Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-21.723
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Denis Durantou (SARL)
Défendeur :
Union des producteurs de Saint-Emilion
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Petit
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Boutet
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société de négoce en vins Denis Durantou (société Durantou) est titulaire d'un certain nombre de marques et notamment des marques françaises "saintem" et "saint ayme"' (représentation graphique saint'ayme) déposées le 21 mars 2001, enregistrées sous les n° 3090228 et 3090233 pour désigner des produits en classes 32, 33 et 35 ; que l'enregistrement de ces marques a été publié au bulletin officiel de la propriété industrielle du 27 avril 2001 ; que l'Union des producteurs de Saint-Emilion (l'Union) qui a déposé le 4 février 2008 la marque française "saintem" n° 083553329 pour désigner des produits en classes 35, 39, 40 et 42, estimant que la marque no 3090228 ne faisait pas l'objet d'une exploitation sérieuse, a fait assigner le 6 juin 2008 la société Durantou en déchéance des droits sur cette marque ; que reconventionnellement, cette dernière a sollicité la condamnation de l'Union pour contrefaçon de marque et parasitisme ainsi que l'annulation et la radiation de la marque n° 083553329 ;
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches : - Attendu que la société Durantou fait grief à l'arrêt d'avoir constaté la déchéance de ses droits sur la marque "saintem", alors, selon le moyen : 1°) que pour s'opposer à la déchéance de la marque saintem, la société Durantou faisait valoir que celle-ci avait fait l'objet d'une exploitation sous la forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif "saintayme ", et soulignait que cette dénomination n'avait pas été déposée à titre de marque ; que l'Union ne contestait pas que la dénomination "saintayme" n'avait effectivement fait l'objet d'aucun dépôt à titre de marque ; qu'en retenant néanmoins que " l'usage effectif et non contesté de la marque "saintayme" ne peut pas racheter le non usage de la marque "saintem" ", au motif que la preuve de l'usage d'une marque enregistrée ne peut résulter de l'usage d'une autre marque enregistrée, sans qu'importe que celle-ci n'en soit qu'une variante sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en s'abstenant en conséquence de rechercher, comme l'y invitait la société Durantou, si l'usage effectif et non contesté de la dénomination "saintayme" ne constituait pas un usage de la marque saintem sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, de nature à faire échec au prononcé de la déchéance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que le titulaire d'une marque enregistrée ne peut se soustraire à l'obligation qui lui incombe de faire usage de cette marque en invoquant à son bénéfice l'utilisation d'une marque similaire faisant l'objet d'un enregistrement distinct ; que la société Durantou ayant déposé sous le n° 3090233 la marque "saint ayme" avec la représentation graphique "saint'ayme" et se prévalant de l'usage du signe "saintayme" pour échapper à la déchéance de ses droits sur la marque "saintem" n° 3090228, la cour d'appel, qui a relevé par motifs propres et adoptés qu'il n'était justifié que d'un usage effectif de la marque "saintayme" pour la vente de vins, a pu, sans méconnaître les termes du litige, retenir que la société Durantou ne pouvait se prévaloir d'un usage de la marque "saintem" sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Durantou tendant à voir juger qu'en déposant le 4 février 2008 la marque "saintem", l'Union s'était rendue coupable de contrefaçon de la marque "saintem" n° 3090228, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société Durantou est déchue des droits sur cette dernière pour défaut d'exploitation à compter de son dépôt et à tout le moins dans les cinq années ayant précédé la demande en déchéance du 6 juin 2008 ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser la date effective de prise d'effet de la déchéance, alors que cette date pouvait être fixée soit avant, soit après le dépôt de sa marque par l'Union, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur ce moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ;- Attendu que pour rejeter l'intégralité des demandes pour contrefaçon de marques formées par la société Durantou, l'arrêt se borne à retenir que cette dernière était déchue de ses droits sur la marque "saintem" n° 3090228 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Durantou se prévalait, à titre subsidiaire, de ses droits sur la marque n° 3090233 déposée le 21 mars 2001 et de l'existence d'un risque de confusion avec la marque "saintem" déposée le 4 février 2008 par l'Union, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter la demande de condamnation de l'Union pour parasitisme, l'arrêt retient par motifs adoptés que l'action en responsabilité pour parasitisme ne peut être fondée sur les mêmes faits que ceux retenus au titre de l'action en contrefaçon ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'action en responsabilité pour parasitisme peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon de marque rejetée pour défaut de droit privatif, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Bordeaux autrement composée ; Condamne l'Union des producteurs de Saint-Emilion aux dépens ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, la condamne à payer à la société Denis Durantou la somme de 2 500 euro et rejette sa demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.