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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 janvier 2012, n° 09-10294

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cartier Joaillerie International (SAS), Suivi Coordination Joaillerie (SAS)

Défendeur :

Marie Michaud Création (Sté), Reverdy (ès qual)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Luc

Avoués :

SCP Duboscq, Pellerin, SCP Taze-Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Ledoux, Barrie

T. com. Paris, du 20 mars 2009

20 mars 2009

La société Cartier Joaillerie International est une société connue dans le domaine de la joaillerie. Elle crée et commercialise des bijoux et objets en métaux précieux.

La société Suivi Coordination Joaillerie assure la maitrise d'œuvre de bijoux empierrés pour le compte de la société Richemont International Distribution et de la société Richemont International, cette dernière ayant une activité similaire à celle de Cartier Joaillerie mais pour un autre segment de bijoux.

La société Marie Michaud Créations (MMC) exerce une activité de fabrication de bijoux selon la technique spécifique de la fonte à cire perdue.

Les relations commerciales entre la société Marie Michaud Créations d'une part et les sociétés SAS Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et SAS Cartier Joaillerie International d'autre part ont commencé au cours de l'exercice 1992.

La société MMC a été référencée chez les sociétés Cartier pour la fabrication de bijoux comme faisant partie du cercle 1 des fournisseurs et a entretenu avec celles-ci des relations commerciales jusqu'à sa mise en redressement judiciaire par jugement du 6 juin 2006, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 27 juin 2006, Maître Reverdy ayant été désigné liquidateur.

Les relations entre les sociétés Cartier et la société MMC se sont déroulées sans difficultés apparentes jusqu'en 2005, les commandes passées ont alors diminué pour cesser en 2006 de sorte que MMC a estimé être victime d'une rupture brutale des relations commerciales et que Me Reverdy ès qualités a engagé une action devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 20 mars 2009 revêtu de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a constaté que les sociétés SAS Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et SAS Cartier Joaillerie International ont brutalement, et de façon injustifiée, rompu les relations commerciales avec la société Marie Michaud Créations, a condamné les sociétés SAS Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et SAS Cartier Joaillerie International in solidum à payer à Maître Jean-Philippe Reverdy, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Marie Michaud Créations, la somme de 400 000 euro au titre du préjudice subi du fait de cette rupture ainsi qu'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 30 avril 2009 par la SAS Cartier Joaillerie International et la SAS Suivi Coordination Joaillerie,

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 octobre 2011 par lesquelles la SAS Cartier Joaillerie International et la SAS Suivi Coordination Joaillerie demandent à la cour d'infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 20 mars 2009 en ce qu'il dit que les sociétés Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et Cartier Joaillerie International ont brutalement rompu leurs relations commerciales avec la société Marie Michaud Créations et les a condamnées au paiement d'une somme de 400 000 euro au titre du préjudice subi du fait de cette rupture, et de débouter Maître Reverdy ès qualités de liquidateur de la société de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et de la société Cartier Joaillerie International,

et statuant à nouveau, de condamner Maître Reverdy en qualité de de liquidateur de la société Marie Michaud Créations à payer aux sociétés Suivi Coordination Joaillerie (SCJ) et Cartier Joaillerie International la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2011 par lesquelles Maître Jean-Philippe Reverdy demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International et Marie Michaud Créations ont eu des relations commerciales établies, ont diminué le chiffre d'affaires avec la société Marie Michaud Créations à partir de 2004, ont procédé au déférencement de la société Marie Michaud Créations du cercle des fournisseurs privilégiés sans l'en avertir ni justifier d'un quelconque motif, au cours de l'exercice 2006, ont arrêté brutalement de passer commande à la société Marie Michaud Créations, et que, jusqu'en mars 2006, la situation financière de la société Marie Michaud Créations n'était pas obérée, ni compromise, qu'elle ne l'a été que suite à l'arrêt brutal des commandes passées par les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International,

de réformer le jugement entrepris sur le surplus et statuant à nouveau, de juger que :

- les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International devaient respecter un préavis de deux années compte tenu des relations commerciales entretenues depuis plus de 13 ans avec la société Marie Michaud Créations,

- la marge commerciale brute de la société Marie Michaud Créations ayant été de 971 801,38 euro annuelle, la perte de marge brute correspondant à deux années de préavis s'élève donc à la somme de 1 943 602,80 euro (971 801,38 x 2),

en conséquence de condamner les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International à payer à Maître Reverdy ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marie Michaud Créations la somme de 1 943 602,80 euro au titre du préjudice subi résultant de la rupture abusive des relations commerciales établies,

de juger que les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International ont été le principal client de la société Marie Michaud Créations pendant plus de treize années,

la société Marie Michaud Créations a été en état de dépendance économique,

que les sociétés du groupe Cartier ont imposé à la société Marie Michaud Créations la revente à perte à leur profit des matériaux or acquis chez leur filiale la société Brun, la revente à prix coûtant des kits composants acquis chez la société Brun, l'achat de conditionnements non refacturés aux sociétés du groupe Cartier, le remboursement des avances financières consenties à la société Marie Michaud Créations,

que le préjudice résultant de l'abus de position dominante s'élève à la somme de 98 345,24 euro correspondant au préjudice lié à la revente à perte du métal or pour la société Marie Michaud Créations,

que les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International ont abusé de la relation de dépendance économique dans laquelle s'est trouvée la société Marie Michaud Créations et

en conséquence les condamner à payer à Maître Reverdy ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marie Michaud Créations la somme de 98 345,24 euro au titre du préjudice subi du fait de l'abus dans les relations de dépendance économique.

En tout état de cause :

Condamner les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International in solidum à payer à Maître Reverdy, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Marie Michaud Créations, une somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International font valoir qu'il a existé une variation du volume des commandes passées par les sociétés Cartier à la société MMC, d'une année sur l'autre, voire d'une période de l'année sur l'autre et qu'aucune rupture brutale et sans préavis n'est intervenue entre le 1er janvier et le 10 mai 2006.

Elles ajoutent que leur proposition faite le 5 mai 2006 n'était pas insuffisante, qu'on ne peut relever l'existence d'une diminution brusque du chiffre d'affaires "à compter de l'exercice 2004 jusqu'à la liquidation judiciaire de la société soit le 27 juin 2006" et que le déréférencement de la société MMC du cercle fournisseur n° 1 "au cours de l'exercice 2005" n'a eu strictement aucune conséquence sur le volume des commandes des sociétés Cartier, qu'il n'y a pas eu d'arrêt brutal des commandes "à compter du mois de juin 2006".

Sur l'appel incident formé par Maître Reverdy, elles soutiennent n'avoir commis aucun abus dans la relation de dépendance économique ;

La société MMC soutient qu'existaient des relations commerciales établies depuis treize ans, qu'elles ont été rompues par les appelantes de manière brutale car les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie n'ont pas respecté un délai de préavis qui devait être en l'espèce de deux années.

Elle fait valoir qu'il y a eu rupture partielle des relations commerciales établies postérieurement à l'exercice de 2004, que le déréférencement abusif et injustifié a eu pour conséquence une diminution du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés du Groupe Cartier, et enfin qu'il y a eu rupture brutale des commandes au mois de mai 2006, que la situation financière de la société Marie Michaud Créations n'était pas obérée avant l'arrêt brutal des commandes au mois de mars 2006.

Elle affirme avoir été dans un état de dépendance économique, les sociétés du Groupe Cartier ayant abusé de cette situation.

SUR CE

Sur les relations commerciales

Considérant que les relations commerciales entre le groupe Cartier et MMC ont débuté en 1993 ; que les commandes ont représenté pour chacun des exercices suivant à l'exception de celui de 2003 plus de 50 % du chiffre d'affaires de MMC, le groupe Cartier étant son client le plus important ;

Qu'il s'agit donc de relations d'affaires constantes pendant plus de 13 ans avec un volume d'affaires significatif ;

Que la cour constate en conséquence que les sociétés du groupe Cartier et la société MMC ont eu des relations commerciales établies.

Sur la rupture des relations commerciales

Considérant que les sociétés Cartier Joaillerie International et Suivi Coordination Joaillerie n'ont présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, non contraires à l'ordre public, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure et la juste application de la loi et des principes régissant la matière, la cour faisant les observations suivantes ;

Considérant que l'article L. 442-6, I 5 du Code de commerce dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale en respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Que la société MMC expose que les sociétés du groupe Cartier ont brusquement et unilatéralement diminué le chiffre d'affaires réalisé avec elle à compter de la fin de l'exercice 2004, puis ont procédé à son déférencement et enfin ont cessé toute commande ;

Qu'au cours de l'exercice 2005, le chiffre d'affaires a diminué de 545 084 euro par rapport à l'exercice précédent et de janvier à avril 2006 il a encore été en baisse de 165 000 euro par rapport à la même période de 2005 soit une baisse sur quatre mois de 32 % ;

Que le groupe Cartier fait valoir que le volume d'affaires confié à MMC a toujours été fluctuant et saisonnier ce qui pouvait entraîner des périodes sans aucune commande et que les pièces produites concernant des commandes passées à trois dates différentes ne sont pas probantes ;

Que toutefois, pour sa part elle ne produit que des documents parcellaires concernant trois bijoux et ne couvrant pas l'ensemble de la gamme confiée à MMC ; que de plus il convient d'observer que le bijou "baby charm" correspond à un produit nouveau dont 50 % ont été confiées à MMC en 2006 ce qui n'est pas significatif ; que pour les deux autres produits, il convient de faire les observations suivantes :

- le bijou intitulé "cœur bre", livré à compter de 2004, MMC a reçu effectivement réalisé la totalité des pièces,

- des fluctuations sont intervenues sur le produit dit "cœur bag" livré depuis 2001, le rapprochement des quantités totales livrées à Cartier et celles confiées à MMC étant les suivantes :

- 2001 livrés 578 confiés à MMC 202

- 2002 livrés 6196 confiés à MMC 2492

- 2003 livrés 3665 confiés à MMC 1537

- 2004 livrés 960 confiés à MMC 563

- 2005 livrés 2292 confiés à MMC 1654

- 2006 livrés 2411 confiés à MMC 1535 ;

Que si ces chiffres mettent en évidence que Cartier a eu d'autres fournisseurs pour ce produit et qu'il y a eu des fluctuations, avec une répartition des commandes entre ceux-ci, la démonstration faite par les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International présente un caractère limité, Cartier reconnaissant qu'il s'agit de bijoux "entrée de gamme" ;

Que les pièces versées par les parties démontrent que MMC s'était également vu confier une gamme plus vaste dont une gamme dite "prestige" et qu'elle avait été référencée comme fournisseur privilégié ;

Que depuis le début de leur relations les sociétés Suivi Coordination Joaillerie et Cartier Joaillerie International ont adressé chaque année un plan d'achats à MMC ;

Que Cartier a écrit le 16 décembre 1999 "je suis en mesure de vous communiquer notre plan d'achats prévisionnels pour les 12 prochains mois d'avril 2000 à mars 2001. Il s'élève à 6,9 MF.

Ce plan prévisionnel n'est en aucun cas un engagement de commandes ferme car comme pour le plan de l'année précédente ces prévisions pourront être revues de + ou - 20 % en fonction des commandes que nous recevrons des marchés.

Les nouveaux modèles actuellement en cours de développement ou de mise au point et qui vous seront prochainement proposés représentent un volume d'achats estimé à 0,4 MF.

Nous vous transmettrons tous les 3 mois une mise à jour de cette prévision ; La première mise à jour sera envoyée fin mars 2001" ;

Que le 26 mars 2002 Cartier a écrit "je vous confirme que nous avons estimé que la charge que nous serions en mesure de confier à votre atelier pour l'année 2002/2003 s'élèvera à 1 200 000 euro en façon hors nouveautés ce qui est équivalent à la charge de l'exercice 2000/2001" ;

Que le 7 mai 2003 Cartier a écrit "Dans le cadre de nos relations de partenariat, nous estimons que le volume d'activité pour la période d'avril 2003 à mars 2004 s'élèvera à un montant de 700 KEuro de façon. Nous nous engageons donc à vous passer un volume de commandes cadrant avec cette estimation +/- 20 %.

Ce montant exclut la facturation du métal et des composants ainsi que toute l'activité liée au développement. Il inclut par contre les pièces de Prestige" ;

Que le plan de production 2004/2005 a mentionné un volume d'activité pour la période d'avril 2004 à mars 2005 de 1 000 KEuro avec comme précédemment un engagement à cette hauteur +/- 20 % ; que le 14 mai 2004 Cartier a écrit à MMC "le regain d'activité nous conduit à ajuster à la hausse notre engagement pour 2004/2005", le volume d'activité passant à 1 200 KEuro ;

Que dès lors le groupe Cartier ne peut invoquer une diminution de son propre chiffre d'affaires ce dont elle ne justifie pas et qui serait en contradiction avec les termes de son courrier du 24 mai 2004 ;

Qu'en revanche aucun plan n'a été adressé à MMC pour la période suivante, la société Michaud s'en étonnant par courrier du 22 avril 2005 ainsi que du fait qu'elle ne faisait plus partie du "cercle 1 des fournisseurs" ce qui n'était pas contesté par Cartier ;

Que le rapprochement des chiffres d'affaires entre Cartier et MMC démontre que le chiffre d'affaires de Cartier avec MMC est passé de 2 288 757 euro en 2004 à 1 743 673 euro en 2005, soit une diminution de 545 084 euro ;

Que pour la période de 2006 antérieure à la liquidation, cette baisse s'est poursuivie, le chiffre d'affaires étant inférieur de 23 % à celui de la même période de 2004 et de 32 % par rapport à celui de 2005 ;

Qu'à la date du 10 mai 2006, le montant des commandes du groupe Cartier ne représentait plus qu'un chiffre d'affaires de 79 973 euro contre 170 176 euro au 10 mai 2005 et MMC n'avait plus aucune commande pour les mois suivants ;

Que s'agissant de la notion de "cercle 1", Christophe Siegwalt, PDG de la société Orest, fabricant en joaillerie et fournisseur du groupe Cartier a indiqué que cette notion avait été utilisée pour désigner les sous-traitants avec lesquels le groupe entretenait des relations privilégiées en termes de taux de service et de volume" ;

Que dès lors la société MMC a fait l'objet d'un déférencement brutal alors qu'aucun reproche n'avait été formulé par Cartier à son égard puis a été privée progressivement de toute commande ; que ce déférencement et cette absence de plan d'achats prévisionnels qui en a été le corollaire, l'a au surplus privée brutalement de toute visibilité financière ;

Que, dans ces conditions, la société MCC a sollicité du tribunal de commerce l'ouverture d'une procédure de conciliation ;

Que si, le 5 mai 2006, le groupe Cartier a accepté une poursuite des relations commerciales pendant 6 mois sous condition, son conseil précisant que MMC devrait indiquer "les perspectives de développement et les mesures qu'elle entend mettre en œuvre pour trouver de nouveaux débouchés devant lui permettre d'assurer sa viabilité au-delà du mois de novembre 2006 et ce en prenant en considération la diminution du volume des commandes du groupe Cartier", la société MMC fait valoir qu'elle ne pouvait pas accepter la proposition du groupe Cartier dans la mesure où il signifiait pour elle du travail à perte en raison du prix de l'or lequel lui était imposé par la société Brun filiale à 100 % de la société Suivi Coordination Joaillerie ;

Que si Cartier le conteste en faisant valoir que les prix façon proposés le 5 mai 2006 étaient strictement identiques à ceux pratiqués antérieurement de même que le prix de revente de l'or, en tout état de cause, lors de cette proposition le groupe Cartier avait déjà cessé de passer des commandes à son partenaire sans lui avoir donné de préavis ;

Que Cartier ne démontre pas que la situation de MMC était alors obérée lorsqu'elle a cessé de lui passer de nouvelles commandes soit en mars 2006 ; que la société qui avait connu une restructuration en 2003, a été bénéficiaire au cours de l'exercice 2004, la situation étant ensuite seulement dégradée ce qui, en conséquence, résulte de la diminution significative des commandes en 2005 puis de leur arrêt total ;

Qu'ainsi il est démontré que le groupe Cartier a rompu brutalement des relations commerciales établies depuis 13 ans en diminuant de façon significative ses commandes à partir de 2005 et en cessant toute commande à partir de mars 2006 sans avoir donné de préavis à son partenaire ;

Qu'au regard de la durée des relations commerciales et de leur importance quantitative pour MMC il y a lieu de fixer la durée de ce préavis à deux ans.

Sur la demande au titre de la relation de dépendance économique de la société MMC

Considérant que Me Reverdy ès qualités fait valoir que les sociétés du groupe Cartier avaient interdit à MMC de travailler avec les enseignes concurrentes ;

Qu'il expose que de 1993 à 2006 inclus, le chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés du groupe Cartier ont représenté plus de la moitié du chiffre d'affaires de MMC, atteignant respectivement 77 et 72 % en 2004 et 2005 ;

Qu'il y a lieu d'observer que, si MMC a développé des relations avec d'autres marques, Cartier ne représentant que 54 et 28 % de son chiffre d'affaires en 2002 et 2003, elle verse un courrier rappelant les "conseils" qui lui avaient été donnés, notamment celui de ne pas travailler avec la marque De Beers, le dirigeant de cette société étant l'ancien PDG du groupe Cartier ;

Considérant qu'au cours de leur relations commerciales le groupe Cartier a imposé à la société MMC à partir de 2001 c'est-à-dire à partir du rachat de la société Lith'or par une de ses filiales, la société Brun de s'approvisionner auprès de celle-ci ;

Que la société MCC a demandé pour certaines fabrications de fournir une partie des fontes ce qui lui a été refusé ;

Que MCC a réalisé auprès de la société Brun ses achats en métal or, les refacturant après façonnage aux sociétés du groupe Cartier selon des prix imposés ;

Que, s'agissant des prix de revente de l'or, Me Revery expose que les contraintes imposées par Cartier sur les prix d'achat et de revente d'or par MCC auprès de sa filiale, la société Brun, ont entraîné des reventes à perte pour MCC ; qu'il produit deux factures, l'une d'achat d'or en date du 31 mars 2004 au prix de 9,74 euro le gramme, l'autre de revente à la société Suivi Coordination Joaillerie au prix de 9,38 euro le gramme soit une perte de 0,36 euro par gramme supportée par MMC ;

Que les courriers adressés par Cartier à son fournisseur apportent la preuve que ce dernier avait la maitrise des prix tant à l'achat qu'à la revente ;

Que le 8 février 2001 le groupe Cartier indique à MMC "Veuillez trouver ci-joint un modèle de facturation "et pour mémoire "vous vous approvisionnez en chaîne directement chez Steiner, il vous facture la chaine que vous nous refacturez avec 2 % sur prix de façon" et il était mentionné "les différents prix de l'or sont fixés pour l'année" ;

Que Cartier a écrit le 13 février 2001 à MMC "Sur le fax du 8 février dernier pour la facturation des apprêts cœur en or gris une erreur a été commise sur le taux de l'or ;

Le taux de l'or, fixé à l'année pour l'or jaune est de 54,28 FF/g

Le taux de l'or, fixé à l'année pour l'or gris, est de 77,75 FF/g" ;

Que ces deux courriers énoncent de façon claire et péremptoire le taux de l'or et la durée d'application de celui-ci ;

Que le courrier du 2 mai 2001 de Cartier qui a trait à "la procédure applicable pour toute demande d'avance" indique "consentir une avance financière sur la base de la contre-valeur du poids de l'or fin et palladium livré évalué sur le carnet de commande à un horizon de 3 mois. Le prix de l'or et du palladium sera fixé 2 jours ouvrables avant l'avance financière - et sera fixé pour toute la période du carnet de commande concerné"; que cette procédure d'avance, qui limitait au seul titre de l'avance la fixation des prix sur trois mois, a été supprimée par Cartier en 2003, MCC ayant procédé au remboursement de l'avance ;

Que dès lors seule a subsisté la fixation annuelle des prix que la société Cartier ne peut sans se contredire réfuter dans la mesure où elle indique que, dans sa proposition du 4 mai 2006, elle assurait à MMC le maintien des prix antérieurs en ce qui concerne le métal or ;

Que ces échanges démontrent d'une part que le fournisseur en or a été imposé comme étant la société Brun, d'autre part que MMC n'avait aucun pouvoir de fixer son prix de revente en incluant les fluctuations du prix du métal or ;

Que s'agissant des pierres précieuses, Cartier a, pour celles remises à MMC dans le cadre de confiés, interdit à celle-ci de facturer des frais de gestion et pour celles achetées par MMC lui a octroyé une marge de 2 % sur le prix d'achat ;

Que le 11 juillet 2002 le groupe Cartier lui a adressé "en prévisions de vos livraisons et facturations" les prix d'achat et de revente de deux types de quartz destinés aux bagues "so pretty" lequel a été annulé et remplacé par un fax du 25 juillet 2002 ;

Que pour la mise en œuvre de cette politique de prix Cartier a imposé un modèle de facturation faisant apparaître les marges fixées au titre des reventes ainsi que l'utilisation d'un logiciel ;

Que, selon courrier du 25 octobre 2001, le groupe Cartier a imposé pour les emballages, un fournisseur alors qu'il s'agissait de rouleaux de 50 mètres de vinyle statique transparent et que la liste des obligations du fournisseur était seulement de "fournir l'emballage nécessaire au transport avec les marquages appropriés", excluant tout choix de MMC ;

Qu'au cours de l'exercice 2000 le groupe a donné instruction à l'ensemble des diamantaires de ne plus verser de commissions sur les pierres livrées à compter du 1er mai 2000 ;

Que Cartier a imposé des visites mensuelles de ses contrôleurs au sein de l'entreprise MMC ;

Que ces éléments mettent en évidence une immixtion de Cartier dans la gestion de MMC ; que de plus en ayant consenti des avances pour l'achat des matières premières, or, pierres précieuses, avec des prix de revente fixées en même temps que l'avance, Cartier s'est mis à l'abri des fluctuations des cours ; que dans un second temps, au début de l'année 2004 alors que le chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés Cartier avait diminué de plus d'un million d'euro, engendrant une perte comptable de plus de 87 000 euro pour MMC, le groupe a arrêté le mécanisme de l'aide et a exigé son remboursement soit 159 000 euro ce qui a été fait sur deux exercices, MMC ayant à cette fin souscrit un prêt auprès de deux établissements bancaires ;

Que pour autant, après avoir obtenu le remboursement de cette avance et malgré les difficultés engendrées pour son fournisseur par son changement de politique, le groupe a maintenu l'avantage de la fixation annuelle autoritaire des marges sur les achats d'or, de pierres précieuses, utilisant ainsi de manière abusive la trésorerie de son fournisseur et entraînant pour lui des reventes à perte ;

Qu'en proposant à l'occasion de la procédure de conciliation, la poursuite de cette politique, Cartier a mis la société MMC dans l'impossibilité d'y répondre ;

Que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de MCC du chef de son préjudice résultant d'un abus dans la relation de dépendance économique.

Sur le montant des préjudices de MMC :

Considérant que les premiers juges ont alloué à MMC la somme de 400 000 euro correspondant à la moyenne annuelle de son chiffre d'affaires au cours des trois dernières années ; que le préjudice doit être fixé au regard de la marge brute moyenne et non du chiffre d'affaires ; qu'il y a lieu de réformer la décision entreprise ;

Que MMC justifie d'un chiffre d'affaires avec Cartier de 2 277 163 euro en 2004 et de 1 732 819 euro en 2005 ; que l'année 2003, faisant état d'une marge de l'ordre de 59 %, pourcentage qui n'est contesté qu'en ce qu'il serait contradictoire avec les pertes alléguées au titre des reventes du métal or ;

Considérant que Me Reverdy fait état d'une somme globale de 98 345,24 euro au titre des perte sur la revente du métal or acquis auprès de la société Brun au cours des exercices 2003, 2004, 2005 et 2006, et des gains manqués que MMC aurait réalisés si elle avait pu s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur ;

Que cette perte n'est en rien contradictoire avec la marge brute, cette dernière étant fondée sur la valeur du travail réalisé par MMC, lequel ne dépend pas des achats et revente du métal or et des pierres précieuses ;

Que le préjudice résultant des ventes de l'or a été calculé par l'expert-comptable de la société MMC à partir d'un coût moyen des achats d'or ; qu'en conséquence le préjudice de la société MMC ne peut être que celui d'une perte de chance de réaliser des opérations dans de meilleures conditions pour elle ; qu'il y a lieu de lui allouer au titre de ce préjudice la somme de 10 000 euro ;

Considérant que le chiffre d'affaires moyen au cours des trois derniers exercices a été de 1 642 944 euro; qu'en conséquence la marge brute moyenne annuelle s'établit à 971 801,38 euro ; qu'il y a lieu d'allouer à Me Reverdy ès qualités au titre du préavis la somme de 1 943 602, 75 euro.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société MMC a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne la durée du préavis et en ce qu'il a rejeté la demande de Me Reverdy ès qualités au titre de l'abus de la situation de dépendance économique, Et statuant à nouveau, Fixe la durée du préavis à deux ans, Condamne les sociétés Cartier Joaillerie International et Suivi Coordination Joaillerie à payer à la société MMC la somme de 1 043 602,78 euro au titre de son préavis, Condamne les sociétés Cartier Joaillerie International et Suivi Coordination Joaillerie à payer à la société MMC la somme de 10 000 euro au titre de son préjudice résultant des gains manqués, Rejette toute autre demande, fin ou conclusion, Condamne les sociétés Cartier Joaillerie International et Suivi Coordination Joaillerie à payer à la société MMC la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés Cartier Joaillerie International et Suivi Coordination Joaillerie aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.