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Décisions

Cass. com., 26 mai 2009, n° 08-16.240

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

L'Occitane (Sté)

Défendeur :

Colorado (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Thomas-Raquin, Bénabent, Me Ricard

TGI Nanterre, du 26 oct. 2006

26 octobre 2006

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société L'Occitane a conclu avec la société Colorado, le 2 avril 2000, un accord de confidentialité couvrant les informations que cette agence de conseil en communication lui confierait ; que le 26 avril 2000, la société Colorado a, dans ce cadre, proposé à la société L'Occitane un slogan "une histoire vraie", qu'elle a déposé, le même jour, ainsi que sa traduction anglaise, en tant que marques françaises, avant de procéder à ce même dépôt aux Etats-Unis ; que les parties ont conclu, le 15 juin 2000, un contrat par lequel la société L'Occitane confiait un budget publicitaire à la société Colorado, stipulant notamment une clause réglant le sort des droits de propriété intellectuelle attachés aux créations effectuées dans ce cadre ; que ce contrat ayant été résilié à effet du 31 décembre 2002, sans pour autant que les parties cessent leurs relations, qui se sont poursuivies jusqu'au 31 décembre 2005, la société L'Occitane a, en 2006, assigné la société Colorado afin d'obtenir le transfert à son profit des marques déposées par cette dernière, subsidiairement leur annulation pour fraude et déchéance, et en réclamant qu'il lui soit fait interdiction d'user de ce signe dans la vie des affaires ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société L'Occitane fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; que la cour d'appel qui s'est bornée à exposer les moyens développés par la société Colorado dans ses écritures d'appel et n'a ni exposé les moyens développés par la société L'Occitane dans ses dernières écritures d'appel signifiées le 18 février 2008, ni même visé ces conclusions avec l'indication de leur date, a violé l'article 455, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; 2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ; qu'en détaillant longuement les moyens développés par la société Colorado dans ses écritures d'appel et en ne faisant aucunement référence aux écritures de la société L'Occitane, la cour d'appel a fait naître dans l'esprit de la société L'Occitane un doute légitime sur l'impartialité du juge, entachant sa décision d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que si la cour d'appel n'a pas résumé les conclusions de la société L'Occitane ainsi qu'elle l'a fait pour celles de la partie adverse, elle a analysé, dans le cours de sa motivation, les demandes et moyens qui s'y trouvaient formulés, et ainsi succinctement exposé les prétentions respectives des parties et leurs moyens, sans être tenue de viser particulièrement la date des seules conclusions prises devant elle par la société L'Occitane ; qu'en l'état de ces énonciations, dont il résulte qu'elle s'est référée aux conclusions prétendument ignorées, et que cette société n'a pas été placée dans une situation désavantageuse par rapport à la partie adverse, la cour d'appel n'a pu faire naître aucun doute légitime sur son impartialité ; que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la société L'Occitane fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses actions en revendication et transfert de marques, en tant que fondées sur la fraude, alors, selon le moyen : 1°) qu'une marque a pour fonction essentielle de garantir l'origine des produits et services qu'elle vise ; que dévoie cette fonction essentielle et présente donc un caractère frauduleux le dépôt d'une marque effectué, sans mandat et pour son propre compte, par une agence de publicité non pas pour identifier l'origine de ses propres produits ou services, mais ceux de ses futurs clients potentiels auxquels elle la monnayera ensuite ; qu'en retenant en l'espèce que le dépôt par l'agence de publicité Colorado des marques "Une histoire vraie" et "A true story" pour désigner des "produits de parfumerie, produits cosmétiques, shampooings, lotions pour les cheveux, savons, désodorisants (d'atmosphère) autres qu'à usage personnel", le jour même où elle avait soumis à la société L'Occitane le concept "Une histoire vraie" pour promouvoir les produits susvisés exploités par cette société, n'était pas frauduleux parce qu'il était "justifié voire nécessaire" dans l'intérêt "du client potentiel" et que l'agence Colorado aurait eu un intérêt légitime "alors qu'elle était amenée à divulguer ses idées" à "vouloir en assurer la protection la plus efficace possible", finalités qui ne correspondent pas à la fonction essentielle d'une marque, justifiant les droits qui y sont attachés, la cour d'appel a violé les articles L. 711-1 et L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) qu'est frauduleux le dépôt d'une marque effectué dans l'intention de priver un tiers d'un signe dont le déposant sait qu'il sera nécessaire à l'activité ultérieure de ce tiers ; qu'en retenant que le dépôt de la marque américaine "A true story" n'aurait pas été effectué en fraude des droits de la société L'Occitane, cependant qu'elle avait constaté qu'il avait été effectué le 24 octobre 2000, c'est-à-dire plusieurs mois après la signature du contrat du 15 juin 2000 par lequel la société L'Occitane avait accepté de conclure avec la société Colorado sur la base du concept "Une histoire vraie" qui devait être le fer de lance de sa nouvelle stratégie de communication, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 1134 et 1135 du Code civil, ensemble le principe fraus omnia corrumpit ;

Mais attendu que l'arrêt constate que le dépôt de ces marques correspond, selon la convention des parties, à une "création, conception ou invention", entrant à ce titre dans le champ d'application de l'article 2-1 du contrat, qui prévoyait que, pendant les trois premières années du contrat, l'attribution des droits au client de l'agence serait subordonnée à une demande expresse de sa part et au paiement d'une certaine somme, fixée de manière dégressive en fonction de la durée des relations ; qu'en l'état de ses constatations, dont il résultait que les parties avaient convenu que les droits de propriété industrielle seraient initialement constitués dans le chef de l'agence, la cour d'appel a fait application de la volonté des parties en décidant, au regard des relations ainsi nouées, qu'il était justifié, que, dans l'intérêt de son client potentiel, la société Colorado en ait préalablement assuré la protection, et que le dépôt avait été effectué sans fraude ni mauvaise foi à son égard ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen : - Vu les articles 1134 du Code civil et L. 110-3 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter les demandes de la société L'Occitane tendant au transfert à son profit des marques françaises et américaine en cause, ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts, en tant que ces demandes étaient fondées sur les articles 1134 du Code civil et 2 du contrat du 15 juin 2000, l'arrêt relève que la lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 juin 2002 constitue une résiliation conforme aux prévisions contractuelles ;

Attendu qu'en se bornant à ce constat, sans examiner, comme l'y invitaient les conclusions d'appel de la société L'Occitane, si, du fait du maintien de relations contractuelles, et dès lors notamment que le courrier en question précisait qu'elles étaient en discussion pour "aboutir à un nouveau contrat", les parties n'avaient pas eu, après la résiliation du contrat, la commune intention de soumettre le transfert des droits aux conditions prévues par l'article 2 en cas d'exploitation pendant trois années consécutives par la société L'Occitane, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société L'Occitane tendant au transfert à son profit des marques françaises et américaine en cause, ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts, en tant que ces demandes étaient fondées sur les articles 1134 du Code civil et 2 du contrat du 15 juin 2000, l'arrêt rendu le 6 mai 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée.