sans préavis écrit, une relation commerciale établie ;

Attendu que la perte de l'exclusivité n'entre pas dans les prévisions de ce texte en ce qu'elle ne constitue pas une rupture, même partielle, de la relation, comme jugé par la Cour de cassation (Chambre commerciale, 9 mars 2010, pourvoi n° 08-20.036) ; qu'en l'espèce il n'est pas démontré que la société Colt France aurait refusé de livrer à son concessionnaire, la société Air Concept, à partir du 1er janvier 2009, ne serait-ce qu'une fraction de la gamme d'appareils figurant à son catalogue, la diminution du volume d'affaires, commune aux deux parties, étant attribuée à la contraction soudaine du marché ;

Attendu que le jugement doit en conséquence être infirmé en ce que les premiers juges ont cru pouvoir faire droit à la demande d'indemnisation de la société Air Concept ;

Sur la violation de l'exclusivité pendant le préavis

Attendu que la société Air Concept indique qu'une commande émanant de la société Imper Étanchéité a été traitée directement par la société Colt France en fin d'année 2008 ; que c'est à tort que la société Colt France, et le tribunal, ont considéré qu'il s'agissait d'une fourniture hors de sa zone de concession exclusive en ce qu'elle était destinée à Aéroports de Paris à Roissy, la société Imper Étanchéité ayant son siège dans l'Oise ; qu'elle en déduit être fondée à réclamer une indemnité de 75 000 euro ;

Attendu que, selon l'article 1.3 du contrat du 29 juin 2001, la concession de la société Air Concept couvre "les départements 02, 59 et 62, ainsi que les secteurs à droite de l'autoroute A1 pour les départements 60 et 80", ajoutant "sont réputées conclues dans le territoire les ventes des produits faisant l'objet de travaux réalisés dans ledit territoire" ;

Attendu que la société Air Concept indiquant elle-même que la commande litigieuse portait sur des fournitures destinées à l'aéroport de Roissy, situé hors du département de l'Oise, il s'ensuit que la société Colt France n'a pas méconnu l'exclusivité dont bénéficiait son adversaire jusqu'à la fin de l'année 2008 ; que le jugement attaqué doit être confirmé sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Colt France

Attendu que la demande de la société Colt France tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Air Concept de ne plus utiliser la mention " concessionnaire exclusif Colt " sur ses documents commerciaux, sous astreinte de 300 euro par jour de retard est devenue sans objet par suite de la cessation d'activité de cette dernière depuis le 31 mars 2010 ;

Attendu que la société Colt France, au visa de l'article L. 622-17 du Code de commerce, demande la condamnation de la société Air Concept, en liquidation judiciaire, à lui restituer la somme de 75 272,34 euro qu'elle lui a versée dans le cadre de l'exécution provisoire ordonnée par les premiers juges, ainsi qu'à lui payer sa facture d'octobre 2008 (30 680 euro TTC), que la société Air Concept restait lui devoir au jour de sa liquidation judiciaire (facture qui a fait l'objet d'une compensation avec l'indemnité de 102 670 euro, augmentée des 700 euro accordés au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et des frais, soit un total de 105 952,34 euro, donnant un solde de 75 272,34 euro après soustraction de cette facture de 30 680 euro) ;

Attendu cependant qu'une créance de restitution naît, non au jour où la restitution est ordonnée, mais au jour où elle a été versée (cf. Cour de cassation, Chambre commerciale, du 23 janvier 2007, pourvoi n° 05-13.995) ; qu'en l'espèce, la société Colt France ayant versé la somme de 75 272,34 euro à la société Air Concept courant juillet 2009, cette dernière ne peut être condamnée à restituer cette somme qui a uniquement vocation à figurer à son passif ;

Attendu enfin que la facture de 30 680 euro TTC représentant une créance de la société Colt France antérieure au jugement de liquidation judiciaire de la société Air Concept, celle-ci ne peut être condamnée à la payer à son adversaire ; que, faute d'avoir été déclarée entre les mains de la Selarl Duquesnoy et Associés, représentée par Me Sébastien Depreux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Air Concept, elle ne peut être admise au passif de cette dernière ;

Attendu qu'il est équitable de mettre à la charge de la société Air Concept, en liquidation judiciaire, la somme de 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, laquelle fera l'objet d'une inscription au passif liquidatif de cette dernière, comme sollicité par la société Colt France;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe, Reçoit la Selarl Duquesnoy et Associés, représentée par Me Sébastien Depreux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Air Concept depuis le 25 février 2010, en son intervention volontaire, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de dédommagement de l'atteinte à l'image et l'indemnité pour violation de l'exclusivité réclamées par la SA Air Concept, Constate que la demande de la SARL Colt France portant sur l'interdiction faite à la SA Air Concept d'utiliser la marque Colt France ainsi que la mention Concessionnaire Exclusif Colt sur ses documents commerciaux sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter du 8e jour après la signification du jugement, n'a plus d'objet, Infirme le jugement entrepris pour le surplus, Déboute la SA Air Concept de sa demande de condamnation de la SARL Colt France à lui payer une indemnité pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, Déboute la SARL Colt France de sa demande la condamnation de la société Air Concept, en liquidation judiciaire, à lui restituer la somme de 75 272,34 euro ainsi qu'à lui payer sa facture d'octobre 2008 de 30 680 euro TTC, Dit que la somme de 5 000 euro, mise à la charge de la SA Air Concept, en liquidation judiciaire, en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, figurera au passif de la SARL Colt France, Condamne la SA Air Concept, en liquidation judiciaire, aux dépens de première instance et d'appel.