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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 30 avril 2012, n° 11-00865

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Joly

Défendeur :

Cabinet Bedin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lafon

Conseillers :

MM. Sabron, Lippmann

Avocats :

SCP Casteja Clermontel, Jaubert, SCP Delavallade-Gelibert-Delavoye, SCP Taillard Janoueix, Me Prunières-Le Moigne

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 11 janv. 20…

11 janvier 2008

LES DONNEES DU LITIGE

Le 1er août 2000, la SA Cabinet Bedin a signé avec Madame Aimée Joly, alors âgée de 54 ans, un contrat d'agent commercial à durée indéterminée ayant pour objet la prospection de toutes catégories de clientèle en matière immobilière et de fonds de commerce sur l'ensemble du territoire de la Gironde.

Ce contrat se référait à la loi du 25 juin 1991 régissant le statut des agents commerciaux, aujourd'hui codifiée sous les articles L. 134-1 à L. 134-16 du Code de commerce.

Le délai de préavis était fixé en fonction du nombre d'années d'exercice, conformément aux dispositions de l'article L. 134-11 du Code précité ; il était en outre stipulé que son terme devrait coïncider avec la fin d'un mois civil.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2005, présentée le 26 novembre 2005, la SA Cabinet Bedin qui invoquait une baisse du chiffre d'affaires généré par l'activité de l'agent par rapport à celui 2004 a mis fin au contrat de Madame Joly à compter du 24 février 2006, étant précisé qu'au regard des années d'exercice le préavis était de trois mois.

Par acte du 27 février 2007, Madame Aimée Joly qui n'avait formé avant cette date aucune demande écrite, a fait assigner la SA Cabinet Bedin devant le Tribunal de commerce de Bordeaux pour obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce et visée au contrat tendant à réparer le préjudice subi par l'agent en cas de cessation de ses relations avec le mandant.

L'indemnité réclamée correspondait à deux années de commissions calculées sur la base de la moyenne des trois dernières années, 2003, 2004 et 2005, soit une somme de 48 394,04 euro.

La SA Cabinet Bedin a opposé une fin de non-recevoir fondée sur les dispositions de l'article L. 134-12 alinéa 2 du Code de commerce qui prévoient que l'agent perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant qu'il entend faire valoir ses droits dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat.

Le tribunal de commerce a par jugement du 11 janvier 2008 considéré que Madame Joly était déchue de son droit à indemnité compensative en application de ces dispositions dès lors qu'elle n'avait notifié au mandant son intention de se prévaloir de son droit à indemnité que le 27 février 2007, plus d'un an après la cessation effective des relations contractuelles qui avait eu lieu le 24 février 2006, en conformité avec les termes de la lettre du mandant.

Madame Joly a relevé appel de ce jugement que par un arrêt du 18 janvier 2011 [sic], la deuxième chambre de la Cour d'appel de Bordeaux a infirmé en retenant que, si l'agent reconnaissait avoir exécuté son contrat jusqu'à la date du 24 février 2006 et pas au-delà, ce qui ne pouvait pas lui être reproché, la date de la cessation des relations correspondait à l'expiration du préavis telle qu'elle résultait du strict respect du contrat, c'est-à-dire, ce dernier stipulant que le préavis à respecter devait coïncider avec la fin d'un mois civil, le 28 février 2006.

La SA Cabinet Bedin a été condamnée à payer à Madame Joly la somme de 48 394,04 euro avec intérêts au taux légal à compter du 27 février 2007, date de l'assignation, outre une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur pourvoi de ladite société, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux en toutes ses dispositions et renvoyé les parties devant la même cour autrement composée.

La Cour de cassation relève qu'en statuant dans les termes sus-indiqués, alors qu'elle avait relevé que Mme Joly avait exécuté son contrat jusqu'au 24 février 2006 et non au-delà, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Madame Aimée Joly a saisi la cour de renvoi par déclaration déposée au greffe le 10 février 2011.

Elle fonde désormais ses demandes sur les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil et soutient qu'en lui imposant une date d'expiration du préavis qui ne coïncidait pas avec la fin d'un mois civil comme l'exigeait le contrat, la SA Cabinet Bedin qui n'a pas exécuté les conventions de bonne foi a commis une faute qui lui a fait perdre le droit d'agir en réparation de son préjudice commercial.

Elle-même avait légitimement pu croire, en effet, que le délai d'un an avait commencé à courir à compter du 28 février 2006, dernier jours du mois, et non à compter du 24 février, date indiquée par la lettre de rupture.

En s'affranchissant du principe de cohérence contractuelle qui est retenu par la jurisprudence de la Cour de cassation, la société intimée aurait déjoué les prévisions de son partenaire.

Madame Joly demande en conséquence à la cour de renvoi de condamner la SA Cabinet Bedin à lui payer au titre du non-respect du préavis, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, des dommages-intérêts de 48 394,04 euro correspondant au calcul du droit à indemnité dont elle est déchue par le fait de sa mandante, ce avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation.

Elle sollicite en outre une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA SA Cabinet Bedin a conclu à la confirmation du jugement prononcé le 11 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Bordeaux, en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la date qui fait courir le délai prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce à peine de déchéance du droit à indemnité est celle de la cessation effective des relations contractuelles, c'est-à-dire la date à laquelle les parties ont mis fin au contrat en cessant de l'exécuter.

Elle considère qu'elle n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité dès lors que Madame Joly à qui il incombait de veiller à la sauvegarde de ses droits a accepté de cesser son activité dès le 24 février 2006 comme le spécifiait la lettre du 24 novembre 2005.

En toute hypothèse, il n'existe pas de relation de causalité entre le préjudice commercial qui est invoqué, au demeurant dans des conditions qui sont contestées, et la méconnaissance des dispositions contractuelles relatives à l'expiration du préavis.

La SA Cabinet Bedin sollicite une indemnité de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

LES MOTIFS DE LA DECISION

Il n'est plus contesté que, la date de la cessation effective du contrat étant le 24 février 2006, date mentionnée dans la lettre de rupture comme étant celle de la fin du préavis de trois mois, Madame Joly est déchue de son droit à indemnité compensatrice pour en avoir fait la première fois la demande dans une assignation délivrée le 27 février 2007 alors que le délai d'un an prévu à peine de déchéance par l'article L. 134-12 du Code de commerce venait d'expirer.

Madame Joly invoque désormais la responsabilité contractuelle de son mandant auquel elle reproche d'avoir fixé la fin du préavis en méconnaissance des dispositions du contrat d'agent commercial qui stipulait que, dans tous les cas de rupture, le préavis à respecter coïnciderait avec la fin d'un mois civil, de telle sorte qu'en l'espèce, il aurait dû se terminer le 28 février 2007.

La société Cabinet Bedin serait responsable de la perte de son droit à demander une indemnité compensatrice pour avoir déjoué les prévisions du contrat.

Toutefois, Madame Joly dont le contrat d'agent commercial définissait dans les termes sus rappelés les modalités du préavis a accepté en toute connaissance de cause de cesser son activité au sein du cabinet dès le 24 février 2006, sans attendre, comme elle aurait pu l'exiger, la fin du mois civil.

Il n'existe aucune fraude de la part du mandant dans le fait d'avoir fixé la date du préavis à l'issue d'une période de trois mois et non à la fin du mois civil comme l'exigeait le contrat.

On ne peut pas considérer comme fautive une dérogation aux modalités du préavis que l'agent commercial a acceptée en cessant son activité à la date indiquée sans formuler aucune observation.

Au surplus, le texte qui régissait son droit à indemnité faisant partir le délai d'un an à compter de la "cessation du contrat", Madame Joly qui savait parfaitement qu'elle avait cessé son activité d'agent commercial le 24 février 2006 ne peut pas soutenir que la déchéance qu'elle encourt en application de ce texte serait imputable à la méconnaissance par le mandant des dispositions de son contrat stipulant que le préavis devait coïncider avec la fin d'un mois civil.

Il n'existe pas de lien de causalité entre la faute alléguée et la perte par l'agent commercial de son droit à indemnité compensatrice qui n'est imputable qu'à lui-même.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter Madame Joly de sa demande fondée sur la responsabilité contractuelle de la société mandante.

La société Cabinet Bedin est en droit de réclamer sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais occasionnés par la procédure d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité qui sera toutefois limitée à 1 000 euro compte tenu de la situation économique de l'appelante.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Bordeaux. Déboute Madame Joly de sa demande fondée sur la responsabilité contractuelle de la société Cabinet Bedin. La condamne à payer à ladite société une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne Madame Aimée Joly aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Taillard-Janoueix, avocat postulant, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.