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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. com. B, 10 mai 2012, n° 10-00680

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Terrisson Père et Fils (SARL)

Défendeur :

John Deere (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Filhouse

Conseillers :

MM. Bertrand, Gagnaux

Avocats :

SCP Threard-Leger-Bourgeon-Meresse, SCP Guizard-Servais, SCP Curat-Jarricot, Me Niggemann

TGI Mende, ch. com., du 26 janv. 2010

26 janvier 2010

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SARL Terrisson Père et Fils, à Saint Amans (48700), a assigné le 10 mars 2009 la SAS John Deere, établie à Fleury les Aubrais (45100), devant le Tribunal de commerce de Mende, sollicitant, au visa de l'article 442-6-I-5° du Code de commerce :

- sa condamnation à lui payer une somme de 341 300 euro à titre de dommages et intérêts en compensation des 14 mois de préavis dont elle n'a pas bénéficié, à la suite de la rupture brutale des relations d'affaires entre les parties, notifiée le 24 janvier 2008,

- sa condamnation à lui payer une somme de 10 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Par décision en date du 26 janvier 2010, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Mende a, notamment :

- accueilli l'exception d'incompétence territoriale invoquée par la SAS John Deere au profit du Tribunal de commerce d'Orléans, en application d'une clause contractuelle attributive de compétence,

- s'est en conséquence déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce d'Orléans, à qui la transmission du dossier a été ordonnée, conformément à l'article 97 du Code de procédure civile,

- condamné la SARL Terrisson Père et Fils aux dépens ;

Le 1er février 2010 la SARL Terrisson Père et Fils a formé contredit envers cette décision, au greffe du Tribunal de commerce de Mende, invoquant notamment le bénéfice de l'article 46-3 du Code de procédure civile pour que le Tribunal de grande instance de Mende, statuant en matière commerciale en l'absence de constitution d'un tribunal de commerce dans ce ressort, connaisse de son action fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Par arrêt prononcé le 6 janvier 2011, cette cour d'appel a, notamment :

- reçu le contredit en la forme ;

- infirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Mende, statuant en matière commerciale, prononcé le 26 janvier 2010,

- rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la SAS John Deere au profit du Tribunal de commerce d'Orléans et dit que le Tribunal de grande instance de Mende, statuant en matière commerciale, était compétent pour connaître de l'action de la SARL Terrisson Père et Fils fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- évoqué l'affaire au fond,

- enjoint en conséquence aux parties de constituer avoué avant la conférence de mise en état de cette chambre de la cour, qui se tiendrait le jeudi 17 février 2011, à Nîmes, à défaut de quoi l'affaire pourrait être radiée,

- dit que le greffe de la cour notifierait le présent arrêt à chacune des parties par lettre recommandée avec accusé de réception ;

- réservé tous autres droits et moyens des parties, ainsi que les dépens, en fin d'instance ;

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 5 janvier 2012 et signifiées à son adversaire le 4 janvier précédent, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, dans lesquelles la SARL Terrisson Père et Fils sollicite notamment, au visa de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce :

- la condamnation de la SAS John Deere, pour avoir rompu brutalement la relation commerciale exclusive poursuivie avec elle depuis 1963, pour la distribution de matériels agricoles et de pièces de rechange de la marque John Deere, à lui payer la somme de 341 300 euro à titre de dommages et intérêts,

- la condamnation de la SAS John Deere au paiement de la somme de 10 000 euro pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 14 avril 2011 et signifiées à son adversaire le même jour, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, dans lesquelles la SAS John Deere demande notamment le rejet des prétentions adverses et la condamnation de la SARL Terrisson Père et Fils à lui payer une somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 27 janvier 2012 ;

Pour une plus ample relation des faits, de la procédure et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures déposées par les parties.

SUR CE :

SUR LA RUPTURE DES RELATIONS COMMERCIALES :

Attendu qu'il résulte des dispositions alléguées par la SARL Terrisson Père et Fils, de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

Que la SARL Terrisson et Fils, société exploitant en qualité de locataire-gérante le fonds de commerce de vente de matériels agricoles et de pièces détachées de la marque John Deere, à Saint Amans (48700), appartenant à M. Hubert Terrisson, depuis 1963 selon sa thèse, invoque une rupture brutale de la relation commerciale établie en dernier lieu avec la SAS John Deere, filiale française de la société américaine, suivant lettre en date du 24 janvier 2008, à effet du 31 octobre 2008, soit avec un préavis de 9 mois, qu'elle juge insuffisant pour organiser sa reconversion ;

Qu'elle soutient que cette rupture unilatérale n'était pas justifiée et qu'elle avait un caractère brutal, faute d'avoir retenu une durée de préavis en proportion avec l'ancienneté de la relation commerciale, par ailleurs exclusive en raison des clauses de non-concurrence figurant dans les derniers contrats du 1er novembre 2003 et du 1er novembre 2006, ce qui justifie son action en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Qu'elle considère que le préavis dont elle aurait dû bénéficier aurait dû être fixé à 24 mois et calcule son préjudice sur cette base, comme suit :

- marge brute annuelle sur les matériels agricoles : 178 575 euro

- marge brute annuelle sur les pièces de rechange et lubrifiants : 89.172 euro

- marge brute annuelle sur la main-d'œuvre : 24 796 euro

Total = 292 543 euro

Soit pour 14 mois, une somme de 341 300 euro, qu'elle sollicite en indemnisation de son préjudice ;

Que la SAS John Deere conteste en premier lieu le caractère brutal et donc fautif de la rupture de la relation commerciale, dont elle ne conteste pas être l'auteur, en invoquant l'insuffisance des résultats commerciaux de son concessionnaire, à qui des objectifs avaient été contractuellement fixés, en termes de parts de marché et d'indice de satisfaction des clients et qualité, non atteints ;

Qu'elle n'invoque cependant pas l'inexécution par la SARL Terrisson et Fils de ses obligations contractuelles à son égard, une faute lui étant imputable ni un cas de force majeure, l'exonérant alors de son obligation d'accorder un préavis écrit à son concessionnaire, selon les dispositions susvisées de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et soutient au contraire qu'elle lui a accordé un préavis de 9 mois, suffisant pour lui permettre de se redéployer ;

Que dès lors le moyen tiré des objectifs commerciaux fixés par la concédant à son concessionnaire et de leur atteinte ou non, qui ne caractérise pas nécessairement une faute contractuelle, est inopérant au regard de l'action engagée par la SARL Terrisson Père et Fils sur le seul fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qui suppose seulement l'examen du caractère brutal ou non de la rupture de la relation commerciale, en ce cas ;

Attendu qu'il convient de relever à cet égard que la relation commerciale entre les parties était régie, au moins depuis le 1er novembre 2003, par un contrat de concession exclusive d'une durée de 3 ans, auquel a été substitué, d'accord entre elles, le 28 novembre 2006, un contrat précaire d'une année, non-renouvelable par tacite reconduction ;

Qu'en effet le contrat du 28 novembre 2006 prévoyait, ainsi que l'invoque la SAS John Deere, dans son article VII-1, qu'il cesserait de plein droit à la date du 31 octobre 2007 et n'était pas renouvelable par tacite reconduction ; qu'il était aussi stipulé que dans le cas où les parties conserveraient, après la fin du contrat, des relations commerciales de même nature, ce qui est le cas en l'occurrence, elles ne sauraient en aucune manière être interprétées ni comme une renonciation à l'expiration du contrat, ni comme son renouvellement pour quelque cause que ce soit ;

Que le fait que cette clause stipule aussi que, néanmoins, ces relations, essentiellement précaires, seraient, dans la mesure de leur durée, régies par les dispositions du précédent contrat, constitue donc une modalité applicable aux relations commerciales post-contractuelles entre les parties, quelque peu paradoxale au demeurant ;

Que le défaut de renouvellement de ce contrat de concession écrit après le 1er novembre 2007, même si la poursuite provisoire et précaire de la relation commerciale selon les modalités de la dernière convention écrite expirée, était prévue, pouvait traduire déjà la volonté du concédant de mettre fin sous peu à la relation commerciale existante, ainsi que la SAS John Deere le déclare dans ses conclusions ; mais qu'il pouvait aussi être considéré comme une période de mise à l'épreuve de l'ancien concessionnaire avec lequel des relations commerciales inchangées étaient maintenues, en vue de signer un nouveau contrat de concession rétroactivement applicable, ainsi que cela s'était déjà produit dans les rapports antérieurs entre les parties, comme le relève la SARL Terrisson Père et Fils dans ses conclusions (contrat signé le 10 janvier 2003 à effet au 1er novembre 2002, pièce n° 22) ;

Que cependant la SAS John Deere n'invoque pas cette date comme celle d'une rupture de la relation commerciale et comme point de départ possible du préavis exigé par l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; qu'elle soutient au contraire que la rupture, malgré les signes annonciateurs que constituait notamment la précarisation progressive du contrat de concession puis le refus de son renouvellement, n'a eu lieu, par écrit, que le 24 janvier 2008, à effet au 31 octobre suivant ;

Mais attendu que nonobstant l'existence des signes annonciateurs susvisés, la rupture de la relation commerciale qui s'était normalement poursuivie entre les parties après le 31 octobre 2007 malgré l'absence de contrat écrit, a revêtu un caractère brutal car la lettre du 24 janvier 2008, parvenue le 28 janvier suivant à la SARL Terrisson, était expressément motivée comme étant la confirmation de propos tenus lors de la visite, le 16 janvier précédent, des représentants de la SAS John Deere dans cette entreprise : "Suite à la visite que nous vous avons rendue le mercredi 16 janvier dernier, nous vous confirmons que nous avons décidé de mettre un terme à nos relations commerciales et que celles-ci prendront fin le 31 octobre 2008." (Pièce n°13) ;

Qu'il s'ensuit, qu'ainsi que l'indique dans ses conclusions (page 12) la SARL Terrisson Père et Fils, que la rupture de la relation commerciale a donc été annoncée oralement à la SARL Terrisson Père et Fils, sans préavis écrit en conséquence, le 16 janvier 2008, ce qui caractérise une violation des dispositions légales susvisées, nonobstant l'envoi, 12 jours plus tard, d'une lettre de rupture contenant l'indication écrite d'un préavis d'une durée de 9 mois environ ;

Qu'il convient donc d'accueillir la demande de dommages et intérêts de la SARL Terrisson Père et Fils, bien fondée en son principe du fait de la rupture brutale et sans préavis écrit de la relation commerciale entre les parties ;

SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS :

Attendu que le concédant qui rompt une relation commerciale établie avec un concessionnaire, doit réparer le préjudice causé par cette rupture brutale ;

Que ce dommage ne consiste pas, comme le soutient la SARL Terrisson Père et Fils en l'allocation d'une somme globale correspondant de façon forfaitaire à la marge brute réalisée habituellement par le concessionnaire, pendant une durée égale à celle du préavis considéré comme suffisant ; mais qu'elle doit correspondre à la réparation du préjudice effectivement subi à la suite de la rupture de la relation commerciale, pendant la durée correspondant à ce préavis suffisant dont elle aurait dû bénéficier pour pouvoir se réorganiser ;

Qu'en ce qui concerne la durée de ce préavis, il n'est pas invoqué par les parties l'existence à cet égard d'accords interprofessionnels ni d'usages du commerce applicables à leur litige, au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Que le caractère suffisant de sa durée doit donc être déterminé en fonction de la situation des parties dans le domaine concerné, en l'espèce la commercialisation de matériel agricole dans une partie du département de la Lozère, compte-tenu notamment du caractère exclusif de cette relation commerciale en raison de l'existence d'une clause de non-concurrence due par le concessionnaire et compte-tenu aussi de la durée de cette relation commerciale établie ;

Que s'il est exact, comme le soutient la SARL Terrisson Père et Fils, que la notion de relation commerciale établie doit être appréciée comme étant économique et non juridique, ce qui permet de la retenir nonobstant la conclusion entre les parties de plusieurs conventions successives ou même sans contrat écrit, elle suppose toutefois que les parties qui l'invoquent soient identiques entre elles ou qu'une transmission des droits encadrant cette relation commerciale entre deux parties s'étant succédées soit justifiée ;

Qu'en l'espèce de la SARL Terrisson Père et Fils, société commerciale dotée de la personnalité morale et composée de plusieurs associés, exploite depuis le 1er avril 1995 dans le cadre d'un contrat de location-gérance le fonds de commerce appartenant depuis 1963 à M. Hubert Terrisson, lui-même concessionnaire à titre personnel de la SAS John Deere avant 1995 ;

Qu'il n'est pas justifié, ni même allégué, que le contrat de concession de la marque John Deere auquel M. Hubert Terrisson était partie avant la création de la SARL Terrisson Père et Fils, a été transmis, par apport, don ou cession, à cette société lors de la conclusion du contrat de location-gérance ;

Qu'il résulte des conclusions des parties qu'il a été résilié tacitement d'un commun accord entre les parties pendant la période en cours du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1995 et qu'un nouveau contrat de concession a alors été conclu le 1er avril 1995 entre la SAS John Deere et la nouvelle société Terrisson Père et Fils, locataire-gérante du fonds de commerce de M. Hubert Terrisson, alors en cours d'immatriculation ;

Mais attendu que le contrat du 1er avril 1995, en fixant le début de ses effets de façon rétroactive au 1er novembre 1994, nonobstant l'inexistence juridique de la SARL Terrisson et fils à cette date, a ainsi pris en compte la reprise par cette société des engagements précédemment pris à son égard par M. Hubert Terrisson et réciproquement ; que dès lors la relation commerciale initialement nouée s'est poursuivie malgré la modification de la personne juridique cocontractante avec la SAS John Deere;

Que l'ancienneté de la relation commerciale entre les parties doit donc être appréciée en fonction aussi de celle ayant précédemment existé entre M. Hubert Terrisson et la SAS John Deere ;

Qu'il est justifié d'un contrat d'agent conclu entre la SA John Deere, devenue ensuite la SAS John Deere et M. Hubert Terrisson, exerçant sous l'enseigne Terrisson Père et Fils, concernant la distribution des matériels agricoles et pièces de rechange vendus par la société John Deere à Saint Amans, sur une partie du département de la Lozère, prenant effet le 1er novembre 1965 (pièce n° 4) ;

Qu'il est aussi justifié d'un précédent contrat, conclu entre M. Hubert Terrisson et la SA Compagnie Continentale de Motoculture, à effet du 1er novembre 1963, ayant le même objet et d'un rapport du commissaire aux apports de cette société enregistré le 19 août 1965, dont il ressort notamment qu'elle a changé de dénomination sociale pour devenir la SA John Deere (pièces n° 3 et 33) ;

Qu'il s'ensuit qu'alors qu'aucune rupture des relations commerciales établies à compter du 1er novembre 1963 n'est alléguée à la fin de ce premier contrat, le 31 octobre 1964 et celui prenant effet le 1er novembre 1965, compte-tenu de la poursuite des engagements de la SA CCM, devenue la SA John Deere, que la relation commerciale s'est poursuivie après avoir débuté le 1er novembre 1963 ;

Qu'à la date de rupture, le 16 janvier 2008, cette relation commerciale continue se poursuivait donc depuis 44 ans, 2 mois et 15 jours, avec le même objet : la représentation dans une partie du département de la Lozère des matériels agricoles de la marque John Deere, et la vente de pièces de rechange ;

Que jusque dans le dernier contrat, conclu le 28 novembre 2006 et poursuivi ensuite, sans tacite reconduction après son terme du 31 octobre 2007, mais à des conditions identiques ainsi que stipulé dans cette convention, il était convenu que le concessionnaire s'engageait à ne pas fabriquer ni distribuer de produits ou pièces de rechange concurrents, à s'approvisionner exclusivement auprès du concédant, à ne pas concurrencer celui-ci, directement ou indirectement, ni par une participation dans un commerce concurrent ni par des accords de distribution de produits concurrents (page 4 pièce n° 12) ;

Qu'il en résulte une dépendance économique certaine de la SARL Terrisson Père et Fils envers la SAS John Deere, que celle-ci a évalué (page 5 de ses conclusions) sans que ces éléments soient particulièrement contestés à :

- 60 % de son chiffre d'affaires en matière de vente de matériels agricoles,

- 44 % de son chiffre d'affaire et 72,5 % de sa marge liée à la vente de pièces de rechange et de lubrifiants ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble des éléments de l'espèce il convient donc de retenir que le délai de préavis qui aurait été suffisant pour permettre à la SARL Terrisson Père et Fils de se réorganiser après la rupture de cette relation commerciale avec la SAS John Deere, doit être fixé à 24 mois, ainsi qu'elle le soutient ;

Qu'il est constant qu'elle a bénéficié d'un délai de 10 mois de préavis où elle a pu continuer son activité de concessionnaire de la marque John Deere tout en commençant à se réorganiser, entre le 16 janvier et le 31 octobre 2008 ;

Qu'il convient donc d'évaluer son préjudice au titre de la période de 14 mois, du 1er novembre 2008 au 1er janvier 2010, pendant laquelle la SARL Terrisson Père et Fils n'a pu bénéficier de la poursuite du contrat de concession et a dû se réorganiser commercialement de façon importante ;

Qu'il convient donc de rechercher si la perte brutale de la concession John Deere durant cette période a provoqué une diminution du chiffre d'affaires et de la marge brute réalisée par la SARL Terrisson, par rapport à ses résultats antérieurs et à ceux qui pouvaient être prévus en conséquence, en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis ou de coûts supplémentaires exposés pour se réorganiser dans l'urgence ;

Que la SAS John Deere relève, sans être contredite, que dès la fin de l'année 2008 la SARL Terrisson Père et Fils est devenue concessionnaire de la marque Kubota, société concurrente produisant des tracteurs et de la marque Feraboli (matériel de fenaison), traduisant ses efforts de réorganisation commerciale ;

Que la SARL Terrisson Père et Fils fait seulement observer que la part de marché de la marque Kubota était en 2009 très inférieure à celle de la marque John Deere, en matière de tracteurs : 2,4 % au lieu de 19,7 %, puis 3,3 % contre 20,8 % en 2010, dans un marché national globalement en baisse sensible après 2008 (pièce n° 31) ;

Que la SARL Terrisson Père et Fils verse aux débats ses résultats comptables des années 2005, 2006 et 2007 mais aucun élément relatif à ses résultats postérieurs à la rupture du 16 janvier 2008 ni à la fin du préavis accordé au 31 octobre 2008 ;

Qu'il ressort des éléments comptables produits (bilans et comptes de résultats) l'évolution globale suivante :

- chiffre d'affaires d'octobre 2003 à octobre 2004 = 3 005 168,54 euro,

- chiffre d'affaires d'octobre 2004 à octobre 2005 = 2 844 363,99 euro,

- chiffre d'affaires d'octobre 2005 à octobre 2006 = 2 700 712,89 euro,

- chiffre d'affaires d'octobre 2006 à octobre 2007 = 2 659 520,48 euro ;

Qu'il en ressort une tendance régulière à la baisse d'activité de l'entreprise (- 11 % en 4 ans) ;

Que l'évolution du résultat financier net est la suivante :

- bénéfice en octobre 2004 = 275 150,11 euro,

- bénéfice en octobre 2005 = 277 214,59 euro,

- bénéfice en octobre 2006 = 266 421,96 euro,

- bénéfice en octobre 2007 = 214 209,08 euro ;

Qu'il en ressort également une tendance à la baisse de profitabilité de l'entreprise (- 21 % en 4 ans) ;

Que l'attestation de M. Robert Angles, expert-comptable de la SARL Terrisson Père et Fils établie le 20 février 2009 (pièce n° 16) établit également cette tendance en ce qui concerne la marge brute dégagée sur les produits John Deere, passant de 288 995 euro en 2005 à 91 041 euro en 2007 sur le matériel agricole, de 29 361 euro à 25 354 euro sur la main-d'œuvre en atelier, seules les pièces de rechange et lubrifiants demeurant stables, de 94 226 euro en 2005 à 97 517 euro en 2007, après une baisse à 75 774 euro en 2006 ;

Qu'il s'ensuit que la marge brute perdue au titre de la rupture brutale de la concession John Deere qui peut être estimée, en l'absence d'éléments comptables produits pour l'année 2008 comme pour les années suivantes, eu égard à la tendance relevée, doit être évaluée, pour la période du 1er novembre 2008 au 1er janvier 2010, à la somme de 200 000 euro ;

Que toutefois, à défaut de justifier par la production des éléments comptables correspondants à cette période que cette marge brute estimée a, effectivement, entraîné une diminution en proportion du résultat comptable de la SARL Terrisson Père et Fils, faute d'avoir été compensée partiellement notamment par les premiers effets de la réorganisation opérée, le préjudice doit être considéré seulement comme la perte d'une chance de réaliser ce gain ;

Qu'il convient en conséquence de condamner la SAS John Deere à payer à la SARL Terrisson Père et Fils la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, correspondant à l'indemnisation de son préjudice de ce chef ;

SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS :

Attendu qu'il y a lieu d'allouer à la SARL Terrisson Père et Fils la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, que devra lui payer la SAS John Deere, condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de la SAS John Deere les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort : Vu les articles 6 et 9 du Code de procédure civile, Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, Condamne la SAS John Deere à payer à la SARL Terrisson Père et Fils la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale ; Condamne la SAS John Deere aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SARL Terrisson Père et Fils la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Autorise la SCP Guizard-Servais, avocat et ancien avoué, à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.