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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 3 juillet 2012, n° 10-08577

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Escarelle (SA)

Défendeur :

Monoprix (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Poinseaux

Avocats :

Mes Fertier, Binoche, Guelot

T. com. Nanterre, 6e ch., du 5 oct. 2010

5 octobre 2010

Vu l'appel interjeté le 18 novembre 2010, par la société Escarelle d'un jugement rendu le 5 octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui:

* l'a déboutée de toutes ses demandes,

* l'a condamnée à payer à la société Monoprix la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 21 février 2011, par lesquelles la société Escarelle demande à la cour de:

* dire qu'il a existé des relations commerciales établies avec la société Monoprix depuis 1994 et en toute hypothèse depuis 2002,

* dire que la société Monoprix est à l'initiative de la rupture des relations contractuelles et que cette rupture s'est faite sans préavis et sans respecter les usages commerciaux et professionnels,

* dire que la société Monoprix a engagé sa responsabilité pour non-respect des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

* dire qu'en l'état de l'antériorité des relations commerciales du secteur professionnel et de la vente sous marque de distributeur, elle a droit à un préavis de deux ans,

* condamner la société Monoprix au paiement de la somme de 210 000 euro outre intérêt de droit à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts,

* condamner la société Monoprix au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 11 mai 2011, aux termes desquelles la société Monoprix SA prie la cour de:

* débouter la société Escarelle de son appel,

* confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

* condamner la société Escarelle au versement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* la société Escarelle exploite un domaine vinicole Château de l'Escarelle à La Celle dans le Var,

* la société Monoprix SA assure le référencement des fournisseurs auprès desquels s'approvisionnent les magasins de la chaîne à l'enseigne Monoprix,

* durant la période de 1994 à 2001, la société Monoprix s'est rendu acquéreur auprès de la société Châteaux Management de vins rosés relevant de l'appellation Coteaux Varois issus du domaine Château de l'Escarelle,

* à compter du 17 avril 2002, la société Escarelle est devenu le fournisseur direct de la société Monoprix, date à laquelle a été signé un cahier des charges de référencement,

* au cours des cinq années consécutives, la société Escarelle a approvisionné la société Monoprix en "fond de rayon",

* par courriel du 12 mars 2007, la société Monoprix a informé la société Escarelle qu'un produit concurrent, Abbaye de Saint Hilaire, jugé plus intéressant serait substitué au rosé de l'Escarelle, ce produit pouvant faire l'objet de nouvelles commandes comme assortiment saisonnier,

* le passage en article saisonnier a permis à la société Escarelle de maintenir son volume de vente en 2007,

* le 16 janvier 2008, la société Monoprix a avisé la société Escarelle de l'abandon à terme du produit à l'expiration de l'été 2008,

* le produit a été maintenu comme produit saisonnier durant l'été 2008,

* le 22 septembre 2008, la société Monoprix a passé une commande supplémentaire de 1 200 bouteilles,

* cette commande a été annulée le 24 septembre 2008,

* après plusieurs échanges de correspondances, la société Monoprix a adressé à la société Escarelle une lettre recommandée le 13 janvier 2009, confirmant l'arrêt de leurs relations,

* c'est dans ces circonstances, que le 14 septembre 2009, la société Escarelle a assigné la société Monoprix devant le Tribunal de commerce de Nanterre en paiement de la somme de 210 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui aurait causé la prétendue rupture brutale de la relation commerciale établie;

Sur la brutalité de la rupture des relations commerciales:

Considérant en droit que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure";

Considérant en l'espèce, que la société Monoprix fait valoir qu'il résulte de la spécificité du marché considéré et la mise en concurrence de chaque production annuelle que la société Escarelle ne peut se prévaloir d'une relation établie au sens des dispositions légales;

Qu'elle expose que toute commande de vin suppose pour chaque millésime le testage d'un échantillon à fournir par le producteur, procédure que n'ignorait pas la société Escarelle ainsi qu'il ressort de courriels et de lettres échangés aux mois de mars, avril et décembre 2007;

Qu'elle soutient qu'en procédant chaque année à la remise pour testage des échantillons de sa production, la société Escarelle devait s'attendre à ce que lui soit préférée la production d'un concurrent caractérisant ainsi l'absence de toute permanence garantie de la relation commerciale;

Or considérant que le testage préalable annuel pour chaque millésime ne fait que répondre aux obligations légales de l'article 1587 du Code civil ;

Que le tribunal a justement retenu qu'en dépit de ce testage qui s'assimile à un contrôle de la qualité des vins, la société Monoprix ne démontrait pas qu'elle aurait effectué une mise en concurrence notamment sous la forme d'appels d'offres;

Qu'en tout état de cause, le renouvellement des marchés, années après années, par la société Monoprix, qui n'a jamais remis en cause la qualité des produits proposés par la société Escarelle, démontre le caractère établi des relations commerciales établies;

Considérant que la société Escarelle expose avoir tissé avec la société Monoprix des relations commerciales depuis 1994 qu'elles ont consacrées par la charte de référencement signée le 17 avril 2002;

Qu'elle soutient que si ces relations ont été au départ nouées dans le cadre de l'intermédiaire d'une société de négoce, la société Château Estate, puis la société Château Management, la société Monoprix ne saurait réduire la durée de leur relation à compter de la signature de la charte, dès lors qu'elle distribuait ses vins antérieurement;

Qu'elle ajoute que la signature de la charte a été, pour elle, la confirmation et la récompense des efforts qu'elle a consentis pour établir des relations commerciales satisfaisantes dans l'intérêt des deux parties;

Mais considérant que la société Monoprix réplique justement que durant la période de 1994 à 2001, elle n'entretenait des relations commerciales qu'avec la seule société Château Management laquelle n'a pas agi en qualité de commissionnaire, mais comme société de négoce, acheteur-revendeur;

Que ce n'est qu'au mois de décembre 2001, que les sociétés Escarelle et Monoprix se sont rapprochées pour envisager de nouer une relation d'affaires;

Que cette relation a pour origine la souscription du contrat de référencement intervenue le 17 avril 2002, de sorte que la société Escarelle peut se prévaloir d'une ancienneté de 6 ans;

Considérant que la société Monoprix soutient encore que la société Escarelle a pu bénéficier à l'occasion de la rupture d'une proposition alternative pour la distribution de produits distincts, proposition à laquelle elle n'a pas souhaité donner suite;

qu'elle prétend, alors qu'elle avait le choix de cesser la commercialisation d'un certain type de vin rosé, avoir offert à la société Escarelle la distribution d'un autre vin issu de sa production et plus généralement toute autre alternative pour la saison 2009;

qu'elle rappelle la lettre adressée à la société Escarelle le 16 janvier 2008: "la proposition que je vous ai faite de remplacer la référence que nous avons suivie pendant plusieurs années par celle que vous proposez dans le circuit CHR vise à rendre cohérent le positionnement de l'Escarelle par rapport à un autre produit du marché que nous avons référencé en 2007, et qui offre une meilleure attractivité, que ce soit en terme de prix ou de qualité que le domaine de l'Escarelle (...) Je vous confirme que dans ce cadre le produit "Château de l'Escarelle CHR" dans son positionnement, peut être un complément de gamme intéressant, comme je vous l'ai proposé (...) Enfin, ces décisions ne nous empêchent nullement de nous rencontrer au mois de septembre 2008 afin de faire le point sur la saison écoulée et la fin de nos approvisionnements auprès de vous, et d'envisager le cas échéant de nouvelles perspectives pour la saison 2009";

Qu'elle fait valoir qu'en dépit de cette opportunité, la société Escarelle n'a donné aucune suite sauf à subordonner la vente du "Château de l'Escarelle CHR" à la commande de volumes minima et à interdire toute promotion sur ce vin;

Or considérant qu'il ressort des termes de la lettre du 16 janvier 2008, que la société Monoprix a décidé de cesser la distribution du produit fourni par la société Escarelle de manière régulière et ininterrompue depuis 2002: "En synthèse et compte tenu de l'antériorité de nos relations commerciales, Monoprix a maintenu le produit "Domaine de l'Escarelle" sur un calendrier saisonnier en 2007. En revanche, il vous appartient de trouver une alternative à la suppression de notre approvisionnement sur ce produit "Domaine de l'Escarelle" à partir d'août 2008, à l'issue de la saison 2008";

Que par cette lettre, la société Monoprix a clairement indiqué à la société l'Escarelle qu'elle mettait fin aux relations commerciales sur l'approvisionnement du produit "Domaine de l'Escarelle";

Que la société Escarelle fait pertinemment valoir que la proposition faite par la société Monoprix portant sur la gamme de vins CHR à des prix de grande distribution lui aurait fait perdre les autres marchés du secteur cafés, hôtels, restaurants dès lors qu'un consommateur, trouvant une telle gamme de vins à un prix de la grande distribution, ne saurait accepter de payer un prix beaucoup plus élevé pour le même produit servi en restauration ou hôtellerie;

Que dans ces circonstances, la société Monoprix ne peut valablement prétendre avoir offert à la société Escarelle une solution de remplacement dont le refus ne serait pas justifié;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Monoprix est bien à l'initiative de la rupture de la relation commerciale;

Considérant que la société Escarelle, rappelant que la société Monoprix lui a indiqué le 16 janvier 2008, qu'il lui appartenait de trouver une solution alternative à la suppression de l'approvisionnement sur le produit "Domaine de l'Escarelle" à partir d'août 2008, expose que la société Monoprix lui a cependant passé deux commandes les 29 juillet et 28 août 2008, portant respectivement sur 3 600 bouteilles, puis une troisième commande de 1 200 bouteilles le 22 septembre 2008, commande annulée le 25 septembre suivant;

Qu'elle indique avoir informé la société Monoprix aux termes d'un mail du 29 mars 2008, de l'obtention d'une médaille d'or à Paris sur le vin rosé qu'elle lui fournissait et que par courriel suivant du 31 mars, la société Monoprix a considéré comme opportune l'apposition d'un macaron sur les prochaines livraisons;

qu'elle prétend, alors qu'il lui a été passé commandes de volumes très importants et qu'elle ne pouvait imaginer l'annulation de la dernière commande au mois de septembre, que la société Monoprix ne lui a pas permis de trouver une solution alternative;

Qu'elle soutient que la société Monoprix ne peut se prévaloir d'un quelconque préavis valable et n'a pas respecté un préavis conforme à la spécificité du secteur basé sur des campagnes annuelles;

Qu'invoquant l'annualité de ses campagnes commerciales, liées au cycle annuel de production vinicole, elle fait valoir qu'un délai d'une année est nécessaire pour retrouver des marchés commerciaux équivalents;

Mais considérant qu'à compter de l'année 2007, le vin rosé de la société Escarelle, qui n'a pas été cessé d'être référencé, n'a plus été offert à la vente comme 'fond de rayon', mais comme assortiment saisonnier et que cette modification a permis de maintenir la moyenne des volumes d'achat constatés de 2003 à 2006;

Que la société Monoprix a informé par courrier la société Escarelle le 16 janvier 2008, qu'elle cesserait de s'approvisionner sur le produit à partir d'août 2008, à l'issue de la saison 2008;

Que conformément à cette prévision, le produit de la société Escarelle a été maintenu en produit saisonnier durant l'été 2008, faisant l'objet de commandes de 47 589 cols;

que la société Escarelle ne saurait reprocher à la société Monoprix d'avoir, durant la période de préavis et jusqu'au mois de juillet 2008, continué à lui passer d'importantes commandes de ce produit, notamment en raison de son obtention d'une médaille;

Qu'en effet, par la poursuite de ces commandes, la société Monoprix n'a fait que respecter le préavis donné;

Que si la société Monoprix a passé, à la suite d'une erreur de gestion, une commande supplémentaire le 22 septembre 2008, force est de constater qu'elle s'est ravisée aussitôt dès le 24 septembre suivant et a annulé cette commande;

Considérant que le principe d'une vente saisonnière suppose des commandes portant sur une seule et même saison, étant observé, comme le relève la société Monoprix, que la consommation du vin rosé se fait principalement durant la période estivale;

Considérant qu'il en résulte qu'en donnant au mois de janvier un préavis pour la fin de la période saisonnière annuelle, la société Monoprix a respecté un préavis suffisant au regard des usages et de la durée de la relation commerciale, permettant à la société Escarelle de trouver une solution alternative pour le prochain cycle de production attaché au domaine viticole;

Considérant que la société Escarelle prétend que la durée minimale de préavis doit être doublée au fondement des dispositions de l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce visant la fourniture de produits sous marque de distributeur, faisant valoir qu'elle a défini un habillage spécifique pour la production de la société Monoprix;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur;

Que l'article L. 112-6 du Code de la consommation dispose qu'est considéré comme produit vendu sous la marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu;

Considérant que la société Monoprix conteste avoir sollicité un quelconque habillage spécifique;

Considérant que dès le mois de mars 2007, la société Monoprix a contesté avoir sollicité un étiquetage spécifique en ces termes: "concernant les 24 000 cols que vous avez en stock, avec un habillage "spécifique", Monoprix ne vous a jamais demandé un tel habillage, et j'apprends même que nous n'avons pas l'habillage traditionnel du Château";

Que cette société réitérera cette contestation par courriel du 1er octobre 2008 et par lettre recommandée du 13 janvier 2009;

Qu'en tout état de cause, l'étiquetage soi-disant réservé à la société Monoprix, produit aux débats en pièce 26, ne mentionne nullement la marque de la société Monoprix;

Que si cette étiquette comporte le dessin d'un losange de couleur orangée, elle n'évoque aucunement le logo figuratif de la société Monoprix;

Considérant par voie de conséquence, qu'il n'y a pas lieu de doubler la durée minimale du préavis;

Considérant qu'il s'ensuit que la décision déférée, qui a débouté la société Escarelle de ses demandes, sera confirmée;

Sur les autres demandes:

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application;

Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Monoprix, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Escarelle qui succombe et doit supporter la charge des dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement par décision contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Escarelle à payer à la société Monoprix la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, Condamne la société Escarelle aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.