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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 mars 2012, n° 09-23478

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Create and Concept France (SA), Create & Concept Europe (SA), Cricket & Co Europe (SA)

Défendeur :

Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

M. Vert, Mme Luc

Avocats :

Mes Fromantin, Bine Fischer, Hardouin, Escande

TGI Paris, du 9 oct. 2009

9 octobre 2009

LA COUR,

Vu le jugement du 9 octobre 2009 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a, notamment :

- condamné in solidum les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe et Cricket & Co Europe à payer à la société Renault la somme de 500 000 euro avec intérêt au taux légal à compter du 7 juin 2001 ;

- débouté les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe et Cricket & Co Europe de leurs demandes ;

- condamné in solidum les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe et Cricket & Co Europe à payer à la société Renault la somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toutes les autres demandes ;

- condamné in solidum les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe et Cricket & Co Europe aux dépens ;

Vu l'appel interjeté par les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe ainsi que Cricket & Co Europe et leurs conclusions du 7 février 2012 ;

Vu les conclusions de la société Renault du 22 novembre 2011 ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

Du 22 au 26 mars 2001, la société Renault a organisé une opération promotionnelle "portes ouvertes" destinée à faire connaître sa nouvelle gamme automobile Renault Scenic comportant un jeu gratuit permettant de gagner 200 000 sacs de voyage. Cette opération et la publicité commerciale y afférente ont été organisées avec le concours de la société Publicis Conseil. La société Renault s'est adressée à la société Create & Concept France pour trouver le modèle de sac de voyage, lequel devait être facturé par la société Cricket & Co Europe. La société Cricket & Co France a toutefois proposé à la société Renault un sac de voyage qui s'est avéré constituer la contrefaçon du modèle de sac de voyage Spider de la société Longchamp.

En effet, par arrêt en date du 31 mars 2004, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Paris rendu le 13 septembre 2002, s'agissant du principe des condamnations in solidum des sociétés Renault, Publicis Conseil, Cricket & Co Europe et Create & Concept France pour atteinte, d'une part, au droit moral de Monsieur Cassegrain, ès qualité de créateur du sac Spider, ainsi qu'aux droits patrimoniaux dont est titulaire la société Jean Cassegrain et, d'autre part, pour actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Longchamp. Un pourvoi a été formé par les sociétés Cricket & Co Europe et Create & Concept France. La société Renault en a fait de même à titre conservatoire. La société Publicis s'est, par ailleurs, acquittée intégralement de sa dette. Elle s'est donc retournée vers ses co-défenderesses afin de récupérer auprès de chacune d'entre elles leur part respective;

Un protocole transactionnel a été signé le 26 octobre 2004 entre, d'une part, la société Renault et, d'autre part, les sociétés Create & Concept France et Cricket & Co Europe aux termes duquel, en contrepartie du retrait du pourvoi en cassation sus-mentionné et de la renonciation de la société Longchamps aux publications judiciaires, la société Renault s'engageait à rembourser immédiatement à la société Publicis la quote-part des condamnations incombant aux sociétés Cricket & Co Europe et Create & Concept France. Ces dernières s'engageaient par ailleurs solidairement à rembourser la société Renault des sommes avancées selon un échéancier dont la société Create & Concept Europe se portait garante. Cependant cet accord n'aurait été accepté, selon les sociétés Create & Concept France et Cricket & Co Europe, uniquement dans la mesure où le courant d'affaires avec la société Renault aurait repris. La société Renault n'aurait pas respecté cet engagement, c'est pourquoi, les sociétés Cricket & Co Europe et Create & Concept France refusèrent de payer les échéances prévues dans le protocole transactionnel.

C'est dans ces conditions que, par acte en date des 29 novembre et 10 décembre 2007, la société Renault a assigné en paiement in solidum les sociétés Create & Concept France, Create & Concept Europe et Cricket & Co Europe devant le Tribunal de grande instance de Paris et qu'est intervenu le jugement déféré susvisé ;

Considérant qu'il convient, tout d'abord, de rappeler qu'à l'instar de tout contrat, le protocole transactionnel conclu entre la société Renault, d'une part, et les sociétés Create & Concept France SA et Cricket & Co Europe, d'autre part, revêt un caractère obligatoire entre les parties, par application de l'article 1134 du Code civil qui dispose que :

"Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi" ;

Considérant que si les sociétés Create & Concept France et Cricket & Co Europe se sont ainsi engagées au terme dudit protocole à rembourser à la société Renault le montant des condamnations mises à leur charge aux termes de l'arrêt du 31 mars 2004 et que la société Renault avait accepté de prendre temporairement à sa charge en faisant l'avance à la société Publicis, il sera souligné que la société Create & Concept Europe s'était engagée, par acte séparé du 26 octobre 2004 annexé au protocole transactionnel, à garantir la société Renault de l'exécution des engagements pris par sa filiale, la société Create & Concept France, et à se substituer à celle-ci en cas de défaillance ; qu'il n'est pas contesté que la société Renault a payé à la société Publicis les 500 000 euro à la charge des sociétés Cricket & Co Europe et Create & Concept France ; qu'en revanche aucune des échéances prévues n'a été remboursée par les sociétés Create & Concept France et Cricket & Co Europe malgré les courriels des 30 janviers et 28 novembre 2006 et la lettre recommandée avec accusé de réception du 7 juin 2007 correspondant à la réclamation de deux annuités et demi ; que la société Create & Concept Europe, également mise en demeure le 7 juin 2007, n'a pas garanti sa filiale conformément à son engagement figurant à l'annexe 1 du protocole ;

Considérant que pour s'opposer au paiement des sommes réclamées, les appelantes soulèvent une exception d'inexécution du contrat aux motifs que "la transaction (....) comportait à titre d'obligation déterminante de leur engagement le maintien d'un courant d'affaires permettant à Create & Concept France de régler sa dette", et que "l'équilibre de l'accord s'est en conséquence trouvé totalement bouleversé du fait de l'absence totale de travaux confiés par Renault SAS à son ancien partenaire" ;

Considérant, cependant, que si les intéressées invoquent l'existence d'un accord verbal aux termes duquel la société Renault se serait engagée à entretenir des relations commerciales avec la société Create & Concept France afin de lui permettre de faire face à ses échéances de paiement, il sera, tout d'abord, relevé qu'en ce qui concerne le cas particulier de la société Create & Concept Europe, cette dernière ne peut faire valoir aucune exception d'inexécution, car la garantie qu'elle a accepté de concéder à la société Renault est autonome, inconditionnelle et sans réserve ; que par ailleurs, si les appelantes précisent l'appui de leurs prétentions que "dans le cadre des négociations qui se sont déroulées à l'issue du procès les opposants à Longchamp et autres, Renault a clairement annoncé son intention de poursuivre sa collaboration avec Create & Concept France. C'est la contrepartie qui a fait que Create & Concept a signé le protocole et que sa maison mère, Create & Concept Europe a accepté de se porter garant du paiement" et si, selon elles, la preuve de cet engagement verbal pris par la société Renault résulterait de "l'équilibre de l'accord transactionnel" et de "l'attestation claire et circonstanciée de Monsieur Ghyoot", il convient, néanmoins, de souligner que ladite attestation, dont il ressort qu'à l'occasion d'un aparté qui se serait tenu entre son auteur et le responsable du service des achats de la société Renault le jour du rendez-vous de négociation, celle-ci aurait accepté de faire en sorte que des marchés soient attribués à la société Create & Concept France avec une marge bénéficiaire raisonnable, émane du propre administrateur des sociétés Create & Concept France et Create & Concept Europe ; que, surtout , la teneur de ces déclarations est infirmé par les termes d'un courriel adressé par l'intéressé lui-même le 19 juillet 2004 au responsable des achats de Renault et lui indiquant : "Notre accord dans (ce) dossier ne s'entend pas comme conditionnel à un chiffre d'affaires minimum à réaliser pendant les quatre années à venir. Nous souhaitons simplement rappeler que nous avions convenu que nos sociétés seraient autorisées à soumissionner auprès de la société Renault"; qu'en effet il était seulement précisé à l'article VI du protocole que "les sociétés Cricket & Co Europe et Create & Concept France peuvent continuer à soumissionner auprès de la société Renault, dans les conditions normales de la concurrence", ce qui correspond aux termes du courriel sus-mentionné de Monsieur Ghyoot ; que cet accord ne peut, sauf dénaturation, s'entendre comme un engagement d'obtention d'un chiffre d'affaires minimum ; qu'au demeurant un tel engagement, outre qu'il ajouterait aux obligations des parties, méconnaîtrait directement les règles applicables aux appels d'offres et consultations organisés par la société Renault pour le choix de ses différents fournisseurs ; qu'enfin, et au-delà d'affirmations qu'aucun élément ne corrobore utilement, les appelantes ne justifient aucunement de la réalité des manœuvres dolosives dont elles imputent la commission à l'intimée pour la conclusion ou l'exécution de la transaction sus-analysée ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'écarter l'exception d'inexécution invoquée par les appelantes et de les débouter de leurs demandes subséquentes de résiliation et d'annulation du protocole et de la garantie de bonne foi aux torts exclusifs de la société Renault, ainsi qu'aux fins de dommages-intérêts; qu'en revanche les sociétés Create & Concept France, Cricket a Co Europe ainsi que Create & Concept Europe seront condamnées in solidum à payer à la société Renault la somme de 500 000 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2007, date de la mise en demeure sus-mentionnée, les intérêts échus y afférents étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;

Considérant, en dernier lieu, que les sociétés Create & Concept France et Create & Concept Europe sollicitent le versement de la somme de 933 500 euro au titre de la rupture d'une relation commerciale établie avec la société Renault et invoquent à cet effet les dispositions de l'article L 442-6-I, 5° du Code de commerce, sanctionnant "le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Considérant, toutefois, qu'aux termes du protocole, il était simplement indiqué que la société Create & Concept France pouvait "continuer à soumissionner auprès de la société Renault, dans les conditions normales de la concurrence" et donc, selon les règles en vigueur chez Renault pour les appels d'offre ; qu'au jour de la négociation et de la signature du protocole, la société Create & Concept France savait ainsi qu'elle ne pouvait plus obtenir un marché selon les pratiques des années antérieures à 2002 (à savoir l'obtention possible de contrats directement auprès la Direction commerciale France sans implication systématique de la Direction des Achats et application d'un processus de consultation par appels d'offres) ; qu'en effet, au cours de l'année 2001, a commencé à être mis en place un système d'appel d'offres, c'est-à-dire un système avec une réelle mise en concurrence des fournisseurs, le tout supervisé et centralisé par le Direction des Achats de Renault ; qu'à partir de l'année 2004, s'est généralisé en outre le recours au système d'enchères inversées, qui n'est en réalité qu'une modalité finale de négociation en vue de la sélection du fournisseur le plus compétitif en coût, qualité et délai ; que ce système oblige à présenter une première offre qui se situe au niveau ou en dessous du prix de départ ou de la mise à prix et permet à chaque fournisseur de connaître, en temps réel, le montant des enchérissements de ses concurrents, dont l'identité demeure toutefois cachée ; que l'aléa inhérent à de telles mises en concurrence répétées, à brèves échéances régulières, empêche de considérer qu'il y ait une relation stable ou permanente, c'est-à dire établie entre les parties, lesquelles sont nécessairement placées dans une situation de précarité; qu'au demeurant les appelantes concernées étaient informées à chacun des appels d'offres de ce que la société Renault se réservait le droit de ne pas donner suite à la consultation sans indemnité ni recours possible ; que, par suite et au regard d'une collaboration ainsi régulièrement remise en cause, les intéressées ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6-I 5 précité ; que leur demande indemnitaire formée de ce chef ne peut, donc, qu'être écartée ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, y ajoutant, d'ordonner la capitalisation des intérêts échus afférents à la condamnation prononcée au profit de la société Renault et de débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions ;

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Déboute les appelantes de l'ensemble de leurs prétentions, Les condamne in solidum aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. Les condamne sous la même solidarité à payer la société Renault la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.