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Décisions

CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 30 mars 2012, n° 11-06823

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Perrin

Défendeur :

Ducros Express (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sabard

Conseillers :

Mmes L'Hénoret, Legeard

Avocats :

Mes Jegou, Beyrand

Cons. prud'h. Nantes, du 8 sept. 2011

8 septembre 2011

Faits et procédure

La SARL Transports Perrin, immatriculée le 28 avril 2004, gérée par M. Philippe Perrin et ayant pour activité le transport public routier de marchandises a conclu le 28 juin 2004 avec la société Ducros Euro Express un contrat de sous-traitance de transport routier de marchandises qui a été résilié à effet du 31 décembre 2004.

Le 1er janvier 2005 les relations commerciales de sous-traitance se sont poursuivies entre la SARL Transports Perrin et la société DHL Express sans qu'un contrat écrit ne soit régularisé.

Par lettre du 29 juin 2007 la société DHL Express a notifié à la SARL Transports Perrin sa décision de mettre un terme à leur collaboration en raison des opérations de réorganisation de la distribution avec effet au 2 octobre 2007.

Par requête en date du 26 juin 2009 M. Perrin a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes pour voir dire que les dispositions du Code du travail étaient applicables, que la rupture du contrat de sous-traitance s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et pour obtenir des rappels d'heures supplémentaires, des repos compensateurs, une indemnité pour travail dissimulé, une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts.

La société Ducros Express venant aux droits de la société DHL Express est intervenue volontairement à la cause et a soulevé l'incompétence du conseil de prud'hommes au profit du Tribunal de commerce de Nantes au motif que Monsieur Perrin ne pouvait valablement revendiquer la qualité de salarié.

Par jugement en date du 8 septembre 2011 le Conseil de prud'hommes de Nantes a fait droit à cette exception d'incompétence et a renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Nantes.

M. Perrin a formé contredit.

Prétentions et moyens des parties

M. Perrin conclut à l'infirmation de la décision déférée et demande à la cour :

- de dire qu'il doit bénéficier des dispositions du Code du travail en application de l'article L. 7321-1 de ce même Code et du fait de l'existence d'un lien de subordination ;

- de dire que la juridiction prud'homale est compétente pour connaître de ses demandes ;

- de renvoyer l'affaire devant le Conseil de prud'hommes de Nantes ou en cas d'évocation de condamner la société Ducros Express à lui verser :

. 17 819,83 euro + 1 781,20 euro au titre des heures supplémentaires à 25 % et congés payés y afférents

. 7 685,85 euro + 768,60 euro au titre des heures supplémentaires à 50 % et congés payés y afférents

. 3 535,35 euro + 353,53 euro au titre des repos compensateurs à 50 % et congés payés y afférents

. 1 050,09 euro + 105 euro au titre des repos compensateurs à 100 % et congés payés y afférents

. 2 000 euro à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la durée maximale hebdomadaire du travail sur 20 semaines

. 8 831,98 euro à titre d'indemnité de repas

. 3 499 euro à titre de remboursement mutuelle

. 16 500 euro à titre d'indemnité pour travail dissimulé

. subsidiairement, 1 650 euro à titre d'indemnité de licenciement

. 22 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

. 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir

- que les conditions requises par l'article L. 7321-2 du Code du travail sont réunies et que les dispositions de celui-ci sont applicables ;

- qu'il n'a transporté des marchandises que pour le seul compte de la société DHL Express comme cela résulte de sa comptabilité ;

- que son camion était stationné dans le dépôt de l'établissement de Nantes de la société DHL Express d'où il partait chaque matin pour effectuer sa tournée après avoir chargé ses colis ;

- que les prix de livraison étaient imposés par la société DHL Express puisque c'est elle qui facturait directement les clients sur la base de ses propres tarifs ;

- que la société DHL Express établissait la tournée des clients à livrer chaque jour et qu'il remplissait un bordereau de suivi de la prestation et devait rester joignable à tout moment ;

- subsidiairement, que compte tenu des conditions de travail qui lui étaient imposées la société DHL Express s'est comportée comme un véritable employeur qui lui donnait des ordres et des directives et qui avait le pouvoir de contrôler l'exécution de son travail et de sanctionner ses manquements ;

- que les disques chronotachygraphes qu'il produit établissent la réalité des heures supplémentaires qu'il a effectuées et que la société Transports Perrin pour sa part ne communique aucun décompte quotidien des horaires accomplis ;

- qu'aucun bulletin de salaire ne lui a été remis et que l'indemnité pour travail dissimulé lui est due ;

- qu'en l'absence de lettre de licenciement dûment motivée la rupture des relations contractuelles s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Ducros Express conclut au rejet du contredit, à la confirmation du jugement et demande à la cour en cas d'évocation du litige sur le fond d'ordonner la réouverture des débats, sollicitant en outre une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient :

- que c'est volontairement que la société Transports Perrin s'est abstenue de diversifier sa clientèle alors qu'elle n'était tenue à aucune exclusivité et que cette société ne peut arguer d'une dépendance économique ;

- que c'est à la demande de la société Transports Perrin qu'elle avait accepté que le véhicule stationne le soir dans l'enceinte de l'agence de Carquefou et qu'une place de parking ne peut en tout état de cause constituer " un local " ;

- que la société Transports Perrin fixait elle-même ses tarifs et a même facturé des pénalités de retard ;

- que les conditions de travail n'étaient pas imposées au sous-traitant qui était libre d'organiser sa tournée comme il le souhaitait ;

- qu'aucun matériel informatique ni moyen de communication n'avait été mis à la disposition de la société Transports Perrin ;

- que M. Perrin ne peut prétendre au statut de gérant de succursale ;

- que le lien de subordination dont se prévaut ce dernier n'est nullement caractérisé ;

- que dans l'hypothèse où la cour retiendrait l'existence d'un contrat de travail et déciderait d'évoquer l'affaire au fond, la réouverture des débats s'impose dans la mesure où M. Perrin n'a versé un CD-ROM reprenant ses disques chronotachygraphes que quelques jours avant l'audience ce qui ne lui a pas permis de disposer d'un délai suffisant pour pouvoir examiner la totalité de ces éléments.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.

Discussion

Considérant que M. Perrin, gérant et associé unique de la SARL Transports Perrin, revendique à titre principal le bénéfice des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail et à titre subsidiaire la qualité de salarié en raison d'un lien de subordination ;

Considérant, en premier lieu, que l'article L. 7321-1 du Code du travail prévoit que les dispositions du Code du travail sont applicables aux gérants de succursales, dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre ;

Que selon l'article L. 7321-1 du Code du travail, est gérant de succursale, toute personne dont la profession consiste essentiellement à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par elle ;

Considérant que les conditions posées par ce texte sont cumulatives et doivent toutes être remplies pour rendre applicables les dispositions du Code du travail ;

Considérant qu'il convient de relever préalablement que le contrat de sous-traitance conclu le 28/06/2004 entre la société Ducros Euro Express et la SARL Transports Perrin a été résilié à effet du 21/12/2004 et que les relations commerciales de sous-traitance entre cette dernière société et la société DHL Express qui ont débuté le 1/1/2005 sont régies, en l'absence de contrat écrit, par le contrat-type de sous-traitance de transports ;

Considérant d'une part, que si les documents comptables produits font apparaître que de 2005 à 2007, la société Transports Perrin a travaillé exclusivement pour le compte de la société DHL Express, il est en revanche constant que cette situation ne résultait que d'un choix personnel de cette société qui n'était liée par aucune clause d'exclusivité ou de non-concurrence et que postérieurement à la résiliation du contrat de sous-traitance, les Transports Perrin ont poursuivi leur activité en réalisant un chiffre d'affaires de l'ordre de 75 000 euro pour l'exercice clos au 31/08/2008 et de 48 000 euro pour l'exercice clos au 31/08/2009 ;

Considérant d'autre part qu'il n'est pas contesté que le chargement des marchandises destinées à être transportées et livrées, se faisait à partir du dépôt de l'établissement de Nantes de la société DHL Express, assimilé, selon une jurisprudence constante, à un local fourni par l'entreprise, peu importe dès lors que la SARL ait été autorisée à stationner son camion dans ce dépôt ni que la société DHL Express facturait elle-même les clients destinataires des marchandises et que dès lors la SARL n'avait aucun droit de regard sur les prix pratiqués qui étaient imposés.

Considérant en revanche que force est de constater :

- que si la SARL devait effectuer chaque jour une tournée, aucun horaire ni aucun itinéraire ne lui étaient imposés à la différence des salariés de la société DHL qui travaillaient de 7h30 à 12h et de 14h à 17h06, l'analyse sommaire de certains disques faisant apparaître des horaires extrêmement variables avec un début d'activité vers 7h00, un temps de chargement allant de 1h30 à 2h40, des pauses oscillant entre 35 minutes et 1h20 et une fin de journée s'étalant de 14h00 à plus de 18h00 ;

- que c'est M. Perrin qui fixait lui-même le coût de ses prestations, celles-ci variant selon le nombre de positions, comme l'attestent ses différents courriers de 2007 dans lesquels il fait part à son donneur d'ordre de l'augmentation de 4,5 % qu'il entend appliquer, augmentation refusée dans un premier temps par DHL puis acceptée, et rappelle à cette dernière qu'en l'absence de réaction de sa part son accord était devenu tacite, comme cela s'était déjà passé en 2005 lors d'une première augmentation ;

- que la société DHL Express ne s'est jamais immiscée dans la gestion administrative et financière de son sous-traitant ;

Considérant, qu'autrement dit, les conditions, dans lesquelles s'effectuait la prestation de travail, n'étaient nullement imposées à la SARL, qui restait maître de s'organiser comme bon lui semblait et de fixer elle-même le coût de ses prestations ;

Qu'il s'ensuit que même si incontestablement il existait une certaine dépendance économique entre la société DHL Express et la SARL Transports Perrin, les conditions visées par l'article L. 7321-2 du Code du travail n'étaient pas toutes remplies et que dès lors M. Perrin ne peut valablement se prévaloir des dispositions de ce texte et revendiquer d'une façon générale l'application du Code du travail ;

Considérant en second lieu que le lien de subordination se définit par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Que les éléments produits ne sont pas suffisants pour caractériser l'existence d'un tel lien de subordination, étant observé :

- que comme cela résulte de ce qui précède M. Perrin n'était assujetti à aucun horaire impératif et qu'il n'a jamais sollicité la moindre autorisation pour s'absenter ou prendre des congés,

- que les quelques consignes ou recommandations adressées à l'intéressé s'inscrivaient dans le cadre normal de l'exécution d'un contrat de sous-traitance qui implique comme tout contrat commercial des obligations réciproques,

- que les termes des courriers émanant de M. Perrin sont loin de ceux qu'un subordonné est susceptible d'employer à l'égard d'une quelconque autorité hiérarchique, l'interessé réclamant le paiement d'intérêts de retard sur des factures impayées, mettant la société DHL en demeure de les lui régler et lui demandant de prendre à sa charge 50 % de son déficit de façon à recouvrer sa capacité financière et à continuer " sous d'autres cieux " son activité de transport,

- qu'aucun matériel n'a été mis à la disposition de M. Perrin et que contrairement à ce qui est allégué aucune obligation ne lui a été faite de rester joignable en permanence,

- qu'enfin le fait que l'une des parties puisse rompre la relation contractuelle en cas de manquement grave ou répété de l'autre partie à ses obligations est conforme aux stipulations d'usage en matière commerciale et ne peut s'assimiler à l'exercice d'un pouvoir disciplinaire.

Considérant que c'est en conséquence à bon droit que les premiers juges se sont déclarés incompétents et que le contredit sera rejeté.

Considérant qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Que M. Perrin qui succombe supportera ses propres frais irrépétibles et les frais du contredit.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable mais mal fondé le contredit formé par M. Perrin. Confirme en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne M. Perrin aux frais du contredit.