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Décisions

CA Agen, 1re ch., 27 novembre 1986, n° 550-85

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gomez

Défendeur :

Les Bâtiments de l'Agenais (SARL), Scavarelli, Tucom Rectification (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

MM. Huot Marchand, Bioy

Avoués :

SCP Tandonnet, Mes Vimont, Burg, Brunet

Avocats :

Mes Delon, Fauvel, Moutou

T. com. Agen, du 22 mars 1985

22 mars 1985

La société Les Bâtiments de l'Agenais a vendu le 14 novembre 1981 à Rémigo Gomez un camion Ford Transit immatriculé 1947 QL 47 au prix de 22 030 F à régler par paiements échelonnés de 5 000 F.

Le 31 décembre 1981, Gomez est tombé en panne, et la société venderesse a pris l'initiative de récupérer le véhicule à Bordeaux pour le ramener au garage Scaravelli qui avait procédé à une réparation antérieure. Elle a réclamé à Gomez le solde du prix soit 12 030 F, a obtenu en référé la désignation de l'expert Destieu pour rechercher les responsabilités dans la défaillance du véhicule et a assigné au fond Gomez et Scaravelli ; ce dernier a fait assigner en garantie la société Tucom Rectification et Gomez ;

Par jugement du 22 mars 1985, le Tribunal de commerce d'Agen a condamné Gomez à payer à la société Les Bâtiments de l'Agenais la somme principale de 12 030 F avec les intérêts de droit à compter du jour de la demande en justice, celle de 3 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a prononcé la mise hors de cause de Scaravelli et de la société Tucom Rectification ;

Rémigo Gomez est régulièrement appelant de cette décision ;

Il rappelle que son vendeur lui a cédé un véhicule d'occasion pour le prix élevé de 22 030 F parce qu'il y avait un moteur neuf, alors qu'il résulte du rapport d'expertise Destieu que ce véhicule avait été confié en mai 1981 au garage Scaravelli pour réparation du moteur ; que ce dernier garage l'a confié à la société Tucom pour le remplacement du vilebrequin et que la cause de la panne réside dans un manque de pression d'huile provenant malgré le remplacement de la pompe à huile d'un jeu excessif des pistons qui auraient dû être remplacés par Tucom puisqu'il l'avait constaté, les cylindres devant aussi être rectifiés ;

Ainsi Gomez n'ayant commis aucune faute s'estime en droit de réclamer la résolution de la vente son consentement ayant été vicié, la restitution de la somme de 10 000 F déjà versée augmentée des intérêts de droit à compter du jour du paiement et la condamnation du vendeur à lui verser les sommes de 15 000 F à titre de dommages-intérêts et 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Les Bâtiments de l'Agenais plaide que Gomez ne peut invoquer un vice du consentement, à savoir l'erreur, puisqu'il a acheté à un non-professionnel un véhicule d'occasion avec les risques que cela comportait et que les factures de la réparation Scaravelli lui avaient été montrées. Elle ajoute que la voie des vices cachés est aussi fermée, l'action à bref délai ne pouvait plus être engagée. Enfin, il résulte de l'expertise que l'acheteur est responsable des détériorations qu'il invoque puisqu'il a continué à rouler malgré une pression d'huile insuffisante et un témoin d'huile qui s'allumait.

Le vendeur conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré et, subsidiairement, à la condamnation de Scaravelli à le relever et garantir des condamnations qui pourraient être prononcées au profit de Gomez et à lui verser des dommages-intérêts.

Le garage Scaravelli au vu des conclusions du rapport d'expertise, conclut à la confirmation en raison de la faute de Gomez qui aurait dû impérativement cesser de circuler dès les premiers problèmes sans attendre la panne complète, et, subsidiairement, à l'entière responsabilité de la société Tucom qui a effectué les réparations dont il est résulté la panne et qui doit donc le garantir.

Enfin, la société Tucom relève qu'entre sa réparation en mai 1981 et la vente de novembre, s'est écoulée une période de six mois pendant laquelle aucun incident n'a été signalé, que Gomez a pris un risque calculé en continuant à utiliser son véhicule pendant un mois et demi, alors qu'il avait été avisé de la panne, que personne ne connaît la nature de l'intervention du garage Rassat le 19 novembre 1981 ; que Scaravelli, qui est un professionnel, a essayé le véhicule en mai 1981 et n'a rien trouvé à redire ; que dès lors se mise hors de cause s'impose.

DISCUSSION :

Attendu qu'en application des articles 1109 et 1110 du Code civil, l'erreur, vice du consentement, n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet, c'est-à-dire sur les qualités substantielles en considération desquelles les parties ont contracté ;

Qu'il appartient à l'acheteur d'établir le caractère substantiel des qualités qu'il n'a pas trouvées dans l'objet acheté ;

Attendu que Gomez, qui a cru acheter un véhicule dont le moteur était neuf, établit par le rapport d'expertise son erreur ;

Attendu qu'il n'est pas contesté par la SARL Les Bâtiments de l'Agenais que, si le véhicule vendu était bien d'occasion, il avait subi d'importantes réparations au niveau du moteur pour le remettre à neuf ; qu'il s'agissait là de l'un des arguments essentiels de la vente puisqu'il est reconnu que les factures de réparation ont été montrées lors de la transaction ; qu'ainsi pour l'acheteur, il s'agissait d'une qualité substantielle au sens de l'article 1110 du Code civil ;

Attendu que l'erreur de Gomez est largement démentie par le rapport d'expertise ; que l'expert affirme que compte tenu des réparations effectuées en mai 1981, le véhicule devait être en bon état ; que cela n'a manifestement pas été le cas puisque dans les jours qui ont suivi la transaction, Gomez s'est aperçu de son mauvais fonctionnement et a amené le véhicule aux garages Rassat et Scaravelli ;

Qu'il convient de relever que l'état réel du véhicule lors de la vente est ignoré, personne ne pouvant préciser le nombre de kilomètres parcourus entre mai et novembre 1981, et que le vendeur ayant appris la panne survenue un mois et demi après l'achat, a cru devoir venir chercher le véhicule ; qu'il est enfin remarquable que le vendeur ait attendu neuf mois avant de demander le solde du prix ;

Qu'il est tout aussi significatif de constater que le vendeur produit aux débats deux factures des établissements Scaravelli avec déplacement et remorque, concernant le même véhicule, dont la première établie le 15 mai 1980, montre que le vilebrequin était à changer, ainsi que les segments, les deux bielles et les joints, et la deuxième du 21 octobre 1980 que le véhicule était de nouveau en panne, le carter devant être démonté et les coussinets de bielle et les joints changés.

Attendu que le comportement de l'acquéreur, estimé fautif par l'expert en ce qu'il aurait dû cesser de rouler après avoir constaté la baisse de pression de l'huile et le fonctionnement du témoin d'huile, est inopérant quant au vice du consentement qu'il argue puisque ce dernier se situe antérieurement ;

Qu'il convient de rappeler que les problèmes de fonctionnement sont apparus dès le jour de la transaction selon l'acquéreur et ont été matérialisés par la présentation du véhicule au garage Rassat le 19 novembre, soit quatre jours après et qu'il a alors été constaté une baisse de pression d'huile ; qu'il n'est pas établi que ce garagiste ait conseillé à ce client de ne pas rouler avec ce véhicule ; que Gomez, qui l'avait acquis avec un "moteur neuf", ne pouvait penser qu'il allait tomber en panne d'autant que le voyant ne s'allumait qu'au ralenti, à l'arrêt ; qu'il n'est pas contesté qu'il l'a ramené aussi au garage Scaravelli dont il n'est pas non plus établi qu'il l'ait mis en garde ;

Attendu que Gomez a acquis un véhicule en considération de qualités substantielles sur lesquelles il a été trompé ; que dès lors il convient d'accueillir sa demande en résolution de la vente intervenue le 14 novembre 1981 ;

Attendu que le vendeur doit être condamné à restituer la partie du prix déjà versée, soit 10 000 F, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 1981 ;

Attendu que l'appelant ne rapporte pas le preuve du préjudice subi ; que dès lors il doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts ; que toutefois il convient de condamner la SARL Les Bâtiments de l'Agenais à payer à Gomez la somme de 2 500 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que cette société a assigné le garage Scaravelli en responsabilité ; qu'elle rappelle que, non-professionnelle de la réparation des véhicules, elle a confié à un professionnel le soin de remettre en état le moteur, ce qui n'a pas été fait comme cela résulte du rapport d'expertise ;

Qu'elle demande que Scaravelli soit condamné à la garantir de toute condamnation au profit de Gomez et en outre à lui payer la somme de 15 330,40 F représentant le coût de la remise en état, celle de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'action de la SARL Les Bâtiments de l'Agenais à l'encontre du garage Scaravelli est fondée bien qu'il résulte de l'expertise que ce dernier n'a aucune part de responsabilité dans la mauvaise réparation de mai 1981 et qu'en réalité le manque de pression d'huile provient d'un jeu excessif des pistons qui aurait dû être remplacés par les établissement Tucom, qui auraient dû aussi rectifier les cylindres ; qu'en effet, le garage Scaravelli est un professionnel de la réparation et le seul co-contractant de la SARL.

Attendu qu'il convient de faire droit à cette action aux demandes de cette société sauf à la débouter de celle de garantie du remboursement et de la demande de dommages-intérêts pour préjudice subi, non démontré, et de dire que Charles Scaravelli lui versera la somme de 1 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que Scaravelli a assigné en garantie les établissements Tucom, sous-traitant de certaines réparations en se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise ; que cette action ne peut être accueillie, car il convient d'observer que la réparation du moteur a été confiées à Scaravelli ; que le sous-traitant n'a effectué que ce qu'on lui demandait, à savoir changer le vilebrequin, et que lorsque Scaravelli a repris le véhicule, il n'a rien trouvé d'anormal ; qu'enfin il n'y a pas d'obligation de conseil entre professionnels de la réparation automobile ;

Attendu que le garage Scaravelli doit être condamné à verser aux établissements Tucom la somme de 1 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Reçoit comme régulier en la forme l'appel relevé par Rémigo Gomez d'un jugement du Tribunal de commerce d'Agen du 22 mars 1985 ; Y faisant droit, prononce la nullité de la vente intervenue le 14 novembre 1981 entre les sociétés Les Bâtiments de l'Agenais et Rémigo Gomez d'un camion Ford immatriculé 1947 QL 47 ; Dit en conséquence que la société Les Bâtiments de l'Agenais devra restituer à Rémigo Gomez les 10 000 F déjà versés avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 1981 ; Déboute Gomez de sa demande de dommages-intérêts ; Condamne la SARL Les Bâtiments de l'Agenais à verser à Gomez la somme de deux mille cinq cents francs (2 500 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que Charles Scaravelli sera condamné à garantir la SARL Les Bâtiments de l'Agenais de la condamnation mise à sa charge de payer à Gomez la somme de deux mille cinq cents francs (2 500 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute cette société de ses demandes en garanties de remboursement et en dommage-intérêts ; Déboute Scaravelli de ses demandes formées contre les établissements Tucom et le condamne à verser à cette société la somme de mille francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Charles Scaravelli aux entiers dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront recouvrés par Me Brunet, Me Vimont et la SCP Tandonnet, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.