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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 avril 2012, n° 11-01004

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MGC International (SA)

Défendeur :

Sogeci (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vert

Conseillers :

M. Picque, Mme Luc

Avocats :

Mes Belfayol Broquet, Barbaud, Charpentier-Oltramare, Hatet-Sauval, Maranhao-Guitton

T. com. Paris, du 2 avr. 2004

2 avril 2004

LA COUR,

Vu le jugement du 2 avril 2004, par lequel le Tribunal de commerce de Paris dans un litige opposant la société Sogeci International à la société MGC International, a débouté la société MGC International de ses demandes, a reçu les demandes reconventionnelles de la société Sogeci International et a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société MGC International à lui verser la somme de 70 000 euro pour détournement de clientèle, celle de 20 000 euro pour atteinte à son image, de 40 000 euro pour perte de capacités concurrentielles, de 1 500 euro pour procédure abusive et enfin celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code procédure civile ;

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 février 2006 ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2010 ;

Vu les conclusions de la société MGC International du 6 mai 2011 ;

Vu les conclusions de la société Sogeci International du 28 décembre 2011 ;

Vu les conclusions du 28 décembre 2011, d'intervention volontaire de Maître Weil, ès qualités d'administrateur au redressement judiciaire de la société Sogeci International et de Maître Mauhin, ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Sogeci International ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants.

Par message électronique du 17 mars 1998, la société Sogeci International (ci-après Sogeci) a proposé un " projet de convention de concession " à la société MGC International (ci-après MGC). Celle-ci l'a retourné signé du 1er avril 1998, après avoir biffé la mention " projet ". Dans tous les échanges postérieurs entre les deux sociétés versés aux débats, la société Sogeci se réfère invariablement au terme " projet de convention de concession ".

Par ce " projet de convention ", la société Sogeci, fabricant de cosmétiques, a consenti à la société MGC, distributeur de produits et matériels pour coiffeurs, la distribution exclusive de produits cosmétiques des marques Mayebo et Rosance X18, sur les territoires suivants : la France, les DOM-TOM, la Suisse, l'Espagne, le Portugal, la Côte d'Ivoire, la Mauritanie, le Tchad, la République Centrafrique, le Mali, la République Démocratique du Congo, le Canada, la Jamaïque, Haïti, Saint-Domingue, les Bahamas et Cuba.

Selon les termes de l'article 4 de cette convention, " aucun quota d'achat n'est exigible avant un délai d'un an. Délai au terme duquel une réunion bipartite devra fixer des objectifs chiffrés en terme de volume des ventes et de couverture des marchés. MGC International devra fournir les efforts nécessaires pour promouvoir et développer dès à présent les produits Mayebo et Rosance. A l'issue de cette période de un an le contrat sera renouvelé automatiquement par périodes de trois ans ".

Estimant que la société Sogeci n'avait pas respecté son engagement d'exclusivité en vendant directement des produits dans ses zones d'exclusivité courant 2002, la société MGC l'a assignée en dommages et intérêts. La société Sogeci a formé une demande reconventionnelle tendant à faire condamner la société MGC pour détournement de clientèle et atteinte à son image.

Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce a estimé qu'à l'issue de la période initiale d'un an, l'accord entre les parties était devenu un accord de distribution sélective et avait perdu son caractère de concession d'exclusivité. Il a donc débouté la société MGC de l'ensemble de ses demandes, aucune violation d'exclusivité ne pouvant être reprochée à la société Sogeci et l'a condamnée en retour pour le détournement de la clientèle de la société Sogeci, à laquelle elle avait envoyé des lettres comminatoires leur affirmant qu'elle était le distributeur exclusif de produits Mayebo et Rosance.

Dans un arrêt du 22 février 2006, la Cour d'appel de Paris a infirmé le jugement entrepris, estimant que les relations d'exclusivité étaient en cours entre les parties, débouté la société Sogeci de ses demandes, condamné cette dernière à indemniser la société MGC des pertes de bénéfice résultant des ventes directes sur les produits et le territoire concédés pendant la période contractuelle et à payer à la société MGC la somme de 30 000 euro au titre de la rupture brutale des relations contractuelles, outre la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Statuant sur le pourvoi formé par la société Sogeci, la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 novembre 2010 a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2006, par la Cour d'appel de Paris et a renvoyé la cause et les parties devant cette même cour, autrement composée, en ces termes :

" Attendu que pour condamner la société Sogeci à indemniser la société MGC des pertes de bénéfices résultant des ventes directes de produits sur le territoire concédé en exclusivité et de la rupture brutale des relations contractuelles, l'arrêt, après avoir relevé que la preuve n'était pas rapportée qu'à l'issue de la réunion du 5 mai 1999, tenue entre les parties pour fixer les objectifs de vente à l'expiration du terme de la première année d'existence de la convention, il aurait été mis fin au contrat, retient que la rupture des relations contractuelles est, au contraire, intervenue lorsque la société Sogeci a confié à partir du 13 avril 2000 à d'autres sociétés la distribution des produits concernés pour les marchés pour lesquels la société MGC International avait la qualité de distributeur exclusif ; attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, à l'issue de la réunion du 9 mai 1999, la société MGC n'était pas mentionnée comme distributeur agréé et non plus comme distributeur exclusif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ".

La société Sogeci a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg du 26 septembre 2011. La société MGC a assigné la société Weil et Guyomard, prise en la personne de Maître Weil et de Maître Mauhin, respectivement administrateur et mandataire judiciaire au redressement de la société Sogeci. Elle a déclaré sa créance entre les mains de Maître Mauhin le 10 novembre 2011, à hauteur de 306 612 euro.

Sur la convention du 1er avril 1998

Considérant que la société Sogeci s'est adressée au début de l'année 1998, à la société MGC qui a pour activité principale le commerce de fournitures générales pour coiffeurs, dans l'objectif de développer son activité et diversifier ses marchés ; qu'au terme d'échanges épistolaires, les parties ont élaboré et signé le 1er avril 1998, un document intitulé " projet de convention de concession ", qui avait pour objet la concession de la distribution de certains produits cosmétiques des gammes Mayebo et Rosance X18; que l'article 3 de ladite convention contenait les clauses de prix préférentiels consentis, les délais de livraison et les conditions de paiement ; qu'aux termes de l'article 4 susvisé, cette convention a été conclue pour une durée d'un an, au terme de laquelle une réunion bipartite devait fixer les conditions de son éventuel renouvellement ; que par courrier du 19 mars 1999, la société Sogeci a invité la société MGC à participer à cette réunion de bilan en ces termes : " L'article 4 de ce projet stipule qu'à cette date, une réunion bipartite soit organisée pour tirer les conséquences de notre collaboration et fixer, si possible, les règles de son renouvellement " et lui a proposé trois dates ; que cette réunion a effectivement eu lieu le 5 mai 1999, mais sans qu'aucun accord n'aboutisse, le renouvellement étant subordonné à la réalisation d'efforts de vente de la société MGC qui se sont avérés insuffisants pour le concédant, ayant réalisé un chiffre d'affaires avec les produits contractuels de 4 900 euro en 1999 sur un chiffre d'affaires total de 58 249 euro;

Considérant que les arguments avancés par la société MGC pour démontrer que la commune intention des parties était, en avril 1998, de conclure un contrat de distribution exclusive de un an, renouvelable tacitement pour des périodes de trois ans, ne saurait convaincre ; qu'il ressort au contraire du titre même de la Convention, dite " projet de convention ", sans cesse repris par la société Sogeci dans tous ses courriers ultérieurs, que l'intention des parties était de faire le point au bout d'un an d'exclusivité et de prendre la décision de renouveler ou pas cet accord ; que si l'article 4 n'est pas clair, il doit s'interpréter en faveur de celui qui a contracté et conformément au contexte ; que la fixation de cette réunion avait pour objet, au vu des résultats atteints par le concessionnaire, la fixation d'objectifs en termes de volume de vente et de couverture des marchés dans l'hypothèse d'un renouvellement de l'exclusivité ; qu'en effet, compte tenu de l'étendue de l'exclusivité consentie, par laquelle le concédant acceptait de ne vendre ses produits qu'à un seul distributeur, il était logique que celui-ci exige de son partenaire, en contrepartie, une obligation d'approvisionnement minimale, à peine de priver la convention de toute cause ; que cette obligation était impossible à réaliser, compte tenu des maigres efforts réalisés par la société MGC dans la promotion des produits litigieux ; qu'en l'espèce, on cherchera en vain dans le projet une exclusivité pérenne entre les parties dès lors que les parties ne font qu'évoquer d'éventuels prix préférentiels, des délais de livraison et des conditions de paiement sans pour autant prévoir un quota d'achat ou de vente minimum exigible ; que la société MGC ne démontre pas avoir vendu des produits des marques litigieuses à l'étranger de 1999 à 2002 et n'a sollicité aucune cotation à l'export avant le 4 mai 2002 ;

Considérant, de plus, que la société MGC a toujours été présentée comme distributeur sélectif par la société Sogeci dans la publicité parue dans la revue Amina pendant trois années, sans que celle-ci ne s'en émeuve ; que certains des territoires visés dans l'accord de 1999 étaient attribués à d'autres distributeurs, mentionnés comme tels dans cette revue; que son comportement de 1999 à 2002 ne démontre pas qu'elle se considérait comme un distributeur exclusif, la seule promotion effectuée pour les produits litigieux étant assurée dans son catalogue ; que les achats de la société MGC auprès de la société Sogeci se sont réalisés sur la base de commandes faisant l'objet de cotations spécifiques et sur la base d'un nouveau tarif adressé à la société MGC le 20 mai 1999, ces éléments démontrant bien que la poursuite des relations commerciales avait eu lieu dans le cadre de la distribution sélective sur le territoire français ; qu'ainsi, aucune violation d'exclusivité n'est imputable à la société Sogeci, cette exclusivité n'étant plus en vigueur depuis le 1er avril 1999 ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société MGC de l'ensemble de ses demandes ;

Considérant que la société MGC a elle-même violé la clause compromissoire du contrat attribuant compétence aux juridictions parisiennes, qui avait été ajoutée à son initiative, en saisissant sur requête le Tribunal de Strasbourg aux fins de désignation d'un huissier pour identifier les coordonnées des clients de la société Sogeci ; que l'ordonnance lui a permis, au mépris du secret des affaires, de connaître tous les clients de la société Sogeci et de les démarcher systématiquement par l'envoi d'un courrier-type envoyé en recommandé les menaçant d'actions en justice dans l'hypothèse où ils continueraient à s'approvisionner directement auprès de la société Sogeci ; que ces clients ne faisaient pas, à l'exception de sept d'entre eux, partie de sa propre clientèle ; qu'en accomplissant ces démarches, et en se prétendant distributeur exclusif, alors qu'elle savait pertinemment que tel n'était pas le cas, la société MGC a commis un acte de concurrence déloyale ;

Sur le préjudice subi par la société Sogeci

Considérant que la société Sogeci verse aux débats deux courriers, l'un de la société Sistel, l'autre de la société Mitchell, dans lesquels ces sociétés annoncent qu'elles arrêtent leurs commandes à cause de l'avertissement de la société MGC ; que, pour cette dernière société, l'annulation, par courrier du 24 novembre 2002, d'une commande passée auprès de la société Sogeci le 31 octobre 2002 et à la suite de la réception du message comminatoire de la société MGC du 4 novembre 2002, a immédiatement fait perdre à la société Sogeci la somme de 129 306 dollars ; que la pratique de la société MGC a nécessairement eu un impact dépassant l'annulation d'une seule commande ; que, toutefois, en l'absence d'autres pièces produites par la société Sogeci, il lui sera alloué une somme globale de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts pour détournement de clientèle ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a évalué à 20 000 euro le préjudice moral subi par la société Sogeci ; qu'en revanche, la perte de capacités concurrentielles n'est étayée d'aucun commencement de preuves ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum du préjudice afférant au préjudice matériel qui sera porté de 70 000 euro à 150 000 euro, et sur celui des pertes de capacités concurrentielles qui sera supprimé ;

Considérant que la société Sogeci ne démontre pas que l'exercice des voies de recours par l'appelant ait revêtu un caractère fautif ou ait été à l'origine d'un préjudice ; que sa demande d'indemnisation pour procédure abusive sera donc écartée ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société MGC International à payer à la société Sogeci la somme de 70 000 euro, à titre de dommages-intérêts pour détournement de clientèle, à 40 000 euro pour pertes de capacités concurrentielles et à 1 500 euro pour procédure abusive, L'infirme sur ces points, et, statuant à nouveau, Condamne la société MGC International à payer à la société Sogeci, prise en la personne de Maîtres Weil et Mauhin, la somme de 150 000 euro, à titre de dommages-intérêts pour détournement de clientèle et la déboute de ses demandes d'indemnisation pour pertes de capacités concurrentielles et procédure abusive, y ajoutant, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société MGC International aux dépens exposés en appel, avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société MGC International à payer à la société Sogeci, prise en la personne de Maîtres Weil et Mauhin, la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.