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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 22 mars 2012, n° 10-04332

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Caud (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Bail

Conseillers :

Mme Le Brun, M. Mathieu

Avocats :

SCP Bazille, SCP Gauvain-Demidoff, Mes Breger, Meslay Caloni

TGI Lorient, du 22 janv. 2008

22 janvier 2008

La société Chanel, propriétaire de la marque, sous laquelle elle distribue des produits de beauté et de parfumerie au travers d'un réseau de distribution sélective, a fait constater, par procès-verbal en date du 14 février 2005 que la société Caud, qui exploite un magasin de détail dans la zone industrielle Lann Sévelin à Caudan (56), diffusait ses produits sans son autorisation ;

La société Chanel a fait assigner cette société en contrefaçon d'usage et de marque, ainsi qu'en violation de l'interdiction de revente hors réseau et en concurrence déloyale, devant le Tribunal de grande instance de Lorient ;

Le Tribunal de grande instance de Lorient, par jugement rendu le 22 janvier 2008, a :

- Dit que la société Caud a fait usage de la marque Chanel sans l'autorisation de la SAS Chanel, dans des conditions constitutives de contrefaçon au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

- Dit que ces agissements sont constitutifs de concurrence déloyale ;

- Condamné la société Caud à payer à la SAS Chanel la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la marque et préjudice commercial consécutif à la violation d'un réseau de distribution sélective ;

- Interdit à la société Caud de continuer à faire usage de la marque susvisée, sous astreinte de 100 euro par usage constaté, à compter de la signification du présent jugement ;

- Ordonné la mainlevée du séquestre en date du 15 février 2005 ;

- Condamné la SARL Caud à rembourser à la société Chanel les sommes de 653,91 euro et 369,68 euro correspondant au coût du constat d'huissier du 15 février 2005 et à la procédure sur requête ;

- Condamné la société Caud à payer à la SAS Chanel la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeté toutes autres demandes ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la société Caud aux entiers dépens ;

Sur appel interjeté par la société Caud, la Cour d'appel de Rennes, par arrêt du 20 janvier 2009, a :

- Réformé le jugement rendu le 22 janvier 2008 par le Tribunal de grande instance de Lorient en ce qu'il n'a pas réparé le préjudice découlant de violation de l'interdiction de revente hors réseau de distribution sélective et des agissements parasitaires imputables à la société Caud et en ce qu'il a rejeté la demande de publication de la décision de condamnation ;

- Condamné à ce titre la société Caud à payer à la société Chanel une somme de 5 000 euro ;

- Ordonné la publication du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Chanel et aux frais de la société Caud sans que le coût de ces publications excède 4 000 euro hors taxes ;

- Confirmé la décision attaquée en ses autres dispositions ;

- Condamné la société Caud à payer à la société Chanel une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouté les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

- Condamné la société Caud aux dépens d'appel ;

Sur pourvoi formé par la société Caud, la Cour de cassation par arrêt rendu le 23 mars 2010, a :

Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Caud à payer à la société Chanel une somme de 5 000 euro pour agissements parasitaires, l'arrêt rendu le 20 janvier 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes; remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, les renvoyant, pour être fait droit, devant la Cour d'appel de Rennes, autrement composée et condamnant la société Chanel aux dépens ;

La cour a statué aux motifs suivants :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour retenir que la société Caud avait commis des agissements parasitaires au préjudice de la société Chanel et la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt relève qu'en placardant dans son point de vente des affiches reproduisant la marque Chanel, alors qu'elle ne disposait que d'une quantité limitée de produits de cette marque et que l'étanchéité du réseau de distribution sélective lui interdisait de se réapprovisionner, la société Caud a utilisé cette marque comme marque d'appel dans le seul but de profiter de son attrait auprès de la clientèle et de tenter de vendre d'autres articles que ceux annoncés ; que l'arrêt retient encore que ces agissements visant à bénéficier du pouvoir attractif de la marque ont permis à la société Caud de tirer profit de l'image et du prestige de la marque sans avoir à se soumettre aux contraintes pesant sur les distributeurs agréés ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser des faits distincts de ceux retenus pour justifier l'absence d'épuisement du droit sur la marque Chanel et la condamnation de la société Caud pour usage illicite de cette marque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Vu la déclaration afin de saisine après renvoi de cassation déposée au greffe de la cour le 3 juin 2010 à la requête de la SARL Caud ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2011 par la SARL Caud qui demande à la cour de :

- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SAS Chanel la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'actes de concurrence déloyale et parasitisme, de constater qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme et de débouter en conséquence la société Chanel de toutes ses demandes,

Y ajoutant,

- Condamner la société Chanel à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Chanel aux dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 décembre 2011 par la société Chanel SAS qui demande à la cour, statuant sur son appel incident, de dire que la société Caud a participé indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau en violation de l'article L. 442-6-I 6° du Code de commerce, qu'elle s'est approvisionnée dans des conditions anormales, en violation d'un réseau de distribution sélective, qu'elle a mis en vente des produits Chanel sans être soumise aux contraintes des distributeurs agréés, tout en bénéficiant de la valeur publicitaire de la marque, qu'elle a utilisé les marques Chanel et en double C sur des affiches publicitaires comme "marque d'appel" et qu'elle a ainsi porté atteinte à la cohésion du réseau de distribution sélective de la société Chanel, en conséquence :

- Dire que la SARL Caud a engagé sa responsabilité quasi délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- Condamner la SARL Caud à payer à la société Chanel la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- Débouter la SARL Caud de toutes ses demandes,

Ajoutant,

- Condamner la SARL Caud à payer à la société Chanel la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 19 janvier 2012 ;

Sur ce :

Considérant qu'il convient de rappeler, à titre liminaire que la Cour de cassation a rejeté le moyen développé par la société Caud faisant grief à la cour d'appel de l'avoir condamnée, pour usage illicite de la marque Chanel, au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts ; que la Cour de cassation a seulement cassé l'arrêt rendu le 20 janvier 2009 ce qu'il a condamné la société Caud à payer à la société Chanel une somme de 5 000 euro pour agissements parasitaires ;

Que l'arrêt du 20 janvier 2009 est donc définitif en ce qu'il a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Lorient du 22 janvier 2008 en ce qu'il a condamné la société Caud à payer à la société Chanel la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial consécutif à la violation d'un réseau de distribution sélective ;

Considérant que la seule question qui demeure ainsi en litige est de savoir s'il est rapporté la preuve de faits distincts de ceux retenus pour justifier l'absence d'épuisement du droit sur la marque Chanel et la condamnation de la société Caud pour usage illicite de cette marque, permettant de caractériser des faits de concurrence déloyale ou de parasitisme et justifiant une indemnisation distincte ;

Considérant que la société Chanel rappelle l'ensemble des éléments de la cause et fait spécialement valoir, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts, que la société Caud s'est approvisionnée dans des conditions anormales, en violation d'un réseau de distribution sélective, qu'elle a mis en vente des produits Chanel sans être soumise aux contraintes des distributeurs agréés, tout en bénéficiant de la valeur publicitaire de la marque, qu'elle a utilisé les marques Chanel et en double C sur des affiches publicitaires comme "marque d'appel" et qu'elle a ainsi porté atteinte à la cohésion du réseau de distribution sélective de la société Chanel ;

Considérant qu'il n'est pas démontré, en l'espèce, de faits distincts de ceux retenus au titre de la violation d'un réseau de distribution sélective et de la contrefaçon par usage illicite de marque, et susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme ;

Considérant en effet que l'acquisition des produits litigieux hors réseau et la mise en vente de ces produits dans des conditions non agréées, avec en conséquence la désorganisation du réseau sélectif de Chanel et l'atteinte à la marque, ainsi que l'apposition par la société Caud d'affiches faisant usage, à titre publicitaire, de la marque Chanel, sont au nombre des éléments qui ont servi tant au premier juge qu'à la cour d'appel à caractériser les faits de violation d'un réseau de distribution sélective et de contrefaçon par usage illicite de marque ;

Que c'est donc à bon droit que le Tribunal de grande instance de Lorient n'a prononcé qu'une seule condamnation à titre de dommages et intérêts ; que la société Chanel doit par conséquent être déboutée de sa demande ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en l'espèce ;

Considérant que la société Chanel, qui succombe, supportera les dépens de la présente procédure, ainsi que les dépens de l'arrêt cassé ;

Par ces motifs : LA COUR, Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 mars 2010, Statuant dans les limites de la saisine, Déboute la société Chanel de toutes ses demandes, Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Chanel aux dépens de la présente procédure ainsi qu'aux dépens de l'arrêt cassé qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.