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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 27 mars 2012, n° 11/11626

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Georgia Pacific France (SAS), Vania Expansion (SNC)

Défendeur :

Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

TGI Nanterre, JLD, du 30 juin 2006

30 juin 2006

Suite à une communication d'informations obtenue dans le cadre d'une procédure de clémence relative à des pratiques anti-concurrentielles susceptibles d'être relevées dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps, le rapporteur général du Conseil de la concurrence et la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes ont sollicité du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre l'autorisation de procéder à des opérations de visite et de saisie prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce dans les locaux des entreprises Georgia-Pacific France et Vania Expansion, cette dernière étant une filiale à 50 % de la société Georgia-Pacific France, les deux sociétés ayant par ailleurs le même gérant.

Le juge des libertés et de la détention a fait droit aux dites demandes par ordonnance en date du 30 juin 2006.

Les opérations de visite et de saisie ont eu lieu le 6 juillet 2006 dans les locaux des deux sociétés sises alors à la même adresse (...).

Le 10 juillet 2006, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a rendu une ordonnance rectificative qui a occulté, sur le procès-verbal de réception de la demande de clémence annexé à la requête, le nom de la personne morale à l'origine de la procédure de clémence, celle-ci ayant "souhaité conserver l'anonymat afin d'éviter des mesures de représailles."

Les sociétés Vania Expansion et Georgia-Pacific France ont formé un pourvoi le 10 juillet 2006 à l'encontre de l'ordonnance du 30 juin 2006 et le 26 avril 2007 à l'encontre de l'ordonnance rectificative du 10 juillet 2006.

Le 5 décembre 2008, les sociétés Vania Expansion et Georgia-Pacific France se sont désistées de leur pourvoi suite à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, les dispositions transitoires de ladite ordonnance prévoyant que "les parties ayant formé, à l'encontre de l'ordonnance ayant autorisé la visite prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce, un pourvoi pendant devant la Cour de cassation au jour de la publication de la présente ordonnance disposent d'un délai d'un mois pour interjeter appel de l'ordonnance objet dudit pourvoi à compter de la date de publication de la présente ordonnance dans les conditions prévues au sixième alinéa de l'article L. 450-4 du Code du commerce dans sa rédaction issue de la présente ordonnance" et ont interjeté appel de ladite décision.

Par ordonnance en date du 19 février 2010, le premier président de la Cour d'appel de Versailles a annulé l'ordonnance du 30 juin 2006 et par voie de conséquence l'ordonnance rectificative du 10 juillet 2006 et ce aux motifs notamment d'une part que le juge des libertés et de la détention ne pouvait valablement autoriser les opérations de visite et de saisie sur la base de "simples indices" alors que le recours à ce standard allégé de preuve est réservé aux hypothèses de flagrance, d'autre part qu'aucun élément ne permettait au juge de conclure que des pratiques illicites "aient perduré notamment depuis les premières investigations effectuées le 3 février 2006 dans le secteur parallèle des produits d'entretien et des insecticides ménagers" ou qu'elles aient "été commises dans l'intervalle" et enfin, en ce qui concerne plus particulièrement la société Georgia-Pacific France, qu'aucun élément ne permettait d'établir une relation entre cette société et les pratiques litigieuses.

Suite à un pourvoi formé par la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes à l'encontre de cette décision, la Cour de cassation a, le 4 mai 2011, cassé et annulé en toutes ses dispositions ladite ordonnance et ce aux motifs qu'"en se déterminant ainsi par des motifs contradictoires et alors qu'il résultait de ses propres constatations d'une part que l'autorisation de visite et de saisie requise se fondait sur une demande de clémence reçue le 28 février 2006 par le Conseil de la concurrence dénonçant des faits ayant débuté en octobre 2003 et encore en cours à l'époque de la dénonciation, d'autre part que le gérant des deux sociétés avait participé à des réunions dénommées Team PCP durant lesquelles selon le demandeur de clémence des informations confidentielles étaient échangées par les entreprises en vue d'adapter les pratiques et la position sur le marché des divers concurrents, le premier président de la cour d'appel n'a pas justifié sa décision."

La Cour de cassation a renvoyé l'affaire devant le premier président de la Cour d'appel de Paris qui a été saisie par l'Autorité de la concurrence.

C'est l'objet de la présente instance.

Par écritures en date du 6 février 2012, l'Autorité de la concurrence a sollicité la confirmation des ordonnances du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre en date des 30 juin 2006 et 10 juillet 2006.

Au soutien de ses demandes, l'Autorité de la concurrence expose les éléments suivants :

- le demandeur de clémence a fait état de réunions régulières intitulées "Team Personal Care Products" ayant débuté le 21 octobre 2003 et au cours desquelles les directeurs des ventes des sociétés B., Colgate-Palmolive, H., Lever Fabergé France, Gillette (groupe Procter & Gamble), Lascad (l'Oréal) et Vania se seraient rencontrés et ce à des fins anti-concurrentielles ; une visite des locaux occupés alors à la fois par la société Vania Expansion et par la société Georgia-Pacific France et la saisie des pièces s'y trouvant s'avéraient dès lors nécessaires face à la présomption de pratiques collusoires frauduleuses auxquelles aurait participé la société Vania Expansion ;

- ces réunions concernaient la politique des pouvoirs publics, l'état d'avancement des négociations commerciales, l'évolution du chiffre d'affaires total et par enseigne réalisé par chaque fournisseur, les tarifs, les effectifs et structures de vente des participants ou des enseignes, des questions plus générales sur le comportement des distributeurs avec les différents fournisseurs et perspectives d'évolution du marché ainsi que les fourchettes d'augmentation des tarifs et donc des pratiques anti-concurrentielles ;

- il est nécessaire de préserver l'anonymat du dénonciateur lorsqu'il en fait la demande pour qu'une procédure de clémence puisse être attractive ; une demande de clémence repose avant tout sur la volonté d'une entreprise de se voir exonérer totalement ou partiellement de sanction pécuniaire lorsqu'elle dénonce sa participation à une entente et coopère avec l'Autorité de la concurrence ; dès lors que l'Autorité de la concurrence a adopté conformément aux dispositions de l'article L. 464-2 Livre IV du Code du commerce un avis de clémence non public, l'administration n'a pas l'obligation de produire à l'appui de sa requête le procès-verbal de réception de la société à l'origine de la procédure de clémence afin de préserver la confidentialité de la démarche de cette dernière jusqu'à la notification des griefs ; par ordonnance du 10 juillet 2006 le juge a uniquement procédé à la rectification d'une erreur matérielle en retirant du dossier consultable au greffe de la juridiction le procès-verbal de réception de la demanderesse de clémence rédigé par l'Autorité de la concurrence qui ne faisait pas partie des pièces listées annexées à la requête de l'administration et ainsi a rétabli la demanderesse de clémence dans son droit de voir son anonymat préservé ; si le juge des libertés et de la détention est compétent pour procéder à la rectification de son ordonnance ou la compléter, il peut également retirer à posteriori en vertu de son pouvoir d'instruction qu'il tire de l'article L. 450-4 du Code du commerce et/ou de son pouvoir discrétionnaire qu'il tire de la loi une pièce du dossier qui ne devait pas y figurer ; par ailleurs, une ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire ne peut être remise en cause par une ordonnance de rectification d'erreur matérielle, seule l'annulation de la décision rectifiée pouvant entraîner celle de l'ordonnance rectificative et non l'inverse ; le maintien par erreur au dossier du procès-verbal de clémence ne fait pas grief aux sociétés objets de la saisie mais exclusivement au demandeur de clémence ; il n'y a donc pas lieu d'ordonner l'annulation de l'ordonnance de rectification ;

- au fond, il résulte des pièces versées que la société Vania Expansion a participé entre 2003 et 2006 à 15 réunions "Team PCP" ce qui laisse présumer son adhésion à l'entente présumée, les réunions semblant avoir pour but de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et de se répartir le marché, ces agissements étant susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ;

- la société Georgia Pacific France doit également être visée par la procédure, la société Vania Expansion ayant son siège dans ses locaux ; elle-même présente "Vania" comme sa marque, les deux sociétés appartiennent au même groupe et ont le même dirigeant ; les documents pouvant établir les pratiques anticoncurrentielles présumées peuvent dès lors se trouver dans les bureaux de l'une et l'autre sociétés ;

- il n'est nullement nécessaire que l'infraction soit flagrante pour que le juge puisse autoriser une perquisition en application de l'article 450-4 du Code du commerce ; il suffit que les agissements perdurent après la date des premières investigations dans le secteur parallèle des produits d'entretien et des insecticides ménagers ; en l'espèce les pratiques ont perduré jusqu'au 6 juillet 2006, date des opérations de visite et de saisie ;

- l'article L. 450-4 du Code de commerce impose au juge de vérifier que la demande émane du ministre de l'économie ou du rapporteur général du Conseil de la concurrence ce qui a été fait en la présente instance, le juge ayant visé dans son ordonnance la demande d'enquête du rapporteur général, la déclaration écrite du demandeur de clémence ne constitue pas par ailleurs une déclaration anonyme puisqu'elle consigne les déclarations émanant des conseils de la société dénonciatrice ;

- au regard de la complexité des agissements illicites présumés et de leur caractère sacré, la direction des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes et elle-même n'avaient pas à rendre compte de leur choix de recourir à la procédure de l'article 450-4 du Code du commerce, laquelle n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées ; seule la visite inopinée des bureaux et la saisie des notes, des documents et le cas échéant des messageries électroniques des principaux responsables des entreprises suspectées en charge particulièrement de la stratégie commerciale et des prix pouvaient permettre de contrôler la volonté de collusion frauduleuse ;

- les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6,8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; de même les droits à un procès équitable et un recours effectif sont garantis tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation.

Par deux jeux de conclusions déposées le 3 janvier 2012, les sociétés Vania Expansion SNC et SAS Georgia-Pacific France demandent au juge délégué :

- de déclarer leur appel recevable et bien fondé ;

- s'agissant de l'ordonnance du 10 juillet 2006, de dire que le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs en utilisant la procédure de rectification d'erreur matérielle pour altérer la teneur du procès-verbal de réception produit par l'administration contrairement aux dispositions de l'article 710 du Code de procédure pénale et en modifiant sa décision après le déroulement des opérations de visite et de saisie qu'il a autorisées ;

- s'agissant de l'ordonnance du 30 juin 2006, de dire que le juge des libertés et de la détention n'a pas suffisamment caractérisé les présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'égard de la société Vania Expansion ;

- à titre subsidiaire, de dire que le juge des libertés et de la détention n'a pas vérifié la teneur du procès-verbal ou du document écrit reprenant les déclarations du demandeur de clémence et ne s'est donc pas assuré que la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie de l'administration était bien fondée ;

- à titre infiniment subsidiaire, de dire que le juge des libertés et de la détention s'est exclusivement fondé sur les déclarations du demandeur de clémence qui n'étaient corroborées par aucun élément d'information ;

- à titre très infiniment subsidiaire, de dire que le juge des libertés et de la détention n'a pas vérifié que la preuve des prétendues pratiques anticoncurrentielles aurait pu être obtenue sans recourir aux opérations de visite et de saisie ;

en conséquence ;

- d'annuler l'ordonnance de rectification matérielle du 10 juillet 2006 ;

- d'annuler l'ordonnance du 30 juin 2006 ;

en tout état de cause ;

- de condamner l'intimée à leur verser à chacune la somme de dix mille euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Vania Expansion expose, à l'appui de sa demande, les éléments suivants :

- s'il est possible au juge de rectifier une erreur purement matérielle dont un acte de procédure est affecté, ce juge ne saurait, sous couvert de rectification, apporter à une pièce figurant au dossier de la procédure une modification portant sur sa substance et ayant pour effet de restreindre ou d'accroître les droits consacrés par la décision ; en usant de la procédure de rectification d'erreur matérielle pour altérer la teneur d'une pièce à défaut de la distraire purement et simplement du dossier, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs ;

- le juge de l'autorisation n'est pas compétent pour rectifier sa décision après la clôture de la visite domiciliaire qu'il a autorisée ; or l'ordonnance rectificative a été rendue le 10 juillet 2006 soit postérieurement aux opérations de visite et de saisie effectuées le 6 juillet 2006 ; cette ordonnance n'a pas de plus été notifiée ; ce n'est que le 23 avril 2007, à l'occasion de la consultation au greffe de la Cour de cassation du dossier de la procédure de pourvoi soit près d'un an après la date à laquelle l'ordonnance a été rendue qu'elle en a eu connaissance ;

- au vu de l'ensemble de ces éléments, l'ordonnance rectificative ne peut qu'être annulée ; du fait de cette annulation, l'ordonnance du 30 juin 2006 qui faisait état de la nécessité de confidentialité de la société demanderesse de clémence se trouvera annulée ;

- au fond, le juge des libertés et de la détention n'a pas suffisamment caractérisé les présomptions de pratiques anticoncurrentielles à son égard, ne précisant pas la portée de ces pratiques ; le juge n'a pas vérifié la teneur du procès-verbal ou du document écrit reprenant les déclarations du demandeur et ne s'est donc pas assuré que la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie de l'administration était bien fondée ; à titre infiniment subsidiaire, le juge s'est exclusivement fondé sur les déclarations de la demanderesse à la procédure de clémence, qui n'étaient corroborées par aucun autre élément d'information ; à titre très infiniment subsidiaire, le juge n'a pas vérifié que la preuve des prétendues pratiques anti concurrentielles aurait pu être obtenue par les autres procédures moins lourdes mises à la disposition de l'administration ; aucun élément n'a été fourni par l'administration pour justifier de la nécessité et de la proportionnalité des opérations de visite et de saisie au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

La société Georgia-Pacific France, après avoir repris les éléments ci-dessus rappelés, souligne :

- que la simple mise en avant de "Vania" comme étant une de ses marques ne saurait fonder une opération de visite et de saisie à son encontre dès lors que la société Vania Expansion existe, que c'est cette société qui détient la marque "Vania" et qui a fait l'objet de visites et de saisies ;

- qu'une simple détention capitalistique, Vania Expansion SNC étant à la date de la saisie sa filiale à 50 %, ne peut constituer un lien entre elle et les pratiques alléguées ; que le fait que les deux sociétés étaient domiciliées à la même adresse ne peut pas davantage constituer un tel lien, ce qui serait contraire à l'article L. 450-4 du Code du commerce et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le fait qu'elle ait eu le même dirigeant que la société Vania Expansion est tout aussi inopérant pour caractériser un lien entre elle et la société Vania Expansion ;

- que son nom n'a jamais été cité par la société demanderesse de clémence.

SUR CE

Considérant que par ordonnance en date du 30 juin 2006 le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé en application de l'article L. 450-4 du Code du commerce des opérations de visite et de saisie dans les locaux des entreprises Vania Expansion et Georgia-Pacific France ;

Que le 10 juillet 2006, le même juge a statué en rectification d'erreur matérielle ;

Que les sociétés appelantes sollicitent l'annulation de l'ordonnance en rectification d'erreur matérielle et ce aux motifs que le juge des libertés et de la détention aurait excédé ses pouvoirs en utilisant la procédure de rectification d'erreur matérielle pour altérer, contrairement aux dispositions de l'article 710 du Code de procédure pénale, la teneur du procès-verbal de réception communiqué au juge par l'administration ;

Considérant qu'il convient de rappeler qu'à l'exception des cas spécifiques où le législateur a renvoyé aux dispositions du Code de procédure pénale la présente procédure est régie par les règles de procédure civile ainsi que l'indique exactement l'Autorité de la concurrence ;

Considérant qu'en application de l'article 462 du Code de procédure civile la requête en rectification ne peut tendre qu'à voir réparer des erreurs strictement matérielles contenues dans la décision de justice à l'exception de toute erreur matérielle externe à la décision et de toute erreur de droit ; que le fait pour le juge d'avoir laissé subsister au dossier une pièce portant la raison sociale d'une personne morale demanderesse de clémence et ayant sollicité l'occultation de sa dénomination ne constitue pas une erreur matérielle inhérente à la décision ;

Considérant que les pouvoirs d'instruction du juge des libertés et de la détention ne l'autorisent pas plus à ordonner le retrait d'une pièce dont il est constant qu'elle figure matériellement au dossier et que la loi ne lui confère aucun pouvoir discrétionnaire pour prononcer une telle mesure ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'ordonnance ayant fait droit à la requête de rectification en erreur matérielle est entachée d'excès de pouvoir et doit être en conséquence annulée ;

Considérant que force est de constater que l'annulation d'une ordonnance rectificative est sans effet sur l'ordonnance initiale qui conserve sa valeur intrinsèque ;

Considérant que, par procès-verbal en date du 28 février 2006, produit au débat - pièce n° 4 - le Conseil de la concurrence a reçu une demande d'une société présente dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps sollicitant l'application d'une mesure de clémence sur le fondement du de l'article L. 464-2 du Livre IV du Code du commerce ; que cette demande a été faite par l'intermédiaire des conseils de cette société ; qu'il ne s'agit donc pas d'une déclaration anonyme comme l'a fort justement retenu le juge des libertés et de la détention ; qu'il est précisé dans ce procès-verbal que la société demanderesse de clémence souhaite apporter des informations contribuant à établir l'existence en France de pratiques potentiellement prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne, ce dernier devenu l'article 101-1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, par les sociétés Colgate-Palmolive France, Lascad du groupe l'Oréal, Gillette, B., H., Lever Fabergé France, Vania ; que, par décision rendue le 19 juin 2006, le Conseil de la concurrence a fait droit à cette demande et s'est saisi d'office le 20 juin 2006 de l'examen des pratiques dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps ;

Que, dans sa note en date du 23 juin 2006 adressée au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le rapporteur général de la concurrence a précisé que "les pratiques en cause seraient constituées par des réunions, des échanges d'informations confidentielles entre concurrents et des accords sur leurs politiques de prix vis à vis des clients de la grande distribution, au moins pour ce qui concerne les marges arrières. Le cartel en question constituerait une pratique continue depuis au moins trois ans" (pièce n° 1) ; que les participants à ces réunions auraient également échangé des informations portant sur les forces de vente, la logistique et l'outsourcing ;

Que le procès-verbal du 28 février 2006 dénonce des faits ayant débuté en 2003 ;

que la société à l'origine de ce procès-verbal fait état de réunions régulières, dénommées Team Personal Care Products, auxquelles aurait participé la société Vania Expansion et ayant un but anti concurrentiel ; que notamment étaient abordés lors de ces réunions les tarifs pratiqués, les fourchettes d'augmentation des tarifs, les dates d'envoi des tarifs, les dates d'application, les dates et méthodes de lissage, les acceptations ou difficultés d'application, des hausses de tarif avec telle ou telle enseigne, les contreparties demandées par les distributeurs pour compenser la hausse de tarifs, les effectifs et structures de vente des participants ou des enseignes, les questions plus générales sur le comportement des distributeurs avec les différents fournisseurs, les perspectives d'évolution du marché, les échanges sur les chiffres d'affaires et par enseigne ; qu'il découle des pièces qu'au cours de ces réunions les participants à ces réunions pouvaient se communiquer les nouveaux tarifs, les conditions générales de ventes, les effectifs en matière commerciale, ainsi que tous éléments sur les chiffres réalisés par produits auprès des enseignes, ce qui leur permettait d'évaluer leur situation par rapport à celles de leurs concurrents ;

Que le rapporteur général de la concurrence conclue que, au vu de ces informations, les éléments de preuve recherchés "porteront notamment sur l'origine du ou des cartels, sur les conditions de fonctionnement du ou des cartels, sur la nature des informations échangées (par exemple : informations sur les stocks, sur les capacités, sur les parts de marché, sur les prix pratiqués, sur les quantités vendues), les remises accordées, les problèmes commerciaux rencontrés par les fournisseurs avec les clients, les conditions et tendances du marché, les demandes de clients portant sur des augmentations de marges arrières, destinées à compenser les obligations mises à leur charge par l'accord Sarkozy, des montants maximums de marges arrières à consentir aux clients de la grande distribution, les méthodes d'échanges d'informations (fréquence et lieux des réunions, représentants habituels des entreprises lors des réunions, initiative de ces réunions, etc. (...)) la conclusion d'accords sur des montants maximums de marges arrières à consentir aux clients de la grande distribution, la mise en œuvre de ces décisions et la surveillance de leur exécution, la part prise dans l'entente par chacune des sociétés, les effets sur les prix effectivement pratiqués par les membres de l'entente, les éventuelles réactions ou prestations des clients, les conditions dans lesquelles le commerce intracommunautaire est susceptible d'être affecté par les pratiques en cause" ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-1 du Code du commerce "sont prohibées (...) lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concernées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement" ;

Considérant qu'en cas d'entente complexe l'accord résulte de la preuve de réunions ayant un objet anticoncurrentiel, la responsabilité d'une entreprise pouvant être retenue si elle a participé à ces réunions quelle que soit l'intensité de sa participation ; que la preuve apportée tout à fait licitement par la société demanderesse de clémence à la réalité de ces réunions et à la description de leur objet constitue un indice suffisant pour emporter la conviction du juge sur la présomption de pratiques anti-concurrentielles de la part de la société Vania Expansion, étant constant d'une part que la société Vania Expansion est un acteur économique actif exerçant sur le marché considéré d'autre part que les pratiques évoquées tendent à faire échec à la fixation des prix par le libre jeu du marché et visent à répartir les marchés ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 450-4 du Code du commerce, "le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du Livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que des indices permettant de présumer en l'espèce l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée" ;

Considérant que les réunions invoquées, en ce qu'elles portent sur la fixation des prix et sur la répartition du marché, présument donc une intention de la société Vania Expansion à participer à une action concertée en vue de limiter l'accès à la libre concurrence comme l'a exactement caractérisé le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre lequel ne pouvait se fonder que sur des présomptions, les juges du fond étant seuls compétents pour qualifier les pratiques anti-concurrentielles au vu des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant qu'il ne peut être sérieusement soutenu que l'Autorité de la concurrence ne justifie pas que les pratiques se poursuivaient à la date à laquelle elle a saisi le juge des libertés et de la détention, d'une part le but de la saisie étant justement de vérifier les conditions et la réalité de l'importance de l'entente, d'autre part les agissements ayant perduré après le 3 février 2006, date des premières investigations réalisées dans le secteur parallèle des produits d'entretien, enfin les actes invoqués par la société demanderesse de clémence n'étant pas par nature des actes instantanés mais s'étalant dans le temps ; qu'au vu du très bref laps de temps - quatre mois - qui a séparé la date à laquelle le procès-verbal de réception a été établi et celle à laquelle la requête aux fins de saisie a été présentée au juge, il est constant que les indices de présomption de pratiques anti-concurrentielles dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps de la part de la société Vania Expansion subsistaient ;

Considérant qu'au vu de l'entente présumée, l'Autorité de la concurrence ne pouvait pas espérer une collaboration active de la société Vania Expansion, dont les actes, s'ils s'avéraient réels, ne pouvaient prendre la forme que de documents confidentiels que seules des opérations de saisie pouvaient mettre à jour ;

Considérant que l'ordonnance du 30 juin 2006, en ce qu'elle a autorisé les saisies au sein de la société Vania Expansion, n'a pu ainsi porter atteinte aux exigences de proportionnalité visées à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que la société Georgia-Pacific France a été visée par les opérations de saisie d'une part en tant qu'occupante des locaux visités, les deux sociétés partageaient alors des locaux à la même adresse étant relevé d'ailleurs qu'à ladite adresse, seule est visible de l'extérieur la dénomination "Georgia-Pacific France", sans qu'il soit fait mention de quelque autre indication, selon le rapport de constatation établi par M. Jean-Luc S. - inspecteur des services déconcentrés de la direction générale de concurrence, de consommation et de répression des fraudes, d'autre part en raison, non du lien capitalistique existant entre les deux sociétés, mais des liens particuliers unissant la société Georgia-Pacific France et la société Vania Expansion, la société Georgia-Pacific France invoquant à son profit la marque "Vania" ; qu'il apparaît, par l'utilisation par la société Georgia-Pacific France de la marque de la société Vania Expansion, une imbrication commerciale de fait de ces deux sociétés ; que dès lors il importait pour l'Autorité de la concurrence, au vu des indices de présomption de pratiques anti-concurrentielles portées à l'encontre de la société Vania Expansion, de vérifier si la société Georgia-Pacific France détenait des documents au nom de la société Vania Expansion pouvant avoir un lien avec les pratiques reprochées ;

Que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre ne peut par voie de conséquence qu'être confirmée en ce qu'elle a autorisé les visites domiciliaires au sein de la société Georgia-Pacific France ;

Considérant que l'ordonnance du 30 juin 2006 doit par voie de conséquence être confirmée en ce qu'elle a ordonné des opérations de visite et de saisie domiciliaires tant à l'encontre de la société Vania Expansion qu'à l'encontre de la société Georgia-Pacific France ;

Considérant qu'eu égard à la nature de l'affaire, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que les sociétés appelantes, parties succombantes, doivent être condamnées aux dépens.

Par ces motifs : Annulons l'ordonnance rectificative en erreur matérielle du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre en date du 10 juillet 2006. Constatons que l'annulation de l'ordonnance rectificative du juge des libertés et de la détention du 10 juillet 2006 est sans effet quant à la validité de l'ordonnance initiale du juge et des libertés du Tribunal de grande instance de Nanterre du 30 juin 2006 qui conserve sa valeur intrinsèque. Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre du 30 juin 2006 en ce qu'elle a autorisé les opérations de visite et de saisie tant à l'encontre de la société Vania Expansion qu'à l'encontre de la société Georgia-Pacific France. Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamnons les sociétés Vania Expansion et Georgia-Pacific France aux dépens.