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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 23 mars 2012, n° 10-08838

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rotopartner (SAS), Citec Environnement (SA)

Défendeur :

Raynaud (ès qual.), Techno Poly (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouly de Lesdain

Conseillers :

Mme Chandelon, M. Schneider

Avocats :

Mes Fromantin, Fassier, Couturier, Bernet

T. com. Clermont-Ferrand, du 7 janv. 201…

7 janvier 2010

La société Citec Environnement est une des filiales françaises de la société de droit allemand Otto, un des leaders mondiaux de la fabrication et de la distribution des bacs destinés à la collecte des déchets.

La société Rotopartner fabrique des colonnes d'apport volontaire sans collage ni soudure (technique dite de rotomoulage).

La société Citec Environnement a acquis 95 % de son capital en 1996 avant d'en prendre le contrôle définitif en 2000.

La société Techno-Poly fabrique des pièces de toute nature en matériaux composites à base de fibres de verre, polyester et toute matière assimilée.

La société Citec Environnement a mis au point un procédé à base de résine polyester réalisé au moyen de moules créés par ses services de recherche pour répondre aux besoins d'insonorisation des bacs et colonnes de collectes.

Depuis 1995, elle a chargé la société Techno-Poly d'exécuter ce travail.

A compter de l'année 2002, la société Rotopartner, unité de production dédiée aux colonnes d'apport volontaire est devenue l'interlocuteur de la société Techno-Poly.

Après avoir diminué le volume de ses commandes à partir du mois de mai 2006, la société Rotopartner a sollicité, le 26 septembre 2006, la restitution du matériel lui appartenant entreposé dans les locaux de la société Techno-Poly pour exécuter sa prestation.

S'estimant victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, la société Techno-Poly a engagé la présente procédure par exploits des 27 et 29 février 2008.

Le 28 janvier 2008, le Tribunal de commerce de Moulins a admis la société Techno-Poly au bénéfice du redressement judiciaire, converti, le 7 juillet suivant, en liquidation. La même décision a désigné Me Raynaud mandataire judiciaire.

Par jugement du 7 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Clermont Ferrand a :

- constaté la rupture brutale des relations commerciales,

- condamné solidairement les sociétés Citec Environnement et Rotopartner à payer à la société Techno-Poly les sommes de :

- 45 178,84 euro au titre du manque à gagner résultant de l'absence de tout préavis,

- 15 175 euro au titre des procédures de licenciement engagés,

- 6 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 16 avril 2010, les sociétés Citec Environnement et Rotopartner ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 22 décembre 2011, les sociétés Citec Environnement et Rotopartner demandent à la cour de :

- infirmer le jugement,

- débouter la société Techno-Poly de ses demandes,

- condamner la société Techno-Poly à leur verser, à chacune, 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le décembre 2011, Me Raynaud ès qualités demande principalement à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu une rupture brutale de relations commerciales établies, la responsabilité solidaire des sociétés Citec Environnement et Rotopartner les condamnant au paiement de 15 175 euro au titre des procédures de licenciement ainsi que de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- l'infirmer pour le surplus et condamner solidairement les sociétés Citec Environnement et Rotopartner à lui payer :

- 180 715,34 euro au titre du manque à gagner résultant de l'absence de tout préavis,

- 9 832 euro au titre de l'impossibilité d'écouler son stock,

- 83 814 euro au titre de son investissement immobilier de 1998 à 2006,

- 3 366,09 euro au titre du coût de préparation de cette procédure,

- 30 000 euro au titre du préjudice moral,

- 15 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Cela etant exposé,

LA COUR,

Sur la solidarité des sociétés Citec Environnement et Rotopartner

Considérant que la société Citec Environnement reproche aux premiers juges d'avoir retenu sa responsabilité solidaire au motif qu'elle a cessé toute relation commerciale avec la société Techno-Poly depuis l'année 2002, sa filiale Rotopartner ayant repris la fabrication de colonnes d'apports volontaires ;

Mais considérant que la société Rotopartner n'est, aux termes mêmes des écritures des appelantes qu'une unité de production ;

Considérant qu'il s'en déduit que la société Citec Environnement conserve la maîtrise de la politique du groupe ;

Que cette analyse est confortée par le fait que, s'adressant à la société Rotopartner pour savoir pourquoi certaines commandes ne lui avaient pas été transmises, la société Techno-Poly obtenait, le 13 septembre 2006, une réponse de la société Citec Environnement ;

Considérant ainsi que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité solidaire des appelantes ;

Sur la rupture

Considérant qu'il résulte des échanges de courriels produits que le 14 septembre 2006, la société Techno-Poly s'est inquiétée de ne pas sous-traiter les commandes reçues par les appelantes et que le 21 septembre 2006, il lui était demandé restitution de son matériel de travail ;

Considérant que pour contester l'application aux faits de l'espèce des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, les appelantes soutiennent en premier lieu que les relations commerciales n'ont été ni régulières ni stables ;

Qu'elles précisent que le marché est fragile car très concurrencé et en évolution, les collectivités publiques clientes préférant aux colonnes aériennes, les colonnes enterrées ou semi enterrées réduisant les nuisances environnementales ;

Qu'elles en veulent pour preuve :

- la dégradation de la situation financière de la société Rotopartner qui a accusé, sur les exercices 2004 et 2005, une perte importante, 399 393 euro et 335 539 euro, avant de dégager un faible bénéfice en 2006,

- la chute des expéditions de colonnes, de 62,59 % en 2004, 38,35 % en 2005 ;

Qu'elles en concluent que les relations ne peuvent être stables dans le cadre d'un secteur fluctuant et instable ;

Mais considérant que si la relation commerciale existant avant la rupture doit avoir été suivie, stable et habituelle, l'irrégularité du volume des commandes, nécessairement conditionné par le contexte économique et les exigences du marché, est indifférent ;

Considérant qu'en l'espèce, ce partenariat, d'une durée de onze ans, s'est accompagné, chaque année, d'importantes commandes, de l'ordre de 92 000 euro pour les première et dernière années, avec une pointe de 925 000 euro sur l'exercice comptable 1999/2000 ;

Considérant enfin que le sous-traitant travaillait avec le matériel mis à disposition par son donneur d'ordre, ce qui témoignait d'une volonté commune des parties de s'engager dans la durée, et permettait légitimement à la société Techno-Poly d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires, malgré la crise du secteur ;

Considérant que les appelantes contestent en second lieu la brutalité de la rupture, exposant que seules les contraintes économiques précitées ont incité la société Rotopartner à réduire ses commandes ;

Considérant que l'article L. 442-6, I-5° autorise la rupture sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, question qui sera examinée ci-après, et en cas de force majeure ;

Considérant ainsi que ce texte ne prévoit pas que de simples difficultés économiques puissent affranchir une partie de l'obligation qu'il prescrit ;

Qu'au surplus la société Rotopartner ne prétend pas avoir cessé toute fabrication de colonnes aériennes, ses pièces se bornant à caractériser une baisse des ventes, au moins de 2001 à 2005, enregistrant sur ces années une perte d'exploitation, avant de retrouver une situation bénéficiaire en 2006 ;

Considérant que les appelantes font valoir en troisième lieu que la société Techno-Poly n'était pas en état de dépendance économique, qu'elle ne bénéficiait d'aucune exclusivité et qu'elle est à l'origine de sa déconfiture, n'ayant pas su remédier à la baisse progressive de son activité alors encore qu'elle aurait dû se mobiliser pour diversifier sa clientèle ;

Mais considérant que comme le soutient l'intimé, l'application du texte précité n'est pas subordonnée à un état de dépendance économique, une telle situation n'ayant d'incidence que sur l'évaluation du préjudice ;

Considérant encore que même à supposer que la société Techno-Poly ait commis une faute de gestion, alors qu'elle ne pouvait anticiper la rupture brutale et n'avait aucune raison de modifier, courant 2006, sa politique commerciale, celle-ci n'aurait aucune incidence sur les obligations légales mises à la charge des appelantes ;

Considérant que ces dernières reprochent en quatrième lieu à la société Techno-Poly la mauvaise qualité de ses prestations ;

Qu'elles versent aux débats un jugement du Tribunal de commerce de Riom en date du 12 février 2008 qui établit que pour une première commande, 29 des 32 jeux d'insonorisation destinés à la ville de Nice ont été livrés avec 5 jours de retard (le 3 août 2006 au lieu du 29 juillet), 3 avec un retard de deux mois et demi tandis que la seconde commande de 33 pièces, d'un montant inférieur à 5 000 euro, n'était pas réalisée ;

Que la ville de Nice procédait ainsi à une annulation, répercutée par la société Rotopartner sur son sous-traitant ;

Mais considérant que cette inexécution n'avait pas un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible la poursuite de l'exécution du contrat ;

Qu'elle n'a d'ailleurs pas été reprochée au sous-traitant, la procédure précitée étant une opposition à l'Ordonnance d'injonction de payer délivrée à la société Rotopartner pour le montant de la commande annulée ;

Qu'en l'absence de tout autre élément de nature à démontrer une mauvaise exécution de certaines commandes, il appartenait à la société Rotopartner de respecter un délai de préavis ;

Sur le préjudice

Considérant qu'il convient de rappeler que les parties sont libres de dénouer leurs relations commerciales et que seul le préjudice découlant d'une rupture brutale doit être réparé, dont les composantes sont, selon Me Raynaud, ès qualités, les suivantes :

La perte de marge brute pendant la durée du préavis

Considérant que le préavis doit tenir compte de la durée de la relation et du volume des commandes précisés ci-dessus, mais également de l'importance des investissements réalisés par le partenaire et de la part de chiffre d'affaires qu'il apportait ;

Considérant que pour pouvoir sous-traiter les travaux d'insonorisation des colonnes, la société Techno-Poly a fait construire de nouveaux locaux en 1998, financés par un crédit-bail immobilier d'un coût, arrêté le 15 juillet 2006, de 221 234 euro ;

Considérant encore que les commandes de la société Rotopartner ont toujours représenté une part importante du chiffre d'affaires de la société Techno-Poly, entre 59 % et 93 % jusqu'à l'exercice 2006/2007 ;

Considérant qu'au regard de ces éléments, un préavis de douze mois devait être respecté ;

Considérant que la crise affectant le secteur considéré étant démontrée, il convient de ne prendre en considération, pour déterminer la marge brute, que les deux derniers exercices précédant la rupture, les commandes ne pouvant se situer aux niveaux des exercices 1999/2000 ;

Qu'il apparaît ainsi que les premiers juges ne pouvaient se référer à une moyenne des 6 exercices précédant la rupture pour obtenir une marge brute irréaliste au regard de la baisse démontrée des commandes des colonnes ;

Considérant qu'il résulte de l'attestation de l'expert-comptable de la société qu'elle s'est élevée aux sommes respectives de 35 364 euro et 33 414 euro, soit une moyenne de 34 389 euro, montant qu'il convient d'allouer à l'intimée ;

Le coût des licenciements

Considérant que Me Raynaud, ès qualités, sollicite de ce chef la confirmation de la condamnation prononcée à hauteur de 15 175 euro, montant des frais exposés, justifiés par les pièces produites ;

Considérant que les 9 et 11 octobre 2006, la société Techno-Poly a dû procéder aux licenciements économiques de M. Coumont, stratifieur et de M. Bignon, monteur ;

Que ces licenciements ont pour cause la cessation immédiate des commandes des appelantes et que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu ce poste ;

Les stocks devenus inutilisables

Considérant que l'expert-comptable de la société Techno-Poly chiffre à 2 792 euro le stock des matières premières et à 7 040 euro celui des produits finis destinés aux appelantes ;

Qu'il convient de retenir ces montants ;

Les investissements immobiliers réalisés

Considérant que les investissements réalisés dans le cadre de la relation commerciale ont été pris en compte pour déterminer la durée du préavis ;

Qu'ils ne sauraient ouvrir droit à indemnisation que pour leur part non amortie ;

Considérant qu'en l'espèce, Me Raynaud, ès qualités, sollicite la perte de la plus-value du bien immobilier en fin de crédit-bail ;

Qu'un tel préjudice qui suppose que le contrat soit mené à son terme et que le preneur opte pour un achat n'est pas directement imputable à la brutalité de la rupture et qu'il convient de débouter l'intimé de cette demande ;

Le préjudice moral

Considérant qu'il est demandé à ce titre réparation du préjudice subi à la suite de manquement à la morale des affaires et aux usages les plus élémentaires ;

Mais considérant que seule une personne physique peut souffrir d'une telle attitude et qu'il convient de rejeter cette réclamation ;

Sur les autres demandes

Considérant que les frais de préparation du dossier sont des frais irrépétibles appréhendés par les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que le montant alloué par le tribunal n'est pas contesté par l'intimé et qu'il sera confirmé ;

Que chaque partie succombant partiellement en cause d'appel, il ne sera pas fait application de ce texte par la cour ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris du chef de l'indemnité allouée au titre du manque à gagner résultant de l'absence de préavis ; Statuant à nouveau, Condamne solidairement les sociétés Citec Environnement et Rotopartner à payer à Me Raynaud, ès qualités la somme de 34 389 euro ; Confirme pour le surplus les dispositions du jugement non contraires au présent arrêt ; Y ajoutant, Condamne solidairement les sociétés Citec Environnement et Rotopartner à payer à Me Raynaud, ès qualités, la somme de 9 832 euro au titre du stock perdu ; Rejette les autres demandes ; Condamne solidairement les sociétés Citec Environnement et Rotopartner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.