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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 31 mai 2012, n° 10-23600

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sports et Loisirs (SA)

Défendeur :

Groupe Intersport (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Gueguen

T. com Evry, du 17 nov. 2010

17 novembre 2010

La société Sports et Loisirs et la société T. Distribution Sports exploitaient chacune à Provins (77), un magasin d'articles de sport, la première sous l'enseigne " Intersport ", la seconde sous l'enseigne " Twinner "

Le 15 mai 2006, la société Sports et Loisirs a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre la société T. Distribution et son Président, Monsieur T. pour liquidation en méconnaissance des articles L.310-5, L.310-6, L.310-7 du Code de commerce et les articles L.121-2 et suivants, L.131-38 et L.131-39/9 du Code pénal.

Par jugement définitif en date du 28 novembre 2008, le Tribunal de Grande Instance de Melun a condamné la société T. Distribution Sports et Monsieur T. à une amende de 3.000 euros pour vente en liquidation de marchandises non comprises dans l'inventaire fourni dans la déclaration préalable de vente.

Il a alloué à la société Sports et Loisirs, partie civile, la somme de 10 727,69 euros à titre de réparation de son préjudice commercial, 1.000 euros en réparation de son préjudice moral et 1 500 euros en application de l'article 475-1 du Code de Procédure civile, comprenant le coût du contrat.

La société Sports et Loisirs estimant que la société Groupe Intersport s'était rendue coupable de complicité active dans l'action de la société T. Distribution, l'a alors fait assigner devant le Tribunal de commerce d'Evry par acte extra judiciaire en date du 10 mars 2009 aux fins de la voir condamner en réparation de son préjudice.

Par acte extra judiciaire en date du 1er octobre 2009, la société Sports et Loisirs a appelé en intervention forcée la société Intersport France aux fins de la voir condamner solidairement avec la société Groupe Intersport au paiement des sommes réclamées.

Par jugement en date du 29 novembre 2011, le Tribunal de commerce d'Evry a débouté la société Sports et Loisirs de toutes ses demandes, condamné la société Sports et Loisirs à payer à chacune des sociétés Groupe Intersport et Intersport France la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure civile, débouté les sociétés Groupe Intersport et Intersport France de leurs demandes plus amples ou contraires, condamné la société Sports et Loisirs aux dépens.

LA COUR

Vu l'appel interjeté le 7 décembre 2010 par la société Sports et Loisirs.

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 mars 2011 par lesquelles la société Sports et Loisirs demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

- A titre principal, de condamner in solidum les sociétés Groupe Intersport et Intersport France à indemniser la société Sports et Loisirs en lui allouant les sommes de 282.174 euros au titre de ses pertes pécuniaires, 50.000 euros au titre de son préjudice moral, 2.426,98 euros au titre des frais de constat et de consignation, 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.

- Subsidiairement, pour le cas où la Cour estimerait devoir avoir recours à une mesure d'instruction sur l'étendue et le quantum des préjudices subis par la société Sports et Loisirs, d'ordonner une expertise judiciaire pour évaluer lesdits préjudices et de condamner in solidum les sociétés Groupe Intersport et Intersport France à lui payer une provision à valoir sur la réparation de ses préjudices qui ne saurait être inférieure à la somme de 10.000 euros.

- de condamner in solidum, les sociétés Groupe Intersport et Intersport France aux entiers dépens.

La société Sports et Loisirs affirme que, contrairement à ce que prétendent les sociétés Groupe Intersport et Intersport France, il existe un lien de droit entre elles.

En effet, selon la société Sports et Loisirs, Groupe Intersport et Intersport France ont une action conjuguée pour la promotion des produits conçus, fabriqués ou achetés par l'une et commercialisés par l'autre et que par voie de conséquence leur assignation dans la présente instance est justifiée.

De plus, la société Sports et Loisirs soutient qu'il n'y a pas, d'autorité de la chose jugée, les conditions de l'article 480 du Code de Procédure civile n'étant pas remplies, à savoir l'identité de fondement juridique, de demande et de partie.

En outre, la société Sports et Loisirs soutient que s'il est exact que le Groupe Intersport ne vend pas d'articles de la marque Intersport, néanmoins il en fait la promotion par voie de publicité et en autorisant la société T. Distribution à faire usage de cette marque, en infraction avec son règlement intérieur, elle contribue à la concurrence déloyale à laquelle participe la société Intersport France en vendant juste avant la liquidation, des articles Intersport à la société T. Distribution, permettant ainsi à cette dernière de commettre les actes de concurrence déloyale sanctionnés par le juge pénal.

Enfin, l'appelante fait valoir qu'en raison de cette concurrence déloyale elle a dû vendre son fonds de commerce, subissant ainsi de nombreux préjudices, pécuniaires, moral qui ne sauraient être laissés sans réparation.

Vu les dernières conclusions signifiées le 4 août 2011 par lesquelles les sociétés Intersport France et Groupe Intersport demandent à la Cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Sports et Loisirs de toutes ses demandes

- de dire et juger la société Sports et Loisirs irrecevable, ou à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, tant contre la société Groupe Intersport que contre la société Intersport France.

Statuant à nouveau :

- de recevoir la société Groupe Intersport et la société Intersport France en leur appel incident

- de condamner la société Sports et Loisirs à leur payer 20.000 euros de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure civile.

- de condamner la société Sports et Loisirs aux entiers dépens.

Les sociétés Groupe Intersport et Intersport France soutiennent à titre principal que la demande diligentée à l'encontre de la société Groupe Intersport est irrecevable, eu égard à l'absence de lien de droit relatif à l'objet de la demande de la société appelante.

En effet, selon les sociétés intimées, la société Groupe Intersport ne livre aucun produit de quelque marque que ce soit, Intersport ou autres, l'appelante n'étant pas non plus recevable à fonder sa demande sur l'article 2 des statuts de la société Groupe Intersport, pas plus que sur les extraits du contrat d'enseigne Intersport.

De plus, les sociétés intimées soulèvent une irrecevabilité de la demande de la société Sports et Loisirs, eu égard à son caractère contradictoire avec le principe de l'autorité de la chose jugée.

En outre, à titre subsidiaire, elles soutiennent que la demande de la société appelante est mal fondée, cette dernière ne rapportant en rien des éléments attestant que le Groupe Intersport aurait vendu des produits à la société T. Distribution.

Enfin, concernant les demandes à l'encontre de la société Intersport France, les intimées font valoir après avoir rappelé que la société Intersport France est une centrale de référencement, qu'au regard de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 28 novembre 2008, celle-ci ne peut être considérée comme complice de la société T. Distribution et que l'appelante ne démontre en rien de tels faits de complicité.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile

MOTIFS

Les moyens d'irrecevabilité

Considérant que la société Groupe Intersport soulève deux moyens d'irrecevabilité, le premier relatif à l'absence de lien de droit relatif à l'objet de la demande de la société Sports et Loisirs, le second en raison de l'autorité de la chose jugée .

Sur le premier moyen :

Considérant que, si le groupe Intersports ne livre aucun produit ni à la société Sports et Loisirs, ni à la société T., sa qualité d'associé ayant un contrat d'enseigne crée un lien juridique à l'occasion de l'activité commerciale des deux sociétés;

Que l'action de complicité s'entend de tout acte ayant favorisé l'action de l'auteur principal; qu'en l'espèce les faits ont eu pour objet la vente de marchandises non comprises dans l'inventaire fourni dans la déclaration préalable de vente et en relation avec les prestations fournies par la société Groupe Intersports ;

Que l'article 2 des statuts de la société Groupe Intersports précise qu'elle " pourra notamment directement ou indirectement définir et mette en œuvre une politique commerciale commune tant à l'achat qu'à la vente par tout moyen " ;

Qu'en conséquence, l'action de la société Sports et Loisirs reposant sur ce lien contractuel ne saurait être déclarée irrecevable ;

Sur le second moyen, tiré de l'autorité de la chose jugée :

Considérant que le jugement pénal rendu le 28 novembre 2008 est définitif et a autorité de la chose jugée ; qu'il a statué sur la demande de dommages et intérêts de la société Sports et Loisirs ;

Que toutefois la société Sports et Loisirs fait valoir que la demande n'est pas la même, le tribunal correctionnel ayant été saisi d'une infraction alors que sa demande est fondée sur le non-respect d'engagements contractuels ;

Que la société Sports et Loisirs fait grief à la société T. d'avoir sous le couvert de son changement d'enseigne et de la liquidation d'avoir commercialisé des produits étiquetés " Intersport " et de lui avoir ainsi fait une concurrence déloyale ;

Que ne s'agissant pas du même fondement, au surplus pas des mêmes parties, il n'y a pas lieu de retenir l'exception tirée de l'autorité de la chose jugée ;

Au fond :

Considérant que la société Sports et Loisirs n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, non contraires à l'ordre public, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure et la juste application de la loi et des principes régissant la matière, la cour faisant les observations suivantes ;

Considérant que la société Sport et Loisirs fait valoir que la société Groupe Intersport s'est rendue complice de l'infraction commise par la société T. et a violé une obligation d'exclusivité de distribution de ses produits à la société Sports et Loisirs ;

Considérant que la société Groupe Intersport France est une centrale de référencement en articles de sports et permet à ses adhérents d'obtenir de ses fournisseurs et pour le compte de ses adhérents de meilleurs rabais ;

Que les adhérents peuvent également acheter directement à la société Intersport France des produits portant sa marque ;

Que le 28 avril 2005, la société Intersport a informé ses adhérents qu'elle avait donné son accord pour le transfert du magasin Twinner à l'enseigne Intersport ;

Que, par courrier du 4 novembre 2005, le dirigeant de Sports et Loisirs a pris acte de cette intégration, se plaignant seulement d'une rumeur faisant état de la fermeture de son magasin au 31 décembre 2005 mentionnant " toutefois dès lors que nous aurons un repreneur crédible qui nous donnera toutes les garanties nous programmerons cette fermeture " ;

Considérant que la société Sports et Loisirs a produit un constat d'huissier en date du 23 décembre 2005 ayant eu pour objet trois achats de vêtements et de chaussures dans le magasin Twinner, tous étiquetés " intersport "; qu'à cette occasion il était noté la remise d'un bon de réduction de 10euro ; qu'il résultait du constat dressé que deux hommes étaient sortis du magasin avec " un t-shirt de couleur rouge sur lequel il est écrit en grosses lettres de couleur jaune sur le devant " liquidation totale " et sur le dos " à bientôt dans votre nouveau magasin intersport " ;

Que la société Sport et Loisirs produit une publicité " intersport en réseau " de mai 2006 comportant en page 4 la photo de M.T. indiquant " en 2001 il double la surface sous l'enseigne Twinner....Confirmation avec son arrivée chez Intersport en 2006 et déjà les premiers bons résultats " ; qu'en dernière page consacré aux ouvertures il est mentionné " changements d'enseigne ex-twinner Provins date 22 mars 2006 sociétaire M.T. superficie 1 000m2 " ;

Qu'elle produit un deuxième constat en date du 30 janvier 2006 relatant un transport au magasin Twinner au terme duquel il est constaté " qu'une enseigne lumineuse " intersports écrit en rouge et bleu est installée au-dessus de l'entrée du magasin et qu'une deuxième enseigne " intersport " composée de grosses lettres en néon rouge et bleu sur fond blanc est installée sur le côté gauche du magasin et largement visible de la rue " ;

Considérant que si la société Sport et Loisirs prétend qu'elle bénéficiait d'une exclusivité et si elle se réfère à un règlement intérieur qui prévoit pour chaque actionnaire " le droit de s'approvisionner en marchandises auprès de la Société ou par son intermédiaire...ce droit d'exclusivité est accordé à chaque actionnaire à partir d'un point de vente géographiquement localisé ", cette disposition ne constitue pas une exclusivité faisant obstacle à l'admission de nouveaux affiliés ;

Qu'au regard de son affiliation, la société T. était fondée à acheter des produits portant la marque Intersport; que la revente de ceux-ci par la société T. sous le couvert d'une procédure de liquidation est fautive et constitue un acte de concurrence déloyale ; que, pour autant, il n'est pas démontré que la société Intersport, qui ne pouvait refuser d'assurer les prestations contractuellement prévues à son nouvel affilié, savait que celui-ci allait revendre des produits Intersport en infraction avec l'autorisation préfectorale dont il avait bénéficié; que dès lors sa complicité ne saurait être retenue ;

Sur la demande des sociétés Groupe Intersport et Intersport France pour procédure abusive :

Considérant qu'il n'est pas démontré que la société Sports et Loisirs a commis un abus en engageant une action en concurrence déloyale ; qu'il y a lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts des sociétés Groupe Intersport et Intersport France ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que les sociétés Groupe Intersport et Intersport France ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif .