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Décisions

Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-17.574

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Compagnie générale éditions officielles (SAS)

Défendeur :

Benoliel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocats :

SCP Coutard, Munier-Apaire, SCP Gatineau, Fattaccini

Nîmes, ch. soc., du 16 mars 2010

16 mars 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 16 mars 2010) que M. Benoliel, a été engagé par la société Compagnie générale éditions officielles en qualité de représentant exclusif en publicité ayant le statut de VRP ; que l'employeur a, s'agissant des frais professionnels de son salarié, mis en œuvre une déduction forfaitaire de 30 % appliquée sur le montant des commissions brutes dues ; que M. Benoliel a, par courrier du 28 juillet 2006, pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, lui reprochant de ne pas avoir procédé au règlement de ses frais professionnels ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer à ce titre diverses sommes au salarié, alors, selon le moyen : 1°) que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il impute à l'employeur, la prise d'acte ne peut produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs invoqués par le salarié ne sont ni établis ni justifiés ; qu'en l'espèce, il est constant que par lettre du 28 juillet 2006, M. Benoliel avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à la CGEO de ne pas lui avoir remboursé ses frais professionnels du mois de juin 2006 ; qu'après avoir elle-même constaté que M. Benoliel, non seulement avait bénéficié de l'abattement forfaitaire des frais, mais en outre ne démontrait pas que ses frais réels auraient été supérieurs aux montants dont il avait bénéficié, et après l'avoir débouté de sa demande à ce titre, la cour d'appel ne pouvait dire que la prise d'acte de la rupture produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans violer ensemble, les articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 (anciens), devenus respectivement L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1, du Code du travail ; 2°) que la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail suppose l'existence d'un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait dire que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en reprochant simplement à la CGEO d'avoir appliqué la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels à M. Benoliel sans obtenir son accord exprès, puisqu'il est constant que M. Benoliel, comme tous les salariés, bénéficiait de ce régime depuis son embauche, deux ans plus tôt, et qu'elle constatait elle-même que le salarié avait bénéficié d'une déduction forfaitaire au moins égale, voire supérieure à ses frais réels, de sorte que le manquement qu'elle imputait à la CGEO n'était pas suffisamment grave pour faire immédiatement obstacle à la poursuite du contrat de travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a derechef violé, ensemble, les articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 (anciens), devenus respectivement L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1, du Code du travail ; 3°) que dans ses conclusions d'appel, la CGEO faisait valoir que l'option pour la déduction forfaitaire spécifique en vigueur dans l'entreprise avait été appliquée à l'ensemble des salariés et, depuis son embauche en 2004, à M. Benoliel, de sorte que la lettre de M. Benoliel du 15 juillet 2006 ne pouvait produire effet avant le 1er janvier 2007 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, de nature à établir que la prise d'acte de la rupture, intervenue dès le 28 juillet 2006, soit moins de quinze jours après l'envoi de sa lettre de réclamation, était à la fois précipitée, prématurée et injustifiée puisque ce grief n'était pas de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) que dans ses conclusions d'appel, la CGEO, qui soulignait le caractère particulièrement généreux de la prise en charge forfaitaire des frais professionnels qui couvrait les frais réels, voire plus, et était même supérieure aux demandes judiciaires formées par le salarié, faisait observer que la précipitation avec laquelle M. Benoliel avait pris acte de la rupture, après sa réclamation courant juillet, sans attendre la réponse de son employeur et sans même lui adresser ses justificatifs - qu'il ne justifiait pas plus devant le juge -, masquait mal le véritable motif de la rupture : "l'existence d'une embauche immédiate dans une autre entreprise " ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, de nature à établir que M. Benoliel avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, non en raison du comportement de la CGEO, à l'encontre de laquelle le salarié invoquait un grief injustifié, mais pour entrer immédiatement au service d'un autre employeur, et, en réalité, démissionner sans respect d'aucun préavis, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la déduction forfaitaire des frais professionnels n'était pas prévue par un accord collectif, n'avait pas été soumise à l'avis des représentants du personnel, et que l'employeur n'avait pas demandé l'accord exprès du salarié, la cour d'appel a souverainement estimé qu'un tel manquement justifiait la prise d'acte de la rupture par le salarié ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié : - Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des frais professionnels, alors, selon le moyen : 1°) que les frais exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC ; qu'à défaut de stipulation contractuelle fixant à l'avance de manière forfaitaire le remboursement des frais professionnels du salarié, l'employeur ne peut en conséquence lui opposer, pour refuser tout remboursement, un abattement forfaitaire de 30 % unilatéralement appliqué, dans les bulletins de paie, sur le montant des commissions ; qu'en l'espèce, le contrat de travail stipulait les modalités de calcul des commissions du salarié d'une part, indiquait qu'il utiliserait son propre véhicule pour son travail d'autre part, ne prévoyait enfin aucune stipulation afférente au remboursement des frais professionnels ni ne visait la déduction forfaitaire appliquée dans les bulletins de paie, ce que la cour d'appel a expressément constaté ; qu'en affirmant que l'abattement forfaitaire empêchait le salarié d'obtenir le remboursement de ses frais professionnels, sauf à démontrer que ses frais réels étaient supérieurs à l'avantage forfaitaire consenti, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du Code du travail ; 2°) que le salarié produisait ses comptes-rendus hebdomadaires et autres fiches de prospection, sur la base desquels l'employeur avait calculé et réglé son salaire, faisant apparaître tant la localisation de ses déplacements que les noms et villes des clients visités, en cohérence avec le décompte mensuel de ses frais versé aux débats ; qu'en affirmant que le salarié ne produisait aucun justificatif de ses frais, la cour d'appel a violé le principe faisant interdiction aux juges de dénaturer les documents de la cause ;

Mais attendu, d'une part, que dans l'hypothèse d'une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, le taux de commission est majoré pour tenir compte de l'existence de ceux-ci, les parties décidant de la part des commissions représentant l'indemnisation desdits frais ; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a dit que l'avantage consenti à M. Benoliel au titre de l'abattement forfaitaire ne saurait se cumuler avec le remboursement des frais réels qu'il avait exposés ;

Attendu, d'autre part, que le salarié faisait valoir dans ses écritures en cause d'appel que ses frais professionnels correspondaient mois par mois à 30 % de sa rémunération contractuelle ; que la cour d'appel, qui a relevé que M. Benoliel avait bénéficié d'une déduction forfaitaire de 30 % pour frais professionnels, et retenu, dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, qu'il n'établissait pas que les frais réels qu'il avait exposés aient été supérieurs à l'avantage consenti, a, sans dénaturation, justifié légalement sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.