Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 15 mai 2012, n° 11-02140

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CLE (EURL)

Défendeur :

Hypromat France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Spieser, Litou-Wolff, Levy

TGI Strasbourg, ch. com., du 21 févr. 20…

21 février 2011

Selon contrat de franchise en date du 29 avril 2003, la société Hypromat France (Hypromat) a concédé à la société CLE le droit d'exploiter sous l'enseigne "Hypromat" et "Eléphant bleu" un centre de lavage rapide de véhicules à Carhaix pour une durée de neuf ans.

Par courrier du 18 août 2008, la société Hypromat a résilié le contrat de franchise en reprochant à la société CLE de ne pas avoir donné suite à une précédente mise en demeure de régler un arriéré de 26 154,81 euro.

Selon assignation du 8 septembre 2008, la société CLE a attrait la société Hypromat devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir l'annulation du contrat de franchise et la réparation de son préjudice.

Par jugement du 21 février 2011, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- déclaré irrecevable comme prescrite la demande de la société CLE tendant à la nullité du contrat de franchise pour vices du consentement,

- débouté la société CLE de sa demande tendant à la résiliation du contrat aux torts de la société Hypromat,

- déclaré irrecevable comme prescrite la demande de la société Hypromat en paiement des redevances de franchise et des factures de vente de produits et de matériels devenues exigibles avant le 29 mai 2004,

- déclaré recevable pour le surplus la demande reconventionnelle en paiement formée par la société Hypromat,

- condamné la société CLE à payer à la société Hypromat la somme de 20 423,56 euro avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2008,

- condamné la société CLE à restituer à la société Hypromat les manuels opératoires n° 1 et 3 et l'enseigne "Eléphant bleu",

- condamné la société CLE à payer à la société Hypromat une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société CLE aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs plus amples prétentions.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que la prescription de l'action en nullité pour vice du consentement, qui avait commencé à courir à compter de la conclusion du contrat, était acquise lorsque l'assignation a été délivrée ;

- que la société CLE ne pouvait plus poursuivre la résiliation d'un contrat qui avait d'ores et déjà été résilié par le franchiseur ;

- que la demande en paiement des redevances et des prestations formulée par la société Hypromat était partiellement prescrite en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce lorsque cette demande avait été soumise ;

- que la demande de restitution des manuels d'exploitation et plus généralement de tous les matériels liés à l'exploitation du centre était justifiée au regard des dispositions contractuelles.

Par déclaration reçue le 19 avril 2011, la société CLE a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 29 novembre 2011, la société CLE demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- réformer le jugement entrepris ;

- prononcer la nullité du contrat de franchise signé le 29 avril 2003 ;

- condamner la société Hypromat à lui verser la somme de 45 442 euro au titre des restitutions et celle de 220 000 euro au titre des préjudices occasionnés par la nullité du contrat;

- à titre subsidiaire, condamner la société Hypromat à lui verser la somme de 265 442 euro toutes causes de préjudices confondus ;

en tout état de cause,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la prescription des redevances non payées jusqu'en mai 2004 ;

- débouter la société Hypromat de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

- prononcer la compensation entre les condamnations respectives et réciproques ;

- condamner la société Hypromat à régler à la société CLE une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Hypromat aux dépens.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :

- que la prescription quinquennale n'ayant commencé à courir qu'à compter de la découverte du caractère insuffisant et erroné des informations transmises par le franchiseur, c'est-à-dire au plus tôt le 10 septembre 2003, son action en nullité pour vices du consentement n'est pas prescrite ;

- que n'ayant pas remis à la société CLE un document précontractuel d'information conforme aux dispositions d'ordre public de l'article L. 330-3 du Code de commerce, la société Hypromat ne lui a pas permis de s'engager en connaissance de cause et l'a même induite en erreur sur les perspectives de rentabilité du commerce ;

- que la nullité du contrat de franchise emporte la restitution des prestations effectuées ;

- que le comportement de la société Hypromat a fait perdre à l'appelante une partie de son investissement et a engendré un réel manque à gagner ;

- que la société Hypromat, qui a commis des fautes précontractuelles en lui remettant une étude de faisabilité fausse et a failli à ses obligations contractuelles d'assistance et de formation, a engagé sa responsabilité ;

- que l'appelante a procédé au dépôt de l'enseigne et au retrait des aménagements aux couleurs de la franchise.

Selon conclusions remises le 31 janvier 2012, la société Hypromat rétorque :

- qu'elle a remis le document précontractuel d'information exigé par l'article L. 330-3 du Code de commerce vingt jours avant la signature du contrat ;

- que l'appelante ne démontre pas que l'étude de faisabilité était entachée d'une erreur grossière ou manquait totalement de pertinence ;

- qu'elle a rempli ses obligations envers le franchisé et n'est pas responsable de la situation de ce dernier.

En conséquence, elle prie la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société CLE à lui payer une somme complémentaire de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société CLE aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 mars 2012.

SUR CE, LA COUR :

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel en la forme n'est pas discutée ;

Attendu que l'action en nullité pour vice du consentement est soumise à la prescription quinquennale ; que selon l'article 1304 alinéa 2 du Code civil, la prescription ne court dans le cas d'erreur ou de dol que du jour où ils ont été découverts ;

Attendu qu'à l'appui de son action en nullité, la société CLE reproche notamment au franchiseur de lui avoir communiqué une information précontractuelle inexacte quant à l'emplacement de la station de lavage, au loyer dû, au nombre de pistes et au chiffre d'affaires prévisionnel ; que si l'inexactitude des éléments objectifs (emplacement de la station, montant du loyer, nombre de pistes) ne pouvait pas échapper à la société CLE, le défaut de rentabilité de l'exploitation ne pouvait pas être immédiatement décelé ; qu'une période minimale d'activité était nécessaire pour révéler le caractère erroné des informations fournies par la société Hypromat sur la rentabilité pressentie de l'affaire ;

Attendu qu'un courrier du 1er décembre 2003 dans lequel la société CLE se plaignait du "décalage important du niveau de fréquentation de la station par rapport aux prévisions puisqu'après 3 mois d'activité, le chiffre d'affaires était inférieur de plus de 60 % à l'hypothèse basse du dossier de faisabilité", établit qu'elle a eu conscience de l'absence de rentabilité de son exploitation dans le courant du quatrième trimestre 2003 ; que l'appelante ayant découvert son erreur dans les semaines qui ont suivi le 8 septembre 2003, la prescription n'était pas encore acquise lorsqu'elle a introduit son action en nullité ; que son action sera jugée recevable ;

Attendu qu'il est incontestable que le "dossier de faisabilité" inséré dans le "document d'information précontractuel" remis à la société CLE avait été établi en fonction d'un précédent projet, celui de M. Boutrou, qui n'avait pas été abouti ; qu'il a été précédemment indiqué que le projet de l'appelante se différenciait de celui de M. Boutrou par le nombre de pistes de lavage, par la localisation exacte de la station ou le montant du loyer du terrain ; que ce "dossier de faisabilité" propose, outre une description de la zone de chalandise, un "calcul du chiffre d'affaires potentiel HT", effectué à partir du nombre d'habitants de la zone de chalandise et du nombre de véhicules par habitants, qui retient deux évaluations : 808 564 F soit 123 264 euro (hypothèse 1) voire 843 719 F soit 128 624 euro (hypothèse 2) ; que ce calcul est complété par un "compte prévisionnel d'exploitation" établi sur la base d'un chiffre d'affaires de 592 191 F soit 90 278 euro pour la première année, de 720 089 F soit 109 776 euro pour la seconde année et de 843 719 F soit 128 624 euro pour la troisième année ; que ces chiffres n'étaient accompagnés d'aucun commentaire du franchiseur ;

Attendu que les divergences entre le projet décrit par le "document d'information" et le projet effectivement mis en œuvre par la société CLE n'ont eu aucune incidence sur la perception que celle-ci pouvait avoir de la rentabilité de sa future exploitation dès lors que son centre a été ouvert à moins d'une centaine de mètres du centre ayant fait l'objet de l'étude ;

Attendu que la société CLE justifie avoir réalisé les chiffres d'affaires suivants :

- exercice du 31.03.2003 au 31.03.2004 : 26 156 euro

- exercice du 01.04.2004 au 31.03.2005 : 57 313 euro

- exercice du 01.04.2005 au 31.03.2006 : 59 304 euro

- exercice du 01.04.2006 au 31.03.2007 : 56 597 euro

- exercice du 01.04.2007 au 31.03.2008 : 57 130 euro ;

que durant tous ces exercices, l'activité a été déficitaire ;

Attendu qu'il existe ainsi un substantiel écart entre les chiffres d'affaires effectivement réalisés et les chiffres d'affaires potentiels portés dans le document d'information puisque le chiffre d'affaires prévisionnel annoncé par le franchiseur s'est avéré deux fois supérieur à celui réalisé par la société CLE qui, même après plusieurs années d'exploitation, n'a jamais réussi à atteindre le chiffre d'affaires prévisionnel annoncé pour la première année (90 000 euro) ;

Attendu que s'il est exact que la société Hypromat n'était pas tenue par une obligation de résultat dans l'établissement de ses prévisions, ainsi que le rappelle l'article 4.3.2 du contrat de franchise qui dispose que "le franchiseur ne pourra pas être tenu pour responsable des écarts entre les comptes de résultats réels et les comptes de résultats prévisionnels", il lui appartenait toutefois de communiquer à la société CLE des chiffres sérieux sur le marché local, alors même que le dirigeant de cette société n'était pas novice pour avoir repris avec succès un centre de lavage "Eléphant bleu" dans une autre région française quelques années auparavant ;

Attendu que l'écart avec les prévisions précédemment constaté, qui dépasse la marge habituelle d'erreur en la matière, alors qu'aucune défaillance dans la gestion de l'entreprise par le franchisé n'est de nature à l'expliquer, révèle que le chiffre d'affaires prévisionnel annoncé était totalement irréaliste et trompeur ; que la société Hypromat ne fournit d'ailleurs aucun exemple de centres de lavage implantés dans des agglomérations de la taille de Carhaix ayant réalisé entre 2003 et 2008 des chiffres d'affaires comparables aux prévisions annoncées ; que la société Hypromat a failli à son obligation d'information ; qu'à cet égard, il peut être noté que la société Hypromat avait consenti le 23 juin 2006 un avoir de 1 996,74 euro HT représentant 6 mois de redevances sur 3 pistes de lavage (avoir 060600462) ;

Attendu que la société CLE ayant été trompée par ce prévisionnel chimérique, qui était un élément déterminant dans le calcul des risques qu'elle prenait en ouvrant un centre et, en conséquence, sur la décision de contracter, le contrat de franchise doit être annulé pour vice du consentement du franchisé ;

Attendu que l'annulation de la convention oblige la société Hypromat à restituer:

- les redevances de septembre et octobre 2003 soit 1 241,11 euro

- l'ensemble des frais recensés dans la facture 03050522 du 14 mai 2003 induits par l'appartenance au réseau "Eléphant bleu" (modification du centre, droit d'entrée, location de l'enseigne), soit une somme de 44 201,77 euro ;

Attendu que la société CLE ne justifie pas que la signature du contrat de franchise puis sa résiliation ont occasionné des surcoûts ou des débours autres que les frais précédemment remboursés, ni ne démontre que ses investissements seraient perdus ; qu'en conséquence, la société Hypromat sera condamnée à payer une somme de 45 442,88 euro ;

Attendu que la société Hypromat réclamait en première instance le paiement d'un arriéré de 26 154,81 euro selon décompte arrêté au 31 mai 2008 ; que les premiers juges ont retenu que le franchiseur n'était plus recevable à réclamer le paiement des factures devenues exigibles avant le 29 mai 2004 en raison de la prescription ; que ce point n'est pas contesté par la société Hypromat ;

Attendu que les factures de redevances ne sauraient être mises à la charge de la société CLE, compte tenu de l'annulation du contrat de franchise ; que celle-ci demeure par contre redevable des fournitures qui lui ont permis de faire fonctionner son centre et dont elle a ainsi effectivement tiré bénéfice, à savoir :

- facture du 18 mai 2004 (clés de lavage, pochettes) : 362,34 euro

- facture du 13 septembre 2004 (jetons) : 541,05 euro,

soit d'une somme de 903,39 euro sur laquelle doivent s'imputer trois avoirs des 17 avril 2007, 7 novembre 2007 et 28 décembre 2007 liés à un réducteur et à des livraisons hors délais pour un montant global de 218,27 + 35,92 + 26,93 = 281,12 euro ;

Attendu que la créance de la société Hypromat s'établit ainsi à 622,27 euro ;

Attendu que la société CLE affirme, sans être démentie par son adversaire, avoir remis les manuels opératoires ; que le contrat de franchise ayant été annulé, la société CLE ne saurait être contrainte d'expédier l'enseigne qu'elle a déposée au siège de la société Hypromat ;

Attendu que la société Hypromat supportera les dépens de première instance et d'appel et réglera une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Condamne la société Hypromat France à payer à la société CLE une somme de 45 442,88 euro (quarante-cinq mille quatre cent quarante-deux euro quatre-vingt-huit centimes) à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société CLE à payer à la société Hypromat France une somme de 622,27 euro (six cent vingt-deux euro vingt-sept centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2008 ; Déclare sans objet la demande tendant à la restitution des manuels opératoires ; Déboute la société Hypromat France de sa demande au titre de la restitution de l'enseigne ; Condamne la société Hypromat France à payer à la société CLE une somme de 5 000 euro (cinq mille euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Hypromat France aux dépens de première instance et d'appel.