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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 24 avril 2012, n° 11-03857

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sogea Bretagne BTP (SAS)

Défendeur :

Béton Chantiers de Bretagne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

Mes Salaun, Touzet, SCP Bazille, SCP Bourges

T. com. Rennes, prés., du 24 mai 2011

24 mai 2011

Faits - procédure - moyens et prétentions des parties

Statuant sur la demande de la SA Béton Chantiers de Bretagne en paiement de diverses sommes et indemnités, dirigée contre la SAS Sogea Bretagne BTP, le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes par ordonnance du 24 mai 2011, a :

Condamné la SAS Sogea Bretagne BTP à payer à la SA Béton Chantiers de Bretagne une provision de 153 091,59 euro correspondant à la facturation impayée augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date d'échéance de chacune des factures ;

Ordonné une expertise judiciaire pour donner un avis sur les responsabilités et les préjudices et désigné à cet effet M. Yquel, cabinet Mercier.

Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Par déclaration faite au greffe de la cour le 6 juin 2001 la SAS Sogea Bretagne BTP a interjeté appel de cette décision ;

Appelante, la SAS Sogea Bretagne BTP demande à la cour de :

Infirmer l'ordonnance,

Statuant à nouveau,

Débouter la SAS Sogea Bretagne BTP de toutes ses demandes ;

Condamner la SA Béton Chantiers de Bretagne à payer à la SAS Sogea Bretagne BTP la somme de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Intimée, la SA Béton Chantiers de Bretagne demande à la cour de :

Confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

Condamné la SAS Sogea Bretagne BTP à payer à la SA Béton Chantiers de Bretagne une provision de 153 091,59 euro correspondant à la facturation impayée augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date d'échéance de chacune des factures ;

Reformant pour le surplus :

Dire n'y avoir lieu à expertise ;

Condamner la SAS Sogea Bretagne BTP à payer à la SA Béton Chantiers de Bretagne les sommes suivantes:

- 18 890 euro pour violation de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- 28 486 euro au titre de la clause pénale ;

Y ajoutant

Condamner la SAS Sogea Bretagne BTP à payer à la SA Béton Chantiers de Bretagne la somme de 15 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est expressément référé aux conclusions déposées, régulièrement communiquées par :

La SAS Sogea Bretagne BTP le 7 février 2012 ;

La SA Béton Chantiers de Bretagne le 6 février 2012;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2012;

MOTIFS

Considérant qu'il résulte des écritures, des explications des parties et des pièces par elles régulièrement produites, que :

De décembre 2009 à février 2011 la SA Béton Chantiers de Bretagne a livré du béton à la SAS Sogea Bretagne BTP chargée de la construction de l'hôpital de Fougères, pour un montant total facturé de 189 909,12 euro sur lequel reste impayé un solde de 153 091,59 euro ;

La SA Béton Chantiers de Bretagne a fait citer la SAS Sogea Bretagne BTP en référé pour lui réclamer une provision de ce montant et des indemnités au titre de la clause pénale et pour violation de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Le premier juge a accordé la provision mais a rejeté les demandes indemnitaires ; la SAS Sogea Bretagne BTP a fait appel et la SA Béton Chantiers de Bretagne appel incident ;

Considérant que la SAS Sogea Bretagne BTP soutient que :

D'après l'article 12 du contrat du 11 janvier 2011, il y a compte courant entre les parties et la compensation s'opère conventionnellement à chaque mouvement, de sorte que le juge des référés a excédé ses pouvoirs en déniant toute validité à cet aménagement contractuel de l'interdiction posée par l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Cette compensation conventionnelle s'appuyant sur l'allégation crédible de non-conformités constituait une contestation sérieuse de la créance et devait entraîner le débouté ;

Des non-conformités ayant été constatées par le CBTP, la SA Béton Chantiers de Bretagne devait en vertu de l'article 4-4 de l'annexe technique jointe aux conditions générales de vente solliciter des essais contradictoires avant de mettre en œuvre le béton livré ;

La SA Béton Chantiers de Bretagne s'étant ainsi privée elle-même des moyens de vérifier la réalité de ces non-conformités l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est pas applicable ;

L'expertise avait été demandée subsidiairement au premier juge et l'expert, qui a commencé ses opérations, confirme la non-conformité du béton dans une note adressée aux parties ; de sorte qu'un débouté intégral de la SA Béton Chantiers de Bretagne s'impose ;

Considérant qu'en réplique la SA Béton Chantiers de Bretagne affirme que :

- la SAS Sogea Bretagne BTP a reconnu sa dette par un courrier du 13 janvier 2010, confirmé le 22 mars suivant, par lequel cette société déclarait ne pas discuter le montant de la facturation mais surseoir au paiement en raison de la non-conformité contractuelle de la livraison ;

- la SAS Sogea Bretagne BTP a violé l'article L. 442-6 du Code de commerce selon lequel :

"I- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

8°) De procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ;"

- non seulement les non-conformités ne sont pas établies par les pièces produites par la SAS Sogea Bretagne BTP émanant d'elle essentiellement, mais sont contredites par différentes expertises réalisées à la suite d'autocontrôles et d'essais croisés contradictoires ;

- Les factures sont dues puisque ne peut leur être opposée aucune créance liquide certaine et exigible au titre notamment de non-conformités, et les indemnités le sont également à la fois pour violation de l'article précité du Code de commerce, et au titre de la clause pénale figurant à l'article 6 des conditions générales de vente majorant de 15 % les sommes dues ;

L'expertise, ordonnée par le premier juge mais qui n'avait été demandée par personne, est inutile puisque le béton litigieux a déjà été mis en œuvre et qu'aucune constatation ne peut désormais être valablement faite ;

À défaut de stipulation, l'intérêt de retard courant à compter de la date d'échéance de chacune des factures est celui de l'article L. 441-6 du Code de commerce c'est-à-dire égal à celui appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage ;

Considérant que l'examen de la validité d'une stipulation de compte commun indivisible entre les parties n'entrant pas dans les pouvoirs du juge des référés auquel revient seulement d'apprécier si la créance alléguée est ou non sérieusement contestable, c'est en vain que la SAS Sogea Bretagne BTP oppose l'existence d'un tel compte à la demande de provision faite par la SA Béton Chantiers de Bretagne son cocontractant ;

Considérant que la chronologie du chantier telle que présentée par les parties et reprise dans le pré-rapport de l'expert judiciaire est la suivante :

- la SAS Béton Chantiers de Bretagne a livré du béton à la SAS Sogea Bretagne pour le chantier de l'extension de l'hôpital de Fougères et parmi les différents bétons livrés, un béton de classe de résistance C 45/55 et de classe de consistance S3 est prévu pour le coulage de 86 poteaux.

- Le 9 septembre 2009 a lieu le coulage du premier poteau.

- La SAS Béton Chantiers de Bretagne a procédé à des contrôles de qualité suivant son plan d'assurance-qualité.

- La SAS Sogea Bretagne a fait également procéder à des contrôles sur le chantier par la société CBTP.

Dès 19 octobre 2009, la SAS Sogea Bretagne BTP indiquait à son fournisseur que les analyses du CBTP donnaient des résultats insuffisants ;

- Le 21 octobre 2009 les parties décidaient de ne plus procéder à des livraisons de béton en petites quantités et de faire procéder à des essais croisés entre la SAS Béton Chantiers de Bretagne, CBTP et un troisième laboratoire Rincent BTP ;

- 1 prélèvement de 6 éprouvettes sera fait par chacun des laboratoires qui en conservera 2 et donnera 2 des 4 restantes à chacun des deux autres laboratoires.

- Les prélèvements pour essais croisés auront lieu le 9 novembre 2009 et le 19 janvier 2010 sur le dernier poteau coulé.

- Les premiers résultats des essais sont discordants et conduisent la Sogea à mettre en place une campagne de sondages.

- Ces auscultations soniques auront lieu sur tous les poteaux coulés et à partir des valeurs données par les auscultations soniques, le bureau d'études FTSB de la Sogea va calculer la capacité portante de chaque poteau et la comparer aux charges appliquées.

Il s'en suit la nécessité de renforcer 9 poteaux, ce que va faire Sogea.

Considérant qu'il en résulte que contrairement à ce qu'elle soutient la SA Béton Chantiers de Bretagne a bien été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant à la retenue sur facture pratiquée par la SAS Sogea Bretagne BTP et qu'elle ne peut opposer à la demande [de] provision faite contre elle une violation sur ce point de l'article L. 442-6-8° du Code commerce.

Qu'en raison du désaccord persistant entre les parties le premier juge a, comme il en était requis à titre subsidiaire et donc sans avoir à recueillir de nouvelles observations, ordonné une expertise judiciaire; qu'il reviendra le cas échéant au juge du fond d'apprécier la valeur de l'avis expertal donné après la mise en œuvre du béton sur le chantier ;

Que les conclusions du pré-rapport de l'expert judiciaire dont la désignation doit être confirmée sont que 5 poteaux ne sont pas conformes et que le coût des reprises pourrait s'élever sous réserve de vérification des factures à 37 855 euro HT auxquels s'ajoutent divers frais ;

Que si en effet la SAS Sogea Bretagne BTP ne discute pas la facturation en elle-même elle oppose dans son principe légitimement l'exception d'inexécution ;

Que, par suite, eu égard à l'existence d'une créance compensable, la cour retiendra que la fraction non sérieusement discutable de celle détenue par la SA Béton Chantiers de Bretagne sur la SAS Sogea Bretagne BTP reste néanmoins bien supérieure ;

Que la provision sera ramenée à 80 000 euro et l'ordonnance de référé réformée en ce sens ;

Considérant que la SA Béton Chantiers de Bretagne a émis les factures suivantes :

N° 91201105 du 30.12.2009 : 29 860,87 euro

N° 100100960 du 31.01.2010 : 41 095,45 euro

N° 100201139 du 28.02.2010 : 59 658,46 euro

N° 100301546 du 31.03.2010 : 61 994,34 euro

Que chacune de ces factures stipulait un intérêt de retard de 11 % l'an ; qu'un paiement à 60 jours était prévu dans le bon de commande signé par les deux parties ; que la provision de 80 000 euro couvre complètement les deux premières factures ci-dessus rappelées et partiellement la troisième ; qu'elle produira donc intérêt au taux de 11 % l'an à partir du 28 février 2009 sur 29 860,87 euro, du 31 mars 2010 sur 41 095,45 euro et à compter du 30 avril 2010 sur le surplus ;

Considérant que le juge des référés n'a pas le pouvoir de statuer sur les demandes de la SA Béton Chantiers de Bretagne en restitution de l'original de l'acte de caution et en paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par la clause pénale insérée dans le marché, alors que les obligations des parties restent à déterminer par le juge du fond ;

Les dépens et les frais

Considérant que la SAS Sogea Bretagne BTP [sic] chaque partie qui succombe supportera ses propres dépens et frais de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance en ce qu'elle a : ordonné une expertise judiciaire pour donner un avis sur les responsabilités et les préjudices et désigné à cet effet M. Yquel, cabinet Mercier. Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens ; Reformant pour le surplus : Condamne la SAS Sogea Bretagne BTP à payer à la SA Béton Chantiers de Bretagne une provision de 80 000 euro. Vu l'article L. 441-6 du Code commerce, Dit que cette somme produira intérêt au taux de 11 % l'an à partir du 28 février 2009 sur 29 860,87 euro, du 31 mars 2010 sur 41 095,45 euro et à compter du 30 avril 2010 sur le surplus ; Y ajoutant, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes. Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens et frais.