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Décisions

Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.291

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Développement Seguy (SARL), HFS (SARL), Seguy (Consorts)

Défendeur :

Au Bon Chleb (SARL), Rubon, Quint

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Bénabent, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin

Paris, pôle 5 ch. 4, du 9 févr. 2011

9 février 2011

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 23 mars 1999, la société DAS devenue société Développement Seguy (société DS) a consenti à M. Quint et à Mme Rubon agissant en qualité d'associés de la société Au Bon Chleb, en cours de formation, un contrat de sous-licence d'exploitation portant sur la transmission d'un savoir-faire concernant la fabrication artisanale de produits de boulangerie et sur le droit d'utilisation de la marque "Pétrin Ribeïrou", déposée le 5 mars 1993, par M. et Mme Seguy, renouvelée le 17 juin 2003 et concédée en licence à la société holding financière Seguy (société HFS), laquelle en a consenti une sous-licence à la société DS ; que la société Au Bon Chleb a été constituée entre M. Quint, Mme Rubon, la société DS et M. Agranate ; que la société Au Bon Chleb, M. Quint et Mme Rubon, estimant que le savoir-faire transmis ne présentait aucune originalité et n'apportait aucun avantage par rapport à la concurrence et étant confrontés à des résultats décevants, ont assigné les sociétés DS et HFS aux fins, notamment, de voir prononcer la nullité du contrat de sous-licence aux torts exclusifs de ces deux sociétés et la dissolution de la société Au Bon Schleb et d'obtenir paiement de diverses sommes à titre de restitutions ; que la société Axa, assureur de la société DS est intervenue devant le tribunal et que Mme Seguy et MM. Philippe et Jean-Pierre Seguy (les consorts Seguy) sont intervenus devant la cour d'appel ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés DS et HFS ainsi que les consorts Seguy font grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité du contrat de sous-licence de marque et de savoir-faire conclu entre la société Au Bon Chleb et les sociétés DS et HFS, alors, selon le moyen : 1°) que l'usage des signes distinctifs du franchiseur est l'un des éléments essentiels du contrat de franchise ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de sous-licence du 23 mars 1999 (et non du 25 août 1998) portait sur " la transmission d'un savoir-faire concernant la fabrication artisanale de produits de boulangerie et le droit d'utilisation de la marque Pétrin Ribeïrou" ; que de fait le contrat du 23 mars 1999 portait expressément concession d'une "sous-sous-licence, d'une part du savoir-faire, et d'autre part, de la marque enregistrée en France "Le Pétrin Ribéïrou" et déposée le 5 mars 1993 sous le n° 93-458.515" ; qu'en annulant ce contrat pour défaut de cause au seul motif de la prétendue inexistence du savoir-faire, sans s'expliquer sur la contrepartie que constituait la sous-licence de marque, cependant qu'il n'était pas contesté que la société Au Bon Chleb en avait bien fait usage et que la cour d'appel a constaté que cette société avait apposé une enseigne "Pétrin Ribeïrou" sur sa devanture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil ; 2°) que dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner l'annulation de l'obligation ; qu'en annulant pour défaut de cause, au seul motif de la prétendue inexistence de savoir-faire, le contrat de concession de sous-licence "d'une part du savoir-faire et d'autre part de la marque enregistrée en France "Le Pétrin Ribéïrou" et déposée le 5 mars 1993 sous le n° 93-458.515", la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de leurs écritures que les sociétés DS et HFS et les consorts Seguy aient soutenu que, même en l'absence de savoir-faire, le contrat demeurerait valable en raison de la concession d'une sous-licence de marque ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que les sociétés DS et HFS et les consorts Seguy font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'un savoir-faire, s'il se définit comme un ensemble secret, substantiel, identifié d'informations non brevetées résultant de l'expérience du franchiseur et testées par celui-ci, n'a pas à être nouveau ; que la cour d'appel a constaté que le procédé de panification mis au point par la société HFS présentait un réel avantage économique puisqu'il permettait "d'assurer des gains de productivité en termes d'heures de travail et... de différer la formation de la pâte", ce qui permettait une cuisson adaptée à la demande et ainsi une suppression des invendus ; qu'en retenant néanmoins que ce procédé n'aurait pas constitué un savoir-faire susceptible d'être transmis par le biais d'un contrat de franchise, car il n'était pas inconnu, la cour d'appel a en réalité posé une condition de nouveauté du savoir-faire, violant ainsi, par une fausse application, l'article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que le savoir-faire devant présenter un caractère secret, ce qui implique que l'ensemble de ses éléments ne soit pas généralement connu, la cour d'appel, qui relève qu'il ressort des pièces du dossier que le procédé de panification et notamment les phases de pesage et de façonnage ainsi que l'utilisation de la "pousse-contrôlée" correspondent à de simples tours de main connus des milieux de la boulangerie, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés DS et HFS et les consorts Seguy font grief à l'arrêt d'avoir condamné la société DS à payer à la société Au Bon Chleb les sommes de 69 284,28 euro correspondant au montant du droit d'entrée dans le réseau de franchise, 152 149,09 euro au titre des redevances versées par cette dernière et 1 578,73 euro au titre des fournitures et de pose de l'enseigne "Pétrin Ribeïrou" alors, selon le moyen, que dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ; que, lorsque cette remise en état se révèle impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter de la valeur correspondant à cette prestation ; que, dans leurs écritures d'appel, la société DS et les consorts Séguy exposaient que si la nullité du contrat de franchise était prononcée, "cela ne justifierait pas pour la société Au Bon Chleb le droit à obtenir le remboursement des sommes versées au franchiseur, puisqu'elle aura en tout état de cause reçu en contrepartie le savoir-faire et le bénéfice de l'appartenance au réseau qu'elle ne pourra jamais restituer" ; qu'en condamnant la société DS à restituer la totalité des sommes versées par la société Au Bon Chleb au titre du droit d'entrée, des redevances et des frais de fourniture et de pose de l'enseigne "Pétrin Ribeïrou", sans tenir compte de la formation dont les animateurs de la société Au Bon Chleb, qui n'étaient à l'origine pas des professionnels de la boulangerie, avaient bénéficié - et dont l'arrêt a constaté qu'elle leur permet encore aujourd'hui de poursuivre cette activité -, ni de l'appartenance au réseau dont cette société avait également bénéficié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1304 du Code civil ;

Mais attendu que dans ses écritures d'appel la société DS s'est prévalue de la formation fournie aux animateurs de la société Au Bon Chleb et de l'appartenance de cette société au réseau pour s'opposer aux demandes de restitution mais sans demander que la valeur de ces prestations soit déduite du montant des restitutions ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est donc irrecevable ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1131 du Code civil ; - Attendu que pour dire que le savoir-faire est dépourvu de toute substantialité et annuler le contrat, l'arrêt retient que le procédé de panification qui est bien connu des boulangers n'est qu'une adaptation des méthodes traditionnelles qui permet d'obtenir des gains de productivité ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le savoir-faire transmis, à la date du contrat, ne comportait pas un ensemble de techniques, informations et services qui permettait à la société Au Bon Chleb, dépourvue de toute formation ou expérience dans le domaine de la boulangerie, de prendre en main un tel commerce en mettant en œuvre des procédés qu'elle n'aurait pu découvrir qu'à la suite de recherches personnelles longues et coûteuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de sous-licence conclu le 23 mars 1999, condamné la société Développement Seguy à payer à la société Au Bon Chleb les sommes de 69 284,28 euro, 152 149,09 euro et 1 578,73 euro et en ce qu'il a autorisé la société Au Bon Chleb à procéder à la réduction de son capital par rachat ou annulation des parts de la société Développement Seguy, nonobstant toute opposition de celle-ci, en lui payant le prix déterminé de gré à gré ou à dire d'expert, l'arrêt rendu le 9 février 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.