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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 10 mai 2012, n° 11-01563

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Patricium Selection International (SARL), Boot

Défendeur :

Gilbert Chon (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

MM. Chassery, Prouzat

Avocats :

SCP Auche Hedou Auche Auche, SCP Argellies, Watremet, Mes Billiou, Grappin, Driencourt

TGI Montpellier, du 20 janv. 2011

20 janvier 2011

FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Propriétaire viticulteur à Saint Julien de Concelles (44), la société Gilbert Chon et fils a conclu, le 31 mars 2005, un contrat d'agent commercial avec Patrick Boot auquel elle confiait la vente en exclusivité de sa gamme "Domaine et Château de la Jousselinière" pour le Danemark, la Suède, la Norvège et leurs territoires associés, ainsi que la vente de ses Muscadets "Les Alouettes" et "Château Maillon" dans tous les pays.

La signature de ce contrat d'agence faisait suite à une relation contractuelle débutée entre les parties courant 1999.

La société Gilbert Chon et fils, qui entretenait, par l'intermédiaire de son agent commercial, des relations commerciales avec la société danoise Det Danske Vinkompagni a émis trois factures sur cette société, une facture n° 07000094 du 14 février 2007 de 1 132,50 euro, une facture n° 07000953 du 5 octobre 2007 de 2 610 euro et une facture n° 07001270 du 21 janvier 2008 de 1 200 euro.

N'ayant pas reçu les paiements correspondant à ces factures, la société Gilbert Chon et fils saisissait alors, le 10 octobre 2008, une société de recouvrement de créances, après avoir informé M. Boot de la difficulté.

Le 16 décembre 2008, celui-ci adressait à la société Gilbert Chon et fils deux chèques de 2 297,84 euro et 1 132,50 euro, datés du 15 décembre 2008.

Par courrier du 17 décembre 2008, la société Gilbert Chon et fils accusait réception de ces chèques, reprochant à M. Boot de ne pas lui avoir fait parvenir le règlement de la facture de 1 200 euro, fait par virement du 29 avril 2008 ; elle lui faisait grief d'un comportement malhonnête et peu scrupuleux à son égard.

M. Boot, par courrier en réponse du 22 décembre 2008, après avoir qualifié de "totalement diffamatoire et injurieuse" la précédente correspondance de la société Gilbert Chon et fils, indiquait à celle-ci que la rupture du contrat d'agence lui était imputable et joignait une facture d'indemnité de rupture de 5 998 euro correspondant aux "2/3 de (ses) trois meilleures années".

Par acte du 20 juillet 2009, la société Gilbert Chon et fils a fait assigner M. Boot et la société Patricium Sélection International (la société PSI), sur le compte de laquelle avait été encaissé le règlement de la facture de 1 200 euro, devant le Tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de résiliation du contrat pour faute grave de l'agent commercial et d'indemnisation de son préjudice.

Reconventionnellement, M. Boot a demandé la condamnation de la société Gilbert Chon et fils à lui payer une indemnité de cessation de contrat, estimant la rupture exclusivement imputable à celle-ci.

Par jugement du 20 janvier 2011, le tribunal a notamment :

- prononcé la résiliation du contrat d'agence entre la société Gilbert Chon et fils et Patrick Boot pour faute grave imputable à ce dernier,

- condamné M. Boot à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 3 477,74 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,

- condamné M. Boot à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 624,31 euro au titre des frais de recouvrement engagés auprès de la société France Contentieux,

- condamné M. Boot à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 1 080 euro au titre de la facture n° 07001270,

- débouté la société Gilbert Chon et fils du surplus de ses demandes,

- débouté M. Boot et la société PSI de leurs demandes,

- condamné M. Boot à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.

M. Boot et la société PSI ont régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration faite le 4 mars 2011 au greffe de la cour.

Postérieurement, la société PSI s'est désistée de son appel, ce dont il lui a été donné acte par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 5 avril 2011.

M. Boot demande à la cour de réformer le jugement et, en conséquence, de mettre à la charge de la société Gilbert Chon et fils la rupture du contrat d'agence et de la condamner à lui payer la somme de 7 133,66 euro à titre d'indemnité de rupture, correspondant à deux années de commissions, outre l'allocation des sommes de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :

- les relations commerciales entre les parties ont débuté en 1999, mais n'ont été formalisées par écrit qu'en 2005,

- la société Gilbert Chon et fils, qui lui a adressé, le 17 décembre 2008, une lettre de reproches, insultante et infondée, est responsable de la rupture du contrat d'agence,

- seule la facture de 1 200 euro, éditée à l'ordre de la société Det Danske, était alors impayée "le règlement à hauteur de 1 100 euro n'est intervenu que le 9 novembre 2009", puisque la facture n° 07000094 du 14 février 2007 figure, comme payée à la date du 13 mars 2007, dans la comptabilité de la société Gilbert Chon et fils et que le règlement de la facture n° 070000953, qu'il avait lui-même reçu le 3 novembre 2008, a été adressé au mandant le 16 novembre suivant.

La société Gilbert Chon et fils conclut à la confirmation du jugement, sauf à assortir la somme de 1 080 euro, due au titre de la facture n° 07001270, des intérêts au taux légal à compter du 16 février 2009, date de la mise en demeure ; elle sollicite, par ailleurs, la condamnation de M. Boot à lui payer la somme de 4 000 euro en indemnisation de son préjudice moral et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

- M. Boot a pris l'initiative de la rupture et s'est rendu coupable d'une faute grave, ce dont il résulte qu'il ne peut prétendre au paiement de l'indemnité de cessation de contrat prévue à l'article L. 134-13 du Code de commerce,

- les trois factures litigieuses ont, en effet, été réglées par la société Det Dansk par virements des 25 mai 2007, 30 octobre et 29 avril 2008 sur un compte n° 093 24 899 015 ouvert au nom d'une société PSI, dont M. Boot était le gérant, et interrogé sur l'existence de ces versements, découverts après qu'eut été missionné la société France Contentieux, celui-ci n'a d'abord pas répondu puis lui a adressé le règlement de deux des trois factures diminué du montant de sa commission, par chèques datées du 15 décembre 2008,

- M. Boot a donc détourné purement et simplement une somme de 4 942,50 euro, montant des trois factures, et a retenu cette somme pendant plus d'un an, laissant croire à des lacunes administratives de sa part ou à un défaut de paiement du client danois.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il résulte de la combinaison des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent ou résulte de son initiative à moins que cette cessation se soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.

En l'occurrence, M. Boot a pris l'initiative de rompre le contrat d'agence le liant à la société Gilbert Chon et fils par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 22 décembre 2008, reprochant à celle-ci les termes injurieux et diffamatoires (sic) de son courrier du 17 décembre 2007 relatif à une prétendue rétention, de sa part, des paiements faits par la société Det Danske, une augmentation de ses prix de 19 % à ce client et une vente au Danemark effectuée par un autre agent à l'un de ses concurrents directs.

Le premier juge a justement considéré que M. Boot, qui était tenu de rendre compte de sa gestion et de restituer à son mandant les paiements effectués, avait manqué à ses obligations contractuelles en ne remettant pas spontanément à la société Gilbert Chon et fils les fonds reçus de la société danoise Det Danske en règlement des factures n° 07000094 du 14 février 2007, n° 07000953 du 5 octobre 2007 et n° 07001270 du 21 janvier 2008, une fois déduit le montant de ses commissions.

Il résulte, en effet, des pièces produites que ces trois factures de 1 132,50 euro, 2 610 euro et 1 200 euro, stipulées payables à deux mois, ont été réglées, respectivement, les 25 mai 2007, 30 octobre 2008 et 29 avril 2008 par la société Det Danske par virements sur un compte bancaire international (IBAN) ouvert sous le n° FR 761 660 700 257 093 24 899 01529 à la Banque Populaire du Sud au nom de la société Patricium Sélection International (PSI) ayant comme gérant M. Boot ; or, le règlement de la facture n° 07000094 de 1 132,50 euro, reçu le 25 mai 2007 par la société PSI, n'a été adressé à la société Gilbert Chon et fils que le 16 décembre 2008, soit 19 mois plus tard, par chèque tiré sur le compte ouvert à la Banque Populaire du Sud, tandis que le règlement de la facture n° 07001270, reçu le 29 avril 2008, n'était toujours pas parvenu à cette dernière à la date de la rupture du contrat d'agence ; quant au règlement de la facture n° 07000953, reçu du client le 30 octobre 2008, il a été adressé au mandant le 16 décembre 2008, soit avec un mois et demi de retard, par chèque également tiré sur la Banque Populaire du Sud.

Le manquement de M. Boot à ses obligations contractuelles est d'autant plus caractérisé qu'il lui avait été demandé à plusieurs reprises, courant 2007 et début 2008, d'intervenir auprès du client danois en vue du règlement des trois factures.

Contrairement à ce que soutient M. Boot, dans ses conclusions d'appel (page 4), la facture n° 07000094 du 14 février 2007, de 1 132,50 euro, n'avait pas été réglée à la société Gilbert Chon et fils le 13 mars 2007, puisque le montant porté à cette date au crédit de la société Det Danske dans le grand livre de celle-ci, concerne une autre facture n° 07000404 ; dans son courrier du 16 décembre 2008, transmettant à son mandant les deux chèques de 2 297,84 euro et 1 132,50 euro, datés du 15 décembre 2008, il n'invoque d'ailleurs pas le règlement de cette facture n° 07000404, mais la confusion, qu'il aurait commise, avec une facture n° 06000870 du 20 septembre 2006, d'un montant identique (1 132,50 euro).

La facture n° 07000454 du 24 mai 2007, qu'invoque également M. Boot, est mentionnée comme ayant été réglée dans la comptabilité de la société Gilbert Chon et fils et n'est donc pas en cause, même si l'intéressé affirme que la société Det Danske ne lui a pas réglé cette facture et qu'il en a avancé le montant à son mandant, le 21 août 2007, ainsi qu'il ressort d'un fax adressé le 21 janvier 2009 à celui-ci.

M. Boot, pour dénier tout manquement contractuel, ne peut davantage se prévaloir de l'existence d'une commande groupée pour le compte de la société Det Danske ou d'erreurs comptables commises par la société Gilbert Chon et fils, alors que les virements faits par le client danois sur le compte de la société PSI identifient très clairement les trois factures litigieuses par leurs numéros et leurs montants.

Dans sa lettre de rupture du 22 décembre 2008, celui-ci reproche, par ailleurs, à la société Gilbert Chon et fils d'avoir imposé à la société Det Danske une augmentation de 19 % de ses prix, comme elle l'avait fait pour la société belge Vinigros à laquelle elle avait même refusé d'exécuter une commande passée le 29 mai 2008 ; la société intimée explique cette augmentation de tarif par la perte d'une partie de la production de Muscadet due à de fortes gelées, à l'origine d'une hausse des prix observée en mai 2008 ; en toute hypothèse, cette hausse des prix, qui a été répercutée par la société Gilbert Chon et fils sur l'ensemble de ses clients, ne peut être regardée comme une circonstance de nature à lui rendre imputable la rupture du contrat d'agence.

Enfin, le grief fait à la société Gilbert Chon et fils d'avoir, par l'intermédiaire d'un autre agent, réalisé une vente au Danemark à un concurrent direct de la société Det Danske, n'est étayé par aucun élément et n'est même pas évoqué par M. Boot dans ses conclusions d'appel.

M. Boot, qui a pris l'initiative de rompre le contrat d'agence le liant à la société Gilbert Chon et fils en l'absence de circonstances permettant d'imputer à celle-ci la rupture, alors qu'il avait lui-même manqué à ses obligations contractuelles en retenant les paiements destinés à son mandant, ne peut dès lors prétendre au paiement de l'indemnité de cessation du contrat prévue à l'article L. 134-12, comme en a décidé le premier juge.

En outre, c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le premier juge a condamné M. Boot à payer à la société Gilbert Chon et fils les sommes de 3 477,74 euro en indemnisation de son préjudice commercial lié à la perte de l'ensemble des clients danois attachés à son ancien agent, 624,31 euro correspondant aux frais de recouvrement contentieux exposés inutilement et 1 080 euro au titre de la facture n° 07001270 du 21 janvier 2008, déduction faite de la commission due, demeurée impayée ; il convient d'ajouter que ladite somme de 1 080 euro produira intérêts au taux légal à compter du 17 février 2009, date de réception d'une lettre recommandée de mise en demeure adressée à M. Boot.

La société Gilbert Chon et fils n'établit pas en quoi elle aurait subi un préjudice d'ordre moral du fait des explications, qu'elle a été contrainte de fournir à la société Det Danske à propos de l'intervention de la société France Contentieux et des agissements de son agent commercial ; le jugement entrepris doit ainsi être confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de paiement de dommages et intérêts de ce chef.

Succombant sur son appel, M. Boot doit être condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 1 500 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Montpellier en date du 20 janvier 2011, Y ajoutant, Dit que la somme de 1 080 euro produira intérêts au taux légal à compter du 17 février 2009, Condamne M. Boot aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Gilbert Chon et fils la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.