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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 27 mars 2012, n° 10-08499

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sea Tech France (SARL)

Défendeur :

Bamaco (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

SCP Gauvain-Demidoff, SCP Castres Colleu Perot Le Couls Bouvet, Mes Pannetier, Humeau

T. com. Saint-Malo, du 15 nov. 2010

15 novembre 2010

Exposé du litige

La SARL Sea Tech France représente de façon exclusive en France, et de façon non exclusive dans d'autres pays, les produits du fabricant italien Mondel Srl, à savoir des systèmes d'épuration et de stockage pour la conservation des crustacés, des mollusques et des poissons vivants. Monsieur Bertrand Fleury, son gérant, est lié par un contrat d'agent commercial avec la société Sea Tech Ugo Caboni, spécialisée dans l'importation des produits des fabricants italiens Adriatic Sea Aquarium & Équipement et Mondel Srl.

Au début de l'année 2007, Monsieur Bertin, gérant de la société Bamaco, est entré en relation avec la SARL Sea Tech France sans qu'un contrat écrit ne soit établi, le contrat d'agent commercial proposé n'ayant pas été signé. Il était convenu que la société Bamaco, non inscrite au registre spécial des agents commerciaux, représente la société Sea Tech France pour les produits Mondel distribués par cette dernière, moyennant le versement de commissions.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mars 2009, la société Sea Tech France a résilié le mandat de représentation des produits Mondel confié à la SARL Bamaco en lui reprochant des manquements multiples et répétés.

Par acte en date du 2 octobre 2009, la société Bamaco l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Saint-Malo en paiement de factures de commissions d'un montant de 123 723,39 euro et d'une indemnité de rupture de 204 471,67 euro.

Par décision rendue le 15 novembre 2010, le Tribunal de commerce de Saint-Malo a condamné la société Sea Tech France à payer à la société Bamaco la somme de 110 307 euro avec intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2009 au titre de factures de commissions non soldées et une indemnité de rupture de 157 906 euro avec intérêt au taux légal à compter du 20 mai 2008, outre capitalisation des intérêts et indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Sea Tech France a relevé appel de cette décision. Elle demande à la cour, vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce et l'article 202 du Code de procédure civile, de :

"Rejeter des débats les attestations produites par la société Bamaco sous les pièces numéros 8, 9, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 40 ;

Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Saint-Malo le 15 novembre 2010 ;

Juger que la société Bamaco ne peut pas bénéficier du statut d'agent commercial dans ses rapports avec la société Sea Tech France ;

En conséquence, dire que la société Bamaco n'a pas droit à une indemnité de rupture ;

Juger que la cessation du contrat est consécutive à une série de fautes graves commises par la société Bamaco dans l'exécution de son contrat ;

En conséquence, dire que la société Bamaco ne peut bénéficier d'une indemnité de rupture si la qualité d'agent commercial lui était reconnue.

Dire la société Sea Tech France bien fondée en sa demande reconventionnelle, la dire recevable.

Condamner la société Bamaco à reverser à la société Sea Tech France une somme de 65 206, 86 euro TTC au titre de commissions indûment perçues.

Juger que les commissions dues à la société Bamaco ne sauraient excéder la somme de 47 424,84 euro TTC.

Ordonner la compensation de principe entre les sommes indûment perçues et les sommes dues.

Dire que les commissions dues à la société Bamaco ne seront exigibles qu'au parfait paiement de la facture due à la société Sea Tech France par son client.

Vu l'article 1382 du Code civil,

Condamner la société Bamaco à verser à la société Sea Tech France une somme de 150 000 euro en réparation des préjudices subis,

Condamner la société Bamaco à verser à la société Sea Tech France une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile,

Voir la même condamnée en tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Gauvain-Demidoff, Avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile".

La société Bamaco a quant à elle formé appel incident en demandant à la cour, vu les articles 1134, 1154, 1315 du Code civil, 514 et suivants, 700 du Code de procédure civile, L. 134-1 et suivants, L. 442-6 du Code de commerce, de :

"- Confirmer le jugement entrepris du 15 novembre 2010 ;

- Condamner la société Sea Tech France à régler à la société Bamaco la somme de 110 307,00 euro assortie d'intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2009, au titre des commissions impayées,

- Dire et juger, que les intérêts dus de ce chef de condamnation, porteront eux-mêmes intérêts dès lors qu'ils sont dus au moins pour une année entière,

- Débouter la société Sea Tech France de son appel,

- Condamner la société Sea Tech France à régler à la société Bamaco, la somme de 157 906,00 euro avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2008, à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture,

- Dire et juger que les intérêts de ce chef de condamnation, porteront eux-mêmes intérêts dès lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière,

Y ajoutant,

- Condamner la société Sea Tech France à régler à la société Bamaco la somme de 3 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Sea Tech France en tous les dépens de l'instance, qui comprendront les frais éventuels de recouvrement y compris ceux dus à l'Huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996."

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelante le 15 novembre 2011 et pour l'intimée le 26 mai 2011.

Exposé des motifs

Sur la demande de rejet des attestations

L'appelante demande que soient rejetées des débats les attestations n° 8 à 12 et 16, 18, 19 et 40 au motif qu'elles ne seraient pas conformes aux dispositions du Code de procédure civile et qu'elles seraient dactylographiées sur le même modèle. Ceci n'est cependant pas de nature à les rendre nulles mais seulement à en affecter la valeur probante. Il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la demande.

Sur la demande de commissions

A l'appui de sa demande initiale en paiement, la société Bamaco versait aux débats l'attestation de son expert-comptable dont l'inexactitude a été démontrée. En effet, l'intimée ne conteste pas le fait que la facture relative au Super U de Neuilly, incluse dans le listing authentifié par l'expert-comptable, ne concernait pas la société Sea Tech France. Ce document est donc dépourvu de valeur probante.

La société Bamaco demande, devant la cour, le paiement de la somme de 110 307,00 euro calculée par les premiers juges de la manière suivante : 123 723,39 (demande initiale) - [7 176 (chantier de Neuilly) + 6 240 (pourcentage déduit sur la somme de 26 000 euro engagés à titre de réparation et modification de chantiers)].

Pour calculer les commissions réclamées, la SARL Bamaco se prévaut d'un usage entre les parties, fixant le taux de commission à 40 % du montant HT des matériels, départ usine Italie, après déduction éventuelle des remises immédiates ou différées. Elle se prévaut en cela le projet de contrat qu'elle avait pourtant décliné, mais n'indique pas comment elle se serait procuré l'assiette de calcul lui ayant permis d'établir ses factures sur cette base.

Or, les dites factures, contrairement d'ailleurs à ce qui avait été prévu par le projet de contrat avorté, ne comportent pas les éléments servant au calcul des commissions de sorte qu'elles ne permettent pas de caractériser un accord des parties sur les modalités alléguées, ni même d'en vérifier l'application. Ainsi par exemple, la facture n° 35157 correspond à une assiette de 15 867,50 euro qui n'est pas conforme à ce mode de calcul. La même observation est avérée pour la facture n° 35088 du 17 juillet 2008 calculée sur une assiette de 32 915,37 euro alors que le prix facturé par le fournisseur au mandant s'élevait à 48 180 euro. D'une manière générale, malgré les contestations élevées depuis le début de la procédure, la société Bamaco n'a toujours pas explicité concrètement la façon dont elle a établi les factures dont elle a obtenu ou réclame le paiement.

En revanche, en dehors de tout contexte contentieux, la société Sea Tech France a adressé le 10 décembre 2007 un fax, non contesté, qui précisait que les commissions s'élevaient à 40 % du prix listing à payer après encaissement complet du client, copie de ce fax étant adressée pour information à Monsieur Ugo Caboni (dirigeant de l'entreprise Sea Tech Italie). Or, selon les explications non contestées de l'appelante, le prix listing s'entend du prix de l'opération après déduction du prix d'achat du produit et des frais facturés par les divers intervenants. Ces modalités de calcul, cohérentes et conformes à la pratique en ce domaine, seront retenues.

Sur cette base, il reste dû, au titre des quinze factures dont le paiement est toujours réclamé, la somme de 39 652,88 euro HT, soit 47 424,84 euro TTC.

La société Sea Tech France prétend que l'intégralité des prestations correspondantes (pour un montant non précisé) n'a toujours pas été réglée par les clients en dépit du temps écoulé depuis la rupture. Mais les trois pièces produites sont datées de 2009, de sorte que depuis lors soit les factures ont été intégralement réglées, soit elles auraient dû donner lieu à un avoir porté à la connaissance du mandataire en exécution de l'obligation d'information qui lui incombait, ce qui n'a pas été le cas. Ce moyen sera donc rejeté comme non démontré.

La société Sea Tech France demande le remboursement d'une somme de 55 423,58 euro correspondant à des commissions qu'elle soutient avoir payé à tort sur des marchés dont elle a bénéficié. Elle explique qu'elle n'a pas vérifié le montant des sommes qui lui étaient réclamées. Mais, elle n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une erreur ayant provoqué le paiement injustifié des sommes qu'elle a réglées sans émettre de réserves. Sa demande sera donc rejetée.

En revanche, il est établi qu'elle n'a pas vendu les prestations facturées aux établissements de Saint Macaire et de Contres le 23 mars 2007, au titre desquelles des commissions d'un montant total TTC de 4 891,64 euro ont été réglées (facture n° 35022). En effet, la société Bamaco verse aux débats des devis (pièces 39 et 40) non datés, établis au nom de la société Sea Tech U Caboni. Il s'ensuit que les commandes correspondantes ont été adressées directement à la société italienne, comme cela a également été le cas pour le marché de Neuilly. Ceci n'est pas contredit par les attestations irrégulières et imprécises des clients litigieux, dénuées de force probante dès lors qu'elles ne sont pas accompagnées des factures correspondantes. La société Bamaco est donc redevable des commissions indûment reçues au titre de ces facturations injustifiées, s'élevant à la somme de 4 891,64 euro.

Après compensation, il sera en conséquence fait droit à la demande de paiement des commissions à concurrence de la somme de 42 533,20 euro TTC. Les intérêts sur cette somme courront à compter de l'assignation en justice, premier acte valant mise en demeure de payer.

Sur la demande de dommages-intérêts

La société Sea Tech France reproche à la société Bamaco des erreurs dans l'exécution de quinze chantiers entraînant pour elle des frais supplémentaires. Cependant, la somme de 150 000 euro réclamée à ce titre n'est pas justifiée par les pièces produites. Au contraire, certaines de ces pièces correspondent au coût de l'installation des matériels que la société Sea Tech s'était réservé et qu'elle devait donc facturer distinctement. D'autres ont trait à des factures d'achats complémentaires non prévues au devis qui réduisaient d'autant l'assiette des commissions. Cette demande, non justifiée dans son principe et dans son montant, sera donc rejetée.

Sur la demande d'indemnité de rupture du contrat

Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce :

"L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux".

L'absence d'inscription au répertoire des agents commerciaux et l'exercice parallèle d'une activité de prestations de services ne sont pas de nature à exclure le bénéfice du statut des agents commerciaux. En l'occurrence, les pièces produites révèlent que conformément à la volonté qu'elles avaient exprimée dès l'origine, les parties étaient liées par un contrat verbal d'agent commercial.

Aux termes de l'article L. 134-3 du Code de commerce, "l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier".

L'article L. 134-4 rappelle quant à lui que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. Cette obligation de loyauté interdit au mandataire d'exercer directement une activité concurrente de celle de son mandant.

Les pièces produites démontrent que la société Bamaco n'a pas respecté ces obligations puisqu'elle n'a pas hésité, à l'insu de son mandant, à représenter directement la société Sea Tech Italie ou à contracter avec la société Mondel, fournisseur, se plaçant ainsi en concurrence directe avec la société Sea Tech France. Ainsi encore, elle a établi au profit de la SARL Sautour un devis à son propre nom, sans indication du nom de son mandant (pièce 6), et s'est fait remettre un chèque d'acompte libellé à son ordre (pièce 207).

Elle n'a de surcroît pas hésité à facturer à son mandant des commissions sur des contrats dont elle ne l'avait pas fait bénéficier.

De manière générale, elle établissait des devis sans indication de la date du document, ce qui rendait difficile tout contrôle de son activité et de suivi, par le mandant des prestations contractées en son nom.

Elle a ainsi gravement manqué à son obligation de loyauté, de non-concurrence et d'information, de sorte que la résiliation du contrat par le mandant pour faute grave était justifiée. En application de l'article L. 134-13 du Code de commerce, il n'y a donc pas lieu de faire droit à sa demande d'indemnité de rupture.

Sur les demandes accessoires

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions, l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile tant pour les frais de première instance que d'appel. Pour la même raison, elles supporteront la charge définitive des dépens dont elles ont fait l'avance.

Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement rendu le 15 novembre 2010 par le Tribunal de commerce de Saint-Malo ; Condamne la société Sea Tech France à payer à la société Bamaco la somme de 42 533,20 euro TTC outre les intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2009 ; Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Dit que chacune des parties conservera la charge définitive des dépens dont elle a fait l'avance.