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Décisions

Cass. 1re civ., 5 avril 2012, n° 10-27.373

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

JM Weston (SAS)

Défendeur :

Manbow (SAS), Fiman (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charruault

Rapporteur :

Mme Canas

Avocats :

SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Boré, Salve de Bruneton

Paris, pôle 5 ch. 2, du 17 sept. 2010

17 septembre 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2010), que prétendant être titulaire de droits d'auteur sur deux modèles de chaussures, par ailleurs déposés à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 910 560, dénommés, pour le premier, "mocassin américain" dit "Golf", et, pour le second, "Derby à plastron Demi-chasse", et soutenant que la société Promoquestre, aux droits de laquelle viennent aujourd'hui les sociétés Manbow et Fiman, commercialisait sous les dénominations "Derby plateau" et "Chasse" des chaussures reproduisant, selon elle, les caractéristiques de ses propres modèles, la société JM Weston l'a fait assigner en contrefaçon de modèle et de droits d'auteur ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société JM Weston fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir au titre du droit d'auteur, s'agissant du modèle "Demi-chasse", et d'annuler le dépôt du modèle no 910 560 portant sur ce modèle, alors, selon le moyen : 1°) que toute antériorité doit avoir une date certaine ; qu'en l'espèce les intimés produisaient une pièce M83 très difficilement lisible constituée d'une image publicitaire portant sur plusieurs modèles de chaussures (Jarman ou Darman), publicité qui n'étant pas datée et contenant uniquement une mention, illisible en l'état de la pièce telle que versée aux débats, "1924 - our first quater century of progres - 1949", ne donnait pas date certaine à cette antériorité ; qu'en se bornant à relever que les sociétés Fiman et Manbow "versent aux débats la reproduction d'un modèle Darman commercialisé en 1924 qui présente l'ensemble des caractéristiques revendiquées par la société JM Weston", sans préciser ni la date de la publication comportant cette reproduction ni les éléments lui permettant de retenir qu'elle ferait foi d'une commercialisation en 1924 de l'antériorité invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer, d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à des causes déjà jugées n'ayant pas autorité de chose jugée entre les parties ; qu'en l'espèce, pour retenir que le modèle Demi-chasse serait dépourvu de nouveauté et d'originalité, la cour d'appel a relevé que, dans un arrêt rendu le 14 février 2003 passé en force de chose jugée, la cour d'appel de Paris avait jugé que le modèle Demi-chasse n'était pas nouveau au regard d'un modèle Hunt ; qu'en statuant ainsi, par voie de simple référence à une décision antérieure qui ne disposait d'aucune autorité de chose jugée entre les parties au présent litige, et cependant qu'elle n'avait pu examiner elle-même l'antériorité Hunt qui, ainsi que le faisait valoir la société JM Weston, n'était pas versée aux débats par les sociétés Manbow et Fiman, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant que la pièce versée aux débats par les sociétés Manbow et Fiman établissait qu'un modèle "Darman", présentant l'ensemble des caractéristiques du modèle "Demi-chasse" revendiqué par la société JM Weston, avait été commercialisé en 1924, la cour d'appel a souverainement apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis ; que le moyen, qui s'attaque dans sa seconde branche à un motif surabondant, ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, tel qu'il est énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe : - Attendu que la cour d'appel n'ayant pas adopté les motifs des premiers juges critiqués par le moyen, celui-ci est inopérant ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société JM Weston fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir au titre du droit d'auteur s'agissant du modèle "Golf", alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut retenir, dans sa décision, les documents invoqués par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que si le principe du contradictoire imposait d'écarter des débats l'original du catalogue Sears, Roebuck and Co 1931-1932 produit en cours de délibéré et dont la société JM Weston n'a pas eu connaissance, il devait néanmoins être tenu pour "acquis" que la photocopie de la page de ce catalogue sur laquelle figure la reproduction du modèle "The Sport" correspondait à l'original de la page de ce catalogue "eu égard aux éléments qui l'accompagnent" et parce que "la société JM Weston ne peut à la fois mettre en doute la date et le contenu d'une pièce communiquée en photocopie et s'opposer à la communication de l'original en délibéré" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas, à tout le moins, de s'assurer qu'elle ne s'est pas fondée sur une pièce dont elle a pourtant jugé qu'elle devait, en application du principe du contradictoire, être écartée des débats, la cour d'appel a violé l'article 16, alinéa 2, du Code de procédure civile, ainsi que l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 2°) que toute antériorité doit avoir une date certaine ; qu'en; retenant que le modèle Golf aurait été antériorisé par le modèle "The Sport", quand la seule production d'une photocopie de la page d'un catalogue sur laquelle figure la reproduction de ce modèle annexée à la photocopie de la première page d'un catalogue ne pouvait donner date certaine à la divulgation de ce modèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en relevant, d'une part, que le modèle "The Sport" reproduirait "à l'identique" "l'ensemble des caractéristiques" du modèle Golf, tout en constatant, d'autre part, qu'il ne s'agirait pas d'une antériorité "de toutes pièces dès lors que la hauteur entre la semelle et le chaussant est plus importante que sur la chaussure Golf et ne présente pas de couture en L inversé au niveau du laçage", la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'après avoir écarté des débats le catalogue en original qui lui avait été adressé en cours de délibéré, la cour d'appel a pu, sans méconnaître le principe de la contradiction, retenir, eu égard aux éléments qui l'accompagnaient et qui confortaient la date avancée par les sociétés défenderesses, que la page du catalogue "Sears, Roebuck and Co 1931-1932" sur laquelle figurait la reproduction du modèle "The Sport", produite en photocopie et annexée à la première page du catalogue, correspondait à l'original ; qu'ensuite, ayant souverainement estimé que ce modèle présentait l'ensemble des caractéristiques du modèle "Golf" et le privait d'originalité, c'est sans se contredire qu'elle en a déduit que celui-ci ne pouvait bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur mais que, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une antériorité de toutes pièces, la société JM Weston était néanmoins recevable à agir sur le fondement du livre V du Code de la propriété intellectuelle ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société JM Weston fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en contrefaçon du modèle déposé n° 910 560 référencé "mocassin américain" dit "Golf", alors, selon le moyen, que la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ; que l'impression d'ensemble doit s'apprécier de manière globale, en prenant en compte non seulement les différences mais également les ressemblances ; qu'en s'attachant aux seules différences existant entre les modèles en présence, tenant à la taille "haute" du modèle incriminé et à la présence, sur celui-ci de "deux demi-claques assemblées au milieu du pied par un jointage", sans même relever les ressemblances pouvant exister entre eux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le modèle litigieux était de taille "haute", au contraire du modèle déposé, et comprenait deux demiclaques assemblées au médian du pied par un jointage, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a estimé que celui-ci n'était pas susceptible de produire sur l'observateur averti la même impression d'ensemble que le modèle déposé et en a exactement déduit que la contrefaçon n'était pas constituée ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société JM Weston fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en concurrence déloyale et parasitaire, alors, selon le moyen : 1°) que l'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif ; qu'en relevant, pour retenir que l'imitation du modèle Demi-chasse par le modèle Chasse ne serait pas constitutive d'actes de concurrence déloyale, que le modèle Demi-chasse de la société JM Weston ferait partie du domaine public, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que se rend coupable d'une faute de concurrence déloyale l'opérateur économique qui commercialise des produits présentant un risque de confusion, dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne, avec ceux vendus par une autre entreprise ; qu'en retenant que l'imitation du modèle Demi chasse par le modèle Chasse ne serait pas constitutive d'actes de concurrence déloyale, en l'absence de "reproduction servile", quand elle avait précédemment constaté que ce dernier modèle était susceptible d'entraîner un risque de confusion, dans l'esprit du public "profane et non averti", avec le modèle Demi-chasse de la société JM Weston, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en se bornant à constater l'absence de reproduction servile du modèle Golf par le modèle Derby plateau Bowen, sans rechercher, comme elle y était invitée, si un risque de confusion n'était pas susceptible de naître dans l'esprit du consommateur moyen des produits en cause entre les deux modèles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'est contraire aux usages loyaux du commerce le fait de se placer dans le sillage d'un opérateur économique en cherchant à tirer indûment profit de la notoriété de ses produits ; qu'en déboutant la société JM Weston de sa demande en concurrence déloyale, sans rechercher si, en commercialisant les modèles incriminés, les sociétés Manbow et Fiman n'avaient pas fautivement cherché à se placer dans le sillage de la société JM Weston et à profiter de la notoriété de ses produits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) qu'en toute hypothèse, en se bornant à relever que les modèles incriminés ne seraient pas la reproduction servile des modèles de la société JM Weston, que la vente à prix inférieur ne constituerait pas, en elle-même, une faute de concurrence déloyale et que l'appellation Chasse serait d'usage courant pour désigner certains derbys, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sociétés Manbow et Fiman n'avaient pas ainsi cherché à tirer indûment profit de la notoriété des modèles de la société JM Weston, en commercialisant des imitations de deux modèles phares de la griffe Weston, de surcroît, à des prix largement inférieurs et en utilisant le terme "Chasse" pour nommer le modèle correspondant à la chaussure Demi-chasse, la cour d'appel, qui s'est ainsi contentée d'examiner isolément une partie des griefs invoqués par la société JM Weston au soutien de sa demande pour concurrence déloyale et parasitaire sans se livrer à une appréciation globale de ceux-ci, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les modèles incriminés n'étaient pas, comme il était seulement soutenu, la reproduction servile des modèles commercialisés par la société JM Weston, que la vente à un prix inférieur ne constituait pas en elle-même un acte de déloyauté et qu'il était justifié de ce que le terme "Chasse" était d'usage courant pour désigner certains derbys, la cour d'appel a fait ressortir, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, l'absence de tout risque de confusion entre les modèles en cause et en a déduit que les sociétés défenderesses n'avaient commis aucune faute ; que par ces seuls motifs, sa décision se trouve légalement justifiée, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche du moyen ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est recevable : - Attendu que les sociétés Manbow et Fiman font grief à l'arrêt de déclarer la société JM Weston "recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur" et, "en conséquence", de rejeter leur demande en nullité du modèle no 910 560 référencé "mocassin américain" dit "Golf", alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer le sens clair et précis des actes qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, il résultait des termes clairs et précis du procès-verbal notarié du 28 juin 1974 qu'étaient seuls cédés les biens mobiliers suivants : "1°) l'ensemble de l'établissement industriel de manufacture de chaussures exploités à Limoges, rue 8 Emile Zola par la société "Chaussures Unic, Usine Fenestrier" comprenait : a) les éléments incorporels y attachés : nom commercial, clientèle, achalandage, bénéfice des traités, accords, marchés et conventions passés avec tous les tiers pour l'exploitation dudit établissement, les marques françaises JM Weston et Weston Arc de Triomphe et la marque internationale JM Weston b) le matériel de transport et le matériel de bureau ; - 2°) l'ensemble des établissements commerciaux de vente de chaussures exploités à Paris 98 boulevard Courcelles et 114 avenue des Champs Elysées sous le nom JM Weston, comprenait : a) les éléments incorporels y attachés, nom commercial, clientèle, achalandage, bénéfice des traités, marchés, accords et conventions passés avec tous tiers pour l'exploitation desdits établissements, les droits résultant des baux, b) le matériel, le mobilier et les agencements décrits dans un état annexé à l'acte" ; qu'en énonçant pour déclarer la société JM Weston recevable à agir au titre du droit d'auteur que les droits d'auteur n'ont pas été exclus de la cession intervenue en 1974, quand leur omission de la liste précise des biens cédés valait exclusion implicite mais nécessaire de la cession, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal notarié du 28 juin 1974, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 2°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant que la société JM Weston était recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur tout en confirmant le jugement entrepris qui avait déclaré la société JM Weston irrecevable à agir sur ce fondement , la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que la commercialisation d'un modèle par une société ne permet pas de présumer la titularité des droits d'auteur d'une autre société sur ce modèle dès lors qu'elle ne justifie pas de l'acquisition desdits droits ; qu'en faisant bénéficier la société JM Weston de la présomption de titularité des droits patrimoniaux sur les modèles de chaussures "Demi-chasse" et "Golf" en se fondant sur la commercialisation de ces deux modèles par la société Française des chaussures Weston, société distincte de la première, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) que la commercialisation d'un modèle par plusieurs sociétés exclut que soit attribué à l'une d'entre elles la titularité des droits d'auteur sur ce modèle ; qu'en faisant bénéficier la société JM Weston de la présomption de titularité des droits patrimoniaux sur les modèles de chaussures "Demi-chasse" et "Golf" tout en constatant que des modèles ayant des caractéristiques identiques avait été commercialisés par d'autres sociétés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que la société JM Weston avait commercialisé de manière paisible les modèles de chaussures "Golf" et "Demi-chasse" et qu'elle bénéficiait de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur ces modèles, la cour d'appel a retenu que leurs caractéristiques, telles que revendiquées, avaient été antérieurement divulguées et qu'ils étaient donc dépourvus d'originalité ; que c'est sans se contredire qu'elle en a exactement déduit qu'ils ne pouvaient bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ; D'où il suit que le moyen, inopérant dans sa première branche comme s'attaquant à un motif surabondant, manque en fait dans sa troisième et n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel : Rejette les pourvois principal et incident.