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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 29 janvier 2009, n° 08-01243

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dreudis (SAS), Avredis (SAS)

Défendeur :

Cora (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

Mmes Valantin, Lonne

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Fievet-Lafon

Avocats :

Mes Reye, Souchon

T.com. Dreux, du 10 mai 2007

10 mai 2007

En mai 2006 les sociétés Avredis et Dreudis qui exploitent des fonds de commerce de grande distribution sous l'enseigne E. Leclerc respectivement à Dreux et à Saint Lubin des Joncherets (28350) ont envoyé trois acheteuses accompagnées d'un huissier sur le parking d'un magasin Cora. Les acheteuses ont remplis trois chariots avec différents produits puis l'huissier s'est fait remettre les tickets de caisse et a relevé les codes barre de chaque produit et a établi la comparaison entre les prix pratiqués par Cora et ceux pratiqués par les sociétés Dreudis et Avredis. Sur la base de ces constatations les sociétés Dreudis et Avredis ont fait diffuser dans quatre journaux deux publicités comparatives portant pour l'une sur 48 articles et pour l'autre sur 44 articles dont il ressort une pratique tarifaire de Cora sur les dits produits plus élevée que celle de Dreudis et Avredis.

Cora estimant qu'une telle pratique constituait une publicité comparative illicite et mensongère a fait assigner les sociétés Dreudis et Avredis devant le Tribunal de commerce de Dreux qui par jugement en date du 10 mai 2007, auquel il est fait référence pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, a débouté la société Cora de sa demande pour publicité illicite en estimant que dans le cadre d'une publicité comparative les sociétés Dreudis et Avredis étaient fondées à faire usage des marques des fournisseurs. En revanche le tribunal a retenu que les sociétés Dreudis et Avredis avaient procédé à une publicité mensongère et à une concurrence déloyale et a fait interdiction à ces deux sociétés sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée de procéder "aux publicités comparatives nullement représentatives de la réalité des prix". Le tribunal a débouté Cora de sa demande en paiement de dommages et intérêts et a fait droit à des mesures de publication dans quatre journaux. Le jugement était assorti du bénéfice de l'exécution provisoire.

Dreudis et Avredis ont interjeté appel de cette décision. Dans le dernier état de leurs écritures (conclusions du 18 février 2008) elles demandent à la cour d'infirmer le jugement, de débouter Cora de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à leur payer à chacune une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au regard du grief de publicité illicite, elles font valoir qu'elles sont en droit de citer des marques de produit ou de service dans le cadre d'une publicité comparative et ce tant en application de l' article L. 121-9 du Code de la consommation que de la jurisprudence communautaire.

Sur le grief de publicité mensongère, les appelantes se prévalant des dispositions de l' article L. 121-8 du Code de la consommation tel que modifié par l' ordonnance du 23 août 2001 et de la jurisprudence communautaire sur la directive 84-450 sur la publicité comparative, font observer que la comparaison a porté sur des produits de même nature, répondant à un même besoin et ayant le même objectif et qui de surcroît ont la même dénomination.

La société Cora poursuit la confirmation du jugement tout en sollicitant le paiement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour publicité mensongère et concurrence déloyale et de 5 000 euro sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile .

Elle soutient que la publicité comparative de prix pour être licite doit être objective et loyale et ne pas induire en erreur le consommateur et que tel est le cas en l'espèce dès lors que l'échantillonnage de 44 ou 48 produits n'était pas représentatif par rapport à une offre totale, que l'huissier n'a pas constaté la disponibilité des produits dans les magasins "Leclerc", la publicité n'indiquant pas la durée pendant laquelle les prix étaient maintenus ; que de plus les publicités prétendent comparer les prix sur un échantillonnage de 48 et 44 produits mais indiquent par ailleurs que les prix constatés l'ont été parmi une sélection de 150 produits de grandes marques nationales (alors que le constat ne porte que sur 125 produits) ce qui tend à faire croire aux consommateurs que les 150 produits Leclerc sont moins chers alors que certains produits Cora sont aux mêmes prix et d'autres moins chers que les produits Leclerc ; qu'elle émet en conséquence des critiques sur l'échantillonnage choisi. Enfin, elle se prévaut du fait que l'huissier n'a rien constaté physiquement.

Sur ce, la cour

I. Sur la publicité illicite :

Considérant que devant les premiers juges la société Cora faisait valoir que les publicités incriminées étaient illicites au regard de l'article L. 121-9 du Code de la consommation au motif qu'elles comparent des produits de marques n'appartenant pas aux sociétés Dreudis et Avredis ;

Mais considérant que la société Cora n'ayant pas formé appel incident du jugement qui l'a déboutée de ce chef, il n'y a pas lieu d'examiner ce point du litige ; qu'en toute hypothèse la société Cora n'a pas qualité pour se prévaloir de la protection de marques sur lesquelles elle ne bénéficie d'aucun droit ;

II. Sur la publicité mensongère :

Considérant que les publicités incriminées consistent en deux publicités comparatives publiées dans quatre journaux entre les 20 et 30 mai 2006 et portant l'une sur 48 articles et l'autre sur 44 articles (deuxième semaine) avec désignation de chaque produit et de la marque sous laquelle il est vendu, de la quantité offerte et de son prix tant au magasin Leclerc que chez Cora puis de l'écart entre les deux prix avec in fine mention du montant de l'économie réalisée chez Leclerc ; que ces publicités comparatives ont été faites entre les magasins Leclerc de Dreux et de Saint Lubin des Joncherets et le magasin Cora de Dreux ; que les produits dont les prix sont comparés sont des produits identiques ;

Que chaque publicité comporte en bas de page la mention suivante : "prix constatés par huissier le 18 mai 2006 parmi une sélection de 150 produits de grandes marques nationales les plus vendues dans vos magasins E.Leclerc" ;

Considérant que les sociétés Dreudis et Avredis indiquent avoir fait préalablement procéder à l'établissement de deux constats d'huissier les 4 et 18 mai 2006 ; que toutefois un seul constat en date du 18 mai 2006 a été communiqué ; que l'huissier Maître Gaudin indique que :

"dans le cadre de la mise en place d'une publicité comparative, concernant un échantillonnage de 125 articles identiques de même Gencod "Code-barres" vendus par le magasin Cora de Dreux et par les magasins Leclerc de Dreux et de Saint Lubin des Joncherets, le même jour, les sociétés Dreudis et Avredis me requièrent de procéder à toutes constatations utiles relatives à l'identification des produits dès leur achat dans le magasin Cora, ainsi que l'identification du prix du produit" ;

Que l'huissier précise qu'il s'est rendu sur le parking du magasin Cora en présence de trois personnes dont il donne l'identité ; que celles-ci ont pris un "caddie" et se sont rendues dans le magasin Cora ; qu'après 45 minutes, elles sont ressorties avec les chariots remplis d'articles ; qu'ensuite ils sont repartis au magasin Leclerc où l'ensemble des articles achetés a été disposé sur une grande table après que les trois personnes lui aient remis leur ticket de caisse ; qu'ensuite à l'aide d'un appareil Telxon de marque Casio, il a relevé l'ensemble des Code-barres' sur chaque produit et cette opération effectuée, il a téléchargé l'appareil Telxon sur l'ordinateur et en a ressorti 'la liste avec les références et les prix correspondant aux "codes-barres" ; que l'huissier indique avoir joint à son procès-verbal les trois tickets de caisse et les fiches de concurrence des sociétés Dreudis et Avredis en date du 18 mai 2006 sur lesquelles sont reproduits : les références, article magasin, Gencod, prix Cora Dreux, prix magasin Avredis et Dreudis ; que douze fiches concurrence sont en effet annexées au procès-verbal communiqué mais en revanche aucun ticket de caisse ;

Considérant qu'en vertu de l' article L. 121-8 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de l' ordonnance n°2001-741 du 23 août 2001 , transposant la directive communautaire n°97-55-CE du 6 octobre 1997, la publicité comparative n'est licite que si : 1°) elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ; 2°) elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ; 3°) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services dont le prix peut faire partie ;

Qu'en vertu de l'article L. 121-12 du Code de la consommation l'annonceur doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité ;

Considérant qu'en l'espèce la comparaison porte sur des produits identiques ;

Mais considérant que la comparaison par les prix ne doit pas revêtir un caractère trompeur et doit être vérifiable ;

Or considérant qu'il résulte du seul constat d'huissier communiqué que si l'huissier a constaté, au vu des tickets de caisse qui lui ont été remis par les trois personnes étant entrées chez Cora puis en étant ressorties après avoir effectué des achats, les prix des produits achetés par ces trois personnes dans ce magasin Cora de Dreux, en revanche contrairement à ce qui est mentionné sur les deux publicités en cause, l'huissier n'a constaté le 18 mai 2006 dans les magasins Leclerc de Saint Lubin et Dreux ni la présence effective des 48 articles ou des 44 articles énumérés, ni leur prix ; que l'huissier indique avoir eu recours à un appareil Texlon mais aucune explication n'est fournie sur le mode de fonctionnement d'un tel appareil, ni sur l'ordinateur utilisé par l'huissier ; que l'huissier mandaté par les sociétés Dreudis et Avredis n'a donc pas procédé à une comparaison effective des prix réels des produits énumérés ; que par ailleurs il résulte du constat d'huissier produit aux débats que les trois personnes ont acheté au total 127 articles (39 + 45 + 43) et non 150 et qu'en conséquence l'huissier n'a pas constaté les prix pratiqués au magasin Cora de Dreux parmi une sélection de 150 articles comme indiqué sur les publicités mais parmi une sélection de 127 produits ; qu'enfin aucun élément n'est communiqué par les sociétés Dreudis et Avredis permettant de vérifier que les 150 en réalité 127 produits faisaient partie des produits de grandes marques nationales 'les plus vendues' dans les magasins Leclerc comme indiqué dans les publicités incriminées ;

Considérant que les tickets de caisse des sociétés Dreudis et Avredis communiqués par ces deux sociétés (manifestement en première instance car non visés au bordereau annexé à leurs conclusions d'appel) sont dénués de toute pertinence puisque non visés par l'huissier et qu'au surplus ces tickets de caisse ont été imprimés dans des conditions inconnues entre le 14 novembre et le 2 décembre 2006 alors qu'il est prétendu qu'ils correspondent à des ventes intervenues entre le 13 et 30 mai 2006 ; qu'en toute hypothèse la preuve n'est pas rapportée que les produits mentionnés sur ces tickets et qui correspondent à ceux visés dans les publicités, étaient effectivement en vente dans les magasins Leclerc de Saint Lubin et Dreux le 18 mai 2006 aux prix indiqués ;

Considérant dans ces conditions que les publicités incriminées sont mensongères en ce qu'elles indiquent que les prix des 48 et 44 produits énumérés ont été constatés par huissier le 18 mai 2006 tant au magasin Cora de Dreux que dans les magasins Leclerc de Dreux et Saint Lubin parmi une sélection de 150 produits de grandes marques nationales les plus vendues dans les magasins E. Leclerc ;

Que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;

Considérant qu'en diffusant de telles publicités dans le but d'attirer la clientèle des consommateurs dans ses deux magasins en lui faisant croire qu'un huissier de justice, auxiliaire de justice bénéficiant au vu de l'opinion d'une autorité certaine, avait constaté qu'un certain nombre de produits de grande marque étaient moins chers chez Leclerc que chez Cora, les sociétés Dreudis et Avredis se sont également rendues coupables de concurrence déloyale ;

Considérant que les actes de concurrence déloyale ayant été commis par voie de presse, les premiers juges ont justement réparé le préjudice subi par Cora du fait des publications en ordonnant deux publications du jugement aux frais des sociétés Avredis et Dreudis dans les journaux dans lesquels ces sociétés avaient fait publier les publicités incriminées ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Cora de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée étant toutefois précisé que ces mesures d'interdiction ne s'appliquent qu'aux deux publicités, objet du présent litige ;

III. Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Cora pour les frais hors dépens par elle engagés en appel une somme complémentaire de 2.500 euro ; que les sociétés Dreudis et Avredis qui succombent seront déboutées de leur demande de ce chef ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit toutefois que les mesures d'interdiction ne s'appliquent qu'aux deux publicités, objet du présent litige, y Ajoutant, Condamne les sociétés Dreudis et Avredis à payer à la société Cora une indemnité complémentaire de 2 500 euro (deux mille cinq cents euro) en application des dispositions de l' article 700 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés Dreudis et Avredis aux dépens d'appel, Admet la SCP Fievet Lafon, avoués, au bénéfice de l' article 699 du Code de procédure civile.