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Décisions

ADLC, 7 février 2012, n° 12-DCC-20

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif d'Enerest par Electricité de Strasbourg

ADLC n° 12-DCC-20

7 février 2012

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 18 novembre 2011 et déclaré complet le 22 novembre 2011, relatif à la prise de contrôle exclusif d'Enerest par Electricité de Strasbourg, formalisée par une offre ferme et irrévocable adressée aux actionnaires d'Enerest le 3 novembre 2011 qui ont le même jour accordé à Electricité de Strasbourg un engagement d'exclusivité ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Vu la demande de suspension des délais d'examen de l'opération de 15 jours ouvrés, conformément à l'article L. 430-5 II, accordée par lettre du 27 décembre 2011 ; Vu les engagements présentés le 17 janvier 2012 et modifiés en dernier lieu le 6 février 2012 par la partie notifiante ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Electricité de Strasbourg (ci-après "ES") est l'opérateur historique d'électricité dans la région de Strasbourg, sa zone de desserte couvrant une partie importante du département du Bas-Rhin. Le groupe ES exerce une activité régulée de distribution d'électricité ainsi qu'une activité de commercialisation d'électricité via sa filiale à 100 % ES Energies Strasbourg, fournisseur historique seul habilité à fournir de l'électricité à des tarifs réglementés sur sa zone de desserte. ES est également présent sur les marchés libres de la fourniture d'électricité et de gaz.

2. ES est détenue à 88,82 % par EDF, opérateur historique d'électricité en France, présent sur tout le territoire et habilité, à ce titre, à fournir de l'électricité aux tarifs réglementés sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones de desserte couvertes par les entreprises locales de distribution (ci-après "ELD"). EDF est également fournisseur d'électricité et de gaz sur le marché libre.

3. Enerest est le fournisseur historique de gaz dans la région de Strasbourg. Enerest est actuellement détenue à 100 % par Réseau GDS (anciennement Gaz de Strasbourg) et a été filialisé en 2007 de façon à séparer les activités de réseaux des activités de commercialisation du gaz, conformément à la réglementation française et européenne. Enerest est seul opérateur habilité à fournir du gaz à des tarifs réglementés sur la zone de desserte de Réseau GDS, qui couvre l'agglomération de Strasbourg. Enerest vend également du gaz au prix de marché depuis le 1er octobre 2008 ainsi que de l'électricité depuis septembre 2009. Cette dernière activité représente environ 1 % de son chiffre d'affaires en 2010.

4. Le 3 novembre 2011, ES a adressé une offre ferme et irrévocable aux actionnaires d'Enerest portant sur la totalité des actions de cette société. Le même jour, les actionnaires d'Enerest ont concédé à ES un engagement d'exclusivité pour réaliser l'opération.

5. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif d'Enerest par le groupe EDF, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (groupe EDF : 65,2 milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010 ; Enerest : 209 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010). Chacune réalise en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euro (groupe EDF : 37,5 milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010 ; Enerest : 209 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. De manière constante, la pratique décisionnelle distingue les marchés de l'électricité et du gaz, en raison de l'absence de substituabilité entre ces deux produits (1).

A. LE SECTEUR DE L'ELECTRICITE

7. Les autorités de concurrence nationale et européenne distinguent généralement les marchés de produits suivants, de l'amont à l'aval : (i) la production et la vente en gros, (ii) le négoce, (iii) le transport, (iv) la distribution et (v) la fourniture au détail d'électricité (2). Compte tenu des chevauchements horizontaux d'activités liés à l'opération, les marchés concernés sont ceux de la fourniture au détail d'électricité.

1. LA FOURNITURE AU DÉTAIL D'ÉLECTRICITÉ

8. Les autorités de concurrence nationale et européenne distinguent, au sein de la fourniture au détail d'électricité, entre (i) la fourniture d'électricité au détail aux gros clients industriels et commerciaux, raccordés au réseau de transport et (ii) la fourniture d'électricité au détail aux petits clients industriels, commerciaux et résidentiels raccordés au réseau de distribution (3). Cette délimitation a été envisagée dans la mesure où les gros clients industriels bénéficient d'offres individualisées basées sur leur consommation réelle, tandis que les clients raccordés au réseau de distribution font l'objet d'une approche commerciale de masse et se voient attribuer un tarif en fonction du profil type de leur consommation. Ces derniers clients sont dits "profilés" : un profil type théorique leur est attribué en fonction de leurs caractéristiques en termes, notamment, d'activité professionnelle et d'équipements domestiques de manière à pouvoir évaluer par avance leur consommation d'électricité (4).

9. La Commission européenne et l'Autorité de la concurrence ont en outre envisagé de distinguer, au sein des clients "profilés", entre (i) les petits clients industriels et commerciaux et (ii) les clients résidentiels. En effet, ces deux segments de clientèle ont des profils de consommation distincts et la fourniture aux clients résidentiels est soumise à une réglementation spécifique résultant des obligations de service public qui ne s'appliquent pas aux clients professionnels (5). La partie notifiante a toutefois souligné que les clients résidentiels comme les petits professionnels dont la puissance souscrite est inférieure à 36 kVA font l'objet d'une approche commerciale similaire. En outre, elle a fait valoir que la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 (ci-après loi "NOME") prévoit des dispositions identiques pour ces deux catégories de clientèle concernant la réversibilité et le maintien des tarifs réglementés.

10. En l'espèce, l'opération engendre un chevauchement d'activité sur la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et aux petits professionnels.

11. Enfin, la pratique décisionnelle a envisagé de définir des marchés plus étroits de la fourniture d'électricité aux clients ayant souscrit un contrat de fourniture sur le marché libre (6). Ainsi, l'Autorité de la concurrence a relevé que coexistaient en France des offres de marché dont les prix étaient librement fixés et des offres aux tarifs réglementés et que, par ailleurs, la souscription d'un contrat d'approvisionnement sur le marché libre ne permettait pas de revenir à ces tarifs réglementés, sauf exception, notamment pour les gros clients industriels (7).

12. La partie notifiante estime que cette distinction a perdu de sa pertinence depuis l'entrée en vigueur de la loi "NOME". Elle relève ainsi que la législation permet aux petits consommateurs (industriels, commerciaux et résidentiels souscrivant à une puissance inférieure à 36 kVA) de revenir aux tarifs réglementés sur simple demande et sans délai pour une durée qui ne peut être inférieure à un an et qu'elle encadre la même possibilité pour les gros consommateurs (industriels et commerciaux souscrivant à une puissance supérieure à 36 kVA) (8). Il en ressort, selon elle, qu'il n'est pas nécessaire de distinguer entre les clients ayant souscrit une offre de marché et ceux ne l'ayant pas fait, à tout le moins pour les petits consommateurs.

13. La partie notifiante souligne en outre que les clients ayant souscrit une offre de marché représentent environ 6,7 % du total des consommateurs d'électricité. A ce titre, il convient de relever que seuls 5,5 % des clients résidentiels et 14,3 % des clients non résidentiels ont souscrit des offres de marché. Au total, selon la Commission de Régulation de l'Energie (la "CRE"), les fournisseurs alternatifs représentent 5,4 % de la fourniture des sites résidentiels et 7,4 % de la fourniture des sites non résidentiels (9).

14. En l'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés de la fourniture au détail d'électricité peut cependant être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit l'hypothèse retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

2. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE PERTINENT

15. Les autorités de concurrence nationale et communautaire (10) ont considéré, lors de l'examen d'opérations impliquant des opérateurs de dimension nationale, que les marchés de l'électricité étaient de dimension nationale, notamment en raison du faible niveau d'interconnexion entre les Etats membres et de la diversité des systèmes réglementaires en vigueur.

16. En l'espèce toutefois, l'opération implique, outre EDF opérateur historique au niveau national, deux ELD dont l'activité est fortement liée à leur zone de desserte historique respective. Ainsi, celle d'ES s'étend sur une partie importante du département du Bas-Rhin tandis que celle d'Enerest correspond à l'agglomération de Strasbourg. Les chevauchements d'activité interviennent donc essentiellement dans le département du Bas-Rhin.

17. Pour les besoins de la présente opération, l'analyse concurrentielle sera donc menée à la fois au niveau national mais aussi plus spécifiquement sur le département du Bas-Rhin.

B. LE SECTEUR DU GAZ

18. Les autorités de concurrence nationale et européenne distinguent traditionnellement, de l'amont à l'aval, les marchés de produits suivants : (i) l'exploration-export, (ii) le transport, (iii) le stockage, (iv) le négoce et (v) la fourniture en gaz naturel (11). Compte tenu des activités des parties à l'opération, seul les marchés de la fourniture de gaz naturel sont concernés par l'opération.

1. LA FOURNITURE AU DÉTAIL DE GAZ

a) Distinction selon le profil des clients

19. Au sein des activités de fourniture de gaz, la pratique décisionnelle a d'abord distingué (i) la fourniture de gaz aux gros clients industriels, (ii) la fourniture de gaz aux petits clients industriels et commerciaux, (iii) la fourniture de gaz aux producteurs d'électricité, (iv) la fourniture de gaz aux revendeurs intermédiaires (entreprises locales de distribution) et (v) la fourniture de gaz aux clients résidentiels (12). Les distinctions entre ces groupes sont fondées sur les différences d'usage qu'ils font du gaz, sur celles qui ont trait à leurs profils et volumes de consommation ou sur leur raccordement au réseau de transport ou de distribution ainsi que sur le prix d'achat.

20. La Commission européenne a laissé ouverte la question de savoir si le seuil à retenir pour distinguer, en France, entre la fourniture de gaz aux petits consommateurs industriels et celle aux grands consommateurs industriels était une consommation annuelle de 50 GWh ou de 5 GWh (13).

21. En l'espèce, les parties fournissent du gaz à des clients résidentiels, aux petits professionnels, à de gros clients industriels et commerciaux, ainsi qu'à des ELD.

b) Distinction selon le type de gaz distribué

22. La Commission européenne a par ailleurs établi une distinction entre la fourniture de gaz à bas pouvoir calorifique (dit "gaz B" ou "gaz L") et la fourniture de gaz à haut pouvoir calorifique (dit "gaz H"). Cette distinction est justifiée, selon la pratique décisionnelle européenne, en raison des caractéristiques, propriétés et usages différents, les deux types de gaz nécessitant des installations spécifiques dont la conversion à un autre type de gaz nécessite des investissements significatifs (14).

23. En l'espèce, les parties fournissent du gaz H (EDF, ES et Enerest) ainsi que du gaz B (uniquement EDF et Enerest).

c) Distinction selon le segment de fourniture

24. Enfin, les autorités de concurrence ont envisagé de définir des marchés plus étroits de la fourniture de gaz aux clients ayant souscrit un approvisionnement sur le marché libre (15). Ainsi, la Commission européenne a noté que les clients ayant souscrit une offre de marché, en basculant du tarif réglementé vers le tarif libre, n'avaient la possibilité de revenir au tarif réglementé que sous certaines conditions. De ce fait, il existerait une asymétrie de contrainte concurrentielle entre fourniture de gaz à tarif réglementé et fourniture de gaz à tarif libre, la substituabilité entre les deux segments ne jouant que dans un sens. La Commission européenne en a conclu que les marchés pertinents étaient les marchés de la fourniture de gaz aux clients ayant exercé leur éligibilité.

25. En l'espèce, les parties estiment que cette segmentation a perdu de sa pertinence en raison de la possibilité pour les petits consommateurs de gaz (c'est-à-dire ayant souscrit une consommation annuelle de moins de 30 000 kWh) de revenir aux tarifs réglementés. Il convient cependant de relever que cette possibilité est plus restreinte pour les gros consommateurs (16).

26. La question de la délimitation exacte des marchés de la fourniture de gaz peut cependant être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit l'hypothèse retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

2. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE PERTINENT

27. S'agissant de la délimitation géographique des marchés de la fourniture de gaz, la Commission européenne a considéré que ces marchés étaient de dimension infranationale (17). Elle a ainsi retenu plusieurs marchés correspondant aux zones d'équilibrage, pour lesquelles les conditions de concurrence diffèrent significativement. Il n'existe désormais que trois zones d'équilibrage depuis le 1er janvier 2009, Nord, Sud et Sud-Ouest (18). En l'espèce, l'opération engendre un chevauchement d'activité significatif dans la seule zone Nord.

28. Plus précisément, l'opération implique des ELD dont l'activité est fortement liée à leur zone de desserte historique respective. Les chevauchements d'activité interviennent donc essentiellement dans le département du Bas-Rhin.

29. Pour les besoins de la présente opération, l'analyse concurrentielle sera donc menée à la fois sur la zone Nord mais aussi plus spécifiquement sur le département du Bas-Rhin.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

1. MARCHÉS DE LA FOURNITURE D'ÉLECTRICITÉ

30. L'opération engendre un chevauchement d'activité sur le segment de la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et sur le segment des petits professionnels. L'analyse concurrentielle sera menée successivement au plan national puis au plan local.

a) Au niveau national

31. La partie notifiante a fourni les parts de marché sur le segment global des clients dont la puissance souscrite est inférieure à 36kVA (clients résidentiels et petits professionnels confondus) ainsi que sur le segment des seuls clients résidentiels.

32. Sur le marché national de la fourniture d'électricité aux clients dont la puissance souscrite est inférieure à 36kVA (clients résidentiels et petits professionnels confondus), dont la très grande majorité reste approvisionnée en éléctricité aux tarifs réglementés, la nouvelle entité détiendra une part de marché estimée à [90-100] % résultant d'une addition infime de parts de marché, la part de marché d'Enerest étant négligeable. En se restreignant aux clients du marché libre, la part de marché d'EDF tombe à [20-30] %, la part de marché d'ES et d'Enerest restant infinitésimale au plan national.

33. Sur le segment des seuls clients résidentiels, l'analyse est sensiblement la même. La nouvelle entité réalisera [90-100] % des ventes d'électricité sur ce segment de clientèle (19), l'opération ne modifiant pas de manière sensible la situation antérieure, la part de marché d'Enerest étant négligeable. Si l'on ne tient compte que des clients résidentiels sur le marché libre, la nouvelle entité disposerait d'une part de marché inférieure à [0-5] %.

34. L'opération n'entraîne donc pas de restriction de concurrence au niveau national concernant la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et aux petits professionnels au titre des effets horizontaux.

b) Au niveau local

35. Le tableau suivant synthétise les parts de marché des parties à l'opération en considérant l'ensemble des clients, qu'ils aient ou non souscrit une offre de marché :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

36. Quelle que soit la segmentation de clientèle retenue, ES fournit quasiment l'intégralité des clients en électricité sur le Bas-Rhin, peu d'entre eux ayant souscrit une offre de marché ([0-5] % toutes catégories de clients confondues). Enerest est très faiblement présent sur ce marché et détient tout au plus [0-5] % de parts de marché.

37. Le tableau suivant présente les parts de marché des parties à l'opération sur le seul marché libre :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

38. Il convient tout d'abord de souligner que le marché libre est encore moins développé localement qu'au niveau national : il correspond à seulement 0,05 % de la consommation totale des résidentiels sur la zone et 0,6 % de la consommation des petits professionnels.

39. Sur le segment des clients résidentiels, la nouvelle entité détiendra une part de marché estimé à [90-100] %, Enerest ayant capté l'essentiel des clients ayant quitté le tarif réglementé en électricité ([90-100] %). ES, pour sa part, a conservé [5-10] % des clients électricité ayant souscrit une offre de marché.

40. Sur le segment de petits professionnels, la position des parties à l'opération est plus réduite, ES bénéficiant d'une part de marché de [20-30] % et Enerest de [5-10] %. Sur ce segment de clientèle, c'est Poweo qui domine le marché avec près de [60-70] % des ventes. GDF Suez est également présent (environ [5-10] %).

41. L'opération entraîne donc des chevauchements significatifs d'activité, puisque Enerest constitue au niveau local la principale alternative à Electricité de Strasbourg pour les clients résidentiels. Le marché libre de l'électricité reste cependant émergent, étant donné le volume marginal de la consommation des clients notamment résidentiels et petits professionnels en offres de marché.

42. A cet égard, il ressort des contributions des fournisseurs alternatifs au test de marché qu'il reste aujourd'hui difficile pour ces derniers de proposer des offres économiquement viables sur le marché libre par comparaison aux tarifs réglementés de l'électricité. Les répondants ont également confirmé que, dans ce contexte, les offres comportant simultanément une fourniture d'électricité et une fourniture de gaz (généralement désignée d'"offres duales") constituaient un axe stratégique de développement des fournisseurs alternatifs, notamment dans la mesure où, selon l'un d'entre eux, "elles sont un important outil de conquête de parts de marché dans le secteur de l'électricité". La capacité des concurrents de proposer de telles offres à l'issue de l'opération est examinée dans la présente décision au titre des effets congloméraux.

2. MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE GAZ

43. L'opération engendre un chevauchement d'activité sur la zone d'équilibrage Nord, qu'il convient de segmenter entre la fourniture de gaz B et gaz H. L'analyse concurrentielle sera ensuite menée sur le département du Bas-Rhin.

a) Sur la zone d'équilibrage Nord-Gaz B

44. Sur cette zone, le seul chevauchement d'activité concerne les petits clients industriels et commerciaux. Sur ce marché, la nouvelle entité détiendra une part de marché évaluée à [5-10] % (EDF : [5-10] % ; Enerest : [0-5] %). En ne tenant compte que des petits industriels ayant souscrit une offre de marché, ce chiffre atteint [10-20] % résultant d'une addition de part de marché très faible (Enerest : [0-5] %).

45. Quelle que soit la délimitation envisagée, GDF Suez, qui représente [80-90] % de parts de marché tous clients confondus et [60-70] % des petits industriels ayant souscrit une offre libre, reste leader sur ce marché. La nouvelle entité sera en outre confrontée à la présence de concurrents tels qu'Altergaz ou Direct Energie.

b) Sur la zone d'équilibrage Nord-Gaz H

46. Sur cette zone, les chevauchements d'activité concernent les clients résidentiels, les petits industriels et commerciaux, les gros clients industriels et enfin les ELD (ou intermédiaires revendeurs).

47. En considérant l'ensemble des clients (ayant ou non souscrit une offre de marché), la part de marché sur chacun de ces marchés ne dépassera pas [5-10] % résultant d'un renforcement faible (moins de [0-5] %). GDF Suez, en tant qu'opérateur historique, est largement leader sur l'ensemble des segments.

48. En considérant les clients résidentiels sur le marché libre, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [40-50] %, EDF disposant sur ce segment de clientèle d'une part de marché de [30-40] % et Enerest de [10-20] %. Toutefois, sur ce marché, GDF Suez reste fortement présent avec plus de [40-50] % de parts de marché. D'autres concurrents sont également présents, tels que Altergaz ([5-10] %) et Direct Energie-Poweo (moins de [5-10] % cumulé)

49. En ce qui concerne les petits professionnels sur le marché libre, la nouvelle entité disposera d'une part de marché de [20-30] % (groupe EDF : [10-20] % ; Enerest : [5-10] %). GDF Suez reste largement leader sur ce marché avec plus [60-70] % de parts de marché. Sont également présents Altergaz ([10-20] %) et plus marginalement Direct Energie-Poweo (moins de [5-10] % à eux deux).

50. En ce qui concerne les gros industriels sur le marché libre, la part de marché de la nouvelle entité restera limitée à [0-5] % (groupe EDF : [0-5] % ; Enerest : [0-5] %). GDF Suez demeure leader avec plus de [50-60] % de parts de marché.

c) Sur le département du Bas-Rhin

51. Le tableau suivant synthétise les parts de marché des parties à l'opération en considérant l'ensemble des clients, ayant ou non souscrit une offre de marché (20) :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

52. Il convient de souligner que la zone de desserte historique d'Enerest ne couvre qu'une partie limitée du Bas-Rhin correspondant approximativement à l'agglomération de Strasbourg. En dehors de cette zone, deux autres opérateurs historiques disposent d'un territoire exclusif pour la distribution du gaz aux tarifs réglementés. Il s'agit de Gaz de Barr qui dessert quelques communes autour de Barr et GDF Suez pour les autres communes du département raccordées au réseau de distribution de gaz.

53. Sur le segment des clients résidentiels, la nouvelle entité disposera d'une part de marché de [40-50] % résultant d'un faible renforcement de sa position (+[0-5] %). Les parties n'ont pas été en mesure de fournir une estimation des parts de marché de leurs concurrents. D'après les résultats du test de marché, GDF Suez estime détenir une part de marché d'environ [30-40 %] sur le segment des résidentiels, tous les clients étant situés en dehors de la zone de desserte historique de Enerest. Gaz de Barr est également présent en tant qu'opérateur historique ainsi qu'Altergaz, de manière plus anecdotique.

54. L'analyse est similaire sur le segment des petits clients industriels et commerciaux. L'opération engendre un faible chevauchement d'activité (+[0-5] %) aboutissant à un renforcement limité de la part de marché de l'opérateur historique ([60-70] %). GDF Suez estime détenir une part de marché de l'ordre de [20-30 %], entièrement réalisée en dehors du territoire historique d'Enerest. Sont également actifs sur la zone Altergaz, Tégaz et Enovos, pour des volumes de ventes limités.

55. Concernant les gros clients industriels et commerciaux, la nouvelle entité disposera d'une part de marché de [40-50] %, ES réalisant [5-10] % des ventes en volume sur ce segment. La nouvelle entité restera principalement confrontée à la concurrence de GDF Suez, qui estime sa part de marché à [50-60 %]. Des opérateurs comme Gaz Natural, Enovos, Gazprom et ENI (Distrigaz et Altergaz) interviennent également sur le marché.

56. Si l'on s'intéresse spécifiquement aux clients sur le marché libre et ayant souscrit une offre de fourniture gaz au prix de marché, les parties disposent des parts de marché suivantes :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

57. Contrairement à la situation sur le marché de l'électricité dans le Bas-Rhin, il convient de relever que la dimension du marché libre est conforme à la moyenne nationale. En l'espèce, les fournitures en offres de marché représentent 15 % de la consommation de gaz des résidentiels, 32 % de celle des petits professionnels et 85 % de celle des grands industriels.

58. Sur le segment des résidentiels, la nouvelle entité disposera d'une part de marché de [60-70] %. Elle reste toutefois confrontée à la concurrence des opérateurs historiques en gaz également présents sur le marché libre et notamment de GDF Suez qui dispose de [20-30] % de parts de marché, Gaz de Barr ([0-5] %) mais aussi d'opérateurs alternatifs tel qu'Altergaz ([0-5] %). GDF Suez souligne qu'elle ne réalise aucune vente sur le territoire historique d'Enerest.

59. Sur le segment des petits professionnels, la situation est assez similaire. Les parties n'ont pas été en mesure de préciser les parts de marché des concurrents mais ont indiqué la présence de GDF Suez, Altergaz, Tégaz et Enovos qui totalisent [40-50] % de parts de marché.

60. Enfin, sur le segment des gros industriels, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [40-50] %. Les parties n'ont pas été en mesure de préciser les parts de marché individuelles des concurrents mais ont indiqué la présence de GDF Suez, Gaz Natural, Enovos, Gazprom et ENI qui totalisent [50-60] % de parts de marché.

61. L'opération conférera donc à ES une position importante sur le marché libre, consolidant des parts de marché relativement élevées pour la fourniture de gaz aux clients résidentiels et petits professionnels. Il convient néanmoins de relever qu'au contraire de l'électricité, les marchés du gaz sont caractérisés par la présence de plusieurs fournisseurs alternatifs disposant de parts de marché non négligeables. En outre, comme expliqué ci-dessus, les offres duales constituent un axe stratégique de développement des fournisseurs alternatifs. La capacité des concurrents de proposer de telles offres à l'issue de l'opération est examiné dans la présente décision au titre effets congloméraux.

12 B. EFFETS CONGLOMÉRAUX

62. L'opération, qui consiste dans l'intégration de deux ELD, permettra à ES de détenir simultanément les monopoles légaux de la fourniture de l'électricité et du gaz aux tarifs réglementés dans ses zones de desserte. Ainsi, à l'issue de l'opération, la nouvelle entité sera en mesure de proposer simultanément des contrats de fourniture en gaz et en électricité tant au tarif réglementé qu'en offre de marché, en particulier dans la zone de chevauchement des territoires de distribution d'ES et Enerest (agglomération de Strasbourg).

63. La pratique commerciale par laquelle un même opérateur propose des offres comportant simultanément une fourniture d'électricité et une fourniture de gaz est désignée d'"offres duales" ou d'"offres doubles". La Commission européenne a eu l'occasion de rappeler que "les offres doubles ne sont pas en elles-mêmes anticoncurrentielles" (21). La pratique décisionnelle antérieure a en effet souligné que les offres duales permettent aux fournisseurs de réaliser des économies de gamme importantes (informatique, facturation) qui peuvent représenter 50 % du prix de l'offre d'un seul produit. En outre, toujours du côté de l'offre, "les coûts d'acquisition d'un client électricité auquel un fournisseur vend déjà du gaz (et vice versa) sont moins élevés que les coûts liés à l'acquisition d'un client tout nouveau et permettent aux fournisseurs d'exploiter leur portefeuille de client inertes auxquels ils vendent déjà un des produits" (22). Du côté de la demande, ces offres donnent l'avantage de recevoir les factures d'un seul fournisseur voire d'obtenir des prix plus avantageux (23). Les offres duales ne concernent que les clients résidentiels et petits professionnels, les gros clients industriels n'étant pas sensibles à ce type d'offres (24).

64. La Commission européenne a également relevé que les offres duales constituent "un outil qui permet de limiter les changements de fournisseurs en offrant de nouveaux services qui répondent aux attentes des clients et renforcent la relation commerciale avec ces derniers. Ce type d'offre permet également aux fournisseurs de faire leur entrée sur de nouveaux marchés énergétiques et de bénéficier d'économies d'échelle" (25).

65. Pour déterminer si la possibilité pour la nouvelle entité de proposer des offres duales est susceptible d'avoir une incidence significative sur la concurrence, il convient d'examiner dans quelle mesure l'entité issue de l'opération aura la capacité d'évincer ses concurrents à travers des offres duales et l'incitation à le faire (i) et si cette stratégie aura un effet significatif sur les marchés en cause (ii).

1. CAPACITÉ ET INCITATION A ÉVINCER SES CONCURRENTS PAR LE BIAIS DES OFFRES DUALES

66. L'incitation à évincer ses concurrents par le biais d'offres duales dépend, en premier lieu, du nombre de clients utilisant à la fois de l'électricité et du gaz. Les parties ont à ce propos indiqué qu'environ [30-40] % des clients électricité consomment également du gaz dans le département du Bas-Rhin et sont donc concernés par les offres duales. Dans la zone directement concernée par l'opération, à savoir la zone plus restreinte de l'agglomération de Strasbourg, cette proportion avoisine les 44 % d'après le test de marché.

67. Il convient en outre de relever que les offres associant gaz et électricité constituent un levier de développement très significatif pour des opérateurs souhaitant conquérir des clients sur le segment des clients résidentiels et petits professionnels. Plusieurs répondants au test de marché ont indiqué qu'il leur était difficile de concurrencer directement les opérateurs en place sur leur marché historique compte tenu de l'attractivité des tarifs réglementés, qui résulte tant du niveau de ces tarifs, notamment en électricité (26), que de la sécurité qu'ils représentent aux yeux de bon nombre de consommateurs. Proposer des offres duales aux conditions du marché permet ainsi à ces nouveaux entrants d'offrir des services, tels que celui du guichet unique ou de la facture unique, susceptibles d'intéresser suffisamment les consommateurs pour les décider à quitter les opérateurs historiques. La nouvelle entité sera donc fortement incitée à s'appuyer sur sa capacité accrue à proposer des offres duales pour prévenir l'entrée de nouveaux concurrents.

68. En effet, à l'issue de l'opération, le quasi-monopole local de la nouvelle entité tant en électricité qu'en gaz dans la zone de chevauchement des dessertes respectives d'ES et d'Enerest lui permettra de faire des offres duales qu'aucun concurrent ne pourra répliquer. La nouvelle entité aura alors la capacité d'évincer ses concurrents de plusieurs manières.

69. Premièrement, la nouvelle entité sera capable de favoriser l'immobilité de ses clients en protégeant ses activités de fournisseur d'énergie aux tarifs réglementés. Ainsi, dans un contexte où le marché libre reste faiblement développé, la grande majorité des consommateurs situés dans la région de Strasbourg pourra bénéficier auprès d'un opérateur unique des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz. Compte tenu de la faible mobilité des consommateurs constatée au niveau national comme au niveau local, de la force de l'image de marque des opérateurs historiques (27), de l'attachement des clients aux tarifs réglementés et de la valeur accordée aux offres duales (28), il ne peut être exclu que l'opération réduise encore l'incitation de ces clients à changer de fournisseur d'énergie.

70. Deuxièmement, la nouvelle entité sera en mesure de proposer des offres combinant un tarif réglementé pour une énergie et un prix libre, aux conditions du marché, pour l'autre, en s'appuyant sur son image de marque et la possibilité de revenir par la suite au tarif réglementé sans changer d'opérateur. De telles offres permettront à la nouvelle entité d'utiliser le monopole légal qu'elle détient pour la fourniture d'électricité ou de gaz aux tarifs réglementés comme un levier de développement sur le marché libre, par le biais d'offres que ses concurrents ne pourront répliquer et qui exerceront sur ces derniers un effet d'éviction. A cet égard, si la partie notifiante se défend de concevoir de telles offres comme un axe de développement, il convient de relever qu'ES propose d'ores et déjà une offre duale combinant le tarif réglementé pour l'électricité et un prix libre pour le gaz. L'existence d'une telle offre étaye donc la réalité du risque de restriction de concurrence que soulève l'opération.

71. Troisièmement, la nouvelle entité bénéficiera, à l'issue de l'opération, d'une information détaillée sur les niveaux et les modes de consommation de la quasi-totalité des clients de la zone de chevauchement des dessertes historiques d'ES et d'Enerest. En effet, la nouvelle entité possèdera les fichiers de la clientèle historique des zones de distribution d'ES et d'Enerest et détiendra par ce biais des informations essentielles, à savoir l'historique des puissances souscrites, le volume annuel de consommation estimé, le type de dispositif de comptage et la plage horaire heures pleines / heures creuses en électricité, l'historique du volume annuel de consommation estimé et le profil de consommation en gaz. La détention de ces informations constitue un avantage commercial déterminant dans la mesure où ces dernières permettront à la nouvelle entité d'élaborer des offres commerciales particulièrement adaptées à ses prospects, ce que ne pourront faire ses concurrents. Ceux-ci ne disposent en effet pas de cette information, et ne pourront recueillir de données comparables que par le biais de requêtes d'information individuelles auprès de chaque client. Ces frais d'approche commerciale représentent un coût pour les fournisseurs alternatifs que la nouvelle entité ne subira pas sur le marché libre. La nouvelle entité, en exploitant cette asymétrie d'information, sera donc également capable de proposer des offres duales que ses concurrents ne pourront répliquer et qui exerceront un effet d'éviction sur ces derniers.

2. EFFETS SUR LES MARCHÉS EN CAUSE

72. Le Conseil de la concurrence, saisi notamment de la mise en œuvre par un ELD liant dans une offre unique la fourniture d'électricité aux tarifs réglementés à d'autres prestations, a constaté qu'une telle pratique "a pour objet et effet de fermer durablement le marché local de la fourniture d'électricité à de futurs opérateurs [en créant] des barrières artificielles à l'entrée sur le marché" (29).

73. Comme cela a été établi, les offres duales concernent potentiellement [30-40] % des clients du Bas-Rhin et 44 % des clients situés dans l'agglomération de Strasbourg, zone de chevauchement des dessertes historiques des parties. Cet effet est certes localisé, mais il porte néanmoins sur le coeur des activités concernées par l'opération.

74. En outre, comme indiqué ci-dessus, les offres duales constituent le principal levier d'entrée sur les marchés de l'électricité pour des fournisseurs de gaz. L'opération, en renforçant les barrières à l'entrée sur ce marché, risque donc d'empêcher le développement de la concurrence.

75. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'opération notifiée est de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marché de la fourniture d'électricité et de gaz aux particuliers et petits professionnels sur la zone de chevauchement des dessertes historiques d'ES et d'Enerest par le biais d'effets congloméraux.

IV. Les mesures correctives

A. LES MESURES CORRECTIVES PROPOSÉES

76. La partie notifiante a présenté des engagements le 17 janvier 2012 afin de remédier aux doutes sérieux d'atteinte à la concurrence soulevés par l'opération. Ces engagements ont fait l'objet d'un test de marché auprès des concurrents d'ES et d'Enerest. Le contenu de l'ensemble des engagements a fait l'objet de discussions avant d'être formulé de manière définitive le 6 février 2012. C'est dans cette version qu'ils sont présentés ci-après.

a) Engagements relatifs aux offres combinant tarif réglementé et offre de marché

77. ES s'est engagé à ne pas faire d'offres combinant tarif réglementé dans une énergie et offre de marché dans l'autre énergie ou encore un tarif réglementé pour chacune des énergies (ci-après "offres combinées") dans la zone de chevauchement des dessertes historiques d'ES et d'Enerest.

78. Pour rendre effectif cet engagement, ES s'est engagé à séparer fonctionnellement les équipes de vente d'électricité de celles en charge des ventes de gaz, chaque équipe ne pouvant présenter, proposer, commercialiser ou conclure auprès des clients aucune offre dans l'autre énergie. Chaque équipe dispose d'un numéro de téléphone spécifique. ES s'est également engagé à ne pas mener d'action de promotion d'offres combinées à destination des clients de la zone géographique.

b) Engagement relatif à l'accès aux informations clients

79. ES s'est engagé à donner accès aux informations commerciales nécessaires pour élaborer des propositions commerciales pertinentes (à savoir l'historique des puissances souscrites, le volume annuel de consommation estimé, le type de dispositif de comptage et la plage horaire heures pleines / heures creuses en électricité et l'historique du volume annuel de consommation estimé et le profil de consommation en gaz) à tout fournisseur qui lui en ferait la demande écrite.

80. La communication de ces informations étant soumise à l'autorisation préalable des clients concernés, ES s'est engagé à faire ses meilleurs efforts pour recueillir l'autorisation expresse de ses clients par le biais de courriers postaux ou électroniques.

c) Le mandataire et la gestion séparée des actifs

81. Les engagements déposés par les parties prévoient la nomination d'un mandataire indépendant agréé par l'Autorité de la concurrence. Ce mandataire veillera à l'application de l'ensemble des engagements décrits ci-dessus.

d) Durée des engagements

82. ES a souscrit ces engagements pour une période initiale expirant le 31 décembre 2015. Cette date correspond en effet à l'échéance, prévue à l'article 13 de la loi NOME, à l'issue de laquelle les tarifs réglementés de vente d'électricité devraient être établis "en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale". Comme l'Autorité a déjà eu l'occasion de le relever, la mise en œuvre de cette disposition devrait garantir la neutralité de ces tarifs quant aux conditions de concurrence entre les fournisseurs (30). Cette échéance légale justifie donc la durée des engagements dans le cas d'espèce. La levée, la prolongation ou la modification des engagements après cette date est ainsi soumise à un examen de l'évolution du cadre légal et réglementaire et de la situation concurrentielle dans la zone géographique.

B. APPRÉCIATION DES MESURES PROPOSÉES

a) Appréciation des mesures relatives à la pratique d'offres combinées

83. Avant d'être formulée de manière définitive, la proposition initiale de la partie notifiante a été soumise à un test auprès des fournisseurs alternatifs. Les engagements proposés ont ensuite fait l'objet de discussions approfondies et ont évolué au cours de la procédure. L'instruction a ainsi mis en exergue l'insuffisance des engagements initialement proposés, en ce qu'ils interdisaient à la nouvelle entité de formuler des offres combinées tout en lui réservant la possibilité de présenter, lors d'un même contact commercial, l'ensemble de ses offres, tant en gaz qu'en électricité, aux tarifs réglementés comme en offres de marché.

84. Afin de garantir l'effectivité des engagements ainsi que de permettre d'en contrôler la mise en œuvre, la partie notifiante a modifié sa proposition pour finalement s'engager à séparer ses équipes de vente en gaz et en électricité. Ces équipes proposeront des offres strictement distinctes et seront joignables par le biais d'un numéro de téléphone distinct. De ce fait, un client appelant l'équipe gaz ne pourra se voir proposer une offre électricité et inversement.

85. Ces engagements ne s'opposeront cependant pas à la possibilité, pour la nouvelle entité, de proposer à ses clients des offres de fourniture portant à la fois sur l'électricité et le gaz aux conditions du marché. De telles offres feront néanmoins l'objet d'un traitement commercial spécifique et ne pourront en aucun cas comporter une composante aux tarifs réglementés. De plus, ces offres seront commercialisées dans un environnement de marché en vertu duquel les fournisseurs alternatifs pourront accéder aux informations sur la consommation des clients de la nouvelle entité, conformément aux engagements prévus à cet effet, ce qui leur permettra de concurrencer Electricité de Strasbourg sur un pied d'égalité.

86. L'engagement dans sa version finale est donc de nature à répondre aux préoccupations de concurrence identifiées. En effet, en s'engageant à ne pas proposer d'offres combinées, la nouvelle entité ne sera pas en mesure de s'appuyer sur ses activités de fournisseur d'énergie aux tarifs réglementés pour restreindre les conditions de concurrence vis-à-vis des fournisseurs alternatifs souhaitant proposer des offres libres, y compris duales. La séparation fonctionnelle des équipes de ventes gaz et électricité garantit l'efficacité et la contrôlabilité d'un tel engagement, conformément à la pratique décisionnelle de l'Autorité (31).

b) Appréciation des mesures relatives à l'accès aux informations clients

87. Afin que la nouvelle entité ne puisse s'appuyer sur l'information dont elle dispose sur la consommation de ses clients pour favoriser ses activités sur le marché libre dans des conditions où ses concurrents ne pourraient contrer cette asymétrie qu'en engageant des coûts supplémentaires, ES s'est engagé à donner accès à tout fournisseur qui en ferait la demande aux informations commerciales nécessaires à l'élaboration d'offres adaptées.

88. L'appréciation de la pertinence des informations concernées a fait l'objet d'un test de marché, dont les résultats ont amené la partie notifiante à compléter et préciser sa proposition initiale. Les informations visées par la version finale des engagements sont suffisantes pour que les fournisseurs alternatifs puissent élaborer des offres commerciales adaptées aux niveaux et aux modes de consommation de chaque client. Ainsi l'engagement est de nature à neutraliser l'avantage informationnel dont aurait bénéficié la nouvelle entité à l'issue de l'opération du fait du contrôle de cette information et à permettre aux fournisseurs alternatifs de concurrencer efficacement la nouvelle entité sur la base d'offres duales.

89. Dans le contexte de l'élaboration de cet engagement, l'Autorité a été particulièrement attentive à la stricte application des dispositions de la loi dite "Informatique et Libertés". Ces dispositions requièrent notamment le recueil préalable de l'autorisation expresse des clients pour la diffusion des informations les concernant. Les services de la CNIL ont ainsi confirmé que le dispositif envisagé était, sous réserve d'une analyse plus approfondie des conditions pratiques de la mise en œuvre des engagements, conforme aux exigences légales dans la mesure où les informations concernées feront l'objet d'une durée de conservation limitée, où leur transmission sera assurée dans le cadre d'un système de sécurité robuste et où Electricité de Strasbourg et les fournisseurs alternatifs rempliront les formalités préalables auprès de la CNIL pour le traitement des informations.

90. Compte tenu de ce contexte, les engagements proposés permettent de remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération tels qu'exposés ci-dessus.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 11-168 est autorisée sous réserve des engagements décrits ci-dessus et annexés à la présente décision.

Notes :

1 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP-M.3868 DONG/ElsamEnergi E2 du 14 mars 2006 ou n° COMP-M.3440 EDP/ENI/GDP du 9 décembre 2004.

2 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP-M.5978 GDF Suez/International Power du 26 janvier 2011 ; décisions de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-119 du 27 juillet 2011 relative à la prise de contrôle conjoint de GEG Energies Nouvelles et Renouvelables par la CDC et GEG, n° 11-DCC-41 du 11 mars 2011 relative à l'acquisition du contrôle exclusif par la société NeoElectra Group de certains actifs de la société SEEM.

3 Voir les décisions de la Commission européenne n° COMP-M.5549 EDF/Segebel précitée et n° COMP-M.5170 E.On/Endesa Europa/Viesgo du 19 juin 2008. Voir aussi la décision de l'Autorité n° 09-DCC-28 précitée et la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-43 du 10 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par Électricité de France.

4 Décision n° 09-DCC-28 précitée.

5 Voir notamment les décisions européennes n° COMP-M.4994 et n° COMP-M.4180 précitées, et, au niveau national, la décision n° 09-DCC-28 précitée.

6 Voir la décision de la Commission européenne n° COMP-M.4994 précitée et la décision de l'Autorité n° 09-DCC-28 précitée.

7 Décision n° 09-DCC-28 précitée.

8 Un principe de réversibilité a été mis en place jusqu'au 31 décembre 2015, sous condition (notamment ne pas avoir exercé leur éligibilité avant l'entrée en vigueur de la loi NOME, la souscription depuis plus d'un an d'une offre de marché et l'engagement de souscrire au tarif réglementé pendant un an).

9 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz - Deuxième trimestre 2011.

10 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP-M.5978 ou les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-28 du 30 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Poweo par Verbund et n° 11-DCC-142 du 22 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Poweo par la société Direct Energie.

11 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP-M.6068 ENI/Acegasaps/JV du 11 avril 2011 et n° COMP-M.5978, précitée ; voir aussi la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-34 du 25 février 2011 relative à l'acquisition du contrôle exclusif de Ne Varietur par GDF Suez.

12 Voir les décisions n° COMP-M.5220 et n° COMP/M.4180 précitées, ainsi que la décision n° 11-DCC-34 précitée.

13 Décision n° COMP-M.5220 précitée.

14 Décision de la Commission européenne n° COMP-M.4180 précitée.

15 Voir les décisions n° COMP-M.5549, n° COMP-M.5220 et n° COMP-M.4180 précitées. Voir aussi la décision n° 11-DCC-34 précitée.

16 Voir la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, dite NOME, et notamment son article 14.

17 Voir les décisions n° COMP-M.5220 et n° COMP-M.4180 précitées. Voir aussi la décision n° 11-DCC-34.

18 Décision de la Commission de régulation de l'énergie du 25 octobre 2007 relative à l'attribution des capacités commercialisables à la liaison entre les zones Nord et Sud du réseau de GRTgaz et à l'interface entre les réseaux de GRTgaz et de TIGF à compter du 1er janvier 2009.

19 Environ 94,5 % de la consommation nationale s'effectue encore aux tarifs réglementés, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz, Commission de régulation de l'énergie, 3ème trimestre 2011.

20 Il n'y a pas de chevauchement d'activité sur le segment des ELD dans le Bas-Rhin, seul Enerest fournissant du gaz à Gaz de Barr.

21 Décision de la Commission européenne COMP-M.3440 EDP/ENI/GDP du 9 décembre 2004, §453.

22 Décision de la Commission européenne du 14 novembre 2006, n° M.4180, GDF/Suez, §861.

23 Id.

24 Id., §864.

25 Décision de la Commission européenne du 21 décembre 2005, n° M.3696, E.ON/MOL, §723.

26 L'Autorité de la concurrence a souligné dans son avis 10-A-08 relatif au projet de loi Nome, que le niveau des tarifs réglementés d'électricité rapporté au tarif d'accès régulé à l'électricité de base des opérateurs alternatifs fait qu'il n'est pas possible d'envisager le développement d'offres commerciales aux particuliers et petits professionnels compétitives vis-à-vis des tarifs réglementés d'électricité jusqu'en 2015.

27 L'attachement des consommateurs à leur opérateur historique d'énergie est un facteur qu'a déjà eu l'occasion de relever la Commission européenne (Décision EDP/Eni/GDP, précitée, §453).

28 "62% des foyers considèrent qu'il est préférable de disposer d'un fournisseur unique pour les deux énergies". Source : CRE, 5ème édition du baromètre annuel Energie-Info sur l'ouverture des marchés (10 novembre 2011).

29 Avis n° 06-A-08 du 30 mars 2006 relatif à une demande du parquet du Tribunal de grande instance de Metz à propos de pratiques de l'Usine d'Electricité de Metz, §63 (en l'espèce, la vente liée, matérialisée par des contrats de 15 ans, était assortie d'une clause d'exclusivité pour la fourniture de l'ensemble des prestations concernées).

30 Avis 10-A-08 relatif au projet de loi Nome, précité, §161.

31 Voir, notamment, la décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB).