CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 26 juin 2012, n° 12/08904
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Union des Endiviers de France, Comité économique fruits et légumes du Nord de la France, Association des producteurs d'endives de France, Section Nationale de l'Endive, Fédération du Commerce de l'Endive
Défendeur :
Autorité de la concurrence , Ministre de l'Economie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Apelle
Avocats :
Mes Pellerin, Redon, Morrier
Le 12 octobre 2010, l'Autorité de la concurrence notifiait à l'APEF- Association des Producteurs d'Endives de France - au CELFNORD, Comité Economique Fruits et Légumes du Nord de la France - à la FNPE, - Fédération Nationale des Producteurs d'Endives - à la FCE - Fédération du Commerce de l'Endive - à la SNE - Section Nationale Endive - des griefs "d'avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché français de l'endive consistant en une concertation sur les prix et les offres promotionnelles, en un échange régulier d'informations stratégiques servant à mettre en place une police des prix ainsi que des mesures de dénaturations obligatoires, pratiques qui "ont eu pour objet d'imposer sur le marché français de l'endive un mode d'organisation se substituant au libre jeu de la concurrence par une collusion généralisée entre les producteurs" et "prohibées par l'article L. 420 - 1 du Code du commerce et par l'article 101 du Traité sur l'Union Européenne", pratiques qui " n'ont pas toujours cessé".
Après exposé par les personnes morales mises en cause de leurs moyens, l'Autorité de la concurrence décidait, le 6 mars 2012, des dispositions suivantes :
Article 1er : Il est établi que l'APEF, le CELFNORD, la FNPE, la FCE, la SNE, ...ont enfreint les dispositions de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE devenu 101 paragraphe 1 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code du commerce.
Article 4 : pour l'infraction visée à l'article 1er, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:
- à l'APEF - Association des Producteurs d'Endives de France - une sanction de 50 000 euro,
- au CELFNORD - Comité Economique Fruits et Légumes du Nord de la France - une sanction de 100 000 euro,
- à la FCE - Fédération du Commerce de l'Endive - une sanction de 5 000 euro,
- à la FNPE - Fédération Nationale des Producteurs d'Endives - une sanction de 80 000 euro,
- à la SNE - Section Nationale Endives - - une sanction de 5 000 euro,
Article 5 : les sociétés et organismes visés à l'article 1er feront publier le texte figurant au paragraphe 754 de la...décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions du journal " La Voix du Nord" et de la revue agricole " Le syndicat agricole" édition Nord- Pas de Calais. Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : " décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relatives à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation d'endives". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution au plus tard le 1er mai 2012."
Les personnes morales susvisées ont formé un recours en annulation à l'encontre de cette décision et, ces recours n'étant pas suspensifs, ont assigné en référé l'Autorité de la Concurrence aux fins de voir suspendre l'exécution provisoire attachée à cette décision.
Leur demande de suspension de l'exécution provisoire sur les sanctions financières prononcées à leur encontre jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond est l'objet du présent litige.
Les parties requérantes fondent leur demande de sursis à exécution sur le fait que le paiement immédiat des sanctions pécuniaires entraînerait pour chacune d'elles des conséquences manifestement excessives au sens de l'article L. 464-8 du Code du commerce.
L'Autorité de la Concurrence s'est opposée à leur demande.
M. Le Ministre de l'économie et des finances a sollicité la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'autorité de la Concurrence pour chacune des parties.
M. L'Avocat Général a :
- requis le rejet de la demande de suspension d'exécution provisoire du CELFNORD et de la FNPE,
- requis la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision de l'Autorité de la concurrence en ce qui concerne l'APEV, la SNE et la FCE.
Sur Ce
Considérant qu'il résulte de l'article 464-8 du Code de commerce que le recours n'est pas suspensif mais que le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;
Considérant que les pratiques reprochées concernent la production et la commercialisation de gros d'endives en France ;
1) Sur la demande de chaque partie de sursis à exécution de la sanction financière prononcée à leur encontre,
Considérant que l'Autorité de la Concurrence s'oppose aux demandes de sursis à exécution de chacune des parties et ce aux motifs d'une part que les faits reprochés se sont étalés sur quatorze ans, de seconde part que les parties requérantes doivent justifier de difficultés certaines et non ponctuelles et enfin qu'aucune de ces sociétés n'a sollicité auparavant d'échelonnement du paiement de la sanction ;
Considérant que le juge délégué du Premier président est incompétent pour se prononcer sur le bien fondé du recours ou sur l'importance pour la durée du dommage à l'économie, si dommage il y a, ces questions relevant de la seule compétence de la cour ;
Que, par ailleurs, aucune obligation légale n'existe pour les parties frappées d'une sanction pécuniaire de déposer une demande d'échelonnement du paiement avant de solliciter un sursis à exécution, une telle demande étant fondée sur les conséquences manifestement excessives qu'entraînerait tout paiement de la sanction ;
Qu'enfin, ces difficultés, manifestement excessives, peuvent provenir de difficultés, certes non ponctuelles, mais récentes et durables ; qu'il convient donc d'étudier la situation financière de chacune de ces sociétés face à leur demande de suspension de l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence prononcée à l'encontre de chacune d'elles jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur recours ;
a) concernant le Celfnord
Considérant que le Celfnord a été créé le 21 mars 1967 par les pouvoirs publics pour assurer l'organisation économique prévue par le Traité de l'Union du bassin du Nord de la France ; que le Celfnord est organisé en sections régionales produits ; que le 19 juin 1998 a été créée en son sein une section endives ; qu'il comprend également des sections de fruits et légumes ;
Que la section endives réunit les organisations de producteurs qui ont l'obligation d'adhérer au comité économique agricole régional ainsi que des producteurs indépendants regroupés au sein de l'association des producteurs-vendeurs d'endives -APVE- ;
Que le Celfnord a pour objet principal de coordonner les travaux et d'harmoniser les initiatives des organisations de producteurs de fruits et légumes en ce qui concerne les disciplines de production, de conditionnement, de prix, de mise en marché et de commercialisation d'une part et d'assumer la représentation des organisations de producteurs auprès des pouvoirs publics, des organisations professionnelles et interprofessionnelles ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites au débat que le commissaire aux comptes du Celfnord a déclenché la phase 1 d'une procédure d'alerte le 3 avril 2012, estimant que la continuité de l'activité peut être compromise du fait que le Celfnord est confronté à deux procédures contentieuses à savoir l'une avec l'Autorité de la concurrence, l'autre avec la Commission européenne concernant les plans de campagne, ayant été condamné, pour ce dernier contentieux, à rembourser avec d'autres coopératives la somme globale de 3,6 millions d'euro ;
Que si n'est en cause en la présente instance que le premier contentieux, force est de constater qu'au vu des comptes de résultat produits en 2008, 2009 et 2010, l'activité du Celfnord a chuté passant de 895 959,39 euro en 2008 à 13 714,30 euro en 2010, n'ayant plus d'aides au fonctionnement depuis 2008 ; qu'il ressort de son bilan général de 2010 que si le Celfnord dispose de disponibilités, il n'a par contre plus de réserves en ce qui concerne la section endives ; que la demande d'informations complémentaires produite en pièce C1 démontre qu'il n'a ni facilités bancaires ni provisions pour paiement de l'amende prononcée ;
Considérant que l'Autorité de la concurrence a reconnu elle-même que du fait qu'il ne reçoit plus de cotisations des entreprises et du fait que l'apurement des charges se fait moins vite que la baisse des produits d'exploitation, le Celfnord, qui depuis la perte de son agrément se contente de gérer les litiges sur les impayés de cotisations des années antérieures, a subi des pertes conséquentes et a donc diminué sa sanction ;
Considérant qu'en ce qui concerne le paiement immédiat de cette sanction, il ressort des pièces produites par l'Autorité de la concurrence que le Celfnord après paiement de l'amende aura un actif disponible de 200 000 euro ; que si aucun risque de cessation de paiement n'est donc encouru du fait de ce paiement, force est de constater que ce paiement se fera sur les secteurs autres que l'endive et donc entraînera des conséquences manifestement excessives sur les sections non concernées par l'endive ;
Qu'il convient donc de surseoir à l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence jusqu'à ce que la cour ait statué sur le bien-fondé du recours du Celfnord ;
b) Concernant l'APEF
Considérant que l'APEF a été créée le 28 août 2008 pour assumer sur le plan national une grande partie de l'activité du Celfnord ; qu'un arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche en date du 12 décembre 2008 a reconnu l'APEF en qualité d'organisation de producteurs de gouvernance dans le secteur des endives ; qu'elle comporte deux sections, d'une part la "Section Information, Promotion, Etudes et Recherches - SIPER" à laquelle l'ensemble des membres de l'association doivent adhérer et la " Section Organisation et Maîtrise de L'Offre et du Marché- SOMO" à laquelle l'adhésion est facultative, section qui a pour mission de définir des stratégies d'adaptation de l'offre à la demande, de prévenir les situations de crise et de mener des actions promotionnelles ponctuelles ;
Considérant qu'il ressort des éléments produits au débat que l'APEV avait au 29 mars 2012 un encours bancaire déficitaire de 473 081,01 euro ; que le paiement immédiat de la sanction entraînerait un solde disponible négatif de 136 000 euro ;
Que cette situation, dans le contexte économique actuel particulièrement difficile et l'endive étant un produit surtout commercialisé dans le hard discount ce qui augmente les difficultés, justifie qu'il soit sursis à l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence prononcée à l'encontre de l'APEF jusqu'à ce que la cour ait statué sur le recours de cette dernière, le paiement immédiat de la sanction pécuniaire pouvant aboutir à une mise en péril financier de l'APEF, au vu de son encours bancaire déficitaire depuis plusieurs mois ;
c) Concernant la SNE
Considérant que la SNE est une association loi 1901 créée le 19 juin 1998 notamment par le Celfnord et la Fédération Nationale des Producteurs d'Endives ; qu'elle avait alors en charge la gestion politique, comptable et financière des actions collectives et représentait la profession dans le cadre des actions de gestion de marché ;
Considérant qu'il est constant, au vu des pièces produites au débat, que la Section Nationale des Endives a été dissoute le 6 janvier 2010 ; que l'assemblée générale extraordinaire, réunie à cette date a décidé d'attribuer le boni, soit les liquidités restantes, à l'APEF en vue de poursuivre et de financer les actions menées jusque-là par la Section Nationale des Endives à savoir le financement de publi-promotions, de R&D et d'expérimentation en faveur de l'endive et de sa production ;
Que dès lors le paiement immédiat de la sanction pécuniaire retenue par l'Autorité de la concurrence à l'égard de la SNE ne peut être que suspendu, la SNE n'ayant plus de liquidités ;
d) Concernant la FCE
Considérant que cette association loi 1901 a été constituée le 9 décembre 2004 ; que son objet est de défendre les intérêts des entreprises exerçant le commerce d'expédition des endives, de représenter les entreprises exerçant le commerce d'expédition d'endives auprès des Pouvoirs Publics et des autres organisations professionnelles concernées, d'organiser des échanges d'information entre ses membres, de concevoir et mettre en œuvre, seule ou en considération avec d'autres organisations, directement ou indirectement, toute action conforme à la réglementation nationale en vigueur et dont le but est de promouvoir le produit endive, de favoriser sa bonne valorisation et le développement de ses ventes ; qu'elle est composée de personnes représentant des entreprises (organisations de producteurs, commerce de gros, expéditeurs, producteurs vendeurs) exerçant le commerce d'endives et a pour mission de jouer un rôle actif dans la commercialisation des endives ;
Considérant qu'au vu des comptes bilan, sa situation financière a diminué de moitié entre 2008 et 2010 ; que le compte de résultat qui était de 52 757 euro en 2008 est de 28 604,90 euro en 2010 ; que sa disponibilité bancaire n'était que de 6 013,46 euro en 2010 ; qu'il est indiqué dans la demande d'informations complémentaires produite en pièce F1 que l'association, dont la première source de financement est le Celfnord lui-même en situation difficile comme exposé ci-dessus en ce qui concerne la section endives, est en sommeil depuis la création de l'AFEP ;
Que dès lors le paiement immédiat de la sanction pécuniaire prononcée par l'Autorité de la concurrence à l'égard de la FCE ne peut être que suspendu, que ce paiement immédiat entraînerait en effet des conséquences excessives pour la FCE qui ne dispose pas en l'état d'un financement personnel pour faire face à cette sanction ;
e) Concernant la FNPE dénommée désormais l'Union des endiviers de France - UEF
Considérant que la FNPE est un syndicat agricole qui défend les intérêts de la profession endivière française ; qu'elle est adhérente à la Fédération Nationale des Producteurs de Légumes elle-même affiliée à la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles - FNSEA - ; qu'elle est désormais dénommée depuis le 22 décembre 2011 l'Union des Endiviers de France - UEF ;
Considérant qu'il résulte de l'audition de son directeur technique en novembre 2007 que l'UEF a deux budgets séparés : un budget syndical, uniquement alimenté par les cotisations syndicales de ses adhérents de l'ordre annuel de 120 000 euro et un budget recherche expérimentation ; que, suite à la création de l'APEF, l'activité de recherche a été transférée à cette dernière à compter du 1er juillet 2009 avec la quasi-totalité du personnel ;
Qu'il ressort de l'attestation de son commissaire aux comptes que les sources de financement du syndicat sont limitées principalement aux cotisations syndicales des adhérents qui s'élèvent à la somme de 53.550 euro (pièce n° 23 ) au 30 juin 2010, qu'à cette même date seule la partie syndicale vient contribuer au résultat de la FNPE dénommée désormais UEF, constitué par une perte de 142.254 euro (pièces 20 et 21) et qu'enfin les cotisations syndicales et autres produits de la FNPE dénommée désormais UEF ne suffisent pas à couvrir l'ensemble de ses charges (pièce n° 23) ;
Qu'il résulte de la pièce G 23 que la FNPE dénommée désormais UEF a enregistré au 30 juin 2011 une perte de 321 516 euro, pour une somme de 219 991 euro au titre de ses réserves ;
Considérant que le paiement immédiat par la FNPE dénommée désormais UEF du montant de l'amende prononcée par l'Autorité de la concurrence à son encontre aura, au vu de ces éléments, des conséquences manifestement excessives sur la situation financière de la FNPE, créant une situation financière déficitaire ;
2) Sur les dépens
Considérant que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.
Par ces motifs, Ordonnons le sursis de l'exécution provisoire de la sanction financière prononcée par l'Autorité de la concurrence le 6 mars 2012 :
- à l'encontre de l'APEF - Association des Producteurs d'Endives de France - à hauteur de 50 000 euro,
- à l'encontre de la SNE - Section Nationale Endives - à hauteur de 5 000 euro,
- à l'encontre de la FCE - Fédération du Commerce de l'Endive - à hauteur de 5 000 euro,
- à l'encontre du Celfnord - Comité Economique Fruits et Légumes du Nord de la France à hauteur de 100 000 euro,
- à l'encontre de la FNPE - Fédération Nationale des Producteurs d'Endives - dénommée désormais Union des Endiviers de France - UEF - à hauteur de 80 000 euro, et ce jusqu'à ce que la cour statue sur le bien-fondé du recours formé par ces parties à l'encontre de la décision.
Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.