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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 avril 2012, n° 09-16825

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Autostar (SA)

Défendeur :

Honda France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

Mme Luc, M. Vert

Avocats :

Mes Fisselier, Bourgeon, Ingold, Landault

TGI Paris, du 28 mai 2009

28 mai 2009

LA COUR,

Vu le jugement en date du 28 mai 2009 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a dit justifiée la résiliation sans préavis du contrat de concession par la SA Honda Motor Europe, devenue Honda France, et a débouté la SA Autostar de l'ensemble de ses demandes ;

Vu l'appel interjeté le 23 juillet 2009 par la société Autostar ;

Vu les conclusions de la société Autostar et de Maître Delezenne, ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de cette dernière, enregistrées le 22 décembre 2011 et tendant à faire confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les conditions requises pour la résolution contractuelle du contrat de concession n'étaient pas remplies, à le faire infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, à dire que l'inexécution du contrat ne présentait pas un caractère de gravité suffisant justifiant la résiliation unilatérale et sans préavis raisonnable au regard de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce et à la condamner à ce titre à lui payer les sommes de 34 350, 25 000 et 651 308 euro ;

Vu les conclusions de la société Honda France du 13 décembre 2011 et tendant notamment à la confirmation du jugement ;

SUR CE,

Sur l'intervention de Maitre Delezenne ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Autostar

Considérant qu'il y a lieu de lui donner acte de son intervention à la présente instance en sa qualité susvisée ;

AU FOND

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Honda France, ci-après Honda, importe et distribue en France divers produits de la marque Honda, dont des véhicules automobiles, par l'intermédiaire d'un réseau comprenant, d'une part, des concessionnaires assurant la vente des véhicules neufs et le service après-vente, et, d'autre part, des centres de service et de réparation, assurant le seul service après-vente.

C'est ainsi que dans le dernier état de leurs relations, la société Honda a conclu un contrat de concession vente et après-vente avec la société Autostar sur Dunkerque et un contrat centre de service et de réparation avec la société Opale Star sur Boulogne, toutes deux animées par Monsieur Reumaux.

Dans le but de promouvoir les ventes de ses concessionnaires, la société Honda a mis en place des programmes d'indication au rang desquels on trouve le programme "Dealer Coop Annuel". Ce programme prévoit une participation de la société Honda aux dépenses publicitaires effectivement engagées par le concessionnaire, sous réserve qu'un seuil de dépenses, calculé en fonction de l'objectif trimestriel dudit concessionnaire, soit atteint, faute de quoi aucune participation n'est versée par la société Honda.

C'est dans ces conditions que la société Honda reçut de la société Autostar une facture datée du 4 août 2008 et postée le 9 août 2008 de Lille lui demandant le versement d'une participation publicitaire de 4 950 euro HT au regard des 9 936,59 euro HT de dépenses publicitaires exposées par la société Autostar au cours du deuxième trimestre 2008.

À cette facture étaient joints les justificatifs des dépenses publicitaires engagées, au rang desquelles trois photocopies de factures d'un montant de 1 250 euro HT chacune émanant d'une agence de publicité "Top Medias" relatives à trois campagnes publicitaires radiophoniques concernant la promotion du modèle Honda Accord :

- facture FA715712 du 13 juin 2008 pour une campagne du 5 au 11 juin 2008,

- facture FA715743 du 20 juin 2008 pour une campagne du 12 au 18 juin 2008,

- facture FA715778 du 25 juin 2008 pour une campagne du 19 au 25 juin 2008.

Or, à l'examen des pièces du dossier, la société Honda constata des anomalies sur lesdites factures. Renseignements pris auprès de la société Top Médias qui lui adressa une copie certifiée conforme des factures correspondant aux numéros visés ci-dessus, il s'avéra que la société Autostar n'avait en fait entrepris qu'une seule campagne du 19 au 25 juin 2008 objet de la facture Top Médias FA715778 du 25 juin 2008, les deux autres factures communiquées par la société Autostar ayant été falsifiées.

Monsieur Reumaux, le dirigeant social des sociétés Autostar et Opale Star, fut convoqué à cet effet par la société Honda, et reconnut alors que les deux factures FA715712 et FA715743 d'un montant de 1 250 euro chacune ne correspondaient effectivement pas à des dépenses publicitaires engagées pour la marque Honda et fit valoir que le dossier de demande de participation avait été constitué par une salariée qui avait pris deux initiatives fautives sans lui en référer.

L'objet de ces falsifications était de permettre à la société Autostar d'atteindre les seuils de dépenses publicitaires minimums, soit 9 900 euro HT, lui permettant d'obtenir le versement par la société Honda de sa participation publicitaire de 4 950 euro.

La société Honda, estimant ces manœuvres d'une particulière gravité, décidait, par courrier du 10 décembre 2008, de résilier le contrat de la société Autostar avec effet immédiat.

Par courrier du même jour et compte-tenu de l'étroitesse des liens entre les sociétés Autostar et Opale Star, la société Honda résiliait, également avec effet immédiat, le contrat "centre de service et de réparation" de cette dernière.

Le 2 janvier 2009, la société Autostar, qui ne contestait pas les faits mais en minimisait la gravité, s'opposait à la résiliation au motif que les conditions de la mise en jeu de la clause résolutoire prévue à l'article 34.1.2 du contrat de concession n'étaient pas réunies et mettait en demeure la société Honda de rétablir les relations.

Dans un courrier de la même date, la société Opale Star contestait également la décision de résiliation au motif que les fautes alléguées à l'encontre de la société Autostar lui étaient inopposables s'agissant d'une entité distincte et mettait là encore la société Honda en demeure de rétablir les relations.

Par deux courriers du 9 janvier 2009 adressés aux sociétés Autostar et Opale Star, la société Honda maintenait sa position au regard de la gravité des faits.

Le 13 janvier 2009, elle régularisait une plainte entre les mains du Ministère public, pour faux, usage de faux et tentative d'escroquerie.

Concomitamment, les sociétés Autostar et Opale Star, arguant d'un trouble manifestement illicite et d'un péril imminent, faisaient délivrer à la société Honda une assignation en référé d'heure à heure aux fins de voir ordonner à cette dernière la poursuite des relations sous astreinte.

Par ordonnance du 28 janvier 2009, le juge des référés ordonnait la poursuite des contrats, les sociétés Autostar et Opale Star ayant par ailleurs, suivant actes séparés du 19 janvier 2009, assigné la société Honda à jour fixe devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir ordonner la poursuite des contrats.

Par deux jugements rendus le 28 mai 2009, le tribunal, d'une part, déboutait la société Autostar de l'ensemble de ses demandes en la condamnant à payer à la société Honda la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et, d'autre part, ordonnait la poursuite des relations contractuelles et commerciales entre la société Honda et la société Opale Star, rejetant toutes les autres demandes.

La société Autostar interjetait appel du jugement déféré présentement entrepris l'ayant déboutée de ses demandes.

Quant au jugement rendu entre la société Opale Star et la société Honda, il ne fit l'objet d'aucun recours et est aujourd'hui définitif.

Sur la résiliation conventionnelle du contrat de concession

Considérant que les Premiers juges ont estimé que la société Honda n'était pas fondée à se prévaloir de l'article 34.1.2 du contrat de concession pour prononcer la résiliation dudit contrat ; que cette énonciation du jugement déféré n'étant pas contestée en cause d'appel, la décision entreprise sera confirmée sur ce point ;

Sur la résiliation unilatérale et immédiate du contrat de concession

Considérant que les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi; que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée déterminée ou non ; que cette gravité n'est, cependant, pas nécessairement exclusive d'un délai de préavis ;

Considérant que la société Honda sollicite la résiliation à effet immédiat du contrat de concession aux torts exclusifs de la société Autostar en raison des faits qui constituent, selon elle, des "manœuvres délictueuses d'une particulière gravité, anéantissant toute la confiance de la société HME-S" ; que la société Autostar prétend, quant à elle, que l'inexécution du contrat invoquée par la société Honda ne représentait pas un manquement à la loyauté contractuelle d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation unilatérale à effet immédiat du contrat ;

Sur la résiliation unilatérale du contrat de concession

Considérant qu'ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, le dirigeant de la société Autostar a reconnu qu'une de ses salariées avait falsifié deux factures dans le but de permettre à sa société d'atteindre les seuils de dépenses publicitaires minimums permettant d'obtenir la participation financière du concédant aux frais publicitaires ; qu'ultérieurement, la société Honda a, par courrier daté du 10 décembre 2008, résilié unilatéralement le contrat de la société Autostar;

Considérant que si l'appelante prétend que ces falsifications ne pouvaient justifier la résiliation unilatérale, il convient néanmoins de relever qu'en agissant de la sorte, la société Autostar a abusé de son droit contractuel au remboursement des frais publicitaires et s'est ainsi comportée de manière déloyale envers son cocontractant ; qu'eu égard à la nature des faits considérés, ceux-ci doivent être regardés comme suffisamment graves pour justifier la résiliation unilatérale du contrat par le concédant ;

Considérant que si la société Autostar soutient également que l'implication personnelle de son dirigeant dans les faits reprochés par la société Honda ne serait pas établie et que, dès lors, ces faits ne pourraient justifier la résiliation du contrat considéré, lequel présente un caractère intuitu personae particulièrement marqué, il sera souligné que le commettant est responsable des fautes commises par son préposé dans les fonctions auxquelles il l'a employé ; qu'il ne peut être exonéré de cette responsabilité que s'il démontre que son préposé a agi sans son autorisation, à des fins étrangères à ses attributions et hors de ses fonctions ; que tel n'étant pas le cas en l'espèce, la responsabilité de la société Autostar ne peut qu'être engagée ;

Considérant que c'est ainsi à bon droit que le concédant a résilié le contrat de concession; que le concessionnaire sera, dès lors, débouté de sa demande en réparation du préjudice né du caractère prétendument abusif de la résiliation ;

Sur la brutalité de la rupture

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. [...] Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure." ;

Considérant, par ailleurs, qu'il ne saurait être fait obstacle à ces dispositions d'ordre public que si l'inexécution ou le manquement contractuel invoqué présente un degré de gravité tel qu'il contraigne la victime de celui-ci à une rupture immédiate du lien l'unissant à son auteur ;

Considérant, en l'espèce, que si la faute sus-analysée commise par la société appelante justifie la résiliation intervenue, il sera, néanmoins, souligné que l'intimée ne justifie d'aucun autre incident pendant toute la durée des relations entretenues entre les parties ; que, de même, il sera observé que la faute, objet du présent contentieux, n'a pas directement trait à l'activité de commercialisation de véhicules et n'impose pas son arrêt immédiat ; que, dans ces conditions et eu égard tant à la durée desdites relations qu'à la nature spécifique de celles-ci, lesquelles se sont inscrites dans le cadre d'un contrat de concession, il y a lieu de fixer à 6 mois le délai de préavis que la société Honda aurait dû respecter avant la date de prise d'effet de la mesure de résiliation ;

Considérant que l'indemnité allouée à l'effet de réparer le préjudice résultant d'une brutalité dans l'intervention d'une rupture, justifiée par ailleurs, correspond à la perte de marge brute sur le chiffres d'affaires qui aurait dû être perçue si le préavis nécessaire avait été consenti ; que la résiliation litigieuse est intervenue le 10 décembre 2008 ; que, par ordonnance du 28 janvier 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a enjoint à la société Honda de poursuivre le contrat de concession jusqu'à l'intervention du jugement dont appel ; que les relations commerciales entre les parties ont ainsi perduré jusqu'au 17 juin 2009 de sorte que la société Autostar a, pratiquement, bénéficié d'un préavis de 5 mois ; que, par suite, le préjudice indemnisable subi par l'appelante correspondra seulement à un mois de la marge brute que celle-ci tirait de son activité de concessionnaire et qu'il convient d'évaluer au regard de chiffres des trois derniers exercices connus (soit ceux afférents aux années 2005 à 2007) à la somme de (17 532,69 euro - soit un mois de marge sur la vente de véhicules neufs - + 9 914,39 euro - soit un mois de marge sur la vente de véhicules d'occasion - + 5 009,88 euro - soit un mois de marge sur la vente de pièces de rechange Honda - + 3 728, 67 - soit un mois de marge sur la vente de main d'œuvre atelier) 36 185, 63 euro, somme que la société Honda sera condamnée à verser à la société Autostar ;

Considérant, enfin, que si cette dernière prétend également avoir subi un préjudice d'image du fait que la société Honda aurait donné une publicité au sein de la profession automobile et du monde des affaires à sa décision de mettre fin sans préavis au contrat de concession les liant, elle ne justifie pas de la réalité et de l'effectivité du préjudice subi de ce chef ; que sa demande indemnitaire formée à ce titre sera, dès lors, rejetée ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit non abusive la résiliation litigieuse, de l'infirmer sur le surplus et, statuant à nouveau, de dire ladite résiliation brutale et de condamner à ce titre la société Honda à payer à la société Autostar la somme de 36 185,63 euro, les parties étant déboutées du surplus de leurs conclusions respectives ;

Par ces motifs : Donne acte à Maitre Delezenne de son intervention à l'instance en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Autostar, Confirme le jugement de ce qu'il a dit non abusive la résiliation litigieuse, L'infirme pour le surplus, Et, statuant à nouveau, Condamne la société Honda à payer à la société Autostar la somme de 36 185,63 euro, Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, Condamne la société Honda aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, La condamne aussi à payer à la société Autostar la somme de 3 500 euro au titre des frais hors dépens.