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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 12 juin 2012, n° 10-03892

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Educa Borras (Sté)

Défendeur :

Dujardin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avocats :

SCP Bommart-Minault, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, Mes Cunin, Kouchnir Cargill

T. com. Nanterre, du 19 janv. 2010

19 janvier 2010

Faits et procédure

La société Dujardin a pour principale activité le commerce de jeux de société et de jeux éducatifs (jeux de mémorisation, de réflexion, puzzles).

La société Educa Borras, société de droit espagnol spécialisée dans la fabrication de jeux et puzzles, est l'un des principaux fabricants européens de jeux éducatifs.

A partir de 1986, sauf une période d'interruption en 1993 et 1994, la société Dujardin a été le distributeur en France des jeux de société de la marque " Educa " qui lui étaient fournis par la société Educa Borras et le chiffre d'affaires réalisé par la société sur la vente des produits " Educa " est passé de 717 000 euro en 1997 à 1 690 770 euro en 2006.

Cependant, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 avril 2007, la société Educa Borras a informé la société Dujardin qu'elle n'entendait pas donner suite à la proposition de TF1 Games de poursuivre les relations entretenues jusqu'à ce jour avec la société Dujardin, raison pour laquelle, compte tenu du prochain rachat de Dujardin par TF1 Games, elle était contrainte de l'informer de son intention de mettre fin à leur relation commerciale avec un préavis courant jusqu'au 1er janvier 2008.

La société Dujardin a alors manifesté son désaccord sur la durée du préavis ainsi fixé et a sollicité une prorogation des relations jusqu'au mois de décembre 2008.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 juin 2007, Educa Borras a confirmé à Dujardin qu'elle maintenait sa décision, justifiant celle-ci par le rachat de la société Dujardin par la société TF1 Games (en réalité TF1 Entreprises), rachat entraînant selon elle une situation de concurrence qui serait inacceptable.

Dujardin a alors réitéré sa demande de voir proroger le délai de préavis jusqu'au 31 décembre 2008 par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 juillet 2007 aux termes de laquelle elle faisait état notamment de l'absence de toute situation de concurrence qui pourrait justifier la rupture, faisant valoir que les produits de la société TF1 Entreprises ne se situaient pas sur le même marché que ceux de la marque " Educa ".

Cette demande intervenait peu avant le salon de Deauville qui devait se tenir du 4 au 6 juillet 2007, au cours duquel devait être présenté le catalogue permanent des produits " Educa " pour l'année 2008.

La société Educa Borras a finalement proposé, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 juillet 2007, de proroger jusqu'au 30 avril 2008 le délai de préavis initialement fixé au 31 décembre 2007.

La société Dujardin n'a cependant pas accepté le nouveau délai de préavis ainsi proposé, estimant qu'un tel délai engendrerait pour elle une très forte perte sur l'année 2008, l'essentiel du chiffre d'affaires des distributeurs de jeux se réalisant entre le 1er octobre et le 31 décembre de l'année, soit sur la période de Noël.

Dans ces conditions, Dujardin a tenté une nouvelle fois, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 juillet 2007, d'obtenir d'Educa Borras la prorogation du délai de préavis au 31 décembre 2008, faisant valoir que le report du délai de préavis au 30 avril 2008 ne pourrait en aucun cas lui éviter une importante perte de chiffre d'affaires, les référencements des acheteurs pour la saison 2008 commençant dès le mois de juillet 2007 et ne lui laissant donc pas la possibilité de trouver d'ici là un nouveau partenaire.

Educa Borras n'a pas donné une suite favorable à cette demande, confirmant le maintien de la fin des relations au 30 avril 2008.

C'est dans ces circonstances que Dujardin a saisi le tribunal de commerce de Nanterre d'une action en responsabilité pour obtenir la réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties.

Par le jugement déféré, en date du 19 janvier 2010, le tribunal de commerce de Nanterre a condamné Educa Borras à payer à Dujardin la somme de 249 000 euro de dommages intérêts outre 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions signifiées le 9 mai 2011, la société Educa Borras demande à la cour de réformer le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Dujardin de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une atteinte à son image de marque et à sa crédibilité, et vu l'article 32 du Code de procédure civile, de déclarer l'action de la société Dujardin irrecevable, à défaut de qualité à agir, de la déclarer mal fondée et de l'en débouter, de condamner la société Dujardin à lui payer la somme de 30.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions signifiées le 28 avril 2011, la société Dujardin demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Educa Borras, de le confirmer en ce qu'il a dit insuffisant le délai de préavis accordé par la société Educa Borras à la société Dujardin et dit que le délai pour un maintien des relations commerciales normales entre les parties auraît dû être fixé au 31 décembre 2008, de le réformer sur le quantum et de condamner la société Educa Borras à lui payer les sommes suivantes :

- 512 764 euro à titre de dommages-intérêts,

150 000 euro à titre de dommages-intérêts liés à l'atteinte à son image de marque et à sa crédibilité, ces sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- 15.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par arrêt en date du 1er septembre 2011, la 12ème chambre de la cour d'appel a dit la SAS Dujardin recevable en ses demandes, avant dire plus ample droit, rouvert les débats et invité la société Dujardin à verser aux débats une traduction par traducteur assermenté de sa pièce n° 18, avant le 5 mars 2012, renvoyé l'affaire à l'audience du 5 avril 2012 à 14h et réservé les dépens.

La société Dujardin a produit la traduction faite par traducteur assermenté de sa pièce n°18 pour cette audience.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, la cour :

Sur la rupture et la durée du préavis

Educa Borras fait valoir qu'il n'y a pas eu rupture des relations commerciales mais refus de sa part, dans des conditions exemptes de faute, de l'offre de partenariat qui lui était faite, par le nouvel actionnaire de Dujardin, à savoir TF1 Entreprises, qui envisageait de nouer une nouvelle relation, sur des bases différentes de celles ayant existé avec Dujardin. Elle souligne qu'en effet TF1 Entreprises envisageait avant tout de se servir du réseau de vente d'Educa Borras pour diffuser ses propres produits.

Elle soutient très subsidiairement qu'il n'y a pas de brutalité de la rupture, qu'en effet Dujardin fait totalement fi tant de l'attitude particulièrement dolosive dont elle a fait preuve que de la situation de concurrence existant entre elles, à travers son nouvel actionnaire TF1 Games et qui auraient justifié qu'elle mette fin avec effet immédiat à la relation, qu'en toute hypothèse, le préavis d'un an accordé était suffisant au regard des différents critères habituellement retenus par les tribunaux.

Dujardin considère de son côté qu'il est incontestable qu'il existait entre elle et Educa Borras une relation commerciale établie dont la rupture devait, le cas échéant, s'effectuer en conformité avec les exigences posées par l'article L. 442-6 I, 5 du Code de commerce ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce, la rupture étant, contrairement aux allégations d'Educa Borras, effectivement intervenue brutalement.

Elle précise à cet égard que le document intitulé Business Plan adressé par TF1 Games à Educa Borras avait pour unique but de présenter TF1 Games, sa position sur le marché et les conséquences de son rapprochement avec la société Dujardin, afin d'exposer à la société Educa Borras quelles pourraient être les perspectives de développement si les trois entités décidaient de travailler ensemble mais ne constituait en aucun cas une proposition de contrat, ni ne mettait un terme à la relation commerciale existant entre la société Dujardin et la société Educa Borras, d'autant qu'au 11 avril 2007, l'acquisition de la société Dujardin par la société TF1 Entreprises n'était pas encore finalisée et que la société Educa Borras ne pouvait croire qu'elle aurait agi pour le compte de la société Dujardin qui restait le distributeur exclusif en France des produits Educa et n'avait aucune vocation à se voir substituer par TF1 Games.

Elle fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis accordé minimal d'une saison commerciale pleine se terminant le 31 décembre 2008 au regard en particulier de la durée de la relation commerciale, de la forte saisonnalité du marché du jouet, du volume d'affaires et de la difficulté à trouver des solutions de substitution.

Elle répond à la société Educa Borras qu'aucun des arguments développés par celle-ci ne pouvait la dispenser de respecter l'exigence d'un préavis suffisant. Elle conteste avoir informé tardivement Educa Borras de son rachat par TF1 Games et soutient qu'elle est restée une entité distincte et que TF1 Games n'est pas une société concurrente de la société Educa Borras.

Sur la rupture

Il résulte de l'article L. 442.6 I 5° du Code de commerce que sauf dans le cas où l'autre partie n'exécute pas ses engagements ou celui de la force majeure, le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice en résultant.

Il est acquis aux débats que la société Dujardin et la société Educa Borras ont entretenu une relation commerciale pendant une vingtaine d'années puisque la société Educa Borras reconnaît elle-même que la société Dujardin a été le distributeur exclusif en France des jeux de société de sa marque, qu'elle a noué avec cette dernière des liens privilégiés depuis vingt ans (voir ses conclusions pages 5, 7, 9, 10 et 13).

Dans la lettre de rupture du 27 avril 2007, la société Educa Borras a elle-même reconnu d'une part qu'elle mettait fin à la relation commerciale, d'autre part qu'elle devait à son partenaire commercial un préavis tenant compte de la saisonnalité de l'activité en indiquant :

" C'est la raison pour laquelle, compte tenu de votre prochain rachat par TF1 Games, nous sommes contraints de vous informer de notre intention de mettre fin à notre relation commerciale.

Afin cependant de respecter les engagements en cours et compte tenu de la saisonnalité de nos produits, nous nous engageons à apporter à la société Dujardin International toute l'aide et le support nécessaires afin que l'ensemble des engagements pris sur le marché français pour les produits permanents et fin d'année 2007 puissent être respectés, et ce jusqu'au 1er janvier 2008."

Elle a ensuite répondu par courrier du 22 juin 2007, à la demande de la société Dujardin sollicitant un préavis plus long jusqu'au 31 décembre 2008, s'agissant du préavis que nous vous avons laissé et pendant lequel, je vous le rappelle, la société Educa Borras va accepter de livrer un concurrent, il respecte parfaitement la saisonnalité de nos produits.

Il résulte sans équivoque des courriers échangés entre les parties entre le 27 avril et le 19 juillet 2007 ( pièces 12 à 19 de l'intimée) que la société Educa Borras n'a jamais discuté avoir pris l'initiative et la décision de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Dujardin et devoir respecter un préavis.

Les motifs de cette rupture ont été exposés par la société Educa Borras dans ses courriers. Contestés par la société Dujardin, ils sont ceux que la société Educa Borras reprend dans ses écritures, la société Educa Borras ayant estimé dès la rupture n'avoir pas été loyalement informée par la société Dujardin du rachat par la société TF1 Games, n'avoir rien à gagner à s'engager dans un partenariat avec cette dernière avec laquelle elle considérait être en situation de concurrence directe.

Malgré donc ces motifs clairement énoncés dans son courrier du 11 juillet 2007, la société Educa Borras a prorogé le préavis jusqu'au 30 avril 2008.

La société Educa Borras n'est donc pas fondée à soutenir désormais, contre ses propres écrits dénués d'ambiguïté, qu'il n'y aurait pas eu rupture d'une relation commerciale établie au motif qu'elle n'aurait fait que refuser, dans des conditions exemptes de faute, l'offre de partenariat du futur nouvel actionnaire de la société Dujardin alors qu'elle a expressément rompu la relation avec la société Dujardin à une date à laquelle tout au plus, la société TF1 Games lui avait adressé un business plan lequel, compte tenu de son contenu très succinct, peut seulement s'analyser en une première approche en vue d'ouvrir des négociations et ne pouvait pas mettre fin aux relations entre la société Educa Borras et la société Dujardin, ne lui avait fait aucune offre de commercialisation ou de distribution de ses produits et n'avait pas encore pris de participation dans la société Dujardin.

La société Educa Borras est tout autant mal fondée à prétendre qu'elle pourrait être dispensée de préavis en invoquant l'inexécution par l'autre partie de ses obligations, le silence et les dissimulations de la société Dujardin sur son rachat par la société TF1 Games, les mensonges de la société Dujardin sur sa prétendue autonomie.

Tous ces moyens figuraient dans ces courriers successifs d'avril à juillet 2007 et ont motivé selon elle la rupture sans qu'elle considère qu'ils étaient de nature à justifier l'absence de préavis.

La société Educa Borras ne justifie pas que la société Dujardin aurait manqué à ses engagements - aucun autre manquement que celui à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat n'étant allégué - et aurait eu un comportement déloyal à son encontre. En effet, les échanges entre les parties, notamment les mails des 27 mars 2007 et 11 avril 2007 et le business plan établi par la société TF1 Games intitulé " Educa/TF1 Games " démontrent que la société Educa Borras a été informée par son partenaire commercial du rapprochement envisagé entre ce dernier et la société TF1 Games. Cette information a été donnée à la société Educa Borras à une date compatible avec la nécessaire discrétion observée sur une opération de rachat telle que celle envisagée, plusieurs mois avant que celle-ci soit finalisée.

Par ailleurs, la société Educa Borras a reconnu dans ses courriers qu'elle devait accorder un préavis à la société Dujardin et l'a même amiablement prolongé jusqu'au 30 avril 2008, alors même qu'elle affirmait déjà être en concurrence directe avec la société TF1 Games.

Elle ne peut sans se contredire soutenir aujourd'hui que cette même situation de concurrence directe justifierait une dispense de préavis.

En tout cas, la situation de concurrence directe alléguée avec la société TF1 Games qui n'était pas entrée dans le capital de la société Dujardin en avril 2007, ne caractérisait pas, au moment de la rupture, la force majeure ou l'inexécution par la société Dujardin de ses engagements, seules causes prévues par l'article L. 442.6 I 5° du Code de commerce permettant de dispenser celui qui rompt la relation commerciale établie d'accorder un préavis à son partenaire commercial.

En outre, l'article L. 442.6 I 5° du Code de commerce sanctionne la brutalité de la rupture et non la rupture en elle-même et il est dès lors inopérant d'opposer à la société Dujardin la circonstance que le maintien des relations commerciales était impossible puisqu'il n'est pas fait reproche à la société Educa Borras d'avoir mis un terme à la relation commerciale établie mais de ne pas avoir respecté un préavis suffisant au regard de la durée de cette relation commerciale.

Surabondamment, il sera observé que contrairement à ce qu'affirme la société Educa Borras, au vu notamment des catalogues qui sont versés aux débats, elle manque à démontrer qu'elle aurait été en concurrence directe avec la société TF1 Games concernant les produits dont la société Dujardin était jusque là son distributeur exclusif en France.

En effet, les quelques produits cités par la société Educa Borras pour lesquels elle prétend qu'elle aurait été en concurrence directe avec la société Dujardin sont des jeux pour lesquels elle est titulaire d'une licence d'exploitation mais uniquement pour l'Espagne et le cas échéant le Portugal, alors que de son côté, la société TF1 Games dispose des mêmes droits pour la France, de sorte qu'en toute hypothèse, la société Dujardin n'assurait pas la distribution de ces jeux pour le compte de la société Educa Borras en France et que la société Educa Borras et la société TF1 Games ne sont pas concurrents pour ces produits sur le même marché.

Pour les autres produits de la gamme de la société Educa Borras qui consistent pour l'essentiel en des jeux éducatifs et des puzzles, y compris pour ces derniers qui ne sont pas à seule destination des enfants, aucune situation de concurrence n'est caractérisée. La société Dujardin fait donc valoir à juste titre qu'elle n'aurait pas pu privilégier la société TF1 Games au détriment de la société Educa Borras.

La société Educa Borras devait donc respecter un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale établie avec la société Dujardin, aucun accord interprofessionnel n'étant invoqué par les parties.

- Sur la durée du préavis

La société Dujardin soutient que la prorogation de la durée du préavis jusqu'au 30 avril 2008 a été insuffisante puisqu'elle n'a pas empêché, compte tenu de la période à laquelle se nouent les accords commerciaux dans le secteur du jouet, la perte pure et simple du chiffre d'affaires correspondant en 2008, soit 25 % de son chiffre d'affaires global, raison pour laquelle elle réclame un préavis jusqu'au 31 décembre 2008.

Les parties s'accordant sur une relation commerciale d'une vingtaine d'années, il n'est pas contesté par la société Dujardin que courant 1993 et 1994, la société Educa Borras a repris la distribution de ses propres produits en France pour faire de nouveau appel à la société Dujardin dès 1995.

La société Educa Borras soutient que le préavis accordé d'une année était suffisant en rappelant que les discussions portant sur le permanent de l'année n+1 ont lieu en juillet/août de l'année n et que les référencements pour la fin d'année n+1 ont lieu en septembre de l'année n, qu'ainsi, en avril 2007, n'avaient pas encore eu lieu les sélections pour la fin d'année 2008, que le préavis accordé permettait à la société Dujardin d'assurer les ventes des produits permanents et de fin d'année en 2007, ainsi que celles des produits permanents de 2008 et même des produits de fin d'année 2008 puisqu'elle s'était engagée à assurer toutes les commandes prises avant le 30 avril 2008.

Il ressort des pièces produites que les relations commerciales entre la société Dujardin et la société Educa Borras étaient rythmées par deux éléments essentiels nécessaires à l'obtention des référencements par les grandes surfaces spécialisées dans le commerce de jouets et par les grandes surfaces alimentaires, la mise au point du catalogue permanent d'une part, le catalogue de fin d'année, d'autre part.

Par ailleurs, il est établi par les pièces produites et non sérieusement démenti par la société Educa Borras que le marché du jouet se caractérise par une forte saisonnalité, se manifestant par une concentration des achats et des ventes liée à la période de Noël et une forte anticipation des référencements par les gros acteurs du marché que constituent les grandes surfaces spécialisées et les grandes surfaces alimentaires.

La société Educa Borras prétend que les puzzles échapperaient à cette saisonnalité et que les plus grosses ventes de puzzles s'effectueraient entre janvier et mars. Cependant, les seules pièces qu'elle produit concernant des opérations promotionnelles pour ses produits chez Joué Club en 2010 ne sont pas de nature à remettre en cause la saisonnalité du marché.

Elle prétend aussi que la société Dujardin aurait pu trouver des solutions de substitution plus tôt, par exemple pour la fabrication des puzzles. Il est certes avéré que l'appelante est entrée en contact avec la société Trefl pour la fabrication de puzzles lors du salon de Nüremberg en février 2008 mais il ne ressort pas contrairement à ce qu'affirme la société Educa Borras que la société Trefl était en mesure de fabriquer pour la société Dujardin des puzzles que celle-ci aurait pu commercialiser auprès de ses principaux clients dès Noël 2008.

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, même à considérer que celle-ci ne remonterait qu'à 1995, et des spécificités particulières du marché du jouet connues des deux partenaires, des dates des principaux salons professionnels et des demandes en vue des référencements, le délai de préavis octroyé par la société Educa Borras en avril 2007 jusqu'au 31 décembre 2007 puis le 11 juillet 2007 jusqu'au 30 avril 2008, était insuffisant pour permettre à la société Dujardin de trouver pour les sélections de Noël 2008 des solutions de substitution à la société Educa Borras, notamment pour satisfaire ses principaux clients que sont les grandes surfaces spécialisées et les grandes surfaces alimentaires, pour les produits éducatifs et les puzzles, produits phares de la gamme Educa Borras, et notamment "le Lynx".

En particulier, outre que jusqu'au 11 juillet 2007, la société Dujardin a été dans l'incertitude des produits qu'elle pourrait distribuer en 2008 même seulement au titre du catalogue permanent, le fait que la société Educa Borras s'engage à livrer toutes les commandes passées par la société Dujardin jusqu'au 30 avril 2008 ne permettait pas à cette dernière d'avoir un catalogue des produits disponibles pour l'année entière 2008 et de rassurer ses clients sur sa capacité à faire face aux commandes des produits Educa Borras étalées sur une partie de l'année, entre mai et septembre 2008 pour les ventes de la fin de l'année 2008.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le délai de préavis insuffisant et fixé le préavis, compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale, au 31 décembre 2008.

Sur le préjudice

Le préjudice résultant de la brutalité de la rupture est apprécié au regard de la perte de la marge brute que le partenaire commercial aurait pu légitimement espérer pendant le préavis dont il aurait dû bénéficier.

La société Educa Borras prétend que la société Dujardin ne justifie pas par les pièces produites de la réalité du préjudice subi, que les seuls éléments succincts qui émanent de son propre expert-comptable ne constituent pas des preuves, qu'aucun élément comptable fiable permettant de vérifier la véracité des chiffres avancés n'est produit, qu'elle a demandé en vain au conseiller de la mise en état d'ordonner à la société Dujardin de verser aux débats ces pièces et notamment les chiffres d'affaires mensuel globaux et sur les seuls produits Educa.

Elle ajoute que la société Dujardin a continué à commercialiser des produits Educa bien après la résiliation du contrat, que le montant des commandes passées, comme le courrier du 13 juin 2008, démontrent que la société Dujardin a augmenté ses achats sur la période de mai 2007 à avril 2008 par rapport à l'exercice précédent et qu'elle ne tient pas compte de la valorisation du stock qu'elle a continué à écouler. Elle fait également valoir que la société Dujardin a pratiqué une baisse volontaire de sa marge et a cassé les prix, ce dont elle ne saurait donc obtenir réparation.

Contrairement à ce que soutient la société Educa Borras, la société Dujardin verse aux débats les documents qui permettent d'apprécier le préjudice qu'elle a subis.

A cet égard, étant produit tant les comptes de la société Dujardin International que ceux de la société Dujardin, il n'y a pas lieu d'écarter les éléments relatifs à la marge brute de la gamme Educa versés aux débats (pièces 19 et 50) dont atteste Mme Fabre, appartenant à la société Access Consultants, société d'expertise-comptable, pour les années 2004 à 2008.

Il convient à cet égard d'observer que les chiffres qu'elle prend en considération au titre des achats Educa sont tout à fait cohérents avec le volume des commandes et les relevés de facturations dont la société Educa Borras fait état, en tenant compte du différé dans le temps entre les commandes et les facturations, chiffres qui figurent dans un document établi par l'intimée elle-même certes non certifié par un expert-comptable mais reposant manifestement sur des informations fiables.

Par ailleurs, le préavis devant se terminer au 31 décembre 2008, il n'est pas nécessaire de disposer de chiffres mensuels dès lors que la marge attendue sur l'année 2008 dans son ensemble peut être appréciée au regard de celle réalisée sur les années précédentes, peu important donc la façon dont elle se répartit au cours de l'année mois par mois.

C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que les données analytiques concernant les exercices 2004 à 2008 présentées par la société Dujardin à l'appui de sa réclamation figurant en pièce 50 de son dossier et émanant de l'expert-comptable peuvent être retenues comme base fiable de détermination de son préjudice.

Au vu de ces éléments, la société Dujardin aurait pu réaliser un chiffre d'affaires de 1.852 keuro en 2008, conforme à la moyenne du chiffre d'affaires réalisé sur les quatre années précédentes 2004/2007.

Il faut également constater que sur les années 2004/2007, les taux de marge ont été relativement stables entre 43,55 % et 45,30 %, alors que ce taux n'a atteint que 33,77 % sur 2008.

Sur ce point, la société Educa Borras fait valoir à juste titre que la société Dujardin a pratiqué une politique de baisse des tarifs (les pièces 34,36 et 43 de la société Educa Borras), voire de vente en dessous du prix d'achat et du prix de revient.

La société Dujardin ne justifie pas comme elle le prétend que la baisse de ses tarifs serait intégralement imputable à la concurrence de la société Educa Borras sur le marché français après avril 2008.

En revanche, il est certain que la décision de la société Dujardin de constituer un stock supplémentaire en particulier pour les produits le Lynx (voir pièce 45 de la société Educa Borras) entre mai 2007 et avril 2008, a été imposée par la nécessité de limiter les conséquences dommageables de la rupture brutale par la société Educa Borras en anticipant les achats avant la date limite du 30 avril 2008 pour se ménager la capacité de continuer à répondre aux demandes des clients français, engendrant ensuite au moins pour partie la baisse des tarifs pour écouler ce stock supplémentaire dans le courant de l'année 2008.

Dans ces conditions, la cour retiendra que la diminution de marge sur 2008 résulte partiellement du caractère brutal de la rupture et est donc en partie imputable au comportement de la société Educa Borras.

La cour fixera donc à 38 % sur l'année 2008 le taux de marge que pouvait attendre la société Dujardin si la société Educa Borras avait respecté un préavis suffisant.

Par ailleurs, il résulte des pièces produites que la société Dujardin détenait un stock de produits Educa Borras pour 110 700 euro fin 2008.

Elle ne peut reprocher à la société Educa Borras d'avoir refusé de lui racheter et il est établi qu'elle a continué à vendre ce stock. Elle ne justifie pas du montant du chiffre d'affaires réalisé par la commercialisation de ce stock et prétend que la marge réalisée aurait été quasiment nulle, ce qu'elle ne prouve pas.

En l'absence d'éléments produits, il y a lieu d'évaluer la marge réalisée sur le chiffre d'affaires généré par l'écoulement de ce stock également sur la base du même taux de 38 %.

Le préjudice subi par la société Dujardin du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie sera donc réparé par la somme de 320 000 euro.

Le jugement sera donc réformé du montant de la somme allouée.

Sur les dommages-intérêts supplémentaires

La société Dujardin se borne à affirmer que la situation créée par la brutalité de la rupture a inévitablement porté atteinte à sa crédibilité et à son image de marque, sans apporter aucune pièce à l'appui de cette allégation de nature à justifier d'une telle atteinte auprès de ses clients.

Le jugement qui l'a débouté de cette demande sera donc confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Les dépens seront à la charge de la société Educa Borras qui succombe en ses prétentions.

L'équité commande de la condamner à payer à la société Dujardin une indemnité supplémentaire de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Vu l'arrêt du 1er septembre 2011 qui a dit recevable la SAS Dujardin en ses demandes, Réforme le jugement entrepris sur le quantum du préjudice. Statuant à nouveau, Condamne la société Educa Borras à payer à la société par actions simplifiée Dujardin la somme de 320 000 euro à titre de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales. Y ajoutant, Condamne la société Educa Borras aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Condamne la société Educa Borras à payer à la société Dujardin une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la société Educa Borras de sa demande au même titre.