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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 31 janvier 2005, n° 03-01885

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Landouzy

Défendeur :

Badia, Californie Auto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruffier

Conseillers :

Mme Breton, M. Alesandrini

Avoués :

SCP Thoma-Le Runigo-Delaveau-Gaudeaux, SCP Delvincourt-Jacquemet, Me Estival

Avocats :

SCP Moutou, Associés, Mes Guérin, Osmont

TGI Reims, du 6 mai 2003

6 mai 2003

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Pierre Landouzy, gagnant d'un concours de jeux vidéo organisé en 1998 par la société Sony Computer Entertainment France, s'est vu remettre le premier prix, à savoir un coupé Chrysler Viper GTS, lequel lui a été livré directement par le société Chrysler France, le 6 février 1999 dans les locaux de son concessionnaire local de Reims, la SARL Californie Auto. Le certificat d'immatriculation du véhicule remis à Monsieur Pierre Landouzy par la société Californie Auto mentionnait le 23 mars 1999 comme date de la première mise en circulation.

Le 20 août 1999, subséquemment à une annonce parue dans le Journal d'annonces spécialisées " Best Cars Magazine " mentionnant qu'il s'agissait d'une Chrysler Viper GTS 1999, bleue et blanche, ce véhicule a été vendu à Monsieur Philippe Badia pour le prix de 450 000 F (68 602,06 euro). Le certificat de cession du 13 septembre 1999 faisait état de l'année modèle 1999.

L'acheteur, après avoir fait procéder par un autre concessionnaire de la marque Chrysler à une inspection complète du véhicule révélant qu'il était nécessaire d'engager des frais à hauteur de 24 706,64 F pour remettre le véhicule dans un état standard et que ce dernier avait été construit en 1997 et non en 1999, comme indiqué par le certificat de cession, a obtenu l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire confiée à Monsieur Vasseur selon ordonnance de référé en date du 1er mars 2000. L'expert a procédé à ses opérations et a déposé son rapport le 8 novembre 2000, en concluant que la valeur du véhicule ne dépassait pas 345 255 F TTC au moment de la transaction.

Par exploit du 5 janvier 2001, Monsieur Philippe Badia a fait assigner Monsieur Pierre Landouzy devant le Tribunal de grande Instance de Reims pour obtenir à titre principal le condamnation de ce dernier, sur le fondement de l'article 1110 du Code civil, à lui verser la somme de 86 362 F, portée à 15 968,27 euro par conclusions ultérieures, "À titre de dommages et intérêts dus sur la réfaction du prix de vente", avec intérêts à compter du 28 décembre 1999, la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts pour sanctionner "le comportement particulièrement critiquable du vendeur" et la somme de 7 696 F au titre du remplacement des deux pneus avant.

Monsieur Pierre Landouzy a fait appeler en garantie la SARL Californie Auto et la société Daimler Chrysler France, par actes des 19 et 24 avril 2001, ainsi que la société Sony Computer Entertainment France, par exploit du 8 avril 2002.

Par jugement rendu le 6 mai 2003, le Tribunal de grande instance de Reims a :

- rejeté les exceptions de nullité fondées sur les articles 648, 753 et 9 du nouveau Code de procédure civile,

- jugé que la vente conclue entre Messieurs Badia et Landouzy est entachée d'une erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue, erreur portant sur l'année modèle du véhicule qui est 1997 et non 1999,

- fait droit en conséquence à la demande de réfaction du prix de vente et condamné Monsieur Landouzy à payer à Monsieur Badia une somme de 13 470 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en paiement du 5 janvier 2001,

- débouté Monsieur Badia de ses demandes en dommages et intérêts à l'encontre de Monsieur Landouzy,

- rejeté les demandes en garantie formées par Monsieur Landouzy contre les sociétés Californie Auto, Daimler Chrysler France et Sony Computer Entertainment France,

- débouté les trois sociétés appelées en garantie de leurs réclamations pour abus de procédure à l'encontre de Monsieur Landouzy,

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de moitié de la condamnation à paiement susprononcée,

- condamné Monsieur Landouzy à payer à Monsieur Badia une indemnité de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dit irrecevable la demande formulée par Monsieur Landouzy sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté toutes les autres prétentions fondées sur ledit article,

- condamné Monsieur Landouzy aux dépens, comprenant ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, et autorisé Maître Osmont, avocat, à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, selon l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Pierre Landouzy a relevé appel de cette décision le 31 juillet 2003.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 octobre 2004, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de son argumentation en application des dispositions de l'article 455, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, Monsieur Pierre Landouzy conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la vente était entachée d'une erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue, portant sur l'année modèle du véhicule qui est de 1997 et non de 1999 et en ce qu'il l'a débouté de ses appels en garantie. Il soutient que la date de construction du véhicule n'a pas été une condition déterminante du consentement de Monsieur Badia et qu'en conséquence, celui-ci doit être débouté de sa demande en réfaction du prix qui est totalement injustifiée.

À titre subsidiaire, Monsieur Pierre Landouzy prétend que la SARL Californie Auto a manqué à son obligation d'information lorsqu'elle a procédé aux formalités d'immatriculation du véhicule litigieux et demande qu'elle soit condamnée à le garantir de toutes les condamnations qui seraient mises à sa charge. Il conclut pour le surplus à ce que Monsieur Badia soit débouté de toutes les demandes qu'il a dirigées à son encontre.

À titre plus subsidiaire, Monsieur Pierre Landouzy sollicite l'organisation d'une mesure de contre-expertise confiée à un expert en voitures de collection. Il réclame la condamnation de tout succombant à lui verser une indemnité de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens, avec droit de recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel au profit de leur avoué.

Selon ses dernières écritures en réplique déposées le 5 avril 2004, auxquelles il est également renvoyé, Monsieur Philippe Badia conclut au débouté. Formant appel incident, il sollicite la réformation de la décision entreprise du chef du quantum des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et du remboursement de ses frais irrépétibles de première instance. Il sollicite la condamnation de Monsieur Landouzy à lui verser la somme de 4 573,47 euro à titre de dommages et intérêts pour comportement fautif et de mauvaise foi et la somme de 3 005,60 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Il réclame en outre une indemnité supplémentaire de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel et la condamnation de Monsieur Landouzy aux entiers dépens, avec distraction de ceux d'appel au profit de son avoué.

Suivant ses écritures déposées le 27 mai 2004, auxquelles il est également renvoyé, la SARL Californie Auto conclut à la confirmation de la décision querellée en ce qu'elle l'a mise purement et simplement hors de cause et en ce qu'elle a ainsi jugé qu'aucune faute n'affectait son intervention. Elle forme en revanche appel incident en ce que cette décision l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de de procédure civile. Elle demande à la cour de statuer à nouveau de ce chef et de condamner Monsieur Pierre Landouzy à lui payer une somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts et une indemnité de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec distraction de ceux d'appel au profit de son avoué.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 novembre 2004.

DISCUSSION

Conformément aux dispositions de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

Les premiers juges ont considéré pour retenir en l'espèce l'existence d'une telle erreur de l'acquéreur que s'agissant d'une vente conclue le 20 août 1999, portant sur un véhicule trop récent pour être considéré comme de collection, l'exactitude de la date de fabrication constituait une condition déterminante de son acquisition dès lors qu'il existe des différenciations réelles entre les véhicules d'une année et ceux des années suivantes et que ces distinctions de modèles induisent des différences de prix a fortiori lorsque l'erreur sur l'année modèle concerne une différence de deux années.

Une telle motivation d'ordre général ne saurait toutefois être approuvée par la cour s'agissant de la transaction particulière en cause. Il convient en effet de relever en premier lieu qu'il ressort des éléments de la cause et notamment du rapport d'expertise établi par Monsieur Jean-Paul Vasseur que le coupé Chrysler Viper GTS ne connaît en France qu'une diffusion très confidentielle puisque pas plus de 6 à 10 véhicules de ce type y sont importés annuellement - dont plusieurs destinés à courir sur circuit.

Le marché de l'occasion pour des Viper GTS n'ayant connu qu'une utilisation routière est donc extrêmement réduit, de sorte que le souci premier d'une personne souhaitant acquérir cette très rare sportive américaine est de parvenir à en trouver une avant de se soucier de son millésime. La cour souligne à cet égard que la recension du magazine "Best Cars" d'août-septembre 1999, dans lequel a paru l'annonce de Monsieur Landouzy (qui est produit par Monsieur Badia) révèle que le véhicule litigieux était le seul modèle de ce type proposé à la vente dans cette édition, alors que ce périodique est spécialisé dans les annonces de véhicules, notamment sportifs, de haut de gamme et de prestige et cette édition regorgeait d'offres concernant des marques prestigieuses telles que Porsche, Ferrari, Lamborghini, Aston Martin, Lotus et autres Chevrolet Corvette.

Par ailleurs, il ressort également du rapport d'expertise et de ses annexes que la Viper GTS n'a connu aucune modification technique ou d'équipement significative entre 1997 et 1999, en dehors de différences de présentation et de l'adoption de roues de 18 pouces pour les véhicules construits en 1999, dont Monsieur Landouzy observe pertinemment qu'ils n'étaient manifestement pas disponibles en occasion à la date de la transaction, s'ils l'étaient même en neuf compte tenu des délais d'importation. Monsieur Badia, auquel incombe la charge de la preuve de l'erreur, ne démontre ni même ne prétend que ces différences de couleurs auraient eu pour lui un quelconque caractère déterminant, étant rappelé qu'il a acquis le véhicule en connaissance de cause quant à sa présentation.

Eu égard à ces éléments, il est tout à fait douteux et donc non démontré que Monsieur Philippe Badia ait fait de l'année de fabrication du véhicule litigieux une condition déterminante de son intention d'acquérir le véhicule.

À supposer que la date de fabrication ait pu en revanche constituer pour l'acquéreur un élément déterminant de fixation du prix- valeur du véhicule, la cour ne peut que rejeter l'analyse de l'expert qui l'a conduit à retenir que le véhicule n'avait qu'une valeur de 345 255 F au moment de la transaction. En effet, pour déterminer cette valeur, l'expert a appliqué au prix catalogue une décote de 25 % au bout d'un an, puis de 10 % de la valeur résiduelle par an, comme pour n'importe quel véhicule d'occasion, alors que le très faible nombre de transactions résultant de l'extrême étroitesse de l'offre doit conduire à ne retenir que la loi de l'offre et de la demande sur le marché, de sorte que la valeur du véhicule en cause ne peut être apprécié qu'en référence à des transactions réelles.

Si aucune des parties ne cite de ventes de comparaison intervenues à l'époque de la transaction en cause, la cour observe que le guide d'achat publié dans le magazine "Sport Auto" de juillet 2002 produit par Monsieur Landouzy - périodique qui constitue une référence incontestable - évalue la valeur d'un coupé Viper GTS d'occasion entre 69 000 euro et 92 000 euro de sorte que le prix de vente du véhicule en cause correspond au bas de la fourchette précitée.

La cour observe en outre qu'il s'évince des pièces produites que le véhicule, même s'il a été produit en 1997, a été vendu neuf à la société Sony par la société Daimler Chrysler France le 14 décembre 1998 pour le prix de 565 782,44 F TTC (86 252,98 euro) et qu'il a été revendu huit mois plus tard et six mois après sa première immatriculation alors qu'il n'avait parcouru que 5 322 kilomètres et qu'il était toujours dans la première année de la garantie contractuelle, de sorte qu'il n'a pu subir une décote de 37,40 % comme le retient erronément l'expert Vasseur. La cour ajoute que par attestation du 11 février 2000, la société Daimler Chrysler France a certifié qu'elle considérait le véhicule comme un millésime 1999.

Il appert de ces présomptions que Monsieur Badia ne rapporte pas la preuve qu'il aurait commis une erreur sur la valeur du véhicule litigieux. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à l'action en réfaction du prix engagée par Monsieur Philippe Badia et celui-ci sera débouté de ses prétentions à ce titre.

La cour, ayant écarté l'existence d'un vice du consentement imputable au comportement du vendeur, confirmera en revanche le jugement querellé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour comportement abusif formée par Monsieur Badia à l'encontre de Monsieur Landouzy.

Il n'y a pas lieu non plus de statuer sur l'appel en garantie dirigé contre la SARL Californie Auto. En revanche, cette dernière, qui ne démontre pas la mauvaise foi procédurale de Monsieur Landouzy, sera déboutée de son appel incident relatif aux dommages et intérêts peur procédure abusive et à l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

Compte tenu des éléments de la cause, il s'avère conforme à l'équité de laisser entièrement à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel.

En revanche, il échet de fixer à la somme de 2 000 euro l'indemnité qui sera allouée à Monsieur Landouzy au titre des frais irrépétibles exposés en la cause, ce en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, Dit recevable en la forme et bien fondé l'appel interjeté par Monsieur Pierre Landouzy ; Déclare recevables en la forme, mais mal fondés, les appels incidents formés par Monsieur Philippe Badia et la SARL Californie Auto ; Infirme le jugement rendu le 6 mai 2003 par le Tribunal de grande instance de Reims en ce qu'il a jugé que la vente en cause était entachée d'une erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue et fait droit en conséquence à la demande de réfaction du prix en condamnant Monsieur Pierre Landouzy à payer à Monsieur Philippe Sadia une somme de 13 470 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2001, comme en ce qu'il a condamné Monsieur Pierre Landouzy à verser à Monsieur Philippe Badia une indemnité de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens : Et, statuant à nouveau, Déboute Monsieur Philippe Badia de sa demande de réfaction du prix pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue comme de toutes ses autres prétentions ; Déboute la SARL Californie Auto de sa demande de dommages et intérêts et d'indemnisation de ses frais irrépétibles ; Déboute les parties de toutes leurs prétentions contraires ou plus amples non afférentes aux dépens et à l'indemnisation des frais irrépétibles ; Condamne Monsieur Philippe Badia aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise et de référés, sauf les dépens afférents à la mise en cause de la SARL Californie Auto qui resteront à la charge de Monsieur Pierre Landouzy, et autorise la société civile professionnelle Thoma-Le Runigo-Delaveau-Gaudeaux et Maître Estival, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel dans les conditions fixées par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne enfin Monsieur Philippe Badia à payer à Monsieur Pierre Landouzy une indemnité de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.