Cass. com., 22 mai 2012, n° 11-13.086
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Normand
Défendeur :
Carras, Chantiers Pierre Hauchard (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Blondel, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... que sur le pourvoi incident relevé par la société Chantiers Pierre Hauchard ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué ( Rennes, du 3 décembre 2010 ), que le 15 janvier 2003 M. Y... a vendu à M. X..., pour le prix de 121 960 euro, un bateau acquis en octobre 1997 auprès de la société Chantiers Pierre Hauchard (le constructeur) ; qu'ayant constaté la persistance d'entrées d'eau malgré plusieurs reprises de soudures sur la coque effectuées entre mars et août 2003, M. X... a obtenu la désignation d'un expert judiciaire puis a assigné M. Y..., le constructeur et la société les établissements Carras, intervenus pour remédier aux désordres, en résolution de la vente pour défaut de conformité et vices cachés, et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable : - Attendu que le constructeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à M. X... la somme de 72 295, 43 euro au titre du remboursement du prix du navire, alors, selon le moyen, que la non-conformité de la chose vendue ne peut résulter que d'une différence entre la chose livrée et les indications prévues au contrat ; qu'en l'espèce, la société Chantiers Pierre Hauchard faisait valoir que le contrat signé avec M. Y... ne précisait pas l'épaisseur de la tôle d'aluminium utilisée pour la construction du navire et que le seul document dont se prévalait M. X... pour soutenir que le navire aurait dû présenter une épaisseur de 8 mm et non de 6 mm était un plan type qui comportait en réalité une mention erronée et qui n'était pas entré dans le champ contractuel ; que, pour retenir un défaut de conformité, la cour d'appel a considéré que le plan type visé en août 1997 mentionnait une épaisseur de la tôle de fond de coque de 8 mm et que cette épaisseur avait été contractuellement prévue ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs insuffisants pour établir l'existence d'un accord des parties sur l'épaisseur de la tôle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1604 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le navire doit être conforme au plan type des navires Etretat, visé par le bureau Véritas en août 1997 lors du contrôle de solidité de la structure de coque, lequel prévoit une épaisseur de 8 mm pour les tôles de fond, que si, selon ce même bureau, une épaisseur de 6 mm pouvait être satisfaisante elle imposait une diminution de la puissance du moteur ; qu'il relève encore qu'aucun élément ne vient étayer la thèse du constructeur relative à une erreur de transcription de l'épaisseur du bordé de fond lors de la réalisation du plan après la construction de la coque et que l'utilisation de tôles de 6 mm pour tous les bateaux construits après 1990 n'est pas démontrée ; que, par ces seuls motifs, dont il résulte que le constructeur s'était contractuellement engagé sur une épaisseur de tôle de 8 mm, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi : - Attendu que le constructeur fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que le vice de la chose n'est de nature à permettre l'exercice de l'action rédhibitoire qu'à la condition qu'il ait rendu la chose vendue impropre à sa destination ; qu'en l'espèce, la société Chantiers Pierre Hauchard faisait valoir que les cornières soudées n'avaient pas d'influence sur la structure résistante du fond de coque puisqu'elles n'avaient pour but que d'améliorer la stabilité de route et le sillage ; qu'en se bornant à relever que l'expert avait réfuté la thèse des Chantiers Hauchard selon laquelle les lisses n'avaient pas d'effet " rigidificateur " et que cet expert avait indiqué que les défauts du navire affectaient sa destination, sans expliquer en quoi les prétendus défauts de positionnement des lisses avaient pu affecter la résistance de la tôle de fond de coque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du Code civil ; 2°) que le vice de la chose n'est de nature à permettre l'exercice de l'action rédhibitoire qu'à la condition qu'il ait été antérieur à la vente ; qu'en l'espèce, la société Chantiers Pierre Hauchard faisait valoir que les fissures litigieuses n'étaient apparues qu'après plus de 6 000 heures de navigation et après l'intervention des établissements Carras et l'événement de mer survenu en mars 2003 ; qu'en retenant un vice caché sans rechercher si l'intervention des établissements Carras et l'événement de mer n'étaient pas à l'origine d'une usure prématurée des tôles de fond de coque, qui n'avaient présenté auparavant aucun défaut notable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'il résulte du rapport d'expertise que les fissures des tôles apparues à plusieurs endroits du bordé de fond sont dues à une fatigue par alternance qui a son origine au niveau des éléments de la structure du navire, que la thèse du constructeur selon laquelle les lisses n'ont pas d'effet rigidificateur doit être écartée, que l'engagement des filets dans l'hélice n'est pas à l'origine des fissures qui sont dues à une alternance et non à une frappe ; qu'ayant ainsi fait ressortir l'existence d'un défaut de construction, antérieur à la vente, affectant la destination du navire, non décelable par les acquéreurs au moment des ventes successives, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du même pourvoi : - Attendu que le constructeur fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il résulte des écritures échangées par les parties ; qu'en l'espèce, la société Chantiers Pierre Hauchard faisait valoir que le navire " U-Ribellu " était à l'état d'abandon total et en déduisait qu'à supposer la résolution du contrat prononcée, le remboursement des sommes payées par M. Y... n'était concevable qu'à la condition de la restitution d'un bateau en parfait état ; qu'elle faisait ainsi valoir qu'en raison de l'état déprécié du navire, il convenait de tenir compte de cette dépréciation pour déterminer la dette de restitution éventuellement à sa charge, avec une restitution en nature d'un navire en parfait état ou, à défaut, avec une restitution par équivalent sous la forme d'une indemnité pour la dépréciation liée à l'usage ; qu'en considérant que la société Chantiers Pierre Hauchard n'aurait formulé aucune demande au titre de la dépréciation du navire, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Chantiers Pierre Hauchard et violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que, en toute hypothèse, le vendeur peut réclamer à l'acheteur, qui obtient la résolution du contrat de vente, une indemnité correspondant à la dépréciation due à l'usage de la chose ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le navire avait "subi un vieillissement et une usure liée à son usage par deux patrons pêcheurs successifs depuis octobre 1997" ; qu'en condamnant la société Chantiers Pierre Hauchard à restituer à M. X... la somme de 72 295, 43 euro sans en déduire le montant de la dépréciation qu'elle avait pourtant constatée, la cour d'appel a violé les articles 1184, 1604 et 1641 du Code civil ;
Mais attendu que, lorsque l'acquéreur exerce l'action rédhibitoire prévue par l'article 1641 du Code civil, le vendeur, tenu de restituer le prix reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation ; que dès lors la cour d'appel, qui n'a pas commis la dénaturation alléguée, a ordonné à bon droit la restitution par le constructeur à l'acquéreur final du seul prix de vente perçu de son propre acquéreur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en restitution du prix versé à M. Y..., alors, selon le moyen, que la résolution du contrat de vente opère rétroactivement ; qu'aussi bien, par l'effet de la résolution de la vente initiale, conclue entre le constructeur, la société Chantiers Pierre Hauchard, et le premier acquéreur, M. Y..., ce dernier était réputé n'avoir jamais été propriétaire du navire " U-Ribellu ", de sorte que la revente de ce même navire à M. X... se trouvait anéantie par voie de conséquence, M. Y... étant sur ce fondement tenu à la restitution du prix versé par M. X... entre ses mains ; qu'en statuant comme elle le fait, la cour viole les articles 1184 et 1599 du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en cas de résolution d'une vente, la restitution du prix perçu par le vendeur est la contrepartie de la chose remise par l'acquéreur et qu'ainsi, seul celui auquel la chose est rendue doit restituer à celui-ci le prix qu'il en a reçu ; qu'ayant fait droit à l'action contractuelle directe à l'encontre du constructeur, fondée sur la non-conformité de la chose et sur la garantie des vices cachés, la cour d'appel en a exactement déduit que seul le constructeur, auquel le navire devait être remis, était tenu à la restitution du prix ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi : - Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir limité à la somme principale de 71 836 euro le montant des dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'exploitation, alors, selon le moyen, qu'ayant retenu que le préjudice d'exploitation subi par M. X... s'établissait, d'une part, à la somme de 3 132 euro pour la période du 15 janvier 2003 à septembre 2003, d'autre part, et pour la période postérieure, à la somme déduction faite des salaires et charges sociales de 71 836 euro, la cour d'appel ne pouvait limiter à cette dernière somme l'indemnité totale allouée au titre du préjudice d'exploitation né de l'immobilisation du navire, sauf à laisser sans réparation les pertes d'exploitation subies au titre de la première période, en violation du principe de la réparation intégrale du dommage et de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que, sous le couvert d'une violation de la loi, le moyen critique une omission matérielle qui peut être réparée par la procédure prévue à l'article 462 du Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas recevable ;
Et sur le troisième moyen du même pourvoi : - Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande d'indemnisation de ses préjudices financiers complémentaires, alors, selon le moyen : 1°) que dès lors que la victime justifie de l'existence même de son préjudice, les juges ont l'obligation de l'évaluer et ne peuvent, sauf à commettre un déni de justice, rejeter purement et simplement la demande d'indemnisation qui leur est soumise, motif pris de l'insuffisance des éléments de preuve versés aux débats pour justifier de son quantum ; qu'ainsi, en se retranchant derrière l'insuffisance des éléments produits aux débats par M. X... pour justifier de ses préjudices financiers, sans vérifier si la nécessité dans laquelle il s'était trouvé de faire face au coût d'acquisition d'un second navire, en raison de la défaillance du premier, n'était pas nécessairement à la source d'un préjudice financier dont l'existence même devait être regardée comme certaine, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du dommage, des articles 4 et 1147 du Code civil, ensemble au regard de l'article 12 du Code de procédure civile ; 2°) qu'ayant elle-même constaté qu'avaient été versés aux débats, pour la même période du 1er janvier au 31 décembre 2003, les comptes de résultat afférents à l'exploitation des navires U-Ribellu et Océanide, lesquels faisaient apparaître, pour chacun des deux navires, le montant de l'endettement et les intérêts d'emprunt, la cour d'appel ne pouvait manquer de rechercher si ces documents, à les supposer même insuffisants pour évaluer le préjudice financier, ne faisaient pas à tout le moins la preuve de l'existence même de ce préjudice, d'où il suit que l'arrêt est entaché d'une insuffisance de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient d'abord que M. X... ne produit aux débats ni l'acte de prêt qui aurait pu être souscrit pour l'acquisition du navire U-Ribellu ni le tableau d'amortissement, que seuls sont versés les comptes de résultat des deux navires pour l'année 2003 ; qu'il relève ensuite que M. X... ne rapporte pas la preuve de la prétendue perte d'exploitation due à un sous-équipement, dont il ne précise pas la nature, conséquence d'un manque de trésorerie ; qu'ayant ainsi souverainement apprécié la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a pu écarter, par une décision motivée, l'existence du préjudice financier complémentaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.