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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 8 février 2012, n° 10-03187

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conceptica (SARL)

Défendeur :

Gallet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseiller :

M. Croisille-Cabrol

Avocats :

SCP Cantaloube Ferrieu Cerri, SCP Malet, SCP Vaysse Lacoste Axisa, Me Berl

Vice-président :

M. Roger

T. com. Toulouse, du 31 mai 2010

31 mai 2010

FAITS ET PROCÉDURE

Le 4 septembre 2008, M. Gallet, artisan boulanger exerçant sous l'enseigne " Au Fournil des Désirs ", a commandé auprès de la SARL Conceptica une unité de torréfaction de café moyennant un prix de 15 272,92 euro TTC, 2 502,92 euro étant payables à la commande et le solde à la livraison ; M. Gallet a effectivement versé l'acompte.

Par LRAR reçue le 10 septembre 2008, M. Gallet a souhaité se rétracter ; en réponse, par LRAR du 17 septembre 2008, Conceptica l'a mis en demeure de régler le solde du prix de vente, et a indiqué qu'elle livrerait alors le matériel.

Cette mise en demeure étant restée infructueuse, par exploit d'huissier du 3 septembre 2009, la SARL Conceptica a fait assigner M. Gallet devant le Tribunal de Commerce de Toulouse en paiement du solde de 12 770 euro. M. Gallet s'y est opposé et a demandé le remboursement de l'acompte de 2 502,92 euro.

Par jugement du 31 mai 2010, le tribunal a :

- débouté la SARL Conceptica de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SARL Conceptica à payer à M. Gallet les sommes suivantes :

* 2 502,92 euro en remboursement de l'acompte, avec intérêts au taux légal à compter du 4 septembre 2008 ;

* 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- débouté M. Gallet de sa demande en dommages-intérêts ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la SARL Conceptica aux dépens.

Par acte déposé au greffe le 11 juin 2010, la SARL Conceptica a interjeté appel du jugement.

M. Gallet a déposé des conclusions le 9 mars 2011.

La SARL Conceptica a déposé ses dernières conclusions le 7 avril 2011.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2011.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SARL Conceptica soutient que :

- la vente du 4 septembre 2008, contenant un accord sur la chose et le prix, est parfaite ; elle est ferme et définitive et n'est pas susceptible d'annulation par M. Gallet, conformément aux conditions générales de vente figurant au verso du bon de commande ;

- M. Gallet ne peut pas lui opposer une absence d'accord sur la chose en soutenant que Conceptica aurait manqué à son devoir de renseignement car elle ne l'aurait pas informé de la nécessité de prévoir une extraction extérieure pour l'appareil à torréfier et que le propriétaire des murs lui a refusé l'autorisation de réaliser les aménagements nécessaires ; en effet, le commercial de Conceptica a présenté à M. Gallet la machine pendant deux heures et M. Gallet a eu tout loisir de s'informer de ses caractéristiques ; pour un particulier et a fortiori pour un professionnel de la cuisson des produits alimentaires tel que M. Gallet, il est évident qu'une machine qui brûle du café va produire des fumées dont il faut prévoir l'évacuation ; une cheminée figurait d'ailleurs sur une photographie du torréfacteur faisant partie des documents techniques remis à M. Gallet, ayant valeur contractuelle ; en outre, Conceptica est tiers au contrat de bail (qui ne lui est même pas communiqué) et il appartenait à l'acheteur et non au vendeur de vérifier les restrictions contenues au bail ;

- le tribunal ne pouvait pas annuler la vente au motif d'un prétendu manquement au devoir d'information ; en effet, les causes de nullité d'un contrat sont limitativement énumérées par la loi et l'article 1615 du Code Civil n'est pas sanctionné par la nullité du contrat.

Elle sollicite, au visa des articles 1165 et 1583 du Code Civil :

- la réformation du jugement ;

- la condamnation de l'intimé à lui payer les sommes suivantes :

* 12 770 euro au titre du solde du prix de vente, avec " intérêts de droit " à compter du 17 septembre 2008 ;

* 1 915,50 euro à titre de dommages-intérêts (soit 15 %) en application de l'article 7 c des conditions générales de vente ;

* 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- qu'il soit pris acte de ce que Conceptica est prête à livrer dès complet paiement du prix majoré des intérêts de droit ;

- la condamnation de l'intimé aux dépens, dont distraction au profit de la SCP d'avoués.

M. Gallet réplique que :

- la vente du 4 septembre 2008 n'était pas parfaite faute d'accord sur la chose ; en effet, lors de la commande, M. Gallet n'a pas vu le matériel et le commercial de Conceptica ne l'a pas informé de la nécessité de prévoir une extraction extérieure nécessitant l'autorisation du propriétaire des murs et des services d'hygiène et de voirie ; la simple mention, sur les documents techniques remis à M. Gallet, d'une " évacuation air chaud et fumées ", est trop sommaire ; il a été " abusé sinon trompé " ; s'il avait eu connaissance de la nécessité de tels aménagements, il aurait été incité " sinon à signer un bon de commande du moins à prévoir telles conditions suspensives que de droit " (sic) ;

- compte tenu du refus de son propriétaire quant aux aménagements, M. Gallet ne peut pas utiliser le matériel.

Il sollicite, au visa de l'article 1583 du Code Civil :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Conceptica de ses demandes et l'a condamnée au remboursement de l'acompte de 2 502,92 euro avec intérêts légaux à compter du 4 septembre 2008 ;

- la réformation du jugement pour le surplus ;

- la condamnation de l'appelante à lui payer les sommes suivantes :

* 2 000 euro de dommages-intérêts pour atteinte à son honorabilité ;

* 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- la condamnation de l'appelante aux dépens, dont distraction au profit de la SCP d'avoués.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la vente :

M. Gallet soutient que la vente n'était pas parfaite faute d'accord de sa part sur la chose, se plaint de ne pas avoir été informé sur la nécessité d'une extraction extérieure et d'avoir été abusé et trompé, et ajoute que s'il avait été correctement informé, il aurait été incité " sinon à signer un bon de commande du moins à prévoir telles conditions suspensives que de droit " (formulation très maladroite qui doit se comprendre comme " il n'aurait pas signé ou du moins aurait prévu telles conditions suspensives "). La Cour, qui a l'obligation d'expliciter le fondement juridique soutenu par les parties et de viser les textes adéquats, considère que M. Gallet entend invoquer le dol ou la réticence dolosive commise par Conceptica, vice du consentement de nature à entraîner la nullité de la vente en application des articles 1109, 1116 et 1117 du Code Civil.

Or, en l'espèce, lors du démarchage dans sa boulangerie ayant abouti à la commande du 4 septembre 2008, M. Gallet n'a pas vu l'unité de torréfaction ; il n'a vu qu'une brochure comprenant une photographie de l'appareil et les caractéristiques techniques dont la mention " évacuation air chaud et fumées " (pièce n° 4 produite par Conceptica) ; or, la photographie montrait l'appareil non installé dans un local ni raccordé à une évacuation extérieure, et la mention sur l'évacuation restait très sommaire (sans indication de la nécessité impérative d'une évacuation extérieure et d'un percement du plafond ou des murs pour faire passer un conduit d'évacuation) ; l'appareil y était présenté comme peu encombrant et d'un investissement modéré et n'était pas comparable à un four à pain. Conceptica ne peut donc pas affirmer péremptoirement qu'il était " évident " pour un professionnel qu'il fallait prévoir une évacuation extérieure, d'autant que M. Gallet n'est pas un boulanger industriel mais un petit artisan qui n'est pas un professionnel de la torréfaction du café.

M. Gallet indique aujourd'hui que l'installation de l'appareil nécessiterait le percement des murs pour l'évacuation donc l'autorisation de son bailleur, qui lui a opposé un refus (refus dont l'existence n'est pas contestée par Conceptica, laquelle ne prétend pas ne pas avoir reçu la pièce adverse n° 11 dénommée " attestation propriétaire des murs du 6 septembre 2009 ", mais dont la Cour ne dispose pas au dossier de plaidoirie de M. Gallet, qui manifestement a oublié de la verser). Ce refus rend donc de fait l'appareil inutilisable. Certes, Conceptica n'est pas responsable des stipulations du bail ni du refus du bailleur, et le bail lui est inopposable ; néanmoins, le commercial, rompu aux démarchages chez les petits commerçants, aurait dû attirer l'attention de M. Gallet sur le fait que celui-ci devait percer les murs et s'inquiéter du contenu des stipulations de son bail à ce sujet.

Il est évident que, si M. Gallet avait su au moment du démarchage qu'il devait percer les murs, il n'aurait pas signé sans avoir au préalable demandé un devis de travaux de percement et l'autorisation de son bailleur. La réticence dolosive est donc avérée ce qui entraîne la nullité de la vente ; Conceptica ne peut pas prétendre au règlement du solde de prix et de l'indemnité contractuelle et doit restituer l'acompte versé.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Conceptica de ses demandes et l'a condamnée à rembourser à M. Gallet l'acompte de 2 502,92 euro, sauf à juger, en application de l'article 1153 du Code Civil, que les intérêts au taux légal ne courront pas de plein droit dès la vente du 4 septembre 2008, mais seulement à compter de la première demande de remboursement formulée par M. Gallet (devant le Tribunal de Commerce, où la procédure est orale, à l'audience du 8 mars 2010).

Sur les dommages-intérêts réclamés par M. Gallet pour atteinte à l'honorabilité :

M. Gallet ne prétend pas que Conceptica aurait ébruité le présent litige en lui faisant une publicité défavorable et ne justifie pas de ses dommages de ce chef. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande en dommages-intérêts.

Sur l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :

Conceptica succombant au principal supportera ses frais irrépétibles et les dépens, ainsi que les frais exposés par M. Gallet, soit 1 000 euro en première instance comme l'a décidé le tribunal outre 1 000 euro en appel.

Par ces motifs, LA COUR , Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse du 31 mai 2010 en toutes ses dispositions, sauf à juger que les intérêts au taux légal sur la somme de 2.502,92 euro que la SARL Conceptica est condamnée à rembourser à M. Gallet courent à compter du 8 mars 2010 et non à compter du 4 septembre 2008 ; Y ajoutant : Prononce la nullité de la vente conclue entre la SARL Conceptica et M. Gallet le 4 septembre 2008 ; Condamne la SARL Conceptica à payer à M. Gallet la somme supplémentaire de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel ; Condamne la SARL Conceptica aux dépens d'appel, dont distraction par application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.