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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 mai 2012, n° 10-21316

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Socorest (SAS)

Défendeur :

Speed Rabbit Pizza (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

Mme Luc, M. Vert

Avocats :

Mes Regnier Aubert, de Balmann, Guizard, Hatte

T. com. Paris, du 5 oct. 2010

5 octobre 2010

Vu le jugement du 5 octobre 2010 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société Speed Rabbit Pizza s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse à l'encontre de la société Socorest - Société de concepts de restauration ;

- dit que la société Socorest - Société de concepts de restauration s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza ;

- dit n'y avoir lieu à octroi de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner des mesures de publication ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société Socorest - Société de concepts de restauration et ses conclusions du 1er mars 2012 ;

Vu les conclusions de la société Speed Rabbit Pizza du 13 janvier 2012 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Socorest - Société de concepts de restauration indique avoir mis au point et développé au travers d'un réseau de franchise sous l'enseigne La Boîte à Pizza un concept de livraison de pizzas.

Or elle soutient avoir constaté que la société Speed Rabbit Pizza se serait lancée depuis plusieurs années dans une campagne de communication, reprise notamment à l'occasion du salon de la franchise qui s'est tenu Porte de Versailles du 14 au 17 mars 2010, qu'elle estime dénigrante à son endroit.

Après avoir fait constater les dits faits par voie d'huissier, la société Socorest - Société de concepts de restauration a, par acte du 30 mars 2010, assigné la société Speed Rabbit Pizza devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'octroi de dommages-intérêts et de prononcé d'interdiction sur le fondement de la concurrence déloyale.

La société Speed Rabbit Pizza a formé à son tour une demande reconventionnelle à l'encontre de la société Socorest - Société de concepts de restauration sur le même fondement.

C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré.

Sur l'action en concurrence déloyale engagée à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza

Considérant qu'il convient liminairement de rappeler que l'action en concurrence déloyale qui a pour fondement non une présomption de responsabilité qui repose sur l'article 1384 du Code civil mais une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, suppose l'accomplissement d'actes positifs dont la preuve, selon les modalités de l'article 1315 du Code civil, incombe à celui qui s'en déclare victime ; qu'il sera également précisé que le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent en répandant à son propos ou au sujet de ses produits et services des informations de nature à le discréditer ;

Considérant, en l'espèce, qu'il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de sa campagne de communication la société intimée a, durant les trois jours du salon de la franchise 2010, présenté aux visiteurs un questionnaire sous la forme de "quizz" ; que si celui-ci visait quatre enseignes du secteur et non pas seulement la société Socorest - Société de concepts de restauration, chacune des réponses pouvait néanmoins concerner chacune d'elles et, donc, la société appelante ; que, par ailleurs, la teneur même de l'ensemble des questions figurant sur ledit quizz, conduisait à des réponses nécessairement péjoratives pour la ou les sociétés qui seront désignées par les candidats incités à répondre ; qu'un tel procédé excède les limites de la communication à laquelle tout opérateur économique peut avoir légalement recours dès lors qu'il entraîne une dévalorisation obligée des produits, enseigne ou marque désignés par la personne répondant audit quizz ; que, de même, en ce qui concerne la page "questions à Daniel Sommer" mise en ligne sur le site Internet du réseau Speed Rabbit Pizza, le premier point de la réponse à la question "quelles sont les forces de notre réseau" présente un caractère péjoratif à l'égard des trois réseaux cités dont celui exploité sous l'enseigne la Boîte à Pizza ; que l'ensemble de ces éléments, lesquels ne conduisent pas à une comparaison objective sur des caractéristiques essentielles et pertinentes mais induisent une appréciation nécessairement négative à l'égard de la société Socorest - Société de concepts de restauration, caractérise la commission d'actes de dénigrement à l'encontre de cette dernière de nature à générer une confusion dans l'esprit du client ou du candidat à la franchise et, donc, à entraîner une distorsion dans le jeu normal de la concurrence ; que si la société appelante ne justifie pas, du fait de ce dénigrement ainsi établi, de la perte de candidats à la franchise et de gain manqué, la faute commise par l'intimée a généré pour l'intéressée un préjudice moral consistant en l'atteinte à son image de marque ; qu'au regard de l'impact tant de l'information dénigrante mise en ligne sur le site Internet de la société Speed Rabbit Pizza que du quizz susmentionné, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 10 000 euro le montant dudit préjudice devant-être mis à la charge de la société Socorest - Société de concepts de restauration ; qu'enfin il sera fait interdiction à la société Speed Rabbit Pizza de se présenter sur ses documents commerciaux ou sur son site Internet comme le "n° 1 français de la pizza livrée" et le "numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur" et ce sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée en l'absence de toute preuve objective apportée du bien-fondé de ces mentions ;

Sur l'action en concurrence déloyale formée à l'encontre de la société Socorest - Société de concepts de restauration :

Considérant que l'examen des pièces produites permet de relever que la société Socorest - Société de concepts de restauration mentionne dans ses documents commerciaux et publicitaires qu'elle serait une "maison fondée en 1986" alors que sa création ne remonte qu'au 30 mai 1991 ; qu'elle inclut, en fait, l'activité antérieure de la société Pronto Pizza dont la date de création remonte effectivement au 23 janvier 1989 mais qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 28 mai 1991, M. Lallement n'ayant constitué la société Socorest - Société de concepts de restauration que deux jours plus tard en reprenant l'enseigne "La Boîte à Pizza" de la société disparue ; qu'ainsi, en entretenant sciemment la confusion entre sa propre date de création et celle de la société Pronto Pizza et en faisant croire de la sorte à une pérennité et une ancienneté illusoires, la société appelante s'est prévalue vis à vis de ses concurrentes d'une expérience en matière de franchise dont elle ne disposait pas et qui n'a pu que fausser le jeu de la concurrence ; qu'au regard du caractère particulièrement vif de celui-ci dans le secteur d'activité concerné et de la volatilité de la clientèle potentielle, l'acte de concurrence déloyale et mensongère sus-analysé a généré pour l'intimée un préjudice que la cour évaluera, au vu des documents fournis et des explications données, à 10 000 euro ; qu'il convient, également et ainsi que les premiers juges l'ont pertinemment souligné dans leurs motifs, d'interdire à la société Socorest - Société de concepts de restauration d'indiquer ou de laisser penser, tant sur ses documents commerciaux que dans ses campagnes publicitaires, qu'elle-même ou le réseau de franchise qu'elle exploite, possède une ancienneté remontant au-delà de 1991, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée ;

Sur la demande de publication du présent arrêt formée par la société Socorest - Société de concepts de restauration :

Considérant que ni la nature du contentieux opposant les parties, ni les circonstances de l'espèce ne justifie la mesure de publication sollicitée ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à octroi de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis, et statuant à nouveau de ce chef, de condamner la société Socorest - Société de concepts de restauration à verser à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 10 000 euro, d'ordonner la compensation judiciaire entre les dites sommes, réparant l'omission matérielle entachant le dispositif du jugement, de faire, interdiction à la société Socorest - Société de concepts de restauration d'indiquer ou de laisser penser, tant sur ses documents commerciaux que dans ses campagnes publicitaires, qu'elle ou le réseau de franchise qu'elle exploite, possède une ancienneté remontant au-delà de 1991, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, y ajoutant, de faire interdiction à la société Speed Rabbit Pizza de se présenter sur ses documents commerciaux ou sur son site Internet comme le "n° 1 français de la pizza livrée" et le "numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur" et ce sous astreinte de 1 0000 euro par infraction constatée, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes respectives ;

Par ces motifs : - Confirme le jugement sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à octroi de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis ; Statuant à nouveau de ce chef : - Condamne la société Socorest - Société de concepts de restauration à verser à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ; - Condamne cette dernière à verser à la société Socorest - Société de concepts de restauration la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ; - Ordonne la compensation judiciaire entre les dites sommes ; Réparant l'omission matérielle entachant le dispositif du jugement : - Fait interdiction à la société Socorest - Société de concepts de restauration d'indiquer ou de laisser penser, tant sur ses documents commerciaux que dans ses campagnes publicitaires, qu'elle ou le réseau de franchise qu'elle exploite, possède une ancienneté remontant au-delà de 1991, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée ; Y ajoutant : - Fait interdiction à la société Speed Rabbit Pizza de se présenter sur ses documents commerciaux ou sur son site Internet comme le "n° 1 français de la pizza livrée" et le "numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur" et ce sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée ; - Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives ; - Laisse à chacune des parties la charge des dépens exposés en cause d'appel ; - Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.