CA Montpellier, 2e ch., 28 février 2012, n° 10-08960
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gotham (SASU)
Défendeur :
Lagrange
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mmes Olive, Bresdin
Avocats :
SCP Capdevila, Vedel Salles, Mes Laporte, Reynier, Camillerapp
Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties
La société Groupe Carrère anciennement dénommée Carrère Promotion, aux droits de laquelle est la société Gotham, a pour objet social la promotion de logements à usage d'habitation.
Par acte sous seing privé du 23 juin 2005, cette société a conclu avec M. Jean-Louis Lagrange un contrat intitulé "convention d'apporteur d'affaires", aux termes duquel ce dernier qualifié de mandataire s'est engagé "à réserver au mandant la primeur des terrains qu'il sera susceptible de prospecter et à lui réserver l'exclusivité de ces opportunités foncières (...)."
Par courrier du 17 janvier 2008, la société Groupe Carrère a mis fin à cette convention.
Invoquant un statut d'agent commercial et après avoir sollicité, en vain, le paiement d'une indemnité de cessation de contrat, M. Lagrange a fait assigner la société Groupe Carrère, devant le Tribunal de commerce de Montpellier, par acte d'huissier du 21 février 2008, afin d'obtenir paiement de la somme de 150 000 euro, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce ainsi que celle de 15 000 euro, sur le fondement de l'article L. 134-11 dudit Code.
Par jugement du 10 septembre 2008, le tribunal a considéré que la société Groupe Carrère avait rompu sans préavis et sans motif légitime le contrat d'agent commercial la liant à M. Lagrange et l'a condamnée à lui régler une indemnité compensatrice de 134 000 euro outre celle de 15 000 euro pour non-respect du préavis et 1 500 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Groupe Carrère a interjeté appel de ce jugement.
Suivant arrêt en date du 30 juin 2009, la cour de ce siège a confirmé en toutes ses dispositions le jugement, débouté la société Groupe Carrère de sa demande de dommages et intérêts et l'a condamnée à payer à M. Lagrange une somme de 1 500 euro, au titre des frais irrépétibles ainsi qu'à supporter les dépens d'appel.
La société Gotham venant aux droits de la société Groupe Carrère a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 12 octobre 2010, la Cour de cassation (Chambre commerciale financière et économique) a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a dit que la société Groupe Carrère avait rompu sans préavis et sans motif légitime le contrat d'agent commercial l'ayant lié à M. Lagrange et l'a condamnée à lui payer les sommes de 134 000 euro à titre d'indemnité de rupture et de 15 000 euro, à titre d'indemnité de préavis, aux motifs que :
Sur le moyen unique pris en sa première branche :
Vu l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
Attendu que pour dire que le contrat était un contrat d'agent commercial et condamner la société Groupe Carrère à payer à M. Lagrange les indemnités qu'il réclamait, l'arrêt retient que les parties, qui étaient qualifiées dans le contrat de mandant et de mandataire, devaient faire leur affaire personnelle de toute charge fiscale ou sociale leur incombant et que M. Lagrange devait justifier d'une immatriculation administrative et indiquer son numéro d'inscription au service de la TVA intercommunautaire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un mandat d'agent commercial, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Attendu que pour statuer encore comme il le fait, l'arrêt retient qu'aux termes du contrat M. Lagrange exerçait son activité en qualité de mandataire de la société Carrère Promotion puisqu'il disposait du pouvoir de réserver des terrains pour le compte de cette dernière dans l'attente d'une confirmation ou d'une renonciation de sa part ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le contrat faisait seulement à M. Lagrange l'obligation de proposer en priorité et en exclusivité à la société Carrère Promotion les terrains qu'il pourrait prospecter, sans l'autoriser à engager cette société à l'égard des tiers, ni à négocier en son nom, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis.
M. Jean-Louis Lagrange a été condamné aux dépens et au paiement d'une somme de 2 500 euro à la société Gotham.
La Cour d'appel de Montpellier, autrement composée, désignée comme juridiction de renvoi a été saisie par M. Lagrange, selon déclaration remise au greffe de la cour le 14 décembre 2010.
Dans des conclusions déposées au greffe de la cour le 11 janvier 2012, la société Gotham a conclu à la réformation du jugement, au rejet des demandes de M. Lagrange et au remboursement de la somme versée à ce dernier, en l'occurrence 159 510,59 euro outre l'allocation d'une somme de 10 000 euro, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Subsidiairement, elle conclut à la nullité du contrat qui ne remplit pas les conditions de la loi Hoguet et sollicite le remboursement des honoraires indument versés. Elle réclame, en tout état de cause, la somme de 6 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- elle n'a conféré aucun mandat de vendre ou d'acheter à M. Lagrange qui n'avait aucune mission permanente, ne disposait d'aucune délégation de pouvoir ou de signature pouvant l'engager en qualité de mandant, n'avait aucun compte à lui rendre sur son activité et ne constituait aucun portefeuille de clients ou de fournisseurs à son profit ;
- M. Lagrange était un apporteur d'affaires et agissait en courtier sans aucune contrainte d'objectif en agissant en son nom et pour son compte contrairement à l'agent commercial qui agit pour le compte du donneur d'ordres ;
- il ne peut pas invoquer le statut d'agent commercial et ses demandes d'indemnités sont infondées ;
- à titre subsidiaire, le statut d'agent commercial ne peut être rattaché qu'à certaines activités strictement énumérées, soit celles de producteurs, d'industriels, de commerçants ; l'activité de promotion immobilière n'entre pas dans ce champ d'application ; M. Lagrange qui avait pour mission de prospecter des terrains à la vente et de les proposer à la société Gotham a, en fait, exercé des activités réglementées par la loi du 2 janvier 1970, ce qui exclut l'application du statut des agents commerciaux, étant observé que la loi ENL n'est pas applicable à la convention signée en 2005, d'autant qu'elle n'exerce pas l'activité d'agence immobilière ; subsidiairement et dans l'hypothèse où M. Lagrange aurait exercé une activité d'agent immobilier, le contrat devrait être annulé comme ne répondant pas aux exigences de la loi Hoguet.
Dans des conclusions déposées au greffe de la cour le 24 janvier 2012, contenant reprise d'instance sous constitution de Maître Camillerapp, M. Lagrange a conclu à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 8 000 euro, en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Il invoque l'irrecevabilité de la demande subsidiaire nouvelle en cause d'appel au titre de la nullité du contrat et du remboursement des honoraires versés par la société Gotham.
Il réplique que :
- la Cour de cassation reproche simplement un problème dans la forme de la décision prise par la cour d'appel et non dans la solution de celle-ci puisqu'en limitant la portée de la cassation, elle a consacré cette décision en ce qu'elle a dit que la notion d'apporteur d'affaires n'était pas une notion juridique et qu'il y avait lieu de rechercher la volonté des parties et en ce qu'elle a considéré que M. Lagrange n'était pas un courtier et ne relevait pas du statut des agents immobiliers, réglementé par la loi Hoguet ;
- il avait pour mission de rechercher et de négocier des terrains pour la société Groupe Carrère dans les régions du Languedoc Roussillon et de l'Auvergne (exception faite de l'Allier) et devait percevoir une rémunération égale à 5 % HT du prix HT du terrain présenté, sur présentation de facture ; la société appelante achète et revend des terrains et réalise quelques opérations de promotion immobilière ; or, il négociait de façon permanente des contrats d'achat de terrains au profit de la société Groupe Carrère, ce qui rentre dans la définition de l'activité d'agent commercial ;
- il est agent commercial et immatriculé en tant que tel au registre du commerce ; son numéro d'immatriculation figure sur le contrat liant les parties ; il n'est pas titulaire d'une carte professionnelle d'agent immobilier ;
- en réservant la primeur et l'exclusivité des terrains à la société Groupe Carrère, il n'agissait pas en qualité de courtier amené à rechercher les meilleures opportunités entre fournisseurs concurrents pour ses clients ; le courtier ne représente pas le client qui fait appel à ses services et exclut les notions d'exclusivité et de mandat ;
- en tout état de cause, il produit des courriers et contrats démontrant que la société Groupe Carrère lui a fixé des objectifs et qu'il est intervenu, pour son compte et en son nom, à plusieurs reprises ;
- le contrat n'est pas soumis à la loi Hoguet et les demandes nouvelles en nullité sont tout aussi irrecevables qu'infondées.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 26 janvier 2012.
Motifs de la décision
Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
Le statut légal d'agent commercial ne dépend pas de la qualification donnée par les parties dans le contrat ni de la qualification qui peut en être donnée par des tiers à cette relation, mais des conditions dans lesquelles l'activité a été effectivement exercée permettant de déterminer si elle répond aux critères ci-dessus rappelés.
Il appartient à celui qui se prévaut du statut d'agent commercial d'en apporter la preuve.
La société Carrère Promotion a conclu avec M. Lagrange, le 23 juin 2005, un contrat dénommé "convention d'apporteur d'affaires", qui dispose notamment :
Article 1 : Objet de la convention
Le mandant (société Carrère Promotion) ou toute autre personne qu'il lui plaira de se substituer, autorise par la présente le mandataire (M. Lagrange) qui accepte à intervenir en tant qu'apporteur d'affaires (...).
Article 2 : Missions
Chaque partie fait son affaire personnelle de toute charge fiscale ou sociale lui incombant. A ce titre, avant tout règlement, le mandataire devra justifier d'une immatriculation administrative et indiquer son numéro d'inscription au service de la TVA intercommunautaire.
Le mandataire s'engage à réserver au mandant la primeur des terrains qu'il sera susceptible de prospecter. Ainsi il s'engage à réserver l'exclusivité de ces opportunités foncières au mandant pour une durée expirant :
* en cas de refus du dossier par le mandant : le jour du refus par le mandant ;
* en cas d'acceptation du dossier par le mandant : le jour de la réitération de l'acte d'acquisition par le mandant (...).
Article 3 : Types de produits
Les terrains objet de la mission du mandataire devront permettre la réalisation d'opérations de constructions de type habitat collectif, lotissements résidentiels, résidence de tourisme (...).
Article 4 : Conditions de présentation et d'agrément des affaires
Les dossiers présentés par le mandataire, pour être étudiés par le mandant devront contenir les pièces suivantes :
1) Dossier de présentation du projet : Plan de situation, reportage photos, étude locative ou de marché, prix du foncier hors taxes, bilan-type financier de l'opération ;
2) Dossier de validation du projet : Un plan de situation, Etat des règlements d'urbanisme, extraits du POS ou du PLU, reportage photos, étude de faisabilité, bilan avec données techniques à jour et chiffrage VRD (...)
Dans l'hypothèse d'un rejet du dossier de présentation ou de validation par le mandant, le mandataire reprend son entière liberté concernant la proposition rejetée. Le rejet ou l'acceptation d'un dossier par le mandant devront être formalisés par un écrit émanant du mandant porté à la connaissance du mandataire.
Article 5 : Zone d'intervention géographique
La zone d'intervention du mandataire est limitée aux régions Languedoc-Roussillon et Auvergne, exception faite du département de l'Allier. Le mandataire ne bénéficie d'aucune exclusivité à l'égard du mandant sur les zones précitées.
Article 6 : Rémunération
Pour la mission ci-dessus exposée, le mandataire percevra lorsqu'il amène l'affaire, des honoraires à hauteur de 5 % HT du prix hors taxes du terrain présenté (35% payable à la signature de la promesse de vente de l'affaire considérée et le solde payable à la signature de l'acte authentique d'acquisition du terrain).
Dans l'éventualité où l'indication de l'affaire serait amenée par le mandant, la rémunération du mandataire sera ramenée à 3,5 % HT du prix du terrain (...).
La mission confiée à M. Lagrange consistait à rechercher et trouver des terrains situés dans les régions Languedoc Roussillon et Auvergne, susceptibles d'intéresser la société Carrère Promotion, dans le cadre de l'activité de promoteur immobilier exercée par celle-ci. M. Lagrange s'est engagé à proposer en priorité et en exclusivité à la société Carrère Promotion les terrains qu'il prospectait, dans l'attente de la confirmation ou de la renonciation du dossier présenté. Il n'était pas autorisé à engager cette société à l'égard des tiers ni à négocier en son nom. Il s'agissait, en fait, pour M. Lagrange de présenter un dossier complet sur le terrain proposé que la société Carrère Promotion se réservait le droit d'agréer ou non.
M. Lagrange qui se prévaut d'un mandat d'agent commercial, prétend qu'il a négocié et conclu des ventes de terrains au nom et pour le compte de la société Carrère Promotion.
Le numéro d'immatriculation de M. Lagrange au registre du commerce et des sociétés mentionné sur le contrat ne caractérise pas le mandat d'agent commercial.
Les attestations, les courriers et les e-mails versés aux débats, qui font référence à la fonction de " directeur développement " occupée par M. Lagrange au sein du groupe Carrère ou de directeur d'agence au sein de locaux loués par ce groupe, révèlent davantage l'existence d'un lien de subordination avec une société du groupe Carrère, incompatible avec le mandat d'agent commercial allégué, étant observé que le fait que l'intéressé ait reçu des agents immobiliers, des architectes, des géomètres et des propriétaires de terrains et ait participé à la formation de développeurs fonciers caractérisent des relations privilégiées dans le domaine du bâtiment de nature à faciliter la mise en relation avec des clients ou vendeurs potentiels de terrains constructibles.
La promesse de vente du 9 octobre 2007 entre EDF (vendeur) et la société Groupe Carrère (acquéreur) portant sur un bâtiment à usage de bureaux et une maison de maître, qui ne concerne d'ailleurs pas un terrain, mentionne M. Lagrange, "directeur développement", en qualité de représentant de la société Groupe Carrère, intervenant en vertu d'un pouvoir spécial donné par la société FCF, présidente de la société Carrère Promotion. Il apparaît que M. Lagrange n'a pas agi, comme il le prétend, dans le cadre du contrat d'apporteur d'affaires du 23 juin 2005.
L'acte notarié du 11 octobre 2007 concernant la vente d'une villa F7 consentie par Mme Abit à la SCI Résidence l'Abrivado, représentée par M. Lagrange, en sa qualité de responsable développement de cette société civile de construction, gérée par la société Groupe Carrère, démontre également que ce dernier est intervenu sous une qualité différente de celle résultant du contrat litigieux.
Eu égard à tous ces éléments, il n'est pas démontré que dans le cadre de l'exécution de ce contrat, M. Lagrange ait assumé de façon permanente et indépendante la négociation, au nom et pour le compte de la société Carrère Promotion, des achats de terrains qu'il prospectait.
Il ne peut donc revendiquer le statut d'agent commercial et doit être débouté de ses demandes d'indemnisation faites sur ce seul fondement.
Le jugement sera infirmé dans toutes ses dispositions.
La société Gotham ne démontre pas que l'action en justice de M. Lagrange a dégénéré en abus. Sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.
La société Gotham demande que soit ordonnée la restitution de la somme qu'elle a versée en vertu de l'arrêt confirmatif du 30 juin 2009, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de versement.
Il convient de rappeler que l'obligation de rembourser les sommes versées, en vertu d'une décision de première instance, résulte de plein droit de la réformation de ladite décision.
Le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution du jugement confirmé par l'arrêt cassé, qui portent intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, M. Lagrange supportera la charge des dépens exposés en première instance et lors de l'appel ayant donné lieu à l'arrêt cassé, ainsi que les dépens exposés devant la cour de renvoi, mais sans que l'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre partie.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris ; Et statuant à nouveau ; Dit que le contrat liant les parties ne relève pas du statut des agents commerciaux ; Déboute M. Lagrange de ses demandes en paiement de l'indemnité de fin de contrat et de l'indemnité de préavis ; Déboute la société Gotham de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Rappelle que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution de la somme versée par la société Gotham, en exécution du jugement confirmé par l'arrêt cassé, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ; Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Lagrange aux dépens exposés en première instance et lors de l'appel ayant donné lieu à l'arrêt cassé ainsi que les dépens exposés devant la cour de renvoi, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.