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Décisions

CJCE, 6 octobre 1981, n° 246-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Broekmeulen

Défendeur :

Huisarts Registratie Commissie

CJCE n° 246-80

6 octobre 1981

1. Par décision du 21 octobre 1980, parvenue à la Cour le 11 novembre suivant, la Commissie van beroep Huisartsgeneeskunde (commission de recours pour la médecine générale), établie à La Haye, a posé, en vertu de l'article 177 du traite CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des directives 75/362 et 75/363 du Conseil, du 16 juin 1975, la première visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services, la seconde visant à la coordination des dispositions législatives, règlementaires et administratives concernant les activités du médecin (JO L 167, p. 1 et 14).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours intenté par un médecin de nationalité néerlandaise, M. Broekmeulen, qui, après avoir obtenu un diplôme de docteur en médecine, chirurgie et accouchements en Belgique, à l'Université catholique de Louvain, et après avoir été autorisé, par le secrétaire d'Etat néerlandais à la Sante publique et à l'Environnement, à exercer la médecine aux Pays-Bas, s'est vu refuser son enregistrement en qualité de " Huisarts " (omnipraticien) par la commission d'enregistrement des omnipraticiens (Huisarts Registratie Commissie).

3. Il ressort du dossier, ainsi que des renseignements fournis par les parties à l'instance, que la commission d'enregistrement des omnipraticiens et la commission de recours pour la médecine générale sont des organes institués par l'Association royale néerlandaise pour la promotion de la médecine (ci-après : l'association). L'association, qui est constituée sous la forme d'une association de droit privé d'après le droit néerlandais et dont la grande majorité des médecins exerçant leurs activités aux Pays-Bas sont membres, se propose entre autres d'améliorer la formation des médecins, y compris l'enseignement postuniversitaire, du point de vue de la théorie et de la pratique. Le règlement intérieur de l'association comporte des dispositions concernant la reconnaissance et l'enregistrement des spécialistes médicaux, des experts en médecine sociale et des omnipraticiens ; d'après les statuts de l'association, ces dispositions du règlement intérieur ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord des ministres compétents en matière d'enseignement universitaire et de santé publique.

4. La reconnaissance et l'enregistrement des omnipraticiens fait l'objet des articles 1101-1135 du règlement intérieur. Ces dispositions prévoient l'institution de trois organes : un collège de médecine générale (Collège voor huisartsgeneeskunde), qui a pour fonction principale d'établir les exigences à poser à la formation des omnipraticiens ; une commission d'enregistrement des omnipraticiens (Huisarts Registratie Commissie), essentiellement compétente pour procéder à l'enregistrement, en qualité d'omnipraticiens, des médecins qui en font la demande et qui répondent aux exigences déterminées par le collège de médecine générale ; et une commission de recours pour la médecine générale (Commissie van beroep Huisartsgeneeskunde) chargée d'examiner les recours intentés contre les décisions de la commission d'enregistrement des omnipraticiens.

5. En l'espèce, la commission d'enregistrement a refusé d'enregistrer M. Broekmeulen en tant qu'omnipraticien parce qu'il ne réunissait pas les conditions établies par les décisions du collège de médecine générale. D'après ces décisions, M. Broekmeulen aurait dû suivre, tout comme les médecins néerlandais titulaires d'un diplôme universitaire de médecin délivré par une université néerlandaise, une formation de médecine générale d'une année avant de pouvoir être inscrit au registre des omnipraticiens.

6. La commission d'enregistrement a considéré que les décisions du collège de médecine générale prévoyaient expressément que les ressortissants des autres Etats membres qui sont titulaires d'un diplôme de médecine délivré par un des autres Etats membres et reconnu au titre des directives 75/362 et 75/363, et qui ont obtenu l'autorisation d'exercer la médecine aux Pays-Bas, devaient être inscrits au registre des omnipraticiens à leur demande, mais que cette exception n'était pas applicable à M. Broekmeulen en raison de sa nationalité néerlandaise.

7. Saisie du recours contre cette décision, la commission de recours a sursis à statuer pour poser à la Cour, à titre préjudiciel, la question de savoir s'il faut déduire des directives 75/362 et 75/363 qu'un néerlandais qui a obtenu le diplôme légal de docteur en médecine, chirurgie et accouchements en Belgique et qui, à ce titre, peut exploiter un cabinet en tant qu'omnipraticien en Belgique, a droit, en cas d'installation aux Pays-Bas, de se voir inscrire au registre des omnipraticiens de l'association sans suivre auparavant la formation de médecine générale aux Pays-Bas. La commission de recours a précisé qu'en vertu des dispositions légales en vigueur aux Pays-Bas l'inscription au registre n'est possible qu'à l'issue de la formation en cause et qu'aux Pays-Bas un médecin ne peut exploiter un cabinet de médecine générale qu'après inscription à ce registre.

Sur l'applicabilité de l'article 177

8. La commission de recours étant un organe institue par l'association, il convient d'examiner d'abord si elle doit être considérée comme une juridiction d'un des Etats membres au sens de l'article 177 du traité.

9. D'après le règlement intérieur de l'association, la commission de recours, nommée pour une durée de cinq ans, est composée de trois membres désignés par les facultés de médecine néerlandaises, trois membres désignés par le comité de direction de l'association et trois membres, dont le président choisi de préférence parmi les magistrats de niveau élevé, désignés par les ministres compétents en matière d'enseignement universitaire et de santé publique.

Il en résulte que la composition de la commission de recours comporte une participation marquée des autorités publiques néerlandaises.

10. D'après le même règlement intérieur, la commission de recours statue après une procédure contradictoire, la commission d'enregistrement des omnipraticiens et le médecin intéressé, ainsi qu'éventuellement son conseil ou avocat, entendus.

11. Le gouvernement néerlandais a précisé qu'à son avis la commission de recours ne pouvait pas être considérée comme une instance judiciaire au sens du droit néerlandais. Toutefois, il a observé que cette circonstance ne serait pas déterminante pour l'interprétation de l'article 177 du traité, et que la question de savoir si un organe tel que la commission de recours pouvait saisir la Cour en vertu de cet article devrait être examinée à la lumière de la fonction qu'il exerce dans le cadre du système des voies de recours ouvertes à ceux qui s'estiment victimes d'une violation du droit communautaire.

12. A cet égard, la décision de renvoi constate qu'un arrêté royal de 1966, pris en vertu de la loi sur l'assurance maladie, fixe le décret sur les prestations " Verstrekkingenbesluit ", d'après lequel seul le médecin inscrit au registre des omnipraticiens tenu par l'association peut être qualifie d'omnipraticien au sens de ce décret. Les médecins non-inscrits au registre ne pourraient donc pas avoir de cabinet reconnu par les caisses d'assurance maladie. Le fait de n'être pas inscrit au registre entrainerait, dans ces conditions, l'impossibilité de soigner, en tant qu'omnipraticien, les patients relevant de la sécurité sociale. En fait, l'exercice de la médecine privée deviendrait également impossible du fait que les assureurs privés auraient, dans leurs polices d'assurance maladie, défini la qualité d'omnipraticien conformément aux dispositions du décret sur les prestations.

13. Un examen de la législation néerlandaise, ainsi que des statuts et du règlement intérieur de l'association, fait ressortir qu'un médecin qui se propose de s'établir aux Pays-Bas ne peut, en fait, exercer ses activités sans être reconnu et enregistré, soit en tant que spécialiste médical, soit en tant qu'expert en médecine sociale, soit en tant qu'omnipraticien par les organes de l'association, et que le système ainsi mis en place résulte d'une collaboration étroite entre les médecins organisés dans l'association, les facultés de médecine et les administrations publiques compétentes en matière d'enseignement universitaire et de santé publique.

14. Il apparait ainsi que le système néerlandais de santé publique, tant dans le secteur relevant de la sécurité sociale que dans le secteur de la médecine privée, est fondé sur les qualifications attribuées aux médecins par l'association, et que l'enregistrement en tant qu'omnipraticien se révèle indispensable à tout médecin s'établissant aux Pays-Bas pour exploiter un cabinet de médecine générale.

15. Dès lors, un médecin omnipraticien qui invoque les droits que lui confère le droit communautaire dans le domaine du droit d'établissement et de la libre prestation de services, se voit dans l'obligation de saisir la commission d'enregistrement des omnipraticiens instituée par l'association et d'intenter, en cas de refus, un recours devant la commission de recours pour la médecine générale. Le gouvernement néerlandais a exprimé l'avis qu'un médecin non membre de l'association serait en droit d'attaquer un tel refus devant les juridictions ordinaires, mais que le cas n'aurait jamais été tranché par la jurisprudence néerlandaise. En fait, tous les médecins, membres et non-membres de l'association, dont l'enregistrement en tant qu'omnipraticien est refusé s'adresseraient à la commission de recours dont, à la connaissance du gouvernement néerlandais, les décisions n'ont jamais fait l'objet d'un recours devant une juridiction ordinaire.

16. En vue de répondre à la question de l'applicabilité, en l'occurrence, de l'article 177 du traité, il y a lieu de faire remarquer qu'il incombe aux Etats membres de prendre, chacun sur son territoire, les mesures nécessaires en vue d'assurer l'exécution intégrale des dispositions prises par les institutions de la Communauté. Si, selon le système juridique d'un Etat membre, le soin de mettre en œuvre de telles dispositions est confié à un organisme professionnel, agissant sous une certaine tutelle administrative, et si cet organisme met en place, dans ce cadre, et avec la collaboration des administrations publiques concernées, des voies de recours susceptibles d'affecter l'exercice des droits conférés par le droit communautaire, l'effet utile de celui-ci exige que la Cour puisse se prononcer sur les questions d'interprétation et de validité qui pourraient se poser dans le cadre d'un tel contentieux.

17. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, en l'absence pratique d'une voie de recours effective devant les juridictions ordinaires, dans une matière qui touche à l'application du droit communautaire, la commission de recours, qui exerce ses fonctions avec l'approbation des autorités publiques et fonctionne avec leur concours, et dont les décisions, acquises à la suite d'une procédure contentieuse, sont en fait reconnues comme définitives, doit être considérée comme juridiction d'un Etat membre au sens de l'article 177 du traité. Il s'ensuit que la Cour est compétente pour répondre à la question posée.

Sur la question posée

18. La question posée par la juridiction nationale vise en premier lieu à savoir si un ressortissant néerlandais titulaire d'un diplôme belge figurant à l'article 3 de la directive 75/362, et que chaque Etat membre reconnait en vertu de l'article 2 de la même directive, peut invoquer ces dispositions quand il se propose de s'établir aux Pays-Bas.

19. D'après l'article 2 de la directive, chaque Etat membre reconnait les diplômes énumérés à l'article 3 et " délivrés aux ressortissants des Etats membres par les autres Etats membres ". Il résulte de ce texte que cette disposition peut être invoquée, dans un Etat membre, par les ressortissants de tous les Etats membres ayant obtenu, dans un autre Etat membre, un diplôme énuméré à l'article 3.

20. Cette interprétation est d'ailleurs conforme aux exigences découlant de la libre circulation des personnes, de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services garanties par les articles 3, lettre c, 48, 52 et 59 du traité. Ces libertés, fondamentales dans le système de la Communauté, ne seraient en effet pas pleinement réalisées si les Etats membres pouvaient refuser le bénéfice des dispositions du droit communautaire à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilites existant en matière de circulation et d'établissement et qui ont acquis, à la faveur de celles-ci, les qualifications professionnelles visées par la directive dans un Etat membre autre que celui dont ils ont la nationalité.

21. Le deuxième problème envisagé par la question posée est celui de savoir si un Etat membre peut subordonner l'exercice des activités de médecin-omnipraticien par le titulaire d'un diplôme obtenu dans un autre Etat membre, et reconnu en vertu des dispositions de la directive 75/362, à l'accomplissement d'une période de formation supplémentaire, exigence que cet Etat membre requiert également des titulaires des diplômes de médecine obtenus sur son territoire.

22. La commission d'enregistrement des omnipraticiens, partie défenderesse au principal, a soutenu que la directive 75/362 ne comportait pas de règles relatives à la reconnaissance des formations professionnelles d'omnipraticien postérieures à l'examen universitaire de médecine. L'évolution récente des idées aurait montré que la médecine générale serait une discipline spécifique analogue aux disciplines spécialisées, au sujet desquelles l'article 8 de la directive admettrait la possibilité pour les Etats membres d'exiger, même des titulaires des diplômes obtenus dans d'autres Etats membres, une période de formation supplémentaire. Par ailleurs, la liberté d'établissement des médecins ne devrait pas affecter les efforts des Etats membres pour organiser un système optimal des soins de santé.

23. Ce raisonnement est cependant incompatible avec le système de la directive 75/362, fonde sur la distinction entre la reconnaissance des diplômes de médecin (articles 2 et 3) et celle des diplômes de médecin spécialiste (articles 4 à 8). L'article 2 impose aux Etats membres l'obligation de reconnaitre l'équivalence des diplômes spécifiés à l'article 3, et concernant l'accès aux activités non salariées du médecin et l'exercice de celles-ci. C'est seulement en ce qui concerne la formation de médecins spécialistes que la directive permet à l'Etat membre d'établissement, conformément aux articles 4 à 8, de poser des exigences supplémentaires. Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par les considérants de la directive, d'après lesquels celle-ci " vise à la reconnaissance des diplômes... de médecin ouvrant l'accès à l'exercice de la médecine, ainsi que des diplômes... de médecin spécialiste ".

24. Il est constant, et il résulte par ailleurs du texte des articles 5 et 7 de la directive, que la qualification d'omnipraticien, au sens où elle est comprise par la législation néerlandaise, n'est pas reconnue comme spécialisation par la directive. Il en découle que, dans une situation telle qu'elle existe aux Pays-Bas, ou l'exercice de la médecine est subordonnée à la reconnaissance de la qualité d'omnipraticien, l'habilitation professionnelle, en faveur du titulaire d'un diplôme délivré dans un autre Etat membre, découle de la reconnaissance même du diplôme en vertu de l'article 2 de la directive et non d'une qualification supplémentaire acquise dans l'Etat d'établissement.

25. Il est à remarquer, par ailleurs, que les médecins ressortissants d'un autre Etat membre et ayant obtenu un diplôme reconnu au titre de la directive 75/362 dans un Etat membre autre que les Pays-Bas, y sont admis à la profession d'omnipraticien sans avoir suivi une formation supplémentaire. Il résulte des considérations précédemment développées que l'accès à la profession d'omnipraticien d'un médecin de nationalité néerlandaise ayant obtenu un même diplôme ne peut pas être soumis à d'autres exigences.

26. Il y a lieu d'observer enfin que l'article 21 de la directive 75/362 permet expressément aux Etats membres, pendant une période transitoire de cinq ans, d'imposer l'obligation d'accomplir un stage préparatoire. A l'issue de cette période, un Etat membre n'est donc plus en droit d'exiger un tel stage, ou toute autre formation supplémentaire, des médecins qui s'établissent sur son territoire en tant qu'omnipraticiens et qui sont titulaires de diplômes obtenus dans un autre Etat membre et reconnus au titre de la directive.

27. Par conséquent, il convient de répondre à la question posée par la Commissie van beroep Huisartsgeneeskunde que la directive 75/362 doit être interprétée en ce sens qu'un ressortissant d'un Etat membre qui a obtenu un diplôme figurant à l'article 3 de la directive dans un autre Etat membre et qui, à ce titre, peut exploiter un cabinet d'omnipraticien dans cet autre Etat membre, a le droit de s'établir en tant qu'omnipraticien dans l'Etat membre dont il est ressortissant, même si cet Etat membre subordonne l'accès à cette profession des titulaires de diplômes de médecine obtenus sur son propre territoire à des exigences supplémentaires de formation.

Sur les dépens

28. Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

La Cour,

Statuant sur la question à elle soumise par la Commissie van beroep Huisartsgeneeskunde par décision du 21 octobre 1980, dit pour droit :

La directive 75/362 doit être interprétée en ce sens qu'un ressortissant d'un Etat membre qui a obtenu un diplôme figurant à l'article 3 de la directive dans un autre Etat membre et qui, à ce titre, peut exploiter un cabinet d'omnipraticien dans cet autre Etat membre, a le droit de s'établir en tant qu'omnipraticien dans l'Etat membre dont il est ressortissant, même si cet Etat membre subordonne l'accès à cette profession des titulaires de diplômes de médecine obtenus sur son propre territoire à des exigences supplémentaires de formation.