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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 9 mai 2012, n° 11-03398

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Afam France (SAS)

Défendeur :

Winstream (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

Mme Delattre, M. Brunel

Avocats :

SCP Deleforge-Franchi, Selarl Laforce, Mes Ninove, Rolland

T. com. Lille, du 20 avr. 2011

20 avril 2011

Vu le jugement contradictoire, rendu le 20 avril 2011 par le Tribunal de commerce de Lille, qui a condamné la SAS Afam France à payer à la SARL Winstream la somme de 79 550 euro au titre de l'indemnité de clientèle assortie des intérêts judiciaires, et à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Il a débouté la SARL Winstream de sa demande de remboursement de la carte commerciale et a débouté la SAS Afam France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions. Il a ordonné l'exécution provisoire.

Vu l'appel interjeté le 13 mai 2011 par la société Afam France ;

Vu les conclusions déposées le 12 août 2011 par la SAS Afam France ;

Vu les conclusions déposées le 25 octobre 2011 par la SARL Winstream ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 février 2012 ;

L'appelante requière de la cour de dire l'appel recevable et bien fondé, de réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille le 20 avril 2011 en ce qu'il a condamné la société Afam France à payer à la société Winstream la somme de 79 550 euro, de confirmer par contre ledit jugement en ce qu'il a débouté l'intimée de sa demande de remboursement de la somme de 45 247, 58 euro correspondant au prix de la carte dont elle a fait acquisition le 30 mars 2007, en tout état de cause de débouter purement et simplement la société Winstream de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à titre reconventionnel, de condamner l'intimée à lui payer une somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de de procédure civile ;

La SARL Winstream sollicite de la cour sur le fondement des articles 134-1 et suivants du Code de commerce et des articles 1110, 1128, 1226, 1184 et 1371 du Code civil que soit confirmé le jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 79 550 euro au titre de l'indemnité de fin de contrat et débouté la société Afam France de sa demande de dommages et intérêts, de réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de remboursement de la somme de 45 247, 58 euro, de dire cette cession de clientèle nulle et le paiement effectué sans cause, d'assortir les condamnations des intérêts légaux depuis le 30 mars 2007, d'ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil, de débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et conclusions et de la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de l'appel.

La SARL Winstream, société de représentation commerciale, a conclu un contrat d'agent commercial avec l'appelante, en date du 20 mars 2007, pour commercialiser les produits de la SAS Afam France sur 13 départements français pour une durée indéterminée. Par ce contrat la SARL Winstream s'engageait sur un objectif de vente de 630 000 euro et l'affectation de deux commerciaux pour assurer l'objectif de vente sachant que la SARL Winstream commercialise une autre gamme de produits, non concurrents de ceux de la SAS Afam France.

Le même jour, la SARL Winstream rachetait pour un montant de 45 247, 58euro HT la clientèle à la SAS Afam France. Dès le mois de juin 2007, le chiffre d'affaires réalisé par la SARL Winstream diminuait, tendance qui se poursuivait sur l'année 2008. Le 15 octobre 2008, un avenant au contrat d'agent commercial était signé entre les parties amenant l'objectif de vente à 500 000 euro HT annuellement. Devant une diminution continue du chiffre d'affaires, la SAS Afam France interpellait la SARL Winstream sur cet état de fait à plusieurs reprises. Le 25 mars 2010, la SAS Afam France par lettre recommandée avec accusé de réception envoyait un courrier à la SARL Winstream signifiant la fin du contrat d'agent commercial avec un préavis de trois mois à compter du 31 mars 2010. Le 26 avril 2010, La SARL Winstream répondait en contestant le bien-fondé de cette rupture.

La SARL Winstream estime qu'il n'y a pas eu de cession de clientèle à proprement parler le 30 mars 2007, l'acquisition d'une clientèle étant antinomique du statut d'agent commercial, que la clause est nulle, qu'il n'y a jamais eu de présentation de clientèle, ce qui correspond à l'existence d'une erreur obstacle qui oblige la société Afam France à restituer la somme de 45 247, 58 euro correspondant au prix de la carte, motif de son appel incident, que de facto, la société appelante a repris sa clientèle.

Elle estime ensuite que la rupture du mandat (la résiliation) a pour effet de remettre les parties où elles se trouvaient avant sa conclusion, que la non-réalisation du chiffre d'affaires fixé par le contrat, qui n'est ni une faute grave ni un motif légitime de rupture, ne s'explique pas par un manque d'activité de l'agent mais par la conjoncture, que révèle une baisse globale du chiffre d'affaires de la société Afam France sur les différents secteurs géographiques confondus, liée à la crise économique, et à l'existence de la concurrence très agressive d'un fabricant japonais. Elle ajoute que les motifs invoqués devant la cour ne sont pas plus probants, la preuve n'étant pas rapportée de ses manquements. Elle s'oppose à la demande reconventionnelle de l'appelante qui ne peut être basée que sur une inexécution fautive délibérée de l'agent dont la preuve n'est ici aucunement rapportée.

La SAS Afam France réplique que la baisse du chiffre d'affaires s'explique par le fait que l'intimée n'a pas déployé les deux commerciaux sur le secteurs comme elle s'engageait à le faire, qu'avant la conclusion de ce contrat, elle-même n'avait qu'un agent commercial sur le secteur qui réalisait à lui seul 500 000 euro de chiffre d'affaires annuellement, chiffre que n'a pas atteint l'intimée.

Elle relève également que cette baisse est due au non-respect par la société Winstream de l'obligation de lui consacrer toute son activité professionnelle, que la crise économique ne peut être un argument valable car la baisse du chiffre d'affaires est nette entre 2007 et 2008 alors que les effets de la crise ne se sont fait ressentir que postérieurement à ces années, que l'activité s'est ensuite effondrée, raison pour laquelle elle a décidé de résilier le contrat. Elle rappelle qu'elle n'avait pas pour obligation de justifier dans sa lettre de résiliation d'un motif quelconque, que l'agent doit exécuter son mandat en bon professionnel et manque à cette obligation s'il n'atteint pas les chiffres fixés, qu'il doit aussi rendre compte, l'ensemble de ces manquements constituant une faute grave contraire à l'intérêt commun.

En ce qui concerne la cession de clientèle, l'appelante fait valoir que le protocole prévoyait qu'en cas de résiliation, elle se réservait le droit de réacquérir sa clientèle, ce qu'elle n'a pas fait, qu'il s'agit d'une résiliation et non d'une résolution, que toute clientèle peut être cédée y compris celle qui est nécessaire à une activité d'agent commercial, qu'aucune indemnité ni remboursement ne sont dus.

Elle ajoute que l'inexécution des obligations du mandataire a entrainé pour le mandant un préjudice qu'elle estime à 200 000 euro.

Sur ce

Les parties ont entendu signer, ce dont elles ne disconviennent pas, un contrat d'agent commercial qui est un mandataire indépendant qui exploite la clientèle de son mandant en étant chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant. Par essence, l'agent commercial n'a pas de clientèle propre.

La société Afam a mis fin au contrat le 25 mars 2010, respectant les modalités de résiliation prévues au contrat et le préavis de trois mois; dans ce courrier, elle émet le grief unique de la non-atteinte du chiffre d'affaires contractuellement déterminé. La jurisprudence de la Cour de cassation n'impose pas au mandant qui rompt ce type de contrat d'y faire figurer ses griefs ou tous ses griefs; cela ne lui interdit pas, en tous cas, d'invoquer plus tard une faute, une faute grave ou un autre grief.

Cela dit, le fait qu'elle ait respecté la durée du préavis est une indication sur le fait qu'au moment de la rupture, elle n'était pas dans l'état d'esprit d'en invoquer une puisque le contrat l'autorisait, en cas de faute lourde, à rompre sans préavis.

Devant la cour, la société Afam France réitère le reproche déjà formulé de la baisse du chiffre d'affaires et des objectifs non atteints, mais y ajoute que la société Winstream n'a pas mis à son service les deux commerciaux promis et ne lui a pas consacré toute son activité, voire qu'elle a mal rendu compte, en contradiction avec ses obligations contractuelles.

A juste titre, l'intimée lui oppose qu'elle n'avait pas pris l'engagement de consacrer son activité à 100 % à la représentation des produits Afam France mais seulement à ne pas concurrencer les produits Afam et à "consacrer pour la clientèle et les produits concernés toute son activité professionnelle", l'article 6 précisant les autres produits représentés par elle. Elle apporte la preuve qu'elle a bien affecté deux commerciaux salariés sur le terrain, comme en fait foi les relevés de commissionnements recueillis par eux. Destinataire de ces relevés, la société Afam France a nécessairement été informée. En ce qui concerne l'insuffisance de résultats, outre que la jurisprudence est bien fixée qui ne considère pas que l'absence de résultat constitue une faute grave, à moins que cette insuffisance soit due à un manque d'activité de l'agent, qui au cas d'espèce, n'est pas avéré, la société Winstream apporte des éléments de nature à établir que la baisse du chiffre d'affaires était globale dans le secteur et conjoncturelle; la société Afam en acceptait l'augure puisqu'elle avait elle-même baissé la référence du chiffre d'affaires figurant dans le contrat initial. Il importe de rappeler que la faute grave qui permet de faire échec à l'application de L'article L. 134-12 qui prévoit par principe le paiement de l'indemnité compensatrice, par application de l'article L. 134-13, s'entend d'une faute qui porte atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel (Cass. com. du 15 octobre 2002); c'est au mandant qui l'invoque de rapporter la preuve d'une telle faute (même décision); au cas d'espèce, cette preuve fait défaut. Il convient en conséquence de confirmer la décision et d'accorder à la société Winstream le montant réclamé qui correspond comme classiquement à deux années de commissions.

Par ailleurs, la société Winstream réclame également le remboursement de la somme qu'elle a versée dans le cadre du "protocole de cession de clientèle", soit 45 247,58 euro signé le même jour que le contrat d'agent commercial. Le tribunal n'a pas fait droit à cette demande dans la mesure où en fin de contrat, il était prévu que la société Afam France se réservait le droit de réacquérir sa clientèle, ce qui n'était qu'une possibilité. Mais la cour ne peut entériner ce raisonnement, puisque par définition l'agent commercial n'a pas de clientèle propre et que celle qu'il développe, conformément à l'article L. 134-1 du Code commerce, est celle de son mandant (Cass. com., 26 février 2008) ; ainsi, l'agent n'a nul besoin de faire l'acquisition de la clientèle de son mandant pour l'exploiter; il ne serait plus agent commercial s'il en était propriétaire. Autrement dit, l'acte d'acquisition est contraire au statut, donc sans objet et sans cause; cette clause est sans valeur et doit être réputée non écrite; le remboursement de la somme versée s'impose avec les intérêts légaux depuis le 30 mars 2007, date de signature de ce prétendu acte de cession, qui n'a aucune contrepartie. Le jugement sera infirmé sur ce point. Il sera fait droit à la demande de capitalisation.

Il découle de cette démonstration que la société appelante doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes en ce compris ses demandes reconventionnelles; elle sera légitimement condamnée à payer 5 000 euro à l'intimée sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le débouté de la société Winstream de sa demande de remboursement ; Dit que le protocole de cession de clientèle du 30 mars 2007 sans cause est nul ; Condamne la société Afam France à rembourser la somme de 45 247,58 euro avec intérêts légaux à compter du 30 mars 2007 à la société Winstream ; Ordonne la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil ; Déboute la société Afam France de l'ensemble de ses demandes ; Condamne la société Afam France à payer à la société Winstream 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.