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Décisions

CJUE, 3e ch., 17 janvier 2012, n° C-302/10

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Infopaq International A/S

Défendeur :

Danske Dagblades Forening

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lenaerts

Avocat général :

M. Trstenjak

Juges :

MM. Malenovský (rapporteur), Juhász, Arestis, Von Danwitz

Avocats :

Mes Jensen, Dahl Pedersen

CJUE n° C-302/10

17 janvier 2012

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 5, paragraphes 1 et 5, de la directive 2001-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (JO L 167, p. 10).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Infopaq International A/S (ci-après "Infopaq") à la Danske Dagblades Forening (ci-après la "DDF") au sujet du rejet de la demande d'Infopaq tendant à ce qu'il soit reconnu qu'elle n'était pas tenue d'obtenir le consentement des titulaires des droits d'auteur pour les actes de reproduction d'articles de presse au moyen d'un procédé automatisé consistant en la numérisation par balayage et la conversion de ceux-ci en fichier numérique suivie du traitement électronique de ce fichier.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 La directive 2001-29 énonce à ses quatrième, neuvième à onzième, vingt et unième, vingt-deuxième, trente et unième ainsi que trente-troisième considérants:

"(4) Un cadre juridique harmonisé du droit d'auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux [...]

[...]

(9) Toute harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. [...]

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l'utilisation de leurs œuvres [...]

(11) Un système efficace et rigoureux de protection du droit d'auteur et des droits voisins est l'un des principaux instruments permettant de garantir à la création et à la production culturelles européennes l'obtention des ressources nécessaires et de préserver l'autonomie et la dignité des créateurs et interprètes.

[...]

(21) La présente directive doit définir le champ des actes couverts par le droit de reproduction en ce qui concerne les différents bénéficiaires, et ce conformément à l'acquis communautaire. Il convient de donner à ces actes une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur.

(22) Une promotion adéquate de la diffusion de la culture ne peut conduire à sacrifier la protection rigoureuse des droits et à tolérer les formes illégales de mise en circulation d'œuvres culturelles contrefaites ou piratées.

[...]

(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d'intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu'entre celles-ci et les utilisateurs d'objets protégés. [...]

[...]

(33) Le droit exclusif de reproduction doit faire l'objet d'une exception destinée à autoriser certains actes de reproduction provisoires, qui sont transitoires ou accessoires, qui font partie intégrante et essentielle d'un processus technique et qui sont exécutés dans le seul but de permettre soit une transmission efficace dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, soit une utilisation licite d'une œuvre ou d'un autre objet protégé. Les actes de reproduction concernés ne devraient avoir par eux-mêmes aucune valeur économique propre. Pour autant qu'ils remplissent ces conditions, cette exception couvre les actes qui permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching), y compris ceux qui permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission, sous réserve que l'intermédiaire ne modifie pas l'information et n'entrave pas l'utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l'industrie, dans le but d'obtenir des données sur l'utilisation de l'information. Une utilisation est réputée être licite lorsqu'elle est autorisée par le titulaire du droit ou n'est pas limitée par la loi."

4 L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-29 énonce:

"La présente directive porte sur la protection juridique du droit d'auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l'information."

5 Aux termes de l'article 2, sous a), de cette directive:

"Les États membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

a) pour les auteurs, de leurs œuvres".

6 L'article 5 de ladite directive énonce:

"1. Les actes de reproduction provisoires visés à l'article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et dont l'unique finalité est de permettre:

a) une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou

b) une utilisation licite d'une œuvre ou d'un objet protégé, et qui n'ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l'article 2.

[...]

3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :

[...]

c) lorsqu'il s'agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d'articles publiés sur des thèmes d'actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d'œuvres radiodiffusées ou d'autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n'est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l'auteur, soit indiquée, ou lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'œuvres ou d'autres objets protégés afin de rendre compte d'événements d'actualité, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi et sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur;

d) lorsqu'il s'agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu'elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, soit indiquée et qu'elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

[...]

5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit."

Le droit national

7 Les articles 2 et 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 ont été transposés dans l'ordre juridique danois par les articles 2 et 11 bis, paragraphe 1, de la loi n° 395, sur le droit d'auteur (lov n° 395 om ophavsret), du 14 juin 1995 (Lovtidende 1995 A, p. 1796), telle que modifiée et codifiée, notamment, par la loi n° 1051 (lov n° 1051), du 17 décembre 2002 (Lovtidende 2002 A, p. 7881).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Infopaq exerce des activités dans le domaine de la veille et de l'analyse de la presse écrite qui consistent, en substance, à établir des synthèses d'une sélection d'articles tirés de la presse quotidienne danoise et de divers périodiques. Cette sélection des articles est effectuée en fonction des thèmes choisis par les clients et elle est réalisée par un procédé dit "d'acquisition de données". Les synthèses sont envoyées aux clients par courrier électronique.

9 La DDF est un syndicat professionnel des quotidiens danois, qui a notamment pour objet d'assister ses membres pour toutes les questions concernant le droit d'auteur.

10 Au cours de l'année 2005, il a été porté à la connaissance de la DDF qu'Infopaq procédait au traitement, à des fins commerciales, d'articles tirés de publications sans le consentement des titulaires des droits d'auteur sur ces articles. Estimant qu'un tel consentement était nécessaire aux fins du traitement d'articles au moyen du procédé en cause, la DDF a averti Infopaq de sa position.

11 Le procédé d'acquisition de données comporte les cinq phases suivantes qui aboutissent, selon la DDF, à quatre actes de reproduction d'articles de presse.

12 Premièrement, les publications concernées font l'objet d'un enregistrement manuel dans une base de données électronique par les collaborateurs d'Infopaq.

13 Deuxièmement, il est procédé à la numérisation par balayage de ces publications, après que le dos de celles-ci a été découpé de telle sorte que toutes les feuilles soient volantes. La partie de la publication à traiter est sélectionnée dans la base de données avant l'insertion de la publication dans le numériseur à balayage (scanneur). L'opération permet de générer un fichier au format TIFF ("Tagged Image File Format") de chaque page de la publication (ci-après le "fichier TIFF"). Après la fin de cette opération, le fichier TIFF est transféré sur un serveur OCR ("Optical Character Recognition") (reconnaissance optique des caractères).

14 Troisièmement, ce serveur OCR convertit le fichier TIFF en données pouvant faire l'objet d'un traitement numérique. Au cours de ce procédé, l'image de chaque caractère est convertie en code numérique qui indique à l'ordinateur le type du caractère. Par exemple, l'image des lettres "TDC" est transformée en une information que l'ordinateur pourra traiter comme les lettres "TDC" et les convertir en un format de texte qui peut être reconnu par le système de l'ordinateur. Ces données sont sauvegardées sous la forme de fichiers texte qui peuvent être lus par n'importe quel logiciel de traitement de texte (ci-après le "fichier texte"). Le procédé OCR se termine par la suppression du fichier TIFF.

15 Quatrièmement, le fichier texte est analysé pour rechercher les mots clés prédéfinis. À chaque occurrence, un fichier est généré indiquant le titre, la section et le numéro de la page de la publication où figure le mot clé ainsi qu'une valeur, exprimée en pourcentage de 0 à 100, pour indiquer la position de ce mot clé dans le texte, facilitant ainsi la lecture de l'article. Pour en améliorer encore le repérage lors de la lecture de l'article, le mot clé est rapporté avec les cinq mots qui le précèdent et les cinq mots qui le suivent (ci-après l'"extrait composé de onze mots"). Le procédé se termine par la suppression du fichier texte.

16 Cinquièmement, le procédé d'acquisition de données s'achève par l'édition d'une fiche de suivi pour chaque page de la publication où figure le mot clé. Une fiche de suivi peut se présenter sous la forme suivante:

"4 novembre 2005 - Dagbladet Arbejderen, page 3 :

TDC: 73 % "prochaine cession du groupe de TDC, qui devrait être racheté par".

17 Infopaq a contesté qu'une telle activité nécessite le consentement des titulaires des droits d'auteur et il a saisi l'Østre Landsret d'un recours dirigé contre la DDF, en demandant qu'il soit ordonné à cette dernière de reconnaître qu'Infopaq a le droit d'utiliser le procédé susmentionné sans le consentement de ce syndicat professionnel ou de ses membres. L'Østre Landsret ayant rejeté ce recours, Infopaq a interjeté appel devant la juridiction de renvoi.

18 Selon cette dernière, il est constant que le consentement des titulaires des droits d'auteur n'est pas exigé pour exercer une activité de veille de la presse et de rédaction de synthèses pour autant qu'elle consiste en la lecture physique par l'homme de chaque publication, la sélection des articles pertinents sur la base des mots clés prédéfinis ainsi qu'en la transmission à l'auteur de la synthèse d'une fiche de résultat rédigée manuellement, avec l'indication du mot clé dans un article et la position de cet article dans la publication. De même, les parties au principal s'accordent sur le fait que, en elle-même, la rédaction d'une synthèse est licite et n'exige pas le consentement des titulaires desdits droits.

19 Il n'est pas davantage contesté que ledit procédé d'acquisition de données consiste en deux actes de reproduction, à savoir la création de fichiers TIFF lors de la numérisation par balayage des articles imprimés et la création de fichiers texte résultant de la conversion des fichiers TIFF. En outre, il est constant que ce procédé entraîne la reproduction de parties des articles numérisés dès lors que l'extrait composé de onze mots est mis en mémoire informatique et que ces onze mots font l'objet d'une fiche imprimée sur un support en papier.

20 Cependant, les parties au principal sont en désaccord sur la question de savoir si les deux derniers actes susmentionnés constituent des actes de reproduction visés à l'article 2 de la directive 2001-29. De même, elles s'opposent sur le point de savoir si l'ensemble des actes en cause au principal sont, le cas échéant, couverts par l'exemption du droit de reproduction prévue à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive.

21 Dans ces conditions, le Højesteret a, le 21 décembre 2007, décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de treize questions préjudicielles qui portaient sur l'interprétation des articles 2, sous a), et 5, paragraphes 1 et 5, de ladite directive.

22 La Cour a répondu à ces questions par l'arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C-5-08, Rec. p. I-6569), dans lequel elle a jugé, d'une part, qu'un acte effectué au cours d'un procédé d'acquisition de données, qui consistait à mettre en mémoire informatique l'extrait composé de onze mots ainsi qu'à imprimer cet extrait, était susceptible de relever de la notion de reproduction partielle au sens de l'article 2 de la directive 2001-29, si, ce qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier, les éléments ainsi repris étaient l'expression de la création intellectuelle propre à leur auteur. D'autre part, la Cour a conclu que si l'article 5, paragraphe 1, de cette directive permettait d'exempter du droit de reproduction des actes de reproduction transitoires ou accessoires, le dernier acte du procédé d'acquisition de données en cause au principal, au cours duquel Infopaq imprimait les extraits composés de onze mots, ne constituait pas un tel acte transitoire ou accessoire. Par conséquent, la Cour a décidé que cet acte et le procédé d'acquisition de données dont il faisait partie ne pouvaient être réalisés sans le consentement des titulaires de droit d'auteur.

23 Suite à cet arrêt, le Højesteret a cependant considéré qu'il pourrait être encore amené à se prononcer sur la question de savoir si Infopaq violait la directive 2001-29 en effectuant ledit procédé, à l'exception de l'impression de l'extrait composé de onze mots, c'est-à-dire en se limitant à la mise en œuvre des trois premiers actes de reproduction. En conséquence, le Højesteret a décidé de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

"1) Pour qu'un acte de reproduction puisse être considéré comme constituant 'une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique', au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive [2001-29], faut-il tenir compte du stade du procédé technique auquel il intervient ?

2) Un acte de reproduction peut-il être considéré comme constituant 'une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique' s'il consiste en la numérisation par balayage de l'intégralité d'articles de publications, opération effectuée manuellement et par laquelle lesdits articles, informations imprimées, sont convertis en données numérisées ?

3) La notion d''utilisation licite' de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 vise-t-elle toute forme d'utilisation ne nécessitant pas le consentement du titulaire des droits d'auteur ?

4) Le fait pour une entreprise de procéder à la numérisation par balayage de l'intégralité des articles de publications, opération suivie d'un traitement de la reproduction, pour l'activité de rédaction de synthèses de cette entreprise, peut-il entrer dans la notion d''utilisation licite' de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, même si les titulaires des droits d'auteur n'ont pas donné leur consentement à ces actes, dans un cas où toutes les autres conditions exigées par cette disposition sont réunies ?

Le fait que onze mots soient stockés à l'issue du processus d'acquisition de données a-t-il une incidence sur la réponse à cette question ?

5) Selon quels critères peut-on apprécier si des actes de reproduction provisoires ont une 'signification économique indépendante', au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, pour autant que les autres conditions de cette disposition sont réunies ?

6) Les gains de productivité réalisés par l'utilisateur lors d'actes de reproduction provisoires doivent-ils être pris en compte pour l'appréciation de la question de savoir si les actes ont une 'signification économique indépendante' au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 ?

7) Le fait pour une entreprise de procéder à la numérisation par balayage de l'intégralité des articles de publications, opération suivie d'un traitement de la reproduction, peut-il être considéré comme relevant de 'certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale' desdits articles qui 'ne causent [pas] un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit', au sens de l'article 5, paragraphe 5, de la directive 2001-29, pour autant que les conditions de son paragraphe 1 sont réunies ?

Le fait que onze mots soient stockés à l'issue du processus d'acquisition de données a-t-il une incidence sur la réponse à cette question ?"

Sur les questions préjudicielles

24 En vertu de l'article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l'avocat général, à tout moment, statuer par voie d'ordonnance motivée faisant référence à la jurisprudence en cause. Tel est le cas dans la présente affaire.

Observations liminaires

25 Selon l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, un acte de reproduction est exempté du droit de reproduction prévu à l'article 2 de celle-ci pour autant qu'il remplisse cinq conditions, à savoir lorsque ledit acte:

- est provisoire;

- est transitoire ou accessoire;

- constitue une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique;

- a pour unique finalité de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d'une œuvre ou d'un objet protégé, et

- n'a pas de signification économique indépendante.

26 Il y a lieu de rappeler, d'une part, que ces conditions sont cumulatives, en ce sens que le non-respect d'une seule d'entre elles a pour conséquence que l'acte de reproduction n'est pas exempté, au titre de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, du droit de reproduction prévu à l'article 2 de celle-ci (arrêt Infopaq International, précité, point 55).

27 D'autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les conditions énumérées ci-dessus doivent faire l'objet d'une interprétation stricte, car l'article 5, paragraphe 1, de cette directive constitue une dérogation à la règle générale établie par celle-ci qui exige que le titulaire du droit d'auteur autorise toute reproduction de son œuvre protégée (voir arrêts Infopaq International, précité, points 56 et 57, ainsi que du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C-403-08 et C-429-08, non encore publié au Recueil, point 162).

28 C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner les questions préjudicielles par lesquelles la juridiction de renvoi cherche à savoir si les actes de reproduction effectués au cours d'un procédé technique, tel que celui en cause au principal, remplissent les troisième à cinquième conditions prévues à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, ainsi que les conditions visées à l'article 5, paragraphe 5, de cette directive. En revanche, la demande préjudicielle ne porte pas sur les première et deuxième conditions prévues à l'article 5, paragraphe 1, de ladite directive, la Cour s'étant déjà prononcée sur ces conditions aux points 61 à 71 de l'arrêt Infopaq International, précité.

Sur les première et deuxième questions relatives à la condition selon laquelle les actes de reproduction doivent constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique

29 Par ses première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, satisfont à la condition selon laquelle ces actes doivent constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique. À cet égard, elle demande notamment s'il convient de tenir compte du stade du procédé technique auquel ces actes interviennent ainsi que du fait que ledit procédé technique implique une intervention humaine.

30 La notion de la "partie intégrante et essentielle d'un procédé technique" requiert que les actes de reproduction provisoires soient entièrement effectués dans le cadre de la mise en œuvre d'un procédé technique et qu'ils ne soient donc pas réalisés, totalement ou partiellement, en dehors d'un tel procédé. Cette notion suppose également que la réalisation de l'acte de reproduction provisoire soit nécessaire, en ce sens que le procédé technique concerné ne pourrait pas fonctionner de manière correcte et efficace sans cet acte (voir, en ce sens, arrêt Infopaq International, précité, point 61).

31 Par ailleurs, étant donné que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 ne précise pas à quel stade du procédé technique les actes de reproduction provisoires doivent intervenir, il ne saurait être exclu qu'un tel acte introduise ou clôture ce procédé.

32 De même, rien dans cette disposition n'indique que le procédé technique doive n'impliquer aucune intervention humaine et, en particulier, qu'il soit exclu que ce procédé soit lancé manuellement, dans le but d'aboutir à une première reproduction provisoire.

33 En l'occurrence, il convient de rappeler que le procédé technique concerné consiste à effectuer des recherches électroniques et automatiques dans les articles de presse et à identifier et à extraire de ceux-ci les mots clés prédéfinis, en vue de rendre plus efficace la rédaction de synthèses d'articles de presse.

34 Dans ce cadre, trois actes de reproduction interviennent successivement. Ils se matérialisent par la création du fichier TIFF, ensuite par celle du fichier texte et, enfin, par celle du fichier comportant l'extrait composé de onze mots.

35 À cet égard, il est tout d'abord constant qu'aucun de ces actes n'est réalisé en dehors dudit procédé technique.

36 Ensuite, à la lumière des considérations énoncées aux points 30 à 32 de la présente ordonnance, il est sans pertinence qu'un tel procédé technique soit lancé par l'insertion manuelle des articles de presse dans un numériseur à balayage, avec l'objectif d'aboutir à une première reproduction provisoire - la création du fichier TIFF -, et qu'il soit clôturé par un acte de reproduction provisoire, à savoir la création du fichier comportant l'extrait composé de onze mots.

37 Enfin, il convient de relever que le procédé technique en question ne pourrait fonctionner de manière correcte et efficace sans les actes de reproduction concernés. En effet, ce dernier vise à identifier des mots clés prédéfinis dans les articles de presse et à les extraire sur un support numérique. Une telle recherche électronique exige ainsi une transformation de ces articles, à partir du support en papier, en données numériques, une telle transformation étant nécessaire pour reconnaître lesdites données, pour identifier les mots clés et pour extraire ces derniers.

38 Contrairement à ce que soutient la DDF, cette conclusion n'est pas infirmée par le fait qu'il serait possible de rédiger des synthèses d'articles de presse sans reproduction. À cet égard, il suffit de relever qu'une telle synthèse est réalisée en dehors dudit procédé, en étant postérieure à ce dernier, et, partant, elle n'est pas pertinente pour apprécier si un tel procédé peut fonctionner de manière correcte et efficace sans les actes de reproduction concernés.

39 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, satisfont à la condition selon laquelle ces actes doivent constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique, nonobstant le fait qu'ils introduisent et clôturent ce procédé et impliquent une intervention humaine.

Sur les troisième et quatrième questions relatives à la condition selon laquelle les actes de reproduction doivent poursuivre une finalité unique, à savoir permettre soit la transmission d'une œuvre ou d'un objet protégé dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, soit l'utilisation licite d'une telle œuvre ou d'un tel objet

40 Par ses troisième et quatrième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, sont conformes à la condition selon laquelle les actes de reproduction doivent poursuivre une finalité unique, à savoir permettre soit la transmission d'une œuvre ou d'un objet protégé dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, soit l'utilisation licite d'une telle œuvre ou d'un tel objet.

41 Il convient d'emblée de souligner que les actes de reproduction concernés ne visent pas à permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire. Dans ces conditions, il doit être examiné si la seule finalité de ces actes consiste à permettre une utilisation licite d'une œuvre ou d'un objet protégé.

42 À cet égard, ainsi qu'il ressort du trente-troisième considérant de la directive 2001-29, une utilisation est réputée licite lorsqu'elle est autorisée par le titulaire du droit concerné ou lorsqu'elle n'est pas limitée par la réglementation applicable (arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 168).

43 Dans l'affaire au principal, il convient de relever, d'une part, que, dans la situation évoquée par la juridiction de renvoi, où il serait renoncé au dernier acte du procédé technique d'acquisition de données, à savoir l'impression de l'extrait composé de onze mots, le procédé technique concerné, y compris, partant, la création du fichier TIFF, celle du fichier texte et celle du fichier comportant l'extrait composé de onze mots, vise à permettre une rédaction plus efficace de synthèses d'articles de presse et, dès lors, une utilisation de ceux-ci. D'autre part, rien dans le dossier soumis à la Cour n'indique que le résultat de ce procédé technique, à savoir l'extrait composé de onze mots, viserait à permettre une autre utilisation.

44 S'agissant du caractère licite ou non de ladite utilisation, il est constant que la rédaction d'une synthèse d'articles de presse n'est pas, en l'espèce, autorisée par les titulaires des droits d'auteur sur ces articles. Cela étant, il convient de relever qu'une telle activité n'est pas limitée par la réglementation de l'Union. En outre, il ressort des affirmations concordantes d'Infopaq et de la DDF que la rédaction de ladite synthèse ne présenterait pas une activité qui soit limitée par la réglementation danoise.

45 Dans ces conditions, ladite utilisation ne saurait être considérée comme illicite.

46 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, sont conformes à la condition selon laquelle les actes de reproduction doivent poursuivre une finalité unique, à savoir de permettre une utilisation licite d'une œuvre ou d'un objet protégé.

Sur les cinquième et sixième questions relatives à la condition selon laquelle les actes de reproduction ne doivent pas avoir une signification économique indépendante

47 Compte tenu du contexte de l'affaire au principal dans son ensemble, ainsi que de la portée des questions précédentes, il convient de comprendre les cinquième et sixième questions comme visant à savoir si les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, satisfont à la condition prévue à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, selon laquelle ces actes ne doivent pas avoir une signification économique indépendante.

48 À cet égard, il convient de rappeler que les actes de reproduction provisoires, au sens dudit article 5, paragraphe 1, visent à rendre possible l'accès aux œuvres protégées et leur utilisation. Ces dernières ayant une valeur économique propre, l'accès et l'utilisation de celles-ci revêtent ainsi nécessairement une signification économique (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 174).

49 En outre, ainsi qu'il ressort du trente-troisième considérant de la directive 2001-29, les actes de reproduction provisoires - à l'instar des actes qui permettent le "browsing" et le "caching" - ont pour objectif de faciliter l'utilisation d'une œuvre ou de rendre cette utilisation plus efficace. Ainsi, il est inhérent à ces actes de permettre la réalisation de gains de productivité dans le cadre d'une telle utilisation et, par conséquent, d'entraîner une augmentation des bénéfices ou une réduction des frais de production.

50 Cela étant, lesdits actes ne doivent pas avoir une signification économique indépendante, en ce sens que l'avantage économique tiré de leur mise en œuvre ne doit être ni distinct ni séparable de l'avantage économique tiré de l'utilisation licite de l'œuvre concernée et il ne doit pas générer un avantage économique supplémentaire, allant au-delà de celui tiré de ladite utilisation de l'œuvre protégée (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 175).

51 Les gains de productivité résultant de la mise en œuvre des actes de reproduction provisoires, tels que ceux en cause au principal, n'ont pas une telle signification économique indépendante, pour autant que les avantages économiques tirés de leur application ne se matérialisent que lors de l'utilisation de l'objet reproduit, de sorte qu'ils ne sont ni distincts ni séparables des avantages tirés de son utilisation.

52 En revanche, un avantage tiré d'un acte de reproduction provisoire est distinct et séparable si l'auteur de cet acte est susceptible de réaliser des bénéfices en raison de l'exploitation économique de reproductions provisoires elles-mêmes.

53 Il en va de même si les actes de reproduction provisoires aboutissent à une modification de l'objet reproduit, tel qu'il existe au moment du déclenchement du procédé technique concerné, car lesdits actes visent ainsi à faciliter non plus son utilisation, mais l'utilisation d'un objet différent.

54 Par conséquent, il convient de répondre aux cinquième et sixième questions que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, satisfont à la condition selon laquelle ces actes ne doivent pas avoir une signification économique indépendante pour autant, d'une part, que la mise en œuvre de ces actes ne permette pas de réaliser un bénéfice supplémentaire, allant au-delà de celui tiré de l'utilisation licite de l'œuvre protégée et que, d'autre part, les actes de reproduction provisoires n'aboutissent pas à une modification de cette œuvre.

Sur la septième question relative à la condition selon laquelle les actes de reproduction ne doivent ni porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit

55 Par la septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 5, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, satisfont à la condition selon laquelle les actes de reproduction ne peuvent ni porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

56 À cet égard, il suffit de constater que si ces actes de reproduction remplissent toutes les conditions de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour, il doit être considéré qu'ils ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit (voir arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 181).

57 Par conséquent, il convient de répondre à la septième question que l'article 5, paragraphe 5, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que, s'ils remplissent toutes les conditions prévues à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive, les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé d'acquisition de données, tels que ceux en cause au principal, doivent être considérés comme satisfaisant à la condition selon laquelle les actes de reproduction ne peuvent ni porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1) L'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doit être interprété en ce sens que les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé dit "d'acquisition de données", tels que ceux en cause au principal,

- satisfont à la condition selon laquelle ces actes doivent constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique, nonobstant le fait qu'ils introduisent et clôturent ce procédé et impliquent une intervention humaine;

- sont conformes à la condition selon laquelle les actes de reproduction doivent poursuivre une finalité unique, à savoir de permettre une utilisation licite d'une œuvre ou d'un objet protégé;

- satisfont à la condition selon laquelle ces actes ne doivent pas avoir une signification économique indépendante pour autant, d'une part, que la mise en œuvre de ces actes ne permette pas de réaliser un bénéfice supplémentaire, allant au-delà de celui tiré de l'utilisation licite de l'œuvre protégée et que, d'autre part, les actes de reproduction provisoires n'aboutissent pas à une modification de l'œuvre.

2) L'article 5, paragraphe 5, de la directive 2001-29 doit être interprété en ce sens que, s'ils remplissent toutes les conditions prévues à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive, les actes de reproduction provisoires effectués au cours d'un procédé dit "d'acquisition de données", tels que ceux en cause au principal, doivent être considérés comme satisfaisant à la condition selon laquelle les actes de reproduction ne peuvent ni porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.