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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 10 avril 2012, n° 11-03869

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Libentia (SARL)

Défendeur :

Free (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

M. Ponsot, Mme Poinseaux

Avocats :

Mes Tuset, Kuchukian, Jullien, Khayat

T. com. Nanterre, 6e ch., du 23 mai 2007

23 mai 2007

Vu le jugement rendu le 23 mai 2007 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a:

* condamné la société Télécom Italia, anciennement dénommée Télécom Italia France, à verser à la société Libentia la somme de 56 855,41 euro TTC majorée des intérêts à hauteur d'une fois et demie le taux de l'intérêt légal à compter de la mise en demeure,

* condamné la société Télécom Italia, anciennement dénommée Télécom Italia France à verser à la société Libentia la somme de 150 000 euro au titre de réparation du préjudice,

* condamné la société Télécom Italia, anciennement dénommée Télécom Italia France à verser à la société Libentia la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu l'arrêt rendu le 11 mars 2010 par la Cour d'appel de Versailles, qui infirmant le jugement entrepris a:

* dit abusive la rupture du contrat d'agent commercial de la société Libentia par la société Télécom Italia,

* condamné la société Free, venant aux droits de la société Télécom Italia, à payer à la société Libentia une provision de 350 000 euro à valoir sur le préavis (quatre mois) et les dommages et intérêts pour rupture abusive, ainsi que 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

* avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise confiée à Jean-Charles Legris, afin notamment de donner tous éléments à la cour lui permettant de déterminer les sommes éventuellement dues en fonction de la pertinence des motifs avancés et des preuves apportées pour justifier des décommissionnements;

Vu l'arrêt du 10 mai 2011, par lequel la Cour de cassation, sur le pourvoi formé par la société Free, a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Free à payer à la société Libentia une provision sur le préavis qui lui est dû, fixé à quatre mois, l'arrêt rendu le 11 mars 2010 par la Cour d'appel de Versailles, remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée;

Vu la déclaration de la société Libentia en date du 17 mai 2011, saisissant la juridiction de renvoi ;

Vu les dernières écritures en date du 14 juin 2011, par lesquelles la société Libentia demande à la cour de:

* constater que la rupture du contrat l'ayant lié avec la société Télécom Italia, aux droits de laquelle succède la société Free, est définitivement jugée comme abusive de la part de cette dernière,

* constater qu'il a été jugé que la société Free, aux droits de la société Télécom Italia, doit indemnisation des préjudices nés de la rupture abusive,

* fixer à quatre mois le préavis dû par la société Télécom Italia aux droits de laquelle succède la société Free,

* à titre provisionnel, en l'attente de voir la cour d'appel statuer dans l'instance n° 07-05457 sur le rapport de l'expertise ordonnée par l'arrêt du 11 mars 2010, condamner la société Free au paiement d'une double indemnité de 183 216 euro au titre du préavis et de 166 784 euro au titre de dommages et intérêts,

* condamner la société Free au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Vu les dernières écritures en date du 10 février 2012, aux termes desquelles la société Free, venant aux droits de la société Liberty Surf Group et de la société Télécom Italia, prie la cour de:

* débouter la société Libentia de sa demande tendant à obtenir à titre provisionnel une double indemnité de 183 216 euro au titre du préavis et de 166 784 euro au titre de dommages et intérêts,

* dire que le montant de la provision au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ne saurait excéder la somme de 52 393 euro, soit deux mois de la moyenne mensuelle des commissions provisoirement évaluée à 26 196,60 euro,

* condamner la société Libentia au versement de la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'instance et d'appel;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :

* la société Télécom Italia, anciennement dénommée Télécom Italia France, opérateur de téléphonie et de fourniture d'accès à Internet, sous la dénomination Alice, aux droits de laquelle se trouve la société Free, a conclu le 26 novembre 2003, un contrat d'agent commercial à durée indéterminée avec la société Aclys Consulting à laquelle succède la société Libentia afin de recruter des clients sur le territoire français,

* le 1er juin 2004, les sociétés Télécom Italia et Libentia ont signé un nouveau contrat d'agent commercial annulant et remplaçant le premier,

* quatre avenants ont été signés en 2004 et 2005,

* un troisième contrat d'agent commercial a été conclu à effet au 1er mai 2005,

* le 29 juillet 2005, le contrat d'agence commerciale a été résilié sans préavis par la société Télécom Italia, celle-ci invoquant des comportements de démarchage illicites qualifiés de faute grave,

* estimant que la société Télécom Italia avait manqué à ses obligations contractuelles et que la rupture du contrat sans préavis était abusive, la société Libentia l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Nanterre en paiement de la somme de 1 676 000 euro à titre de dommages et intérêts;

Considérant qu'il importe de rappeler à titre liminaire qu'en vertu des dispositions de l'article 638 du Code de procédure civile, la juridiction de renvoi juge à nouveau l'affaire en fait et en droit à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation de sorte, dès lors qu'il est définitivement jugé que les manquements de la société Libentia ne sont pas constitutifs d'une faute grave permettant de justifier une résiliation sans préavis ni indemnité et que de sorte la résiliation du contrat est abusive, que le litige est désormais circonscrit à la question, seule visée par la cassation, de la durée de quatre mois du préavis dû par la société Free à la société Libentia du fait de la rupture du contrat d'agent commercial;

Sur la durée du préavis:

Considérant en droit que l'article L. 134-11 du Code de commerce dispose que lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis (...) La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin du mois civil. Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui prévu pour l'agent. Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure;

Considérant que des délais identiques sont prévus par l'article 8.2 du contrat d'agent général du 1er mai 2005 liant les parties au moment de la rupture;

Considérant que la société Libentia fait valoir que la rupture a été immédiate, sans préavis et, invoquant d'une part, la faute grave commise par son mandant au sens du dernier alinéa de l'article L. 134-11 et d'autre part, les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui régit la rupture des relations commerciales établies, soutient que la société Free aurait dû respecter un délai raisonnable qu'elle estime à quatre mois;

Mais considérant que la faute grave, au sens de l'article L. 134-11 du Code de commerce, consiste en la violation par l'une ou l'autre des parties de ses obligations contractuelles commise au cours du contrat de nature à justifier sa rupture;

Que le dernier alinéa de cet article prévoit uniquement la perte du droit à préavis lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties, mais ne dispose pas un allongement de la durée du préavis devant être accordé par le mandant;

Considérant par ailleurs, que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qui régissent la rupture des relations de nature commerciale, n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce, où s'agissant d'un contrat d'agent commercial de nature civile seules les dispositions de l'article L. 134-11 du même Code régissent la rupture de la convention;

Considérant par voie de conséquence, qu'en application de ces dispositions légales, eu égard à la date du début des relations contractuelle le 23 novembre 2003 et celle de la rupture intervenue le 29 juillet 2005, la durée du préavis aurait dû être de deux mois;

Sur l'indemnisation provisionnelle:

Considérant que les parties s'opposent sur le montant de la provision à valoir au titre de l'indemnité de préavis, la société Libentia évaluant la moyenne mensuelle payée des commissions à 45 804 euro, la société Free répliquant que cette moyenne mensuelle ne saurait être évaluée à une somme supérieure à 26 196,60 euro;

Que la société Libentia sollicite également l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture qu'elle évalue à la somme provisionnelle de 166 784 euro;

Or considérant que la cour, dans son arrêt du 11 mars 2010, a retenu qu'eu égard au fait qu'il existe une incertitude sur le montant des commissions auxquelles Libentia a eu droit pendant la durée des relations entre les parties, elle n'est pas en mesure de déterminer le montant de la somme due au titre du préavis, ni celui des dommages et intérêts dus du fait de la rupture du contrat;

Qu'elle a en conséquence, ordonné une mesure d'expertise et alloué à la société Libentia, une indemnité globale provisionnelle de 350 000 euro à valoir sur le préavis et les dommages et intérêts pour rupture abusive;

Considérant que l'arrêt de la Cour de cassation n'a remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt rendu par la cour le 11 mars 2010, uniquement en ce qui concerne la durée du préavis qu'aurait dû respecter la société Télécom Italia à laquelle succède la société Free;

Que les dispositions de l'arrêt partiellement cassé, qui ont ordonné une expertise et alloué à la société Libentia une indemnité provisionnelle globale ne sont pas atteintes par la cassation;

Que force est de constater que la question de l'indemnisation que la société Libentia estime être en droit de réclamer, tant au titre de l'indemnité de préavis que de l'indemnité de rupture, reste l'objet de l'instance pendante devant la présente cour, sous le n° 07-05457, le rapport d'expertise n'étant pas déposé à ce jour;

Que dans ces circonstances, il n'y a pas lieu en l'état, de remettre en cause le montant de la provision telle qu'accordée par le précédent arrêt ;

Sur les autres demandes:

Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la présente procédure de renvoi après cassation partielle; qu'il y a lieu, en outre de laisser à la charge des parties les dépens par elle exposés ;

Par ces motifs, Statuant par décision contradictoire, Statuant dans les limites de la saisine de la cour, sur renvoi après cassation partielle de la décision de la Cour d'appel de Versailles du 11 mars 2010, par arrêt de la Cour de cassation rendu le 10 mai 2011, Dit que la société Free aurait dû respecter un préavis de deux mois, Rejette toutes autres demandes, Laisse à la charge de chacune des parties les dépens exposés au cours de cette procédure de renvoi après cassation.