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Décisions

Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.289

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Développement Seguy (SARL), HFS (SARL), Seguy (Consorts)

Défendeur :

Baronnie (ès qual.), Chavane de Dalmassy (ès qual.), Finck, Solyrod (SARL) , Selarl SMJ (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Bénabent, SCP Waquet, Farge, Hazan

T. com. Créteil, du 25 nov. 2006

25 novembre 2006

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 25 août 1998, la société DAS, devenue société Développement Seguy (société DS) a conclu avec M. Finck, agissant en qualité d'associé de la société Solyrod, en cours de formation, un contrat de sous-licence d'exploitation portant sur la transmission d'un savoir-faire concernant la fabrication artisanale de produits de boulangerie et sur le droit d'utilisation de la marque "Pétrin Ribeïrou" déposée le 5 mars 1993 par Mme et M. Seguy, renouvelée le 17 juin 2003 et concédée en licence à la société Holding financière Seguy (société HFS), laquelle en a consenti une sous-licence à la société DS ; que la société Solyrod a été constituée entre M. Finck, la société DS et M. Agranate ; que M. Finck et la société Solyrod, estimant que le savoir-faire transmis ne présentait aucune originalité, ont, le 6 mars 2006, assigné les sociétés DS et HFS aux fins notamment de voir prononcer la nullité du contrat de sous-licence, subsidiairement sa résolution, et d'obtenir diverses indemnisations, outre l'exclusion de la société DS de la société Solyrod ; que la société Solyrod a été placée en redressement judiciaire par jugement du 3 octobre 2007, M. Baronnie étant désigné en qualité d'administrateur et M. Chavanne de Dalmassy en qualité de mandataire judiciaire ; que Mme Seguy et MM. Philippe et Jean-Pierre Seguy, ce dernier étant l'animateur du réseau de franchise Pétrin Ribeïrou (les consorts Seguy), sont intervenus volontairement devant la cour d'appel ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés DS et HFS font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription alors, selon le moyen, que le délai de prescription quinquennale de l'action en nullité pour défaut de cause d'un contrat court à compter de la conclusion du contrat et non de sa date d'effet, sauf à être différé, en cas d'ignorance, au jour où la prétendue absence de cause a été découverte ; qu'en retenant pour point de départ du délai de prescription de l'action en nullité pour défaut de cause de la convention de sous-licence de marque et de savoir-faire du 25 août 1998, la date d'entrée en vigueur de cette convention, la cour d'appel a violé l'article 1304 du Code civil ;

Mais attendu que le contrat de sous-licence ayant été conclu sous la double condition suspensive de l'immatriculation de la société Solyrod et de l'ouverture d'un magasin pour exploiter la sous-licence, l'arrêt, qui relève que les statuts de la société ont été signés le 25 mai 2001 et que celle-ci a ouvert un magasin le 9 novembre 2001, en a exactement déduit que le délai de prescription de l'action en nullité du contrat n'avait pu commencer à courir qu'à compter de cette dernière date et que cette action n'était pas prescrite à la date de l'assignation ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés DS et HFS font grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité du contrat de sous-licence de marque et de savoir-faire conclu entre la société Solyrod et les sociétés DS et HFS, alors, selon le moyen : 1°) que l'usage des signes distinctifs du franchiseur est l'un des éléments essentiels du contrat de franchise ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de sous-licence du 25 août 1998 portait sur "la transmission d'un savoir-faire concernant la fabrication artisanale de produits de boulangerie et le droit d'utilisation de la marque Pétrin Ribeïrou" ; que de fait le contrat du 25 août 1998 portait expressément concession d'une "sous-sous-licence, d'une part du savoir-faire, et d'autre part, de la marque enregistrée en France "Le Pétrin Ribéïrou" et déposée le 5 mars 1993 sous le n° 93-458.515" ; qu'en annulant ce contrat pour défaut de cause au seul motif de la prétendue inexistence du savoir-faire, sans s'expliquer sur la contrepartie que constituait la sous-licence de marque, cependant qu'il n'était pas contesté que la société Solyrod en avait bien fait usage et que la cour d'appel a constaté que cette société avait apposé une enseigne "Pétrin Ribeïrou" sur sa devanture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil ; 2°) que dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner l'annulation de l'obligation ; qu'en annulant pour défaut de cause, au seul motif de la prétendue inexistence de savoir-faire, le contrat de concession de sous-licence "d'une part du savoir-faire et d'autre part de la marque enregistrée en France "Le Pétrin Ribéïrou" et déposée le 5 mars 1993 sous le n° 93-458.515", la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de leurs écritures que les sociétés DS et HFS aient soutenu devant la cour d'appel que, même en l'absence de savoir-faire, le contrat demeurerait valable en raison de la concession d'une sous-licence de marque ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que les sociétés DS et HFS font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'un savoir-faire, s'il se définit comme un ensemble secret, substantiel, identifié d'informations non brevetées résultant de l'expérience du franchiseur et testées par celui-ci, n'a pas à être nouveau ; que la cour d'appel a constaté que le procédé de panification mis au point par la société HFS présentait un réel avantage économique puisqu'il permettait "d'assurer des gains de productivité en termes d'heures de travail et... de différer la formation de la pâte", ce qui permettait une cuisson adaptée à la demande et ainsi une suppression des invendus ; qu'en retenant néanmoins que ce procédé n'aurait pas constitué un savoir-faire susceptible d'être transmis par le biais d'un contrat de franchise, car il n'était pas inconnu, la cour d'appel a en réalité posé une condition de nouveauté du savoir-faire, violant ainsi, par une fausse application, l'article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que le savoir-faire devant présenter un caractère secret, ce qui implique que l'ensemble de ses éléments ne soit pas généralement connu, la cour d'appel, qui relève qu'il ressort des pièces du dossier que le procédé de panification correspond à de simples tours de main connus des professionnels et que la conservation de la pâte grâce à un froid positif encore appelée "poussée contrôlée" est utilisée depuis 1960 de façon généralisée par les boulangers, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que les sociétés DS et HFS font grief à l'arrêt de les avoir condamnées à payer les sommes de 167 263,53 euros correspondant au montant du droit d'entrée dans le réseau de franchise et des redevances versées par la société Solyrod et 8 934,12 euros au titre des fournitures et de pose de l'enseigne "Pétrin Ribeïrou" alors, selon le moyen, que dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ; que, lorsque cette remise en état se révèle impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter de la valeur correspondant à cette prestation ; qu'en condamnant les sociétés DS et HFS à restituer la totalité des sommes versées par la société Solyrod au titre du droit d'entrée, des redevances et des frais de fourniture et de pose de l'enseigne "Pétrin Ribeïrou", sans tenir compte de la formation dont le dirigeant de la société Solyrod, qui n'était à l'origine pas un professionnel de la boulangerie, avait bénéficié, ni de l'appartenance au réseau dont cette société avait également bénéficié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1304 du Code civil ;

Mais attendu que dans leurs écritures d'appel les sociétés DS et HFS ne se sont pas prévalues de ce que la valeur des prestations fournies par la société DS au titre de la formation et de l'appartenance de la société Solyrod au réseau "pétrin ribéïrou" devait être prise en compte et déduite du montant des restitutions ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1131 du Code civil ; - Attendu que pour annuler le contrat, l'arrêt retient que les tours de main et le procédé consistant à supprimer certaines phases dans la confection du pain ne sont qu'une adaptation des méthodes traditionnelles qui permet d'obtenir des gains de productivité et que le concept marketing consistant notamment à préparer le pain devant le client, à mettre à sa disposition un parking et à proposer des horaires d'ouverture très souples, se retrouve dans de nombreuses boulangeries ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le savoir-faire transmis, à la date du contrat, ne comportait pas un ensemble de techniques, informations et services qui permettait à la société Solyrod, dépourvue de toute formation ou expérience dans le domaine de la boulangerie, de prendre en main un tel commerce en mettant en œuvre des procédés qu'elle n'aurait pu découvrir qu'à la suite de recherches personnelles longues et coûteuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de sous-licence conclu le 25 août 1998, condamné les sociétés Développement Seguy et HSF à payer à la société Solyrod les sommes de 167 263,53 euros et 8 934,12 euros et en ce qu'il a autorisé la société Solyrod à procéder à la réduction de son capital par rachat ou annulation des parts de la société Développement Seguy, nonobstant toute opposition de celle-ci, en lui payant le prix déterminé de gré à gré ou à dire d'expert, l'arrêt rendu le 9 février 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.