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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 29 mars 2012, n° 09-23346

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurovia Beton (SAS)

Défendeur :

Lycom (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Luc

Avocats :

SCP Duboscq-Pellerin, Mes Oudinot, Lorio, Gast

T. com. Paris, du 22 oct. 2009

22 octobre 2009

Faits constants et procédure

La société Lycom est un intermédiaire de commerce et de négociation de produits manufacturés et est spécialisée dans la commercialisation de produits entrant dans la fabrication de murs anti-bruit pour route, autoroute et voie ferrée.

La société Eurovia Béton (anciennement Sysa) est une société dont l'activité principale consistait à poser des murs anti-bruits, les éléments des murs n'étant pas fabriqués par ses soins.

Le 1er juillet 2004 a été signé entre ces deux sociétés un contrat intitulé " contrat de représentation ", par lequel la société Lycom s'engageait à promouvoir l'activité de la société Sysa (devenue Eurovia Béton) et à assumer un rôle d'intermédiaire de commerce auprès de clients potentiels contre une rémunération mensuelle fixe de 2 300 euro, une rémunération variable étant également prévue.

Le 1er février 2007 a été signé un nouveau contrat, la rémunération mensuelle fixe de la société Lycom étant alors fixée à 3 000 euro, avec une évolution prévue jusqu'à 4 500 euro, en plus de sa rémunération variable et la gamme des produits à promouvoir étant étendue.

La société Eurovia Béton a dénoncé par lettre recommandée en date du 26 février 2008 le contrat du 1er février 2007, avec un préavis de deux mois.

La société Lycom, insatisfaite des conditions de la rupture des relations contractuelles, a assigné la société Eurovia Béton devant le Tribunal de commerce de Paris afin que le contrat soit qualifié de contrat d'agent commercial et obtenir ainsi le paiement de l'indemnité de rupture due à ce titre. Elle a également contesté la durée du préavis.

Par jugement en date du 22 octobre 2009 le Tribunal de commerce de Paris a condamné, sous le bénéfice de l'exécution provisoire avec constitution de garantie, la société Eurovia Béton à payer la somme de 10 500 euro au titre d'indemnité de préavis, ainsi que la somme de 115 622,50 euro avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2008, débouté la société Eurovia Béton de ses demandes reconventionnelles, outre la condamnation de la société Eurovia Béton à la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société Eurovia Beton le 18 novembre 2009.

Vu les dernières conclusions de la société Eurovia signifiées le 13 décembre 2011 par lesquelles elle demande à la cour de :

- recevoir la société Eurovia Beton en son appel et l'y déclarer fondée,

- juger que le contrat de représentation ne peut être qualifié de contrat d'agent commercial,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Lycom,

- à titre subsidiaire, limiter la condamnation de la société Eurovia Beton à la somme de 16 724,75 euro correspondant aux commissions perçues pendant toute la durée du contrat,

- à titre reconventionnel, condamner la société Lycom à verser à la société Eurovia Beton une somme de 7 868,33 euro au titre des sommes indûment perçues,

- condamner la société Lycom à payer à la société Eurovia Beton une somme de 6 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Eurovia Beton fait valoir, sur la demande d'indemnité au titre du préavis, que le contrat du 1er février 2007 ne constitue pas un avenant mais un nouveau contrat qui reprend la clause sur la durée du préavis du premier contrat de 2004. Cette clause prévoyait une durée de préavis d'un mois pour une rupture intervenant durant la première année du contrat, de deux mois pour une rupture durant la deuxième année, de trois mois pour une rupture intervenant dans la troisième année. Elle soutient que le nouveau contrat ayant été dénoncé le 26 février 2008 c'est-à-dire dans la deuxième année, le préavis dû était bien de deux mois.

La société Eurovia Beton soutient que, si la société Lycom exerce à titre habituel une activité d'agent commercial, le contrat litigieux ne peut être qualifié ainsi car l'agent commercial doit avoir une connaissance très précise de l'activité de son mandant ce qui n'est pas le cas de la société Lycom.

Elle ajoute que la nature des produits concernés par le contrat de représentation induit l'application du Code des marchés publics, ce qui fait obstacle à toute négociation avec les collectivités publiques principales clientes de la société Eurovia Beton, ce qui est incompatible avec l'activité d'agent commercial qui requiert une activité de négociation et que la conclusion d'un tel contrat était donc impossible.

Elle invoque également l'absence d'immatriculation de la société Lycom durant toute la durée des relations contractuelles, et le choix délibéré des parties de ne pas qualifier leurs rapports contractuels de contrat d'agent commercial, la prestation due par la société Lycom consistant principalement en la promotion de produits et à titre accessoire en une activité de courtage.

Elle fait valoir que le niveau élevé de rémunération fixe rend inconcevable la qualification de contrat d'agent commercial.

A titre subsidiaire elle conteste le montant de l'indemnité de rupture réclamée.

Enfin, la société Eurovia Beton fait valoir que des factures correspondant à des frais de documentation expressément exclus par le contrat de représentation du 1er février 2007, ont été payés à la société Lycom.

Vu les dernières écritures de la société Lycom signifiées le 29 décembre 2011 par lesquelles elle demande à la cour de :

- constater que le délai de préavis consécutif à la rupture du contrat est de trois mois,

- qualifier le contrat de contrat d'agent commercial,

- débouter la société Eurovia Beton de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- condamner la société Eurovia Beton à la somme de 4 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et au paiement des frais de caution qui s'élèvent à 1 % par an payable par trimestre et d'avance soit la somme de 1 894,17 euro au 3 janvier 2011.

La société Lycom soutient que le contrat du 1er février 2007 n'est qu'un avenant modifiant uniquement sa rémunération, à l'exclusion de toutes les autres dispositions du contrat du 1er juillet 2004 et qu'il fallait donc tenir compte de l'ancienneté de la relation contractuelle pour calculer la durée du préavis qui devait être de trois mois.

La société Lycom relève qu'elle est une personne morale inscrite au registre spécial des agents commerciaux, que diverses clauses du contrat correspondent aux clauses inhérentes au contrat d'agent commercial et aux clauses-type prévue par le Code de commerce, que la mission de la société Lycom prévue au contrat était bien celle d'un mandataire, que l'application du Code des marché publics ne modifie en rien la qualification du contrat d'agent commercial car l'absence de négociation n'a lieu qu'en amont de l'appel d'offre, qu'une fois l'appel d'offre émis elle négociait bien les conditions des contrats et qu'une fois le marché attribué la société Lycom vendait au nom et pour le compte de la société Eurovia Beton les produits visés au contrat.

Elle précise que la présence d'une rémunération fixe, même importante, ne fait pas obstacle à la qualification de contrat d'agent commercial, de même que l'absence de vente directe des produits par la société Lycom.

Elle affirme qu'elle n'était pas chargée d'assurer la conclusion de contrats portant sur la fourniture de prestations par la société Eurovia Beton.

La société Lycom fait valoir que le calcul de l'indemnité de rupture compensatrice doit prendre en compte la perte globale de rémunération de l'agent commercial, la part fixe étant incluse dans ce calcul, les frais de documentation n'ayant pas été pris en compte par la société Lycom ni par le tribunal de commerce dans le calcul de l'indemnité compensatrice.

La société Lycom rappelle qu'il était prévu au contrat que la société Eurovia devrait remettre en dépôt les documents nécessaires à la représentation, d'un commun accord les parties auraient convenu que la société Lycom achèterait la documentation et qu'elle refacturerait ces frais.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

- Sur l'indemnité de préavis :

Les parties sont d'accord sur le fait que la société Eurovia Beton doit une indemnité de préavis à la société Lycom suite à la rupture à son initiative de la relation contractuelle en date du 26 février 2008.

La société Eurovia Beton a accordé à la société Lycom un préavis de deux mois au motif qu'au moment de la rupture le contrat du 1er février 2007 était dans sa deuxième année d'exécution alors que la société Lycom estime que le préavis doit être de trois mois dans la mesure où, selon elle, il y a lieu de prendre en compte pour le calcul de la durée du préavis l'ancienneté de la relation commerciale entre les parties qui remonte au 1er juillet 2004, date de la signature du contrat initial, le contrat du 1er février 2007 n'en constituant qu'un avenant.

Si le contrat du 1er février 2007 est intitulé "contrat de représentation" de la même manière que celui du 1er juillet 2004, il n'a manifestement eu pour seul objet que de modifier la rémunération initialement prévue, les autres clauses du contrat n'ayant pas été modifiées.

Il existe une véritable continuité entre les deux contrats, les relations commerciales entre les deux parties ayant donc duré plus de trois ans, de sorte qu'en application de la clause rédigée en termes identiques à l'article 10 des deux contrats, la société Lycom a droit à un préavis de trois mois.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé sur l'indemnité de préavis.

- Sur la qualification du contrat :

Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce : "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale."

S'il est incontestable que la société Lycom bénéficie du statut d'agent commercial dans le cadre de son activité habituelle, son statut ne suffit pas à lui seul à caractériser comme tels tous les contrats qu'elle signe.

Au demeurant, elle n'a été immatriculée au registre spécial des agents commerciaux qu'à compter du 27 février 2008, soit après la rupture des liens contractuels avec la société Eurovia Beton.

Il convient donc de déterminer si son activité remplit les critères précisés à l'article L. 134-1 du Code de commerce, étant précisé que la qualification du contrat ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

Or, il y a lieu de relever que la société Eurovia Beton n'est ni producteur, ni industriel, ni commerçant (au sens de vendeur) puisqu'elle répond uniquement à des marchés publics de pose d'écrans anti-bruits, au contraire de la société Socarel, avec laquelle la société Lycom a effectivement un contrat d'agent commercial, qui est un industriel-fabricant et un commerçant, qui ne répond pas à des marchés publics mais fournit seulement des entreprises de travaux publics qui, elles, répondent à des marchés publics.

Par ailleurs, il doit être souligné que la société Eurovia Beton n'avait pas besoin des services de la société Lycom pour négocier les prix d'achat des produits fabriqués par la société Teco car, dans la mesure où les deux sociétés sont des filiales du groupe Vinci, la société Teco vendait directement les équipements à la société Eurovia Beton.

Le fait que la nature des produits concernés par les contrats de représentation des 1er juillet 2004 et 1er février 2007 impliquait leur mise en œuvre dans le cadre de marchés publics est incompatible avec le statut d'agent commercial revendiqué par la société Lycom.

La commande publique étant régie par les principes généraux de liberté d'accès à la commande, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (article 1er du Code des marchés publics), la société Lycom ne pouvait intervenir auprès des collectivités publiques qu'elle était chargée de visiter qu'au titre de la présentation des produits posés par la société Eurovia Beton et de la présentation de cette dernière et de son activité.

Il s'agissait donc d'une mission de promotion et de courtage et en aucun cas de négociation, le principe de la négociation étant incompatible avec la passation de marchés publics, à l'exception de cas expressément autorisés qui ne nécessitent pas le recours à un agent commercial.

D'ailleurs l'absence de liberté et d'indépendance dans d'éventuelles négociations de la société Lycom est confirmée par les dispositions de l'article 5 des contrats qui précisent qu'elle "assurera la promotion et la vente des articles visés au présent contrat, pour le compte de Sysa, en respectant les prix et conditions générales de vente qui lui seront indiqués et que Sysa se réserve le droit de modifier à son gré".

Au demeurant, les seules négociations qui ont été conduites par la société Lycom ont eu lieu dans le cadre du mandat d'agent commercial qui lui a été confié par la société Socarel, dont elle était chargée de vendre les produits fabriqués par cette dernière.

Contrairement à la société Socarel, la société Eurovia Beton ne fabriquait pas les panneaux murs antibruit visés par les marchés que ces deux sociétés concluaient avec leur clientèle mais ne passait que des marchés de travaux de pose incluant la fourniture de panneaux murs antibruit.

D'ailleurs, la société Lycom est dans l'incapacité de produire le moindre bon de commande qu'elle aurait établi pour le compte de la société Eurovia Beton.

De même elle n'établit pas l'existence d'une quelconque négociation au nom et pour le compte de la société Eurovia Beton, que ce soit en amont ou en aval d'un marché, pour permettre à cette dernière d'obtenir ledit marché.

Le seul dossier versé aux débats à ce propos, à savoir celui afférent au marché de Chelles, n'est absolument pas explicite sur le rôle que la société Eurovia Beton pourrait y tenir.

En dernier lieu, le pourcentage très élevé de la part de la rémunération fixe s'oppose à la qualification des contrats litigieux en contrats d'agent commercial.

En effet, la rémunération d'un agent commercial est essentiellement constituée par une rémunération variable principale basée sur le chiffre d'affaires réalisé avec la clientèle visée.

Le jugement dont appel doit donc être infirmé en ce qu'il a qualifié les relations contractuelles entre les parties de contrat d'agent commercial et alloué, en conséquence, à la société Lycom une indemnité en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

- Sur la demande reconventionnelle de la société Eurovia Beton :

La société Eurovia Beton demande le remboursement des sommes perçues par la société Lycom au titre des frais de documentation, en application de l'article 3 du contrat de représentation du 1er février 2007 qui prévoit que la société Lycom assumera tous les frais de prospection nécessaires à l'exécution du contrat.

Le montant réclamé à hauteur de 7 868,33 euro correspond à des frais de photocopies de la documentation commerciale remise par la société Eurovia Beton à la société Lycom.

La société Lycom fait cependant observer à juste titre que l'article 7 des contrats précis que la société Eurovia Beton doit remettre à la société Lycom "tout matériel de vente et toute documentation commerciale, juridique et technique nécessaire à la représentation".

En conséquence, la société Lycom n'a fait qu'acheter la documentation et l'a refacturée au prix d'achat à la société Eurovia Beton.

Ces frais de documentation n'ont pas de rapport avec les frais de prospection prévus à l'article 3 des contrats.

D'ailleurs, c'est bien sur la base des factures produites par la société Lycom, mentionnant le motif de la demande de paiement, que la société Eurovia Beton a payé, en toute connaissance de cause, les montants dont elle réclame aujourd'hui restitution. Elle ne peut donc soutenir qu'elle a payé ces montants indûment.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société Eurovia Beton de sa demande reconventionnelle.

L'équité commande d'allouer à la société Eurovia Beton une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne l'indemnité de préavis et la demande reconventionnelle de la société Eurovia Beton, Statuant à nouveau, Rejette la demande de la société Lycom de qualification des contrats de représentation des 1er juillet 2004 et 1er février 2007 de contrats d'agent commercial, Déboute, en conséquence, la société Lycom de sa demande d'indemnité en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, Condamne la société Lycom à payer à la société Eurovia Beton la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Lycom aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.