Cass. crim., 22 février 2012, n° 11-80.126
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Canivet-Beuzit
Avocat général :
M. Gauthier
Avocats :
SCP Odent, Poulet, SCP Baraduc, Duhamel
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 16 avril 2010, qui a confirmé l'ordonnance modificative du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre lequel agissant sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, a dit que les opérations de visite et saisie précédemment ordonnées auraient lieu dans un local non visé dans l'ordonnance initiale ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance a débouté la société X de ses demandes, fins et conclusions relatives à la validité des ordonnances rendues les 4 et 11 juin 2009 ;
"aux motifs que le juge recevant une commission rogatoire est seul compétent pour statuer sur une modification des locaux à visiter dans son ressort, tels qu'ils sont désignés par l'ordonnance principale après avoir apprécié la pertinence de la requête au regard de l'étendue de l'autorisation délivrée par le juge commettant ; qu'après avoir relevé que l'activité de Mme Y au sein de la société X était expressément visée par l'ordonnance principale au titre des indices de fraudes, que ladite société avait, en sus des locaux situés à Courbevoie, des locaux situés à Suresnes qui abritaient l'activité sur le secteur de la certification, production et distribution des produits de construction d'isolation thermique, visée par l'ordonnance principale et le bureau de Mme Y, ce qui n'est pas contesté, le juge commis a pu valablement étendre l'autorisation initiale accordée par ordonnance du 3 juin 2009 aux locaux situés <adresse> ;
"alors que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, sur proposition du rapporteur, peut obtenir du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouvent les lieux à visiter, l'autorisation de faire procéder, par des enquêteurs habilités, à des visites et saisies en ces lieux ; que le juge ainsi saisi, ayant autorisé ces mesures, peut délivrer commission rogatoire aux présidents d'autres tribunaux de grande instance dans le ressort desquels elles doivent intervenir afin d'exercer exclusivement en ses lieu et place un contrôle des opérations ; qu'en revanche, cette mission n'autorise pas ce dernier magistrat à étendre le champ des opérations de visites et saisies fixé par l'ordonnance initiale ; qu'en l'espèce, l'ordonnance initiale du 3 juin 2009, rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, après avoir autorisé les mesures demandées dans les locaux de la société X à Courbevoie, a donné commission rogatoire notamment au juge de Nanterre, mais uniquement pour exercer " le contrôle sur les opérations de visite et de saisie " et désigner les chefs de service territorialement compétents, ce qui ne lui conférait aucun pouvoir d'étendre le champ des investigations autorisées et, ainsi, la limitation des droits et libertés de la société X ; qu'en jugeant dès lors que le juge de Nanterre, désigné sur commission rogatoire, avait le pouvoir d'étendre l'autorisation initiale accordée par le juge de Paris, la cour d'appel a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;
Attendu que seul le juge ayant reçu commission rogatoire pour désigner un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister aux opérations de visite et saisie et de le tenir informé de leur déroulement, est compétent pour statuer sur la modification de la situation des locaux à visiter, dès lors qu'ils se trouvent dans son ressort ; qu'ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance a débouté la société X de ses demandes, fins et conclusions relatives à la validité des ordonnances rendues les 4 et 11 juin 2009 ;
"aux motifs que l'article L. 450-1 du Code de commerce donne compétence à tout agent des services d'instruction de l'autorité de la concurrence habilité à cet effet par le rapporteur général pour procéder à toute enquête nécessaire ; que si l'article L. 450-4 impose au juge saisi d'une demande d'autorisation de visite et de saisies de s'assurer que la requête s'inscrit dans le cadre d'une enquête demandée par ledit rapporteur général, ce qui résulte nécessairement de la signature par ce dernier de la requête, aucun texte n'impose son intervention personnelle au cours des opérations judiciairement autorisées ; qu'il ressort de l'ordonnance critiquée que le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a été saisi, au cours du déroulement des opérations autorisées par ordonnance du 3 juin 2009, par M. Le Trong, agent habilité par décision du 9 mars 2009, d'une requête orale tendant à permettre l'extension des opérations à des locaux non visés dans l'ordonnance initiale ; qu'il n'est pas contesté que M. Le Trong, dont la qualité de rapporteur apparaît sur le procès-verbal établi le 11 juin 2009, a été habilité à procéder à l'enquête concernant la société X et incluant les opérations de visite et saisies dont Mme la rapporteure générale avait sollicité elle-même la mise en œuvre devant le juge parisien ; que cette habilitation emporte qualité pour saisir le juge commis de toute requête afférente à l'exécution de l'autorisation judiciaire précédemment délivrée ; qu'en l'espèce, les vérifications précises faites par le juge sur ce point exemptent l'ordonnance de toute critique ;
"alors que l'article L. 450-4 du Code de commerce ouvre une procédure d'enquête et de saisie qui, étant par nature attentatoire aux libertés individuelles, est placée sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et répond à des conditions qui doivent être interprétées strictement ; que, selon ce texte, ne peuvent être autorisées par ce dernier à porter de telles atteintes que deux catégories de personnes : les demandeurs d'enquête [la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie et le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, sur une proposition du rapporteur] et le personnel instrumentaire, constitué "d'enquêteurs", a fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'Economie, et qui "procèdent" aux mesures autorisées ; que le rôle des uns et des autres est légalement distinct : aux "demandeurs" de saisir le juge pour obtenir autorisation et définition de l'atteinte portée aux libertés, aux "instrumentaires" de procéder à leurs opérations d'enquête dans le cadre ainsi défini ; qu'en l'espèce, le juge de Nanterre, pour autoriser le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, par une ordonnance du 11 juin 2009 [dite "complémentaire"], à faire procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société X de Suresnes, a relevé qu'il était saisi de cette demande par une requête orale présentée par M. Le Trong, rapporteur de ladite autorité ; que pour justifier la légalité de cette ordonnance, la Cour d'appel de Versailles a jugé que l'habilitation de M. Le Trong aux opérations techniques d'enquête " emportait qualité pour saisir le juge commis de toute requête afférente à l'exécution de l'autorisation judiciaire précédemment délivrée " ; qu'en se déterminant ainsi, quand il n'appartenait à M. Le Trong de saisir le juge des libertés et de la détention d'une telle demande ni en qualité de rapporteur ni en qualité d'enquêteur habilité, la cour a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;
Attendu qu'en retenant que M. Le Trong, rapporteur des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence, habilité par le rapporteur général de cette Autorité, avait qualité pour solliciter une extension des opérations de visite et saisie autorisées par le juge des libertés et de la détention à des locaux non visés dans l'ordonnance initiale, le juge a fait l'exacte application des articles L. 450-1 et L. 450-4 du Code de commerce ; qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.