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Décisions

Cass. com., 3 mai 2012, n° 10-28.366

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ammoniac agricole (SA)

Défendeur :

Union de coopératives agricoles Euralis céréales, Broustic (EARL), Narbonne (EARL), Les Deux Cantons (SARL), Gauze, Sallenave, Maïsadour (SAC), Agralia (SAS), Maurin, Lesbarreres, Dalaine, Lagouarde, See Deyts (SARL), Sendrane, Jouanot (SCEA), Daguinos, Deces (Consorts), Ducasse, Labeyrie, Boulin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

M. Jenny

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Piwnica, Molinié, SCP Richard

Paris, pôle 1 ch. 2, du 13 oct. 2010

13 octobre 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré, (Paris, 13 octobre 2010), rendu en matière de référé, que la société Ammoniac agricole, seul fournisseur d'ammoniac anhydre en France, se fournissait auprès de ses deux actionnaires principaux, les sociétés Yara France (site de Pardies) et Grande Paroisse, qui sont producteurs et importateurs d'ammoniac ; qu'elle distribuait l'ammoniaque anhydre par un réseau spécifique sécurisé, doté de matériel et de main-d'œuvre spécialisés nécessitant des liens fonctionnels et opérationnels étroits entre le fournisseur, les transporteurs, les coopératives agricoles, les épandeurs ou entrepreneurs agricoles et les agriculteurs ; que l'usine du groupe Celanese, sise sur le site de Pardies, où était fabriqué l'hydrogène nécessaire à l'élaboration d'ammoniac ayant cessé cette activité en décembre 2009, la société Ammoniac agricole a, le 25 février 2010, informé ses clients de son projet de cessation d'activité ; que le 15 février 2010, l'assemblée générale de la société Ammoniac agricole a décidé sa dissolution anticipée à compter du 1er juillet 2010 et sa mise en liquidation amiable, M. Villain étant désigné liquidateur ; que par lettre du 25 mars 2010, la société Ammoniac agricole a informé ses clients de cette décision ; que l'Union de coopératives agricoles Euralis céréales, la société coopérative Maïsadour, l'EARL du Broustic, l'EARL de Narbonne, les sociétés Les Deux Cantons, Agralia, See Deyts, Jouanot, MM. Gauze, Sallenave, Maurin, Lesbarreres, Dalaine, Lagouarde, Daguinos, Jean-Marc Deces, Philippe Deces, Ducasse, Labeyrie, Boulin et Sendrane, pris en sa qualité de repreneur de l'EARL Dous Compot, grossistes négociants de produits agricoles, coopératives agricoles, ou membres de celles-ci, se fournissant auprès de la société Ammoniac agricole, lui reprochant une rupture brutale de la relation commerciale qu'elle avait avec eux, l'ont assignée en référé ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Attendu que la société Ammoniac agricole fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance du juge des référés en ce qu'elle lui avait ordonné de poursuivre les relations commerciales pour la campagne d'épandage 2011 et de l'avoir condamnée à maintenir les prestations contractuelles avec les intimés, à honorer les commandes et assurer la livraison d'ammoniac anhydre aux sociétés Euralis céréales, Maïsadour et Agralia et ce jusqu'à la fin de la campagne d'épandage 2012 sur la base des délais habituellement convenus ou suivis par les parties au cours de leurs relations antérieures, et de l'avoir condamnée à poursuivre les autres prestations contractuelles (formation, vente de matériel et maintenance, etc...) avec les sociétés Euralis céréales, Maïsadour et Agralia jusqu'à la fin de la saison 2012 (fin juin 2012), alors, selon le moyen, que méconnaît la liberté d'entreprendre le juge qui ordonne à une entreprise de poursuivre sous astreinte la fourniture de biens ou de services pendant la durée du préavis qu'il fixe lui-même bien que cette société ait cessé son activité et soit en liquidation amiable ; qu'en l'espèce, en ordonnant à la société Ammoniac agricole de poursuivre la fourniture d'ammoniac anhydre et des prestations contractuelles afférentes pendant près de deux années supplémentaires par rapport au préavis donné par cette société à ses partenaires commerciaux, soit jusqu'à la fin juin 2012, après avoir relevé que cette société avait décidé sa dissolution à compter du 1er juillet 2010 et avait cessé toute activité, le juge des référés a violé l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ensemble l'article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe de la liberté d'entreprise ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la société Ammoniac agricole est mal fondée à invoquer son auto-liquidation, le fait qu'elle n'aurait plus de personnel qualifié, sa prétendue absence de matériel spécialisé, et encore moins le coût allégué d'un tel maintien, puisqu'elle est seule à l'origine de ces mesures et qu'elle n'ignorait pas que le délai de préavis par elle donné était manifestement insuffisant ; qu'il retient encore que la rapidité, voire la précipitation, de toutes ses décisions concomitantes au préavis démontre que celles-ci visaient à auto-justifier une future impossibilité d'exécuter, qu'au surplus l'approvisionnement 2010 venait de se terminer, que la société Ammoniac agricole disposait encore peu de temps auparavant de toutes les structures nécessaires à l'exécution de ses obligations et que son affirmation selon laquelle elle sera dans l'impossibilité d'exécuter est erronée ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la dissolution et la liquidation précipitée de la société Ammoniac agricole constituaient de sa part une manœuvre délibérée destinée à lui permettre de se soustraire à ses obligations résultant des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, a pu statuer comme elle a fait, que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche : - Attendu que la société Ammoniac agricole fait à l'arrêt le même grief, alors, selon le moyen, que le principe de liberté d'entreprendre, qui implique qu'une entreprise puisse cesser son activité, étant de valeur au moins égale à la règle selon laquelle la rupture brutale d'une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur, il appartient au seul juge du fond de décider des mesures appropriées à faire respecter l'équilibre entre ces normes, en l'absence de toute fraude manifeste de l'auteur de la rupture ; que l'arrêt attaqué a relevé que par décision de son assemblée générale extraordinaire du 15 février 2010, la société Ammoniac agricole avait décidé sa dissolution anticipée à compter du 1er juillet 2010, et sa mise en liquidation amiable ; qu'en affirmant que la société Ammoniac agricole était mal fondée à invoquer sa propre liquidation, pour en déduire qu'en raison de la rupture brutale des relations commerciales avec les intimés, cette société devait être condamnée à maintenir ses relations contractuelles avec ceux-ci jusqu'à la fin du mois de juin 2012, sans constater une fraude manifeste de la société Ammoniac agricole dans l'exercice de son droit de cesser son activité, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° et IV du Code de commerce, et du principe de liberté d'entreprendre ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a souverainement constaté l'existence d'un dommage imminent et qui a fixé un terme certain à la mesure de maintien des relations commerciales qu'elle imposait à la société l'Ammoniac agricole pour remédier à ce dommage, n'a pas porté atteinte au principe de la liberté du commerce et n'a pas excédé le pouvoir que lui confère l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que le moyen, pris en ses six autres branches, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.