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Décisions

Cass. com., 30 mai 2012, n° 11-22.144

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Orange France (SA)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Defrenois, Levis, SCP Baraduc, Duhamel

Cons. conc., du 30 nov. 2005

30 novembre 2005

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2011), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 7 avril 2010, pourvois n° 09-65.940, 09-13.163, 09-12.984), que, s'étant saisi d'office le 28 août 2001 de la situation de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile et ayant été saisi le 22 février 2002 par l'association UFC - Que Choisir de pratiques d'ententes mises en œuvre par les sociétés Bouygues Télécom (la société Bouygues), SFR et Orange France (la société Orange) sur le marché des services de téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence, a, par décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, dit que ces trois opérateurs ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, d'une part, en échangeant régulièrement, de 1997 à 2003, des informations confidentielles relatives audit marché, de nature à réduire l'autonomie commerciale de chacune d'elles et ainsi à altérer la concurrence sur ce marché oligopolistique, et d'autre part, en s'entendant pendant les années 2000 à 2002 pour stabiliser leurs parts de marché respectives autour d'objectifs définis en commun ; qu'il leur a infligé des sanctions pécuniaires allant de 16 à 41 millions d'euro pour les premiers faits et de 42 à 215 millions d'euro pour les seconds et a ordonné des mesures de publication ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Orange fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours portant sur le montant de la sanction qui lui avait été infligée, alors, selon le moyen : 1°) qu'en appréciant la prétendue gravité de l'infraction d'échange d'informations par la durée de cet échange, critère de qualification de l'infraction elle-même, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) qu'en appréciant la prétendue gravité de l'infraction d'échange d'informations par le caractère soi-disant confidentiel et stratégique des données échangées, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 3°) qu'en se bornant à considérer, pour estimer établie la prétendue conscience des opérateurs d'enfreindre le droit de la concurrence par les échanges d'informations litigieux, les éléments matériels constitutifs de l'infraction d'échange d'informations, quand cet échange d'informations a été qualifié d'anticoncurrentiel à raison de ses effets et non de son objet, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 4°) qu'en considérant comme établie la prétendue conscience qu'auraient eue tous les opérateurs concernés d'enfreindre les règles de la concurrence par l'échange d'informations litigieux, sans rechercher si la circonstance que le caractère anticoncurrentiel de cet échange d'informations n'a été établi qu'à l'issue de près de dix années de procédure, deux arrêts de la Cour de cassation et deux arrêts de la Cour d'appel de Paris n'excluait pas une telle conscience, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 5°) qu'en ne tenant pas compte, quand elle y était conviée du comportement des pouvoirs publics et de l'ART dans les années considérées, lesquels ont largement encouragé la transparence du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 6°) qu'en ne tenant pas compte, quand elle y était conviée, de ce que des données véritablement stratégiques - telles par exemple la répartition des ventes nettes de chaque opérateur entre abonnements et formules prépayées, la répartition géographique du parc de chaque opérateur ou la répartition en volume des ventes nettes entre canaux de distribution directs et indirects - n'ont jamais été échangées par les opérateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir relevé que le Conseil a fait une appréciation mesurée de la gravité de la pratique d'échanges d'informations en estimant que celle-ci n'atteignait pas le niveau de gravité inhérent à une entente expresse sur les prix ou de répartition des marchés, l'arrêt retient que le caractère confidentiel et stratégique des informations échangées, la parfaite régularité des échanges ainsi organisés et leur poursuite pendant six années jusqu'à ce que la mise en œuvre de l'enquête administrative y mette fin, révèlent et traduisent tout à la fois la gravité concrète de la pratique incriminée et la conscience qu'avaient tous les opérateurs concernés d'enfreindre les règles de la concurrence, dont le respect les aurait obligés à déterminer de manière autonome la politique qu'ils entendaient suivre sur le marché et les conditions qu'ils comptaient offrir à leur clientèle respective ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations pertinentes pour qualifier la gravité de la pratique, sans qu'importe que celle-ci ait été qualifiée d'anticoncurrentielle seulement par ses effets et que sa qualification ait fait l'objet de contestations entraînant une longue procédure, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à l'argumentation inopérante visée par les cinquième et sixième branches, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq dernières branches : - Attendu que la société Orange fait le même grief à l'arrêt, alors selon le moyen : 1°) qu'en refusant, pour apprécier le dommage prétendu à l'économie, de distinguer les années 1997-2000 des années postérieures à l'année 2000, la cour d'appel a refusé de tenir compte d'une des caractéristiques essentielles du marché considéré que constitue la modification de son mode de fonctionnement à compter de l'année 2000, privant par là sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) qu'en refusant, pour apprécier le dommage prétendu à l'économie, de distinguer les années 1997-2000 des années postérieures tout en justifiant d'une prétendue atténuation sensible de l'intensité de la concurrence par des données concernant exclusivement l'année 2000 et les années postérieures, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en considérant, pour estimer que la sensibilité au prix aurait été modérée ou peu significative, que la sensibilité au prix était accrue par les effets de réseau, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 4°) qu'en prétendant, sans s'en expliquer, que la seule faculté d'anticipation de l'évolution de la demande aurait nécessairement impliqué une réduction du surplus du consommateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 5°) qu'en considérant que le surplus du consommateur aurait été réduit, sans tenir compte de ce que les prix des services de téléphonie mobile ont fortement baissé dans les années litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que l'article L. 464-2 du Code de commerce exige, non pas un chiffrage précis du dommage à l'économie, mais seulement une appréciation de son existence et de son importance reposant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier, l'arrêt relève que la pratique d'échange d'informations constituée en l'espèce a réduit significativement l'incertitude sur les évolutions de la demande, la société Orange ajustant et affinant ainsi sa politique commerciale en fonction de la connaissance améliorée dont elle disposait illicitement du niveau de la demande dans un marché où les entreprises se concurrencent en prix pour des produits différenciés mais substituables, la pratique litigieuse permettant de la sorte aux opérateurs concernés d'optimiser leurs anticipations sur l'évolution de la demande et de réduire le surplus des consommateurs ; que l'arrêt ajoute que même si les opérateurs ont lancé ou maintenu des offres promotionnelles et des offres de nouveaux produits, l'évolution de l'ensemble des indicateurs relevés dans la décision attaquée atteste que la pratique litigieuse, qui avait lieu tous les mois de façon systématique au profit exclusif des trois opérateurs et au détriment des consommateurs, a provoqué une atténuation très sensible de l'intensité de la concurrence sur le marché concerné et, par là même, une perturbation du jeu normal de celui-ci ; que l'arrêt précise, enfin, que s'agissant du critère de la sensibilité de la demande au prix, la société Orange, se fondant sur une étude d'analyse économique produite par elle, excipe d'une " forte sensibilité de la demande au prix démontrée par l'observation de ce que sur l'ensemble de la période 1998-2002 l'élasticité-prix des consommateurs français est significative et près de deux fois supérieure à celle des consommateurs allemands", mais qu'il convient de tempérer cette observation par le constat que la demande des consommateurs en matière de téléphonie mobile est non seulement guidée par le prix des services correspondants mais aussi substantiellement liée à la taille du parc d'abonnés et que, par suite, l'effet sur la demande des variations du prix des offres de téléphonie mobile ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme intrinsèquement particulièrement significatif, son impact étant, en revanche amplifié par l'importance des effets de réseau, constitués par la sensibilité des consommateurs à la taille du parc d'abonnés ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la prise en compte de la sensibilité de la demande au prix, laquelle était en l'espèce modérée, n'était pas de nature à modifier l'appréciation du dommage à l'économie faite par le Conseil au regard de la taille du marché concerné, de l'implication des trois seuls opérateurs présents sur celui-ci et de la diminution de l'intensité de la concurrence à partir de l'an 2000, la cour d'appel qui n'avait pas à apprécier ce dommage en distinguant entre les périodes durant lesquelles s'étaient déroulés les échanges, ne s'est pas contredite, n'avait pas à entrer plus qu'elle l'a fait dans l'analyse de la réduction du surplus du consommateur et, contrairement à ce que soutient le dernier grief, a pris en compte dans son appréciation l'existence d'offres de prix réduits pendant la période litigieuse a, par une décision légalement justifiée, mesuré le dommage causé à l'économie par la pratique en cause, tant en ce qui concerne les consommateurs, que la structure du marché, et l'économie générale ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que le deuxième moyen pris en sa première branche, ainsi que le troisième moyen ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.