CA Bordeaux, 2e ch. civ., 7 juin 2012, n° 10-01402
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gai France (SA), Gan Assurances (SA)
Défendeur :
Chartis Europe (SA), William Pitters, (SA), Gai Spa (SA), Zurich Insurance Company (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bancal
Conseillers :
Mmes Rouger, Faure
Avocats :
SCP Taillard Janoueix, SCP Puybaraud, SCP Touton Pineau, Figerou, SCP Arsene-Henry Lancon, Mes Pourrez, Danthez, Combeaud, Dufraiche, Adrien, Argan, Avril, Despaux
La société de droit italien Gai Spa est spécialisée depuis plus de cinquante ans, dans la production de machines destinées à l'industrie viticole et notamment la fabrication d'appareils pour la mise en bouteilles de vins.
Le 13 septembre 1999, la société Gai Spa a vendu à la société Gai France une machine rinceuse-tireuse-boucheuse.
La société Gai France a fourni le 24 juillet 2000 cette machine avec une formation du personnel, à la société William Pitters.
Au cours du mois de janvier 2001, la société William Pitters a été avertie de ce que son client japonais la société Takara Wine Spirit avait trouvé des fines particules de verre dans un lot de presque 80 000 bouteilles.
La société Gai France a procédé alors au remplacement des becs diffuseurs de la machine et la société William Pitters a fait constater le 7 février 2001 par huissier cette modification.
Le 6 juin 2001, la même société Takara a également relevé la présence de particules de verre dans des bouteilles de vin.
Les 21 et 22 juin 2001, la société Gai France est intervenue pour procéder au changement des cônes centreurs de la boucheuse.
Le 12 septembre 2001, la société William Pitters informait la société Gai France que deux incidents se seraient produits à nouveau les 25 juin et 5 juillet 2001.
Une "expertise amiable" a eu lieu entre la société William Pitters et la société Gai France et leurs assureurs courant septembre 2001 et octobre 2001.
En décembre 2001, la société William Pitters a fait procéder au remplacement des becs par la société AMP qui a ajouté une bague centreuse.
Par actes d'huissier du 28 novembre et 1er décembre 2003, la société William Pitters et son assureur AIG Europe ont assigné, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux, la société Gai France et son assureur la société Gan, afin d'obtenir l'organisation d'une expertise.
Par ordonnance du 10 février 2004, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux a désigné monsieur Alain Barrot en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 11 mai 2006.
Par acte d'huissier du 10 novembre 2006, la société William Pitters et la compagnie d'assurances AIG Europe devenue Chartis Europe ont assigné devant le Tribunal de commerce de Bordeaux la société Gai France et son assureur la société Gan Assurances Iard afin d'obtenir réparation de leur préjudice à hauteur de 276 509,54 euro.
Par acte du 22 mars 2007, l'huissier de justice a transmis à l'entité requise italienne une assignation de la société Gan Assurances diligentée contre la société Gai Spa. Par acte d'huissier du 2 mai 2007, l'entité requise italienne a signifié cette assignation devant le Tribunal de commerce de Bordeaux à la société Gai Spa afin que celle-ci la garantisse contre toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.
La société Gai Spa a appelé en garantie son propre assureur la société Zurich Insurance Company.
Par jugement du 25 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Bordeaux :
-a prononcé la jonction des instances,
-a donné acte à la société AIG Europe de sa nouvelle dénomination sociale Chartis Europe,
-a rejeté toutes les exceptions d'irrecevabilité, territorialité, de nullité, d'incompétence et de prescription soulevées par les défendeurs,
-s'est déclaré compétent,
-a déclaré inopposable à la société Gai Spa et à son assureur la SA Zurich Insurance Company les conclusions de l'expertise,
-a prononcé la mise hors de cause de la société Gai Spa et de son assureur la SA Zurich Insurance Company,
-a dit que la SA Gai France a engagé exclusivement et intégralement sa responsabilité contractuelle,
-a condamné la société Gai France à payer à la SA William Pitters et à Chartis Europe la somme totale de 111 635,74 euro avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, à compter de l'assignation,
-a condamné la SA Gai France à payer à la SA William Pitters et à la société Chartis Europe la somme de 1 500 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
-a condamné la société Gan Assurances Iard à payer à la SA William Pitters et à la société Chartis Europe la somme de 1 500 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
-a prononcé l'exécution provisoire,
-a condamné la société Gan Assurances à relever et garantir la SA Gai France de toutes condamnations en principal, intérêts, accessoires et frais qui sont prononcées à son encontre.
La société Gan Assurances a interjeté appel le 3 mars 2010.
La société Gai France a interjeté appel incident le 8 juillet 2010.
Les deux appels ont été joints par mention au dossier le 23 novembre 2010.
Les conclusions de la société Gan Assurances Iard, appelante, du 30 juin 2010 tendent à :
in limine litis :
-voir donner acte à la société Gan assurances Iard de ce qu'elle fait droit aux conclusions de son assurée la SA Gai France sur l'exception d'incompétence ratione loci du Tribunal de commerce de Bordeaux au profit du Tribunal de commerce de Draguignan,
au visa des articles 1147 et 1386-1 du Code civil :
-voir constater que la responsabilité de la société Gai France ne peut être engagée au titre de son obligation de délivrance,
-voir réformer le jugement en déboutant la société William Pitters et la société Chartis Europe de leurs demandes,
-voir condamner solidairement la société William Pitters et la société Chartis Europe au paiement d'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,
Subsidiairement, si la cour retient la responsabilité de la société Gai France en tout ou partie :
-voir condamner la société de droit italien Gai Spa, en sa qualité de fabricant de la machine à relever la société Gai France et son assureur de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre sur le fondement des dispositions de l'article 1147 et suivants et 1386-1 et suivants du Code civil,
-voir condamner dans cette hypothèse la société Gai Spa à payer à la société Gan Assurances Iard la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Les conclusions de la société Gai France, appelante, du 13 mai 2011 tendent à :
-voir recevoir la société Gai France en son exception d'incompétence,
-voir réformer le jugement déféré,
-voir renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Draguignan,
subsidiairement :
-voir dire que la présente action relève par nature du domaine d'application de la garantie des vices cachés eu égard notamment au caractère purement aléatoire des désordres évoqués, et des défauts sur la machine à embouteiller allégués,
-voir constater que la présente instance n'a pas été engagée à bref délai voire à défaut dans un délai de deux ans à compter de la constatation du vice allégué,
-en conséquence, voir déclarer "l'instance" prescrite,
très subsidiairement :
-voir réformer le jugement entrepris,
-voir dire n'y avoir lieu à responsabilité de la société Gai France dans cette affaire et la mettre hors de cause, et à défaut dire n'y avoir lieu à indemnisation de la société AIG Europe et la société William Pitters,
en toute hypothèse :
-voir débouter la société AIG Europe et la société William Pitters de l'ensemble de leurs demandes,
-voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Gan à relever et garantir la société Gai France de toutes condamnations en principal, intérêts et accessoires qui pourraient être prononcées à son encontre, dans le cadre de la présente instance,
-voir condamner Gan Assurances à payer toutes condamnations en principal, intérêts et frais qui pourraient être prononcées à son encontre dans le cadre de la présente instance,
-voir condamner solidairement "et indéfiniment" la compagnie AIG Europe et la société William Pitters au paiement de la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Les conclusions de la société Chartis Europe (anciennement AIG Europe) et de la société William Pitters, du 23 décembre 2011 tendent à :
-voir confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
-écarté l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Bordeaux au profit du Tribunal de commerce de Draguignan, invoquée par les sociétés Gai France et Gan assurances,
-caractérisé le manquement de la société Gai France à son obligation contractuelle en n'ayant pas livré et mis au point une machine conforme au bon de commande et à la facture émise par elle et par conséquent, jugé que la société Gai France a engagé exclusivement et intégralement sa responsabilité contractuelle et que le préjudice subi par les sociétés William Pitters et Chartis Europe donnera lieu à des dommages et intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1147 du Code civil,
-condamné la société Gai France aux dépens y compris les frais d'expertise,
-condamné la société Gan Assurances Iard à relever et garantir la société Gai France de toutes condamnations qui ont été prononcées à son encontre,
-voir infirmer partiellement le jugement sur la question des préjudices,
-voir dire et juger que les préjudices subis par les sociétés William Pitters et Chartis Europe s'élèvent à 276 509,54 euro,
-voir condamner solidairement la société Gan France et son assureur Gan à payer aux sociétés William Pitters et Chartis Europe la somme de 276 509,54 euro, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter de la date d'assignation,
-voir condamner solidairement la société Gai France et son assureur la société Gan Assurances à payer aux sociétés William Pitters et Chartis Europe la somme de 25 000euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Les conclusions de la société Spa Gai du 13 mars 2012 tendent à :
-voir déclare la société Gan Assurances irrecevable et mal fondée en ses demandes,
-voir confirmer le jugement déféré sur les points soulevés à l'encontre de la société Gai Spa et constater l'inopposabilité à la société Gai Spa des rapports d'expertise produits dans ce litige et déclarer les demandes de la SA Gan Assurances tant irrecevables que mal fondées et l'en débouter,
-voir déclarer la société Gai Spa recevable et bien fondée en son appel incident,
-voir infirmer le jugement en ce que :
-il a débouté la société Gai Spa de son exception d'incompétence territoriale,
-il a débouté la société Gai Spa de son exception de nullité de l'assignation adverse,
-il a débouté la société Gai Spa de son exception subsidiaire selon laquelle la société Gan Assurances manque de qualité à agir et elle est donc irrecevable dans son action,
-il a débouté la société Gai Spa de son exception ultérieurement subsidiaire selon laquelle toute action à l'encontre de la société Gai de droit italien est désormais prescrite,
en conséquence :
-voir déclarer sur le fondement notamment des articles 2 et 5 du règlement CA N° 44-2001 et en vertu de la clause de compétence contractuelle, le Tribunal de commerce de Bordeaux territorialement incompétent et inviter la demanderesse, la société Gan assurances à mieux se pourvoir devant les juridictions italiennes compétentes et notamment devant le Tribunal de Alba,
subsidiairement :
-voir déclarer sur le fondement des articles 56 et 112 du Code de procédure civile que l'assignation signifiée à la société Gai Spa dans la seule traduction en italien et sans préciser le fondement juridique de l'action est nulle et sans effet et en conséquence, déclarer les demandes de la société gan assurances tant irrecevables que mal fondées et l'en débouter,
très subsidiairement :
-voir déclarer que la société Gan manque de qualité à agir et en conséquence la voir déclarer irrecevable en ses demandes,
encore plus subsidiairement :
-voir déclarer prescrite l'action de la société Gan Assurances et cela alternativement sur le fondement des articles 1386-17 du Code civil français, du DPR italien n° 224 du 24 mai 1988, de l'article 1648 du Code civil français, de l'article 1495 du Code civil italien, de l'article 49 de la convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises et en conséquence, déclarer les demandes de la société Gan Assurances irrecevables et les débouter,
en tout état de cause :
-voir dire que la compagnie Zurich sera condamnée en toute hypothèse à relever et garantir la société Gai Spa de toutes condamnations en principal, intérêts et frais qui viendraient à être prononcées contre la société Gai Spa à la demande de la société Gan assurances,
-voir condamner solidairement la société Zurich Insurance et la société Gan Assurances au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les conclusions de la SA Zurich Insurance Company du 18 mai 2011 tendent à :
-voir confirmer le jugement déféré,
-voir mettre hors de cause la société Zurich Insurance Company,
-voir condamner toute partie succombante à une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,
subsidiairement :
voir constater que la police d'assurance Zurich souscrite par la société Gai Spa n'a pas vocation à couvrir les désordres avérés antérieurement à la souscription de ladite convention,
à défaut :
-voir prononcer la déchéance de garantie à l'encontre de la société Gai Spa pour les désordres dénoncés par la société William Pitters,
-en conséquence, voir débouter la société Gai Spa de ses demandes,
subsidiairement :
-voir constater que les réclamations de la société Gan Assurances, assureur de la société Gai France sont prescrites à l'encontre du fabricant,
-voir mettre hors de cause la société Zurich Assurances,
-voir condamner toute partie succombante à une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,
très subsidiairement :
-voir dire et juger que la garantie de la société Zurich sera mobilisée dans les limites du contrat d'assurances souscrit par la société Gai Spa,
en conséquence :
-après application des exclusions de garantie et du découvert obligatoire minimum par dommage, voir constater que cette police n'a vocation à ne couvrir que la somme de 15 121 euro.
Les deux dossiers ont été joints par mention au dossier du 23 novembre 2010.
Vu l'ordonnance de clôture du 13 mars 2012 laquelle a été reportée à l'audience à la date des plaidoiries, le principe du contradictoire ayant été respecté.
Motifs
Sur la compétence :
La société Gai France soulève l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Bordeaux au profit du Tribunal de commerce de Draguignan en application de la clause attributive de compétence.
L'article 48 du Code de procédure civile prévoit qu'une telle clause est licite entre commerçants dès lors qu'elle est spécifiée de manière très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée. Or, cette clause n'apparaît pas sur la confirmation de commande du 27 mars 2000 qui n'est en outre signée que par le représentant de la société Gai France. La pièce n° 4 invoquée par la société Gai France n'est pas un bon de commande mais un bon de livraison du 20 juillet 2000 qui a été signé par la société William Pitters au moment de la réception des colis et qui ne constitue qu'un document de transport relatif au nombre de colis : 3 et de la somme à assurer : 192 837 euro avec une description succincte de la machine livrée. Il ne s'agit donc pas d'un engagement préalable de la part de l'acquéreur exigé pour l'acceptation de la clause dérogatoire de compétence.
En conséquence, le Tribunal de commerce de Bordeaux dans le ressort duquel la livraison de la machine a été effectuée est donc compétent. Le jugement sera confirmé sur ce point.
La société Gai Spa de droit italien soulève l'incompétence au profit du Tribunal italien d'Alba. Or le Tribunal de commerce de Bordeaux a été saisi en premier lieu par la société Gan Assurances à l'encontre de la société Gai Spa par acte d'huissier du 2 mai 2007 alors que le Tribunal d'Alba saisi sur le litige Gan assurances, Gai France et la société Zurich assurances n'a été saisi que le 23 septembre 2008.
Par jugement du 1er décembre 2008, le Tribunal d'Alba a prononcé un sursis à statuer en application de l'article 27 du règlement CE 44-2001. L'article 27 du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000 dispose que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.
L'article 5 du même règlement prévoit que, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été exécutée et plus précisément pour la vente de marchandises, le lieu où les marchandises ont été livrées.
L'article 6 du dit règlement prévoit qu'une personne d'un autre Etat membre peut être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles, par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger ensemble en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
En application de ces articles, le tribunal saisi en premier lieu est compétent et compte tenu du lien de connexité entre le litige opposant la société Gai France à la société William Pitters et celui opposant la société Gai France à la société Gai Spa et son assureur, le Tribunal de Bordeaux, saisi en premier lieu et lieu de livraison de la machine par la société Gai France, demeure compétent pour statuer sur cet appel en garantie.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le fondement juridique :
Au préalable, il convient de considérer qu'il s'agit d'un contrat de vente d'une machine et non d'un contrat d'entreprise. En effet, la machine fournie est standard et il a été ajouté en option divers éléments eu égard à la facture du 24 juillet 2000 notamment des équipements pour s'adapter aux diverses variétés de bouteilles. Le montage de la machine, la mise en route et la formation du personnel ont représenté un coût de 23 999,96 F sur une facture totale de 1 250 000 F.HT ce qui n'est donc pas significatif pour caractériser un ouvrage.
S'agissant d'un contrat de vente, le régime spécial de la vente a donc vocation à s'appliquer et non celui de la responsabilité contractuelle de droit commun invoquée par la société William Pitters et son assureur la société Chartis Europe.
Par ailleurs, celles-ci font état d'une livraison et d'une mise au point de la machine non conformes à la commande.
La non conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance. En revanche, la non conformité de la chose à sa destination normale relève de la garantie des vices cachés.
Il s'agit donc d'apprécier si, en l'espèce, les désordres sont imputables à un manquement à l'obligation de délivrance ou à un vice caché.
L'expert Barrot a repris dans son rapport tout le processus du plan de production des bouteilles fournies à la société Takara (p 7-8-9 de son rapport) pour constater que la traçabilité des lots défectueux était certaine.
Il a analysé les 12 bouteilles défectueuses provenant de l'incident signalé en juin 2001 par la société Takara. Il ainsi relevé des éclats millimétriques nombreux et des traces de choc sur le col des bouteilles comportant ces éclats de verre, constaté que ces faces d'éclats sont parallèles à l'axe du col indiquant que l'objet ayant provoqué les éclats était animé d'un mouvement parallèle au col et descendant. Il a confirmé la conclusion de l'Institut du verre, saisi au préalable, qui a déclaré que les débris de verre contenus dans la bouteille proviennent de l'ébréchure de la bague.
L'expert Barrot a éliminé l'hypothèse de collision bouchon/col. En revanche, il a analysé que le bec du tube évacuateur d'air est incliné à 45° de l'axe du col, que, en cas de contact entre le bec et le col, il y a glissement sur le bord du col, générant une scission dans le matériau du col, parallèle au plan de contact, donc inclinée de 45° par rapport à l'axe du col ; la rupture du verre intervient selon la direction de la contrainte normale associée, c'est à dire à 45° de la direction de la scission, donc perpendiculairement à l'axe du col, ceci étant en accord avec la topographie des écailles.
L'expert a expliqué ces désordres par un guidage insuffisant des bouteilles au cours de la phase de remplissage, provoquant une collision entre le bec, qui faisait office de centreur, et la bouteille, pour les bouteilles désaxées. Il relève que la bague additionnelle réalisée par la société AMP impose à la bouteille un positionnement certain, interdisant toute collision entre le bec de remplissage et le col et que toute possibilité de mauvais centrage de la bouteille étant supprimé, aucun incident n'est survenu après la mise en place des becs AMP.
Il a conclu à un défaut de conception de la machine, malgré le caractère aléatoire des incidents, rappelant que la possibilité de collision entre les becs de remplissage et les bouteilles devait être nulle, alors qu'avec des becs de la société Gai France, elle s'était produite, ce qui était inadmissible. Il a imputé le phénomène au comportement mécanique de l'ensemble entraînant un défaut de positionnement des bouteilles dans des conditions de fonctionnement très spécifiques de température et de cadence. Ces conditions ne sont en rien imputables à la société William Pitters qui doit pouvoir obtenir une cadence de 8 000 bouteilles par heure comme indiqué sur la facture de vente de la machine. Par ailleurs, aucune consigne de température n'a été donnée.
L'expert a exclu les procédures d'entretien comme cause du phénomène et la société Gai France ne peut prétendre, sans le démontrer, que l'insuffisance de graissage des éléments et l'usure des joints qu'elle a constatés à l'occasion de contrôles sont à l'origine de la collision bec/col.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les désordres ont pour cause l'impossibilité des becs verseurs de remédier au décentrage de la bouteille, provoquant ainsi une collision entre la bouteille et le bec verseur, à l'origine de l'ébréchure du col de la bouteille donnant lieu aux particules de verre retrouvées dans les bouteilles. Ces becs verseurs inadaptés caractérisent un défaut de conception et constituent donc un vice caché antérieur à la vente et non pas un défaut de conformité à la commande, la machine livrée correspondant aux caractéristiques de la commande.
La société William Pitters et son assureur au soutien de l'engagement de la responsabilité contractuelle de la société Gai France ont invoqué les articles 1386-1 et suivant du Code civil relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux. Or cette responsabilité issue de la directive 85-374-CE du Conseil ne concerne pas la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage et ne vise que le producteur s'il est identifié. La société Gai France est en l'espèce le fournisseur professionnel de la machine litigieuse à l'origine des désordres et le producteur est la société Gai Spa contre laquelle la société William Pitters et son assureur n'ont pas dirigé leur action.
Le régime prévu aux articles L. 1386-1 et suivants du Code civil n'est donc pas applicable à l'espèce.
En conséquence, l'action de la société William Pitters et de son assureur fondée sur un vice de conception est soumise au régime de l'action en garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil.
L'article 1648 du Code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 février 2005, applicable ici compte tenu de la date du contrat de vente, prévoit que l'action doit être intentée à bref délai à compter de la découverte du vice.
Le vice a été découvert dès 2001 puisque la société de droit japonais Takara a signalé la présence de particules de verre dès janvier 2001, la société Gai France a alors procédé à un remplacement des becs diffuseurs de la machine en février 2001 et des cônes centreurs en juin 2001, sans résultat, et que ce n'est qu'à la suite de la mise en place de becs verseurs fournis avec une bague de recentrage par la société AMP en décembre 2001 que les incidents ont cessé. Ainsi, les désordres ont été connus dès 2001. Une expertise amiable est intervenue en septembre et octobre 2001 dont les conclusions ne sont pas produites devant la cour. Toutefois, l'expertise judiciaire de monsieur Barrot n'est venue que confirmer l'hypothèse retenue en 2001.
La société William Pitters et son assureur la société AIG Europe devenue ensuite la société Chartis Europe ont intenté une action en référé devant le Tribunal de commerce de Bordeaux par actes des 28 novembre et 1er décembre 2003.
Compte tenu du délai écoulé entre les premières interventions pour remédier aux désordres de février 2001 voire de décembre 2001 et la date de ces assignations, il convient de considérer que l'action n'a pas été intentée à bref délai. Elle est donc prescrite. Aucun événement n'est venu interrompre cette prescription dès lors que l'indemnité perçue par la société William Pitters à hauteur de la somme de 100 000 euro provient de sa propre compagnie d'assurances.
L'action de la société William Pitters et de la société Chartis Europe formée contre la société Gai France et son assureur la société Gan Assurances est donc irrecevable. Le jugement sera donc réformé.
Sur les demandes formées contre la société Gai Spa :
L'action principale diligentée par la société William Pitters et la société Chartis Europe à l'encontre de la société Gai France et son assureur Gan Assurances étant irrecevable, l'appel en garantie diligenté par ces derniers à l'encontre de la société Gai Spa et celui de la société Gai Spa à l'encontre de son assureur Zurich Insurance deviennent sans objet. Il n'y a lieu dès lors de statuer ni sur leur recevabilité, ni sur leur régularité, ni sur le fond, le jugement entrepris devant être dès lors réformé.
L'équité commande d'allouer à la société Gai France et la société Gan Assurances, une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'équité commande également d'allouer à la société Gai Spa et la société Zurich Insurance une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile qui sera supportée par la société Gan Assurances.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis exclusivement à la charge des sociétés Chartis Europe et William Pitters dès lors qu'elles sont à l'origine de l'action principale qui a ensuite induit l'appel en garantie diligenté à l'encontre de la société Gai Spa et de son assureur.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence et condamné la société Gan Assurances Iard au paiement de la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile aux sociétés Gai Spa et Zurich Insurance Company, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau et y ajoutant : Déclare irrecevable l'action intentée par la société William Pitters et la société Chartis Europe contre la société Gai France et son assureur la société Gan Assurances, Déclare en conséquence sans objet l'appel en garantie diligenté par la société Gai France et la société Gan Assurances à l'encontre de la société Gai Spa et celui diligenté par la société Gai Spa à l'encontre de la société Zurich Insurance Company, Condamne in solidum la société Chartis Europe et à la société William Pitters à payer à chacune des sociétés Gan Assurances Iard et Gai France la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Gan Assurances Iard à payer à chacune des sociétés Gai Spa et Zurich Insurance la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum la société Chartis Europe et la société William Pitters aux dépens de première instance et d'appel dont distraction en application de l'article 699 du Code de procédure civile.