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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 26 juin 2012, n° 12/08905

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Fraileg (SARL), Prim'Santerre (SARL), Soleil du Nord (SARL)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie et des Finances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocats :

Me Pellerin, Me Fourgoux

CA Paris n° 12/08905

26 juin 2012

Le 12 octobre 2010, l'Autorité de la concurrence notifiait à la société Fraileg SARL, à la société Prim'Santerre SARL et à la société Soleil du Nord SARL, des griefs "d'avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché français de l'endive consistant en une concertation sur les prix et les offres promotionnelles, en un échange régulier d'informations stratégiques servant à mettre en place une police des prix ainsi que des mesures de dénaturations obligatoires", pratiques qui "ont eu pour objet d'imposer sur le marché français de l'endive un mode d'organisation se substituant au libre jeu de la concurrence par une collusion généralisée entre les producteurs" et "prohibées par l'article L. 420-1 du Code du commerce et par l'article 101 du Traité sur l'Union Européenne", pratiques qui "n'ont pas toujours cessé" .

Ces sociétés sont des organisations de producteurs ayant pour objet de commercialiser la production de leurs adhérents producteurs.

Après exposé par les personnes morales mises en cause de leurs moyens, l'Autorité de la concurrence décidait, le 6 mars 2012, les dispositions suivantes :

Article 1er : Il est établi que les organisations de producteurs Fraileg SARL, Prim'Santerre SARL, Soleil du Nord SARL , ...ont enfreint les dispositions de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE devenu 101 paragraphe 1 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce.

Article 4 : pour l'infraction visée à l'article 1er, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:

- à la société Fraileg SARL une sanction de 83 000 euro,

- à la société Prim'Santerre SARL une sanction de 127 000 euro,

- à la société Soleil du Nord - une sanction de 72 000 euro.

Article 5 : les sociétés et organismes visés à l'article 1er feront publier le texte figurant au paragraphe 754 de la...décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions du journal "La Voix du Nord" et de la revue agricole "Le syndicat agricole" édition Nord-Pas de Calais. Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : "décision de l'Autorité de la concurrence N° 12-D-08 du 6 mars 2012 relatives à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation d'endives". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution au plus tard le 1er mai 2012."

Les personnes morales susvisées ont formé un recours en annulation à l'encontre de cette décision et, ces recours n'étant pas suspensifs, ont assigné en référé l'Autorité de la Concurrence aux fins de voir suspendre l'exécution provisoire attachée à cette décision et en ce qui concerne les sociétés Fraileg SARL et Prim'Santerre SARL la suspension de l'obligation de publication.

Les parties requérantes fondent leur demande de sursis à exécution sur le fait que le paiement immédiat des sanctions pécuniaires entraînerait pour chacune d'elles des conséquences manifestement excessives au sens de l'article L. 464-8 du Code du commerce.

L'Autorité de la Concurrence s'est opposée à leur demande.

M. Le Ministre de l'économie et des finances a sollicité la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'autorité de la Concurrence pour chacune des parties.

M. L'Avocat Général a :

- requis le rejet de la demande de suspension d'exécution provisoire de la société Prim'Santerre,

- requis la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence en ce qui concerne les sociétés Fraileg SARL et Soleil du Nord.

Sur ce

Considérant que les procédures ont été enrôlées sous les n° 12/8905 et 12/8909 ;

Que, dans le souci d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction de ces dossiers qui ont le même objet ;

Considérant qu'il résulte de l'article 464-8 du Code de commerce que le recours n'est pas suspensif mais que le Premier président de la Cour d'appel de Paris ou son juge délégué peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;

Considérant que les pratiques reprochées concernent la production et la commercialisation de gros d'endives en France ;

Considérant que l'Autorité de la Concurrence s'oppose aux demandes de sursis à exécution de chacune des parties et ce aux motifs d'une part que les faits reprochés se sont étalés sur quatorze ans, de seconde part que les parties requérantes doivent justifier de difficultés certaines et non ponctuelles et enfin qu'aucune de ces sociétés n'a sollicité auparavant d'échelonnement du paiement de la sanction ;

Considérant qu'aucune obligation légale n'existe pour les parties frappées d'une sanction pécuniaire de déposer une demande d'échelonnement du paiement avant de solliciter un sursis à exécution, une telle demande étant fondée sur les conséquences manifestement excessives qu'entraînerait tout paiement de la sanction ;

1) Sur les demandes des parties requérantes fondées sur le caractère excessif qu'entraînerait pour chacune d'elles le paiement immédiat de la sanction

Considérant que le juge délégué doit étudier, face à une demande de sursis à exécution, le caractère manifestement excessif ou non du paiement immédiat de l'amende prononcée ;

Qu'il convient donc d'étudier si les conditions financières de chaque partie leur permettent de payer l'amende telle que fixée à l'égard de chacune ou si ce paiement entraînerait pour chacune d'elles des conséquences manifestement excessives jusqu'à ce que la cour se prononce sur leur recours ;

a) concernant la société Fraileg SARL

Considérant que la société Fraileg a été constituée en 1997 et regroupe 13 producteurs d'endives ; qu'elle a pour objet de définir et d'organiser les modalités de commercialisation des fruits et légumes entre ses associés producteurs et leurs clients ainsi que d'en assurer la mise en marché ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites que la société Fraileg a dégagé pour l'année 2010 un résultat déficitaire ; qu'au 30 septembre 2011, la situation de la société Fraileg a été déficitaire de 336 345 euro (pièce n° 6 ) et ce alors qu'elle a du provisionner un éventuel remboursement de plans de campagne ; que, devant sa situation financière dégradée, elle a vu son niveau de garantie diminué de 100 000 euro à 30 000 euro, ce qui a entraîné une demande de règlement sur facture proforma par virement bancaire avant mise en fabrication par un de ses fournisseurs ;

Que si la société Fraileg SARL devait payer immédiatement l'amende fixée par l'Autorité de la concurrence, elle aurait un solde disponible négatif de 54 000 euro ;

Qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, le paiement immédiat de la sanction financière pourrait entraîner une cessation de paiement et donc des conséquences manifestement excessives pour la société Fraileg SARL ;

Considérant qu'il sera donc fait droit à sa demande de suspension de l'exécution provisoire attachée à la sanction pécuniaire prononcée par l'Autorité de la Concurrence ;

b) Concernant la société Prim'Santerre

Considérant que la société Prim'Santerre a été constituée en en 1997 et regroupe huit producteurs d'endives ; qu'elle a pour objet le négoce de gros et de détail de tous produits agricoles et alimentaires, fruits, légumes et leurs dérivés ainsi que le conditionnement des produits de ses associés producteurs ;

Que le résultat de la société en 2011 a été fortement déficitaire de 499 472 euro ;

Considérant que ce déficit justifie qu'il soit sursis à l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence à l'égard de la société Prim'Santerre jusqu'à ce que la cour ait statué sur le recours de cette dernière, le paiement immédiat de la sanction pécuniaire pouvant aboutir à une mise en péril financier de la société et donc entraînant des conditions manifestement excessives ;

c) Concernant la société Le Soleil du Nord

Considérant que la société Le Soleil du Nord a été constituée le 2 septembre 1997 et a pour objet de commercialiser et de mettre en marché pour le compte de ses associés producteurs tous fruits et légumes par l'intermédiaire de son bureau de vente la SAS Endelis ; que son activité à Marquion-62, s'applique toutefois à un seul produit l'endive ;

Considérant que le bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2011 fait apparaître une perte de 70 811,45 euro ; que la société ne dispose d'aucune capacité contributive ;

Que le commissaire aux comptes a précisé pour l'année 2012 qu'il faut envisager soit l'arrêt de la structure soit la fusion avec la société coopérative Marché de Phalempin ; qu'elle peut par ailleurs devoir la somme de 720 165,45 euro au titre du remboursement des plans de campagne ;

Considérant que dès lors le paiement immédiat de la sanction pécuniaire retenue par l'Autorité de la concurrence à l'encontre de la société Le Soleil du Nord ne peut être que suspendu jusqu'à ce que la cour ait statué sur le recours, car un paiement immédiat entraîne un risque de cessation de paiement pour la société ;

2) Sur la demande de suspension de l'obligation de publication,

Considérant que les sociétés Fraileg SARL et Prim'Santerre sollicitent le sursis de l'obligation de publication insérée dans la décision de l'Autorité de la concurrence ;

Considérant qu'il a été sursis à l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence en ce qui concerne ces deux sociétés, qu'il ne peut dans ces conditions, qu'être fait droit à la demande de sursis à l'exécution de la mesure de publication ordonnée qui précise le montant total de la sanction prononcée et qui, dans cette mesure, est susceptible de compliquer les relations de ces deux sociétés avec leurs fournisseurs et organismes de crédit ;

Considérant qu'il sera donc fait droit à leur demande de sursis à publication ;

3) Sur les dépens,

Considérant que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.

Par ces motifs, Ordonnons la jonction des dossiers n° 12/8905 et 12/8909. Ordonnons le sursis :

1) de l'exécution provisoire de la sanction financière prononcée par l'Autorité de la concurrence le 6 mars 2012 :

- à l'encontre de la société Fraileg SARL à hauteur de 83 000 euro,

- à l'encontre de la société Prim'Santerre SARL à hauteur de 127 000 euro,

- à l'encontre de la société Soleil du Nord à hauteur de 72 000 euro.

2) de la publication ordonnée à l'article 5 de la décision de l'Autorité de la concurrence à l'égard des sociétés Fraileg et Prim'Santerre et ce jusqu'à ce que la cour ait statué sur le bien - fondé du recours formé par ces trois sociétés contre la décision.

Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.